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Dimension Uchronie 1

Collectées par Bertrand Campéis, l’éminence masculine du Guide de l’uchronie réédité récemment chez ActuSF, Dimension uchronie 1 rassemble quatorze nouvelles d’auteurs divers, résultat d’un appel à textes lancé fin 2017. Des femmes et des hommes, à part égale, des écrivains expérimentés et des novices, des francophones et un Américain, un peu esseulé pour le coup. La curiosité piquée, l’amateur d’histoire alternative se dit qu’il y a peut-être matière à satisfaire sa passion pour les déviances historiques. Hélas, à trois exceptions près, le résultat apparaît au mieux quelconque, au pire médiocre Passons rapidement sur « Nouvelle Sparte » d’Émilie Chevallier Moreux, dont le texte peut se résumer à un seul terme : abscons. Les nouvelles suivantes remontent un tantinet le niveau, mais elles ne sont pas en mesure de corriger cette fâcheuse entrée en matière. « Pour l’honneur de Rome » mélange l’uchronie au voyage temporel en imaginant un monde où l’Empire romain n’existe pas. On conçoit sans peine ce que Poul Anderson, voire Pierre Barbet auraient pu faire avec un tel argument de départ. Ici, c’est juste raté. Dans une autre acception de l’Histoire, Jean-Claude Renault se serait sans doute abstenu. Pas de chance pour nous qui n’y vivons pas… Les choses ne s’arrangent guère avec « Nova Lua », même si Clémence Godefroy sait jouer de la corde sensible. Sa nouvelle se réduit à la confession d’une missionnaire issue du culte christaoiste, curieux syncrétisme de christianisme et de taoïsme né après la défaite de la papauté pendant la Querelle des Investitures et après son exil en Orient. Décidée à mourir pour sa foi, la religieuse prend fait et cause pour les esclaves d’une colonie européenne passée à la religion déorégalienne. Même si la proposition de l’autrice est originale, avouons que l’on reste quand même un tantinet sur sa faim. Dommage… Avec Florie Vignon, Sébastien Capelle, Fabien Clavel et Thomas Milleton, on oscille ensuite entre l’anecdotique et le besogneux. Heureusement, la nouvelle de Tesha Garisaki vient nous rafraîchir la mémoire. « Le Festival des dragons de Tenochtitlan » apporte en effet la preuve que le ridicule ne tue pas, et on se demande quelle idée saugrenue a pu traverser l’esprit de l’anthologiste en sélectionnant ce texte, à part peut-être la volonté de faire une mauvaise blague. « Code noir », de Pierre Léauté, calme heureusement tout net l’énervement. Passée une chronologie superflue qui fait craindre un instant le didactisme lourdaud, le récit révèle un humour grinçant de bon augure. Faire de l’idole des jeunes l’une des têtes pensantes et agissantes du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, et de Jacques Mesrine le président d’une République sociale, a de quoi réjouir les mauvais esprits. Pour le reste du sommaire, on pardonnera au chroniqueur de faire l’impasse sur les textes de Marie Czarnecki, Emmanuel Chastelière et Sara Doke, afin de consacrer plus de temps à « Projections » de Louis Gastebois. Petit plaisir pour cinéphile, la nouvelle nous immerge dans un monde où l’industrie du cinéma a dépéri au profit du petit écran. Le texte abonde en clins d’œil et allusions faisant appel à la culture cinématographique. Dans cette acception de l’Histoire, le Napoléon de Kubrick a ainsi été tourné, le nouvel Hollywood n’a jamais émergé, et George Lucas finit avec une balle dans la tête avant d’avoir pu entreprendre le tournage de Star Wars. Avec cette réflexion sur le cinéma, l’entertainment et l’art, Louis Gastebois (un émule de l’inspecteur Clouseau ?) écrit sans doute le texte le plus stimulant de l’anthologie. On en redemande, et on est récompensé par le texte de Zoé Dangles. « Celle qui glisse sur les ondes » marque effectivement l’esprit. Ici, l’uchronie évolue à la marge, comme une tache de fond, visible dans le décor d’un Cambodge techno et dynamique. Mais le cœur du récit s’attache au drame vécu par les Rohingyas, sujet à la résonance très contemporaine. Voici un texte dur, très dur, mais bien écrit, évoquant avec pudeur et acuité le silence autour du massacre d’un peuple. Reste « Alerte rouge », nouvelle de Jerry Oltion, où l’auteur américain nous rejoue la crise des fusées, façon ruse de sioux contre visages pâles. Amusant, mais pas inoubliable. Bref, alors que le titre de l’anthologie laisse présager un second volume, on se prend à demander si l’on ne va pas passer son tour. Qui sait ? Vous avez deux heures pour écrire sur ce sujet d’uchronie personnelle. Très personnelle.

