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La Chute d'Arthur

La passion de J.R.R. Tolkien pour la versification allitérative et pour les poèmes écrits de cette manière apparaît sans doute comme l’une des principales sources d’inspiration de son œuvre. Ces légendes nordiques, qu’elles relèvent des registres héroïque, mythologique et poétique, jouent un rôle primordial dans la genèse de la Terre du Milieu.

Longtemps remisé parmi les brouillons et notes de Tolkien père, resté à l’état d’ébauche sans cesse modifiée, le manuscrit de La Chute d’Arthur a bénéficié des succès du Hobbit et du « Seigneur des Anneaux » pour resurgir dans une édition commentée, profitant au passage d’un travail de contextualisation bienvenu. A l’instar de la Légende de Sigurd et Gudrún, le texte appartient à la fois à l’historiographie littéraire et à la poésie. J.R.R. Tolkien s’efforce d’y transposer en anglais moderne la métrique du vers allitératif du XIVe siècle. Ecrit dans les années 1930, le poème reste inachevé. Un fait que déplore Christopher Tolkien, car il se dégage de l’œuvre de son père une puissance épique indéniable, comparable en cela aux chansons de geste, que seule une lecture à haute voix rend perceptible.

Le récit de la chute d’Arthur est bien connu des spécialistes. Relatés à la fois chez les auteurs pseudos-historiques (l’Historia Regum Brittanniae de Goeffroy de Monmouth et le Roman de Brut de Wace) et littéraires (réduisons la liste au plus connu, Le Morte d’Arthur de Sir Thomas Malory), la mort du roi breton et l’échec de son utopie chevaleresque nous en disent finalement plus long sur l’état d’esprit et la géopolitique des XIIe et XIVe siècles que sur le personnage lui-même. Les différentes versions imprègnent par leurs motifs et récurrences notre représentation du souverain et de son histoire. A ce titre, son avatar cinématographique le plus convaincant demeure toujours Excalibur, film crépusculaire aux accents wagnériens de John Boorman.

En composant La Chute d’Arthur, Tolkien s’inscrit donc dans la tradition arthurienne, celle de la matière de Bretagne, où les auteurs successifs ont écrit et réécrit la même histoire, lui ajoutant des personnages et des épisodes supplémentaires, pour créer une sorte d’univers de fantasy avant la lettre. Il s’efforce d’en refaçonner la légende et lui confère sa propre senefiance (pour faire simple, on traduira le terme par celui de symbole à portée morale), tout en élaguant les passages qu’il juge superflus.

Loué pour son travail par R.W. Chambers, Tolkien n’a malheureusement pas achevé sa tâche. Sur ce point, Christopher Tolkien se cantonne aux supputations. Il préfère livrer quelques pistes, tirées des brouillons et notes de son père, sur la poursuite du récit, établissant des comparaisons avec les textes médiévaux afin d’ouvrir les perspectives sur ses choix probables. Mais surtout, il s’attache à montrer les liens qu’entretiennent les différentes écritures du Silmarillion avec le récit de La Chute d’Arthur. Dans la « Quenta », Tol Eressëa rappelle en effet l’île d’Avalon, à la fois pays de cocagne et « paradis terrestre ». Et le voyage de Lancelot vers l’Ouest, en quête de son roi en sa dernière demeure, annonce celui d’Eärendil jusqu’au Valinor. En cela, La Chute d’Arthur s’impose comme une pièce non négligeable de la longue gestation de la Terre du Milieu. Et s’il apparaît destiné avant tout à un public féru d’érudition, le travail de Christopher Tolkien est à tous points de vue passionnant puisqu’il nous ouvre les portes des coulisses d’une des œuvres majeures du XXe siècle.

Contes et légendes inachevés

Les Contes et légendes inachevés, publiés quelque temps après Le Silmarillion, et toujours sous les auspices de Christopher Tolkien, sont d’une certaine manière un volume de transition entre les précédents livres tolkieniens consacrés à la Terre du Milieu, et la vaste entreprise érudite de « L’Histoire de la Terre du Milieu » qui devait lui succéder. Les récits compilés dans ce tome, et pour l’essentiel distingués selon l’Age auxquels ils renvoient, sont certes relativement tardifs, dans la mesure où ils ont été écrits après l’achèvement du « Seigneur des Anneaux », et, s’ils ne sont pas « finis », bon nombre ont néanmoins un caractère narratif prononcé. Mais leur nature fragmentaire, leur diversité, leur sens du détail extrêmement pointilleux, sans même parler des commentaires et no-tes érudits de Christopher Tolkien, parfois envahissants, les rapprochent bel et bien de l’exégèse tolkiénienne la plus avancée.