Dictionnaire de la fantasy

Chroniquer un dictionnaire est un exercice périlleux. À moins de s’ériger en expert absolu des domaines abordés par les contributeurs de l’objet, une situation réservée à l’érudit chenu ou au fan monomaniaque, difficile en effet, si l’on ne dispose pas du bagage adéquat, de critiquer les choix des auteurs, a fortiori lorsqu’il s’agit d’universitaires attachés à leur champ disciplinaire. Tout au plus peut-on déplorer quelques oublis. Un écueil vite écarté par Anne Besson, dans un avant-propos où elle précise que le Dictionnaire de la fantasy n’a pas pour objet de servir de best of, même si l’on ne peut nier l’impact du succès en librairie présidant au choix de quelques auteurs, GRR Martin, J.K. Rowling, Robin Hobb et Robert Jordan, pour ne pas les nommer.

Membre du Centre d’Études et de Recherches sur les Littératures de l’Imaginaire, professeur de littérature générale et comparée à l’université d’Artois, par ailleurs autrice de plusieurs essais consacrés au genre et ex-chroniqueuse du site ActuSF, la directrice d’ouvrage ne peut guère être critiquée pour sa méconnaissance du domaine questionné. À vrai dire, en dépit d’une couverture souple un peu fragile et d’illustrations couleurs chichement comptées, l’objet est très bien conçu. Bénéficiant de 117 notices classées par ordre alphabétique et accompagnées de renvois vers d’autres parties, le Dictionnaire de la fantasy apparaît en effet comme le pendant académique de La Fantasy pour les nuls dirigé par Jean-Louis Fetjaine. En somme, pas vraiment le genre d’ouvrage destiné aux novices, même si la volonté pédagogique n’est pas complètement absente de ses pages, notamment dans les très riches annexes où sont dévoilés les auteurs ayant contribué à l’ouvrage, un récapitulatif des entrées et, surtout, une liste d’œuvres conseillées classées par thème. Le Dictionnaire de la fantasy s’adresse donc à l’amateur souhaitant mettre sa connaissance du genre à l’épreuve de l’analyse raisonnée d’universitaires, spécialistes dans les domaines de la littérature et de l’Histoire. Sur ce point, on n’est pas déçu, tant l’approche transversale se veut foisonnante et originale. Certes, on retrouve quelques-uns des tropes, motifs et lieux communs du domaine. Mais à côté de l’élu, de l’épée, du dragon, de l’empire, de l’elfe, du barbare, des châteaux et autres chevaliers, les contributeurs proposent des articles consacrés au tourisme, au fandom, au péplum, à la nourriture, à la boisson, à la sexualité et aux femmes. Sans pour autant négliger l’aspect technique et historique du genre, les auteurs abordant aussi les notions d’intertextualité, de cycle, de mythe, de conte et de modernité. Heureusement, pas de notice fastidieuse consacrée à la taxinomie, même si les sous-genres de la fantasy sont évoqués de manière indirecte dans plusieurs articles. Parmi les écrivains qui jalonnent l’ouvrage, on ne sera pas étonné de retrouver J.R.R. Tolkien, C.S. Lewis, R.E. Howard et Mervyn Peake à côté des moins connus William Morris, Lord Dunsany, T.H. White et George MacDonald. Si la littérature apparaît comme le cœur du propos du dictionnaire, le regard des contributeurs ne se cantonne pas à ce seul média. Le jeu de rôles et ses déclinaisons vidéoludiques, le GN, le cinéma, les séries, la bande-dessinée, comics et mangas, font également l’objet de notices. Enfin, les points de vue de quelques acteurs du genre, Lionel Davoust, Mélanie Fazi, Jean-Philippe Jaworski et Estelle Faye, pour n’en citer que quelques-uns, viennent donner un peu de chair à l’ensemble.