Qualitativement, c’est probablement le Premier Age qui se montre le plus intéressant, même si le moins « surprenant », avec deux longs textes consacrés aux cousins Tuor et Túrin qui, bien qu’inachevés (le premier s’interrompt brusquement à l’arrivée de Tuor à Gondolin, tandis que le second est coupé en deux par une lacune assez conséquente), se montrent à la fois riches et palpitants, apportant des compléments bienvenus à ces histoires évoquées dans Le Silmarillion (de façon assez lapidaire pour ce qui est du premier conte, d’ailleurs).

Le Deuxième Age, logiquement, s’intéresse surtout à l’histoire de Númenor, dont on ne connaissait peu ou prou que la submersion, contée dans Le Silmarillion. Nous avons droit ici à une description géographique de l’île cadeau des Valar, ainsi qu’à une généalogie des rois descendant d’Elros, documents fort intéressants qui permettent de mieux saisir le contexte et les enjeux de la pièce maîtresse de cette partie, « Aldarion et Erendis. La Femme du navigateur », très beau conte évoquant la triste histoire d’un roi amoureux de la mer, et de son épouse délaissée. Reste encore « L’Histoire de Galadriel et Celeborn, et d’Amroth, roi de Lórien », ensemble de fragments transversaux, pointus et contradictoires ; on est submergé d’informations au travers du commentaire de Christopher Tolkien dans cette « histoire » qui n’en est pas une et n’intéressera vraisemblablement que les exégètes les plus fanatiques.

Pour ce qui est du Troisième Age, outre le beau récit « Cirion et Eorl et l’amitié du pays Gondor et du pays Rohan », touchant et majestueux même si le passage essentiel — l’arrivée d’Eorl et de ses troupes sur les champs du Celebrant — est hélas absent, on trouvera surtout des documents venant apporter des précisions sur les romans « de hobbits », parfois surprenantes (dans « L’Expédition d’Erebor », notamment, où Tolkien essaye — tant bien que mal ? — de trouver une justification à l’insistance de Gandalf pour que Bilbo intègre la troupe des Nains de Thorin). On est ici frappé par le sens du détail de Tolkien dans l’élaboration de son univers, par la richesse presque étouffante, en somme, de l’arrière-plan de son « monde secondaire », dont l’histoire et la géographie (entre autres !) sont mûrement réfléchies.

Reste enfin une quatrième partie plus hétéroclite encore et qui ne fait que renforcer cette impression de méticulosité, avec trois textes consacrés aux Drúedain (surtout au Premier Age), aux Istari (le plus intéressant probablement, il vient en tout cas apporter nombre d’informations sur Gandalf et ses pairs) et aux Palantíri.

Les Contes et légendes inachevés sont par nature frustrants, et parfois d’un abord relativement difficile. Ces fragments n’ont bien entendu d’intérêt que pour les lecteurs du Hobbit, du « Seigneur des Anneaux » et du Silmarillion. Ils n’en constituent pas moins une plongée passionnante, pour qui est prêt à tenter l’effort, dans un univers d’une richesse inégalée, dont ils constituent un témoignage pour le moins impressionnant.

Les Enfants de Hurin

Dans les mois qui précédèrent sa sortie en fanfare, Les Enfants de Húrin sut vraiment attiser la curiosité des amateurs de Tolkien, anciens ou plus récents. Dans le prolongement du succès des longs métrages de Peter Jackson, et contrairement à certaines publications « fragmentaires », ce texte a pour lui de constituer une histoire complète et facile à résumer.

Si les habitués de Tolkien connaissaient déjà bien les grandes lignes de l’histoire de Túrin et Nienor, résumée dans Le Silmarillion, celle-ci peut se prévaloir d’être immédiatement accessible pour le néophyte : en effet, quoi de plus vendeur qu’une histoire d’amour tragique ? Néanmoins, présenter ce texte de la sorte serait toutefois réducteur. Les Enfants de Húrin, ce n’est pas cela (pas que cela, en tout cas), aux yeux de son créateur, qui entama cette histoire en 1918 sans jamais l’achever. On retrouve dans ce roman complété par Christopher Tolkien le talent de conteur du père de ce dernier dès les premières lignes du récit, ainsi que son goût pour la grande histoire. Les Enfants de Húrin se déroule longtemps avant « Le Seigneur des Anneaux », avant même que les hobbits ne fassent leur apparition en Terre du Milieu. C’est même une légende pour Frodo et les autres. Mais le ton est bien là.