Au final, ce Dictionnaire se révèle un ouvrage indispensable pour l’amateur, contribuant par ses articles à développer un panorama synthétique sur l’histoire, les thématiques et l’évolution d’un genre né en réaction à la modernité, et pourtant enrichi à son contact.

La Cité de l'orque

Le label Albin Michel Imaginaire débute l’année 2019 avec La Cité de l’orque, roman d’un inconnu dans nos contrées (sauf à lire le présent Bifrost), si l’on fait abstraction du court teaser « Le Vêlage » (disponible sur le blog AMI) et des avis élogieux de quelques blogueurs éclairés bien connus des habitués de l’Internet.

Premier roman adulte de Sam J. Miller, par ailleurs qualifié d’étoile montante de la SF américaine, La Cité de l’orque nous projette au XXIIe siècle, à une époque où les effets de la catastrophe climatique, dont nous observons les prémisses et entretenons les causes, donnent leur pleine démesure cataclysmique, contribuant à un exode massif de population. Face à l’élévation du niveau des océans, moult mégapoles et pays ont été submergés, en partie ou totalement, provoquant un désordre généralisé. En proie à la sécession, les États-Unis ont basculé dans la guerre civile et l’obscurantisme (refrain connu) et, même si l’on ne sait pas grand-chose du reste du monde, on devine que les événements ont redessiné la géopolitique mondiale. Bref, à l’instar d’une marée irrésistible, l’afflux de réfugiés climatiques a échoué sur les rivages artificiels d’un archipel de plates-formes surpeuplées, dominées par un struggle for life encouragé par le libéral-capitalisme prédateur. Rien de neuf sous le soleil de la dystopie, nous dira-t-on (si ce n’est qu’on a les pieds qui baignent désormais dans l’eau salée). Du contexte général de la planète, on s’en tiendra à quelques bribes d’information, Sam J. Miller ayant choisi de poser son récit dans le décor inhospitalier de la cité flottante de Qaanaaq, non loin de la localité éponyme située au Groenland. Entité complexe jouissant des bienfaits d’une source géothermique sous-marine, Qaanaaq apparaît comme une jungle impitoyable où l’espace vital se monnaye très cher. Sous la surveillance des IA en charge des routines de la cité et des actionnaires, les premiers de cordée des lieux, vivant reclus dans leurs tours surprotégées, on ne peut pas dire que l’altruisme ruisselle à Qaanaaq. Une foule foisonnante de réfugiés tente pourtant d’arracher un peu de place au soleil glacial de l’Arctique. Des vendeurs de nouilles ou de soupe, des pêcheurs, des mineurs de glace, vivants entassés dans des épaves rouillées, sous la coupe des hommes de main des seigneurs de la pègre. Des besogneux, âpres au gain, durs à la peine, animés par un embryon de révolte ne demandant qu’à se déchaîner, mais dans l’attente d’un signe pour agir. Peut-être la venue de cette femme, l’orcamancienne, accompagnée dit-on par un orque et un ours blanc, est-elle ce signe ?