Le récit se définit aussi par une noirceur nettement plus palpable que dans l’ouvrage le plus connu de l’auteur.

Certes, à l’image de son ultime chapitre, « Le Seigneur des Anneaux » se révèle loin d’être aussi rieur et positif qu’on peut l’imaginer en se livrant à une lecture superficielle ou en se contentant des films de Peter Jackson. La fausse trilogie contient une mélancolie et une amertume qui accompagnent le lecteur longtemps après avoir laissé Sam Gamegie chez lui, à Cul-de-Sac. Quiconque s’est penché ne serait-ce que sur Le Silmarillion a pu découvrir son lot d’histoires dramatiques et de destins terribles — Feänor, Húrin lui-même… —, souvent bien plus épiques encore que les aventures de la Communauté de l’Anneau. Au Premier Age, les Dieux arpentent la Terre du Milieu et leur sang coule.

Ici, la machination du Grand Ver Glaurung, l’amnésie du personnage de Nienor et son ultime décision, se révèlent d’autant plus frappants, car le lecteur a cette fois eu le temps de s’attacher au couple qu’elle forme avec Túrin. Nous ne sommes plus dans la retranscription d’événements passés sous la plume d’un chroniqueur, mais nous vivons cette histoire avec ceux-là même qui en subissent les terribles épreuves (dès le chapitre 2, on se retrouve au cœur de la Bataille des Larmes Innombrables). Si les différents tomes de « L’Histoire de la Terre du Milieu » et, dans un degré moindre, Le Silmarillion, sont souvent présentés comme à réserver à celles et ceux qui veulent vraiment pousser très loin le curseur encyclopédique de leurs connaissances, Les Enfants de Húrin se lit comme un roman plus classique, qui démontre que l’œuvre de Tolkien en dehors du « Seigneur des Anneaux » ne se limite pas à Bilbo, aux Aventures de Tom Bombadil ou aux Lettres du Père Noël.

Les Enfants de Húrin est avant tout une grande histoire poignante qui nous conduit au cœur du Premier Age et des légendes du Beleriand, au plus près de certaines figures les plus marquantes créées par Tolkien. Ce roman constitue indéniablement l’une des pièces maîtresses de l’œuvre de J.R.R. Tolkien. Et à choisir, pour le lecteur cherchant à percer les mystères du Premier Age, c’est une porte d’entrée sans doute plus aisée à franchir que Le Silmarillion.

Roverandom

Avant « Le Seigneur des Anneaux », avant Le Hobbit, il y avait Roverandom. Ce conte au titre intraduisible — mot-valise évoquant le vagabondage, rover, et le hasard, random — raconte l’histoire d’un chiot, Rover, qui a l’idée saugrenue de mordre un passant, sans savoir qu’il s’agit en réalité d’un sorcier, nommé Artaxerxès. Vexé, ce dernier transforme Rover en jouet, qui finit par être récupéré par un petit garçon. Rover découvre néanmoins qu’il peut s’animer à la nuit tombée. Voulant retrouver sa taille initiale, il se lance à l’aventure, et rencontre bientôt un mage des sables qui l’envoie, avec l’aide d’un goéland nommé Cendré, sur la Lune. Là, il rencontre un autre magicien et son chien, nommé lui aussi Rover — et le chiot de se retrouver rebaptisé Roverandom. Les aventures du chiot se poursuivront, mettant en scène un dragon lunaire, un retour sur Terre et une plongée dans les océans à la recherche d’Artaxerxès…

Conçu en 1925 par Tolkien à l’intention de ses enfants, notamment son deuxième fils, inconsolable d’avoir égaré à la plage une figurine de chien, rédigé en 1927, Roverandom n’a été proposé à la publication par son auteur qu’après Le Hobbit, et, Tolkien s’étant ensuite consacré au « Seigneur des Anneaux » et son « Légendaire », n’est finalement sorti en volume qu’en 1998, vingt-cinq ans après le décès du romancier.

Ce conte contient en germe bon nombre d’éléments qui resurgiront dans les œuvres ultérieures de Tolkien. Des êtres de petite taille, des magiciens, des dragons, des voyages, des terres lointaines… Le tout avec humour et jeux de mots plus ou moins traduisibles. Roverandom présente d’abord un intérêt documentaire pour tout amateur de Tolkien, qui pourra retracer une part de la genèse de la Terre du Milieu dans l’univers fantasque mis en place, où se mêlent joyeusement diverses mythologies et les bases du « Légendaire ». Mais pas seulement : à l’inverse des Contes et légendes perdus ou inachevés, Roverandom est un récit fini, vif, des plus plaisant à lire, et qui ne s’adresse pas seulement aux exégètes. Le court volume est enrichi par une intéressante préface, une foule de notes explicitant les nombreux jeux de mots et les références émaillant le conte, ainsi que par une demi-douzaine d’illustrations — il ne faut pas oublier que Tolkien était un excellent dessinateur, doté d’un style bien à lui.

En somme, Roverandom est un petit bijou plein de fantaisie. (Espérons seulement que Peter Jackson n’aura pas l’idée d’adapter ce conte en une nonalogie cinématographique.)

Bilbo le Hobbit

« Dans un trou vivait un hobbit. » L’ouverture de ce roman fait partie des phrases les plus célèbres de la littérature, et les hobbits de Tolkien sont les plus connues de ses créations. Ils sont pourtant apparus dans un roman pour enfants (un récit que Tolkien avait élaboré pour les siens) qui n’était au départ rattaché qu’assez lâchement au reste de la grande œuvre légendaire.

Rappelons-en le propos : dans une agréable maison creusée dans une colline, un petit homme tranquille nommé Bilbo vit de ses rentes. Passe un magicien nommé Gandalf qui lui adresse des paroles mystérieuses et donne rendez-vous chez lui à une compagnie de treize nains barbus… Ceux-ci veulent reprendre le trésor volé à leurs pères par le dragon Smaug. Par fierté, par erreur, notre hobbit va se joindre à la compagnie en tant que « cambrioleur » (les hobbits savent être très discrets) et vivre au milieu d’une bande de bras cassés plutôt incompétents (à l’exception de leur chef, le noble Thorin Ecudechêne) des aventures folles qui lui feront mille fois regretter son confortable cottage campagnard.

L’auteur de ces lignes a découvert ce roman enfant et en gardait un formidable souvenir. Pour la première fois, un livre se révélait trop court ! Puis le temps a passé et il a pu le lire à ses propres enfants. La redécouverte n’a provoqué aucune déception : au-delà des péripéties du récit (qui comprennent nombre de grands moments, comme la traversée des souterrains des gobelins ou l’évasion du palais du roi des Elfes de la forêt, sans compter la rencontre avec Smaug, formidable créature), le style fait tout le charme du récit. Ecrit d’une façon légère et humoristique, prenant souvent le lecteur à partie, Bilbo le hobbit, loin du terrible pudding de Peter Jackson, est un roman gracieux et amusant alternant scènes comiques et aventures épiques. Les grands thèmes de Tolkien sont pourtant bien présents, notamment celui de la corruption — corruption de l’or, auquel presque aucun personnage n’échappe. La tonalité se fait d’ailleurs plus grave dans les derniers chapitres, une fois les Nains en possession de l’objet de leurs désirs… La fin du roman est épique et belle, le petit homme a mûri et personne n’est sorti inchangé de l’aventure.

Et c’est au cœur des ténèbres du chapitre 5 qu’apparaît le plus beau personnage de tout l’univers de la Terre du Milieu. Faible, sournois et visqueux, Gollum, hobbit déformé par le Mal, affronte Bilbo dans un jeu d’énigmes rappelant les scènes similaires des légendes nordiques. Ce passage pivot existait sous une forme différente — moins ambiguë — dans la première édition de 1937 du roman. Bloqué dans l’écriture du « Seigneur des Anneaux », Tolkien l’a réécrite et la scène modifiée que nous connaissons mieux est parue dans l’édition de 1951 — sur une initiative de l’éditeur ! Le roman n’étant autre que le récit qu’a écrit Bilbo à son retour de voyage, Tolkien a fini par indiquer que l’édition initiale correspondait à la première version du récit où Bilbo se donnait le beau rôle !

Bilbo le hobbit, ou la part d’enfance, d’humour et de fantaisie du légendaire tolkienien. Un moment de grâce.

Les Aventures de Tom Bombadil

Lors de la sortie du film La Communauté de l’Anneau en 2001, il a été possible de réaliser la popularité du personnage de Tom Bombadil, dont l’absence remarquée (c’est peu dire) dans l’adaptation de Peter Jackson a fait couler beaucoup d’encre et de larmes de frustration chez les fans déçus. Cet être tout en rondeurs et en joie et, surtout, très proche de la nature, se trouve être le héros de quelques-uns des poèmes qui constituent ce livre portant le nom du joyeux drille.