Au fil d’une intrigue paresseuse, du moins au début, Qaanaaq se révèle ainsi comme un formidable melting-pot dont on goûte l’agitation avec fascination, tout en sentant sa crasse entêtante, en entendant les cris de rage ou de souffrance de ses habitants et en ressentant dans sa chair le froid coupant du Pôle Nord. Sur ce point, le travail de Sam J. Miller est admirable d’authenticité. Une poignée de personnages principaux et secondaires apporte un surcroît d’intérêt au récit, notamment un personnage de coursier pansexuel. À ceci, ajoutons enfin des trouvailles en pagaille, en particulier les failles, une IST du futur mettant l’individu contaminé en contact avec la mémoire de celui qui l’a infecté, et les nanoliés, produits d’une expérience avortée funeste. Pour le reste, le récit de La Cité de l’orque apparaît un tantinet décousu, voire convenu. On ne se passionne guère pour son intrigue mollassonne (on l’a dit) et téléphonée qui voit l’horizon d’attente se réduire à une peau de chagrin. Tout ça pour ça, est-on même tenté de soupirer. En dépit de ce bémol, un brin fâcheux hélas, le roman de Sam J. Miller demeure une tentative de post-cyberpunk qui suscite la sympathie. Et même si toutes les promesses ne sont pas tenues, La Cité de l’orque dévoile un univers ne demandant qu’à prendre de l’ampleur. On est curieux d’en découvrir d’autres aspects.

Chanur, l'intégrale T1

Guère disponible en-dehors du marché de l’occasion, le cycle de « Chanur » fait l’objet d’une réédition en intégrale dans la collection « Nouveaux millénaires ». Deux briseurs d’étagères à pas cher regroupant cinq romans, avec un premier tome, ici chroniqué, composé de Chanur, L’Épopée de Chanur et La Vengeance de Chanur. De quoi réjouir les fans de Carolyn J. Cherryh — on connaît les noms ! —, les amateurs de space opera divertissant, mais aussi de Lois McMaster Bujold, avec laquelle l’autrice entretient une parenté, et pas seulement pour les nombreux prix Hugo qui récompensent son œuvre. Hélas, trois fois hélas, le chroniqueur doit d’entrée confesser s’être profondément ennuyé à la lecture de ce fort volume. Mais cela est sans aucun doute de sa faute…

Sept peuples spatio-pérégrins forment une association informelle dans un coin pas si lointain de la Galaxie, et dans un futur, disons, éloigné… Ils y pratiquent le commerce, respectant les conventions établies entre eux pour maintenir la paix aux points de rencontre, des stations spatiales ressemblant fortement à des ports francs. Un gentlemen’s agreement qui ne les empêche pas de comploter afin d’étendre leur pré carré. Plus roublards que les autres, les Mahendo’sat ont favorisé l’essor des Hani, leur procurant la technologie de la navigation spatiale afin de permettre à cette civilisation féodale de félins grégaires, où les femelles, épouses, sœurs et parentes contribuent à l’entretien et au développement des biens du clan, de sortir de son Moyen âge. Bien entendu, l’irruption des Hani dans le concert des peuples spatio-pérégrins a quelque peu irrité les Kif, des prédateurs fort antipathiques, et les Stsho, une espèce craintive et foncièrement raciste. Quant aux peuples méthaniens, tc’a, chi et autre knnn, nul ne connaît leur pensée tant leur attitude et actions paraissent incompréhensibles. Dans ce coin d’univers, l’équilibre prévaut donc, jusqu’au jour où surgit un huitième peuple : les hommes. Et lorsque Tully, un mâle humain un tantinet falot, trouve refuge à bord de L’Orgueil de Chanur, l’astronef commandé par l’habile Pyanfar Chanur, celui-ci devient l’enjeu d’un affrontement feutré et mortel.