En effet, comme son titre ne l’indique pas, Les Aventures de Tom Bombadil est un recueil de poésies ne parlant d’ailleurs pas forcément de la Terre du Milieu, mais qui sont toutes habitées par le même mystère et, exception faite de la dernière, par la même bonhomie. Cependant, il faut bien le reconnaître, J.R.R. Tolkien n’est pas le poète le plus admirable qui soit, loin de là. S’il applique effectivement quelques règles poétiques et s’amuse avec certaines figures de style, ses poèmes ressemblent plus à de petites comptines parfois un peu gentillettes dont la recherche formelle ne convainc pas toujours. Elles n’en restent pas moins agréables à lire, mais seront malheureusement très vite oubliées.

Sont-elles à mettre de côté pour autant ? Non, et ce serait bien dommage de le faire. Déjà parce que « Les Aventures de Tom Bombadil » et « Bombadil en bâteau » nous en apprennent un peu plus sur ledit personnage. Mais également car les textes mettant en scène le Troll ou l’Homme dans la Lune (The Man on the Moon, cet être fantastique anglo-saxon que l’on connaît moins par ici) réveillent sourires et imagination. Cependant, s’il faut retenir quelque chose de ces petites histoires proches de chansons, c’est la beauté discrète qui se dégage de certaines d’entre elles. Ainsi, celle qui se démarque le plus est « Le Dernier vaisseau », qui nous ramène en Terre du Milieu et nous laisse découvrir quel choix fera la belle et humaine Fíriel quand les elfes lui proposeront de les accompagner dans leur « dernier » voyage…

Les Aventures de Tom Bombadil est donc un petit recueil anecdotique mais qui distraira gaiement les aspirants voyageurs en Terre du Milieu. Pour les curieux.

Le Silmarillion

Le Hobbit et « Le Seigneur des Anneaux » sont loin de représenter l’ensemble de l’œuvre que Tolkien a consacrée à la Terre du Milieu ; à la vérité, ils ne constituent qu’un aboutissement « par défaut » d’une œuvre immense et inachevée, un vaste « Légendaire » entamé dès la Première Guerre mondiale, et sans cesse repris ; un ensemble de textes très divers, puisant dans la littérature médiévale, qui décrivent tout ce qui s’est passé sur Arda avant les deux romans précités, lesquels se situent à la fin du Troisième Age. Or les deux Ages précédents ont bel et bien été développés par Tolkien, au-delà des allusions qui parsèment les romans « de Hobbits ». Le Premier Age, surtout, l’époque des elfes, celle des guerres du Beleriand, a fait l’objet de plusieurs textes, organisés autour d’une pièce maîtresse : le « Quenta Silmarillion » (dont il existe plusieurs versions). Ce « Légendaire » n’a été publié qu’à titre posthume par le fils de l’auteur, Christopher Tolkien, d’abord au travers du Silmarillion, puis des Contes et légendes inachevés, et enfin dans la très vaste entreprise de « l’Histoire de la Terre du Milieu ».

Le Silmarillion, le premier et probablement le plus achevé de ces volumes, est composé de cinq textes reprenant les chroniques des elfes. Les trois premiers concernent le Premier Age, là où les deux qui restent s’intéressent aux périodes ultérieures (d’où un aspect un tantinet décousu à la fin du volume).

« Ainulindalë » correspond à la genèse d’Arda. Ce très court texte, à la puissance poétique rare et aux fortes résonances bibliques et mythologiques, explique comment Eru Ilúvatar a créé les Ainurs (devenus ensuite les Valars), et comment leur chant a créé Arda, selon les thèmes du dieu, et malgré les dissonances introduites par l’équivalent tolkiénien de Lucifer, Melkor. « Valaquenta », qui complète ce premier texte et se révèle d’une brièveté comparable, est une sorte de « catalogue » des Valars, et des Maiars qui leur sont inférieurs.

Mais le gros de l’ouvrage, bien sûr, est occupé par le « Quenta Silmarillion », gigantesque épopée au souffle incomparable qui décrit, sur le mode de la chronique ou de la saga (très dense et délibérément archaïque), les événements majeurs du Premier Age. « Ainulindalë » y est repris et développé, et l’on découvre ainsi ce qu’il en était du monde avant l’arrivée des premiers des enfants d’Ilúvatar, les elfes (et a fortiori des humains qui les ont suivis, successeurs dotés par Dieu du mystérieux don de mourir…). Très tôt, avant même qu’Arda ne soit peuplée, Melkor entre en lutte avec les Valars ; mais la situation ne fera que s’aggraver quand les elfes apparaîtront en Terre du Milieu, avant d’être pour la plupart emmenés tout à l’ouest de ce monde plat, à Valinor. Là, nous voyons notamment comment le plus fameux des elfes de la branche Noldor, Fëanor, crée les silmarils, trois joyaux qui ont capturé la lumière des arbres de Valinor, avant l’apparition du soleil et de la lune. Mais Melkor détruit les arbres et vole les silmarils après avoir semé le trouble chez les Noldors. Et ces joyaux seront à l’origine de tous les malheurs des elfes… En effet, Fëanor entend bien les récupérer, et incite les Noldors à poursuivre Melkor (rebaptisé Morgoth) sur la Terre du Milieu ; le terrible serment qu’il prête avec ses fils de tout faire pour récupérer les silmarils leur vaut d’être maudits… et de massacrer leurs sembla-bles. Le « Quenta Silmarillion », dès lors, se focalise sur la Terre du Milieu, et notamment la région de Beleriand. Cadre propice aux faits d’armes les plus époustouflants, comme aux crimes les plus atroces… Et nous parcourrons ainsi tout le Premier Age. De nombreuses histoires traversent cette période agitée, dont certaines se voient accorder des développements conséquents, comme par exemple le très beau conte de Beren et Lúthien, le couple unissant un humain et une elfe, ou la tragédie des enfants de Húrin.

Mais d’autres histoires hantaient l’auteur, et notamment celle de la submersion de Núménor, équivalent sur Arda du mythe de l’Atlantide, qui fait l’objet du quatrième texte, « Akallabêth ». Cette catastrophe marque la fin du Deuxième Age, et la transformation du monde plat en un monde sphérique, quand bien même les elfes peuvent toujours, s’ils le souhaitent, emprunter la Voie droite pour gagner Valinor interdit aux mortels… Reste enfin « Les Anneaux du pouvoir et le Troisième Age », qui éclaire l’histoire des anneaux et de l’Unique.

Epique et puissant, Le Silmarillion constitue peut-être, malgré son caractère inachevé, le sommet du corpus tolkiénien ; l’œuvre, en tout cas, lui était chère, au point de l’accompagner toute sa vie… On est béat d’admiration devant l’inventivité de l’auteur, son adresse pour susciter et user des mythes. Œuvre inclassable, sans véritable équivalent dans la fantasy, c’est là un chef-d’œuvre que l’on n’a pas fini de lire et de relire.

The Clockwork Rocket

Il y a quasiment un an, au moment où paraît le n°76 de Bifrost, Greg Egan concluait sa trilogie « Orthogonal » : un prétexte comme un autre pour nous pencher dessus.

Après avoir emmené son lecteur dans des futurs de plus en plus distants — mille ans pour Diaspora (1997), vingt mille pour Schild’s Ladder (2002) et cent mille pour Incandescence (2008) —, Egan le transporte ici dans un autre univers. A première vue, on pourrait craindre que notre auteur s’intéresse de moins en moins à l’humain, faisant de Zendegi (2010 pour la VO) une anomalie dans son œuvre. Les choses ne sont cependant pas aussi tranchées.

Un autre univers donc, rigoureusement décrit, et qui, en bref, diffère du nôtre sur deux points essentiels : le temps y est une dimension comme les autres, et la vitesse de la lumière est une variable (certaines longueurs d’onde sont plus rapides que d’autres). Différences qui n’ont en rien empêché l’éclosion de la vie et de l’intelligence. Ainsi, cette race de métamorphes humanoïdes, qui se reproduit par fission. (Et Egan de battre en brèche le présupposé selon lequel toute Nature serait intrinsèquement bonne : la procréation est ici fatale aux femmes.)

The Clockwork Rocket se centre sur le personnage de Yalda, une femme hors du commun. Issue d’une société agraire, elle gagne la ville pour ses études d’astronomie. En butte à l’hostilité et au conservatisme de ses pairs, elle va néanmoins effectuer des découvertes révolutionnaires sur la nature de son univers. Et comprendre que sa planète est menacée : depuis plusieurs années, des étoiles filantes toujours plus nombreuses illuminent le ciel. Ces « fonceurs » représentent un danger pour la planète, risquant de l’annihiler en cas de collision. L’état actuel des connaissances ne permet hélas pas de faire face à ce péril. Ce que Yalda sait néanmoins, c’est que, dans cet univers, avancer à une vitesse relativiste augmente la durée du trajet pour le voyageur. Elle émet alors le projet de lancer un vaisseau spatial selon une trajectoire orthogonale au temps de son monde d’origine, ce qui laissera aux passagers la durée pour résoudre le problème des « fonceurs » tandis que seules quatre années s’écouleront pour ceux restés sur place. C’est ainsi qu’est lancé dans les cieux lePeerless (le Sans-Pareil), rien de moins qu’une véritable montagne, et dont le voyage est raconté dans The Eternal Flame et The Arrows of Time. Le deuxième tome se déroule plusieurs générations après le départ du Peerless, à bord du vaisseau. Certains problèmes ont été résolus, d’autres ont fait leur apparition : les principaux sont la surpopulation du vaisseau et le carburant. Sans oublier un planétoïde non loin, fait de matière orthogonale. Les recherches sur ces trois problèmes et leurs implications ne vont pas sans causer peurs ou rejets au sein d’une société où le conservatisme est encore fort. Bien plus tard, au moment où débutele troisième tome, le Peerless est sur le point de faire demi-tour — une décision qui navre certains, peu désireux de sauver ce monde des origines qu’ils n’ont jamais connu. Mais ce qui divise l’équipage du vaisseau est l’invention d’une caméra capable d’envoyer des messages à rebrousse-temps. La moitié des voyageurs y voit la fin de son libre-arbitre, tandis que l’autre moitié s’enthousiasme pour les possibilités de l’appareil pour résoudre des problèmes futurs. Les tensions sont telles que certains envisagent l’exil. Une expédition est donc lancée orthogonalement vers une planète proche… dont la flèche temporelle s’avère inversée par rapport aux explorateurs.

Avec « Orthogonal », Greg Egan donne une dimension supplémentaire et inédite au worldbuilding, créant un univers de toute pièce, jusqu’à ses lois physiques. De fait, on serait bien en peine de prendre l’auteur en défaut, tant chaque point de cet univers est détaillé. De fait, chaque tome de la trilogie possède son lot d’échanges de points de vue entre chercheurs, biais par lequel on découvre et comprend ce monde en même temps que les personnages. Les notions abordées dans The Clockwork Rocket font la part belle à l’astrophysique, tandis que The Eternal Flame aborde biologie et physique des particules, dans des chapitres parfois arides qui risquent d’en rebuter certains. Enfin, le temps et ses directions font l’objet de casse-têtes dans The Arrows of Time. Une trilogie complexe donc, mais pas illisible : Egan donne au lecteur les clés pour appréhender son univers clés, et les nombreux schémas (dont la présence n’a rien d’injustifié) agrémentant les livres permettent de mieux saisir les concepts exprimés : de fait, « Orthogonal » s’avère dans ses développements plus aisé d’accès que Schild’s Ladder ou Incandescence. Y demeure cependant en commun le leitmotiv d’Egan : la primauté du questionnement, de la recherche et de la méthode scientifiques.

L’auteur n’en propose pas moins également une aventure humaine. Bien loin des personnages de Schild’s Ladder ou Incandescence, parfois guère plus que des silhouettes, on en vient à vibrer pour Yalda et ses pairs, face à l’adversité des conservateurs ou aux dangers de cet univers où rien n’est intuitif.

Certainement l’une des œuvres les plus ambitieuses d’Egan, la trilogie « Orthogonal » est aussi ardue que fascinante. S’il n’est pas évident qu’elle réconcilie les allergiques à l’auteur, on la recommandera sans réserve aux amateurs (anglophones).

À noter enfin, la parution en mai dernier d’une étude de Karen Burnham sur Greg Egan, titrée Greg Egan, aux presses universitaire de l’Illinois dans la collection « Modern Masters of Science Fiction ». Passant en revue les thématiques de l’auteur, explicitant la méthode scientifique qui sous-tend son œuvre, l’étude se conclut par une longue interview. Rien moins que passionnant.

Foudre de guerre

L’intrigue de Foudre de Guerre, nominé au prix Hugo 2014,se situe dans la continuité de Malédiction. Jake Sullivan, le lourd, recrute une équipe d’actifs de chocs pour se lancer dans une mission suicide afin de débusquer l’éclaireur. Faye, la voyageuse censée être morte, part à la recherche de Jacques Montand pour en apprendre davantage sur sa « malédiction ». Quant à Francis Stuyvesant, le bougeur, il œuvre dans l’ombre contre la loi de fichage des actifs que souhaitent mettre en place les États-Unis.

« On prend les mêmes et on recommence ». Cette maxime s’applique aussi bien aux défauts qu’aux qualités de Foudre de Guerre : un manichéisme trop marqué (les gentils américains, les méchants japonais), des combats homériques ad nauseum, des protagonistes qui commettent atrocités sur atrocités mais en les justifiant toujours de belle manière pour se donner bonne conscience (quand ils en possèdent une). L’intrigue linéaire ne surprendra personne, les meilleures idées sont sous-exploitées, certaines lignes narratives ou personnages quasiment abandonnés pendant plusieurs centaines de pages avant de réapparaître. Quant aux lecteurs avertis de l’univers Marvel, ils ne pourront s'empêcher de faire quelques rapprochements embarrassants (fichage des mutants/actifs, le cérébro/la machine de l’impérium, les Skrull/l’éclaireur).

Observer les mêmes défauts, filés sur la trilogie complète, a de quoi décourager ; l'auteur ne fait montre d'aucun progrès. Heureusement, le bébé n’est pas à jeter avec l’eau du bain : Foudre de Guerre possède quand même quelques vrais points forts. Correia insuffle un rythme soutenu à son récit ; seulement 448 pages pour clore une trilogie c’est assez bref par les temps qui courent. Et la qualité principale du roman tient dans sa galerie de personnages, plus déjantés les uns que les autres. On retrouve et on suit avec plaisir (quoique pas toujours…) les aventures de nos actifs. Mention spécial au Docteur Wells qui aurait mérité d’être plus développé.

Au cinéma, on parle volontiers de série B. « La trilogie du Grimnoir » n'est rien de plus. On réservera Foudre de Guerre à ceux que les deux premiers tomes ont enthousiasmé. Les autres passeront leur chemin sans regret.

L'Homme-soleil

« Dans L’Homme-soleil, j’ai un vernis de réalisme, mais sous ce vernis, des choses remontent comme des bulles à la surface.» Voilà qui rassurera le lecteur de Bifrost se demandant ce que peut bien trafiquer L’Homme-soleil de John Gardner dans la collection « Lunes d’encre » et, à fortiori, dans sa revue favorite.

À Batavia, dans l’état de New-York, au milieu des années soixante, Fred Clumly assume sa charge de chef de la police malgré un vieillissement certain jusqu’au jour où son équipe met sous les verrous un homme étrange à l’identité non déterminée. Celui qui se présente comme l’Homme-soleil a pris soin de détruire ses papiers avant d’être arrêté pour avoir peinturluré le mot Amour en travers d’une des artères de la ville. La détermination du prisonnier à faire tourner en bourrique les policiers prend une tournure bien plus grave quand il décide de s’échapper avec ses codétenus à la manière d’un Houdini : l’évasion finit dans un bain de sang.

Dès lors, le chef Clumly n’aura d’autre obsession que d’élucider le mystère de l’Homme-soleil. Avec une frénésie croissante, il remuera ciel et terre à Batavia, et surtout le passé souvent boueux de la famille Hodge, de médiocres notables locaux qui doivent essentiellement leur position sociale à leur patriarche, feu Arthur Hodge Sr, membre du Congrès. Enfin, Clumly acceptera l’impensable : ouvrir et maintenir le dialogue avec sa Némésis.

L’Homme-soleil ne raconte pas tant une enquête policière qu’un voyage intérieur fait de doutes et de désillusions menant aux portes de l’enfer. Au fil des pages, le sol se dérobe sous les pieds de Fred Clumly. Ce personnage reste pourtant, malgré les apparences et comme l’a voulu Gardner, la seule constante dans un univers rempli de faux semblants et de sombres secrets. Un monde où les humains sont des acteurs pour qui l’hypocrisie semble la seule défense valable contre une inéluctable dégénérescence.

L’Homme-soleil , paru en 1972, a progressivement connu un très grand succès aux États-Unis. À une époque marquée par l’antagonisme entre l’idéologie hippie et celle de Richard Nixon, beaucoup ont cru qu’il mettait en scène un combat symbolique entre un pouvoir monolithique et une rébellion ouverte sur le monde. Mais Gardner va beaucoup plus loin : il démontre qu’ordre et anarchie sont les deux faces d’une seule et même médaille, des faux-jumeaux fratricides, nés d’une bonne volonté et d’un appétit de vivre qui s’épuisent avec le temps.

L’exigeant John Gardner, sur près de huit cents pages qu’il a toujours refusé d’amputer, déploie d’incroyables talents de conteur : il tisse un décor plus vrai que nature, il y insère des personnages finement profilés, insuffle la vie à une création que l’on peine à distinguer de la réalité et, enfin, fait pétiller l’ensemble avec de toutes petites bulles d’imaginaire. Une pièce de maître.

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