Carolyn J. Cherryh a surgi dans le paysage science-fictif américain avec deux romans parus en 1976 (Les Portes d’Ivrel et Frères de la Terre), salués à leur époque par la critique, obtenant même le prix John W. Campbell du meilleur nouvel auteur de l’année en 1977. À partir des années 1980, elle élabore le cycle « Alliance-Union », dont le foisonnement et le relatif irrespect des conventions du genre apportent une touche assez rafraîchissante pour l’époque. Chanur et ses suites s’inscrivent ainsi dans ce cycle, faisant la part belle au personnage de Pyanfar Chanur et à l’équipage exclusivement féminin de son astronef, les mâles étant considérés davantage comme une charge. Un point de vue original, pour ne pas dire subversif, auquel Carolyn J. Cherryh s’efforce de donner de la substance en mettant à contribution les sciences sociales, humaines et naturelles. Toutes les nations extra-terrestres se voient ainsi dotées d’une culture substantielle et de motivations en cohérence avec leur nature, l’humanité étant ravalée, de son côté, à un rôle accessoire, une sorte de MacGuffin littéraire. Hélas, si le worldbuilding en impose par sa somptuosité et son inventivité, l’intrigue ne convainc guère. Dès Chanur, un fait confirmé ensuite avec L’Épopée de Chanur et La Vengeance de Chanur, le récit se révèle bavard, peu palpitant, voire répétitif. La tension dramatique accuse de sérieux coups de mou du fait d’un enjeu finalement bien maigre, et sans doute aussi à cause de personnages agaçants, pour ne pas dire caricaturaux. Bref, on tourne les pages sans passion, s’ennuyant de péripéties dignes d’un mauvais épisode de Star Trek ou Babylon 5.

Au final, s’il se trouve des amateurs pour tenter l’aventure du premier tome de l’intégrale, avertissons-les quand même que l’intrigue entamée par L’Épopée de Chanur trouve sa conclusion avec Le Retour de Chanur, au sommaire du second volume. Pour les autres, les amateurs de space op’ léger et admirateurs de félidés dans l’espace, voici une lecture recommandable. Une engeance à laquelle le chroniqueur n’appartient pas. Tant pis pour lui.

Helstrid

Helstrid est une novella de SF de Christian Léourier. C’est aussi le nom de la planète très inhospitalière sur laquelle se déroule le récit. Une atmosphère saturée d’alcane, des vents approchant les 200 km/h, des températures inférieures à -150 °C, Helstrid a tout pour qu’on ne s’y pose pas. Mis à part des ressources minières ; voilà pourquoi la Compagnie l’exploite. C’est sur Helstrid que travaille Vic, avec quelques autres aux motivations variées — argent, goût de l’aventure, de la découverte, ou encore, dans le cas de Vic, la volonté de se refaire une vie après une rupture douloureuse. Car si les contractuels ne passent que peu d’années sur Helstrid, le voyage aller-retour — en hibernation — prend cinquante ans. Quand il reviendra sur Terre, Vic, enrichi, retrouvera un monde différent et un entourage vieilli ou décédé…

Pour l’instant en tout cas, Vic est sur Helstrid, et il doit assurer le ravitaillement d’un avant-poste qui en a grand besoin. C’est à bord du convoyeur Anne-Marie qu’il va s’élancer vers l’antenne N/2, accompagné par les convoyeurs automatiques Béatrice et Claudine. De fait, pour cette mission, Vic ne sert à rien, les trois IA des véhicules gèrent seules trajet et pilotage, la présence humaine n’est contrainte que par un protocole désuet. Durant la quarantaine d’heures prévue pour le voyage, Vic aura donc le temps de s’interroger sur le sens de la vie. Mais voilà que les incidents se multiplient, que la survie même de Vic devient douteuse, et que l’interrogation existentielle prend une tournure terriblement actuelle.

Ayant fui le souvenir d’une femme aimée qui l’a quitté sans explication, Vic réalise trop tard que, si loin qu’on aille, ce n’est jamais qu’avec soi qu’on part, et qu’à destination ne se trouve nul autre que soi-même. Arpentant le sol glacé d’un monde encore plus dangereux qu’il ne l’imaginait, Vic n’est pas un héros. Il n’est qu’un homme seul, perdu au milieu d’un enfer environnemental, un nobody contre qui une planète largement inconnue s’acharne, un solitaire forcé d’accorder sa confiance, jusqu’à lui confier sa vie, à une IA qui dit faire de sa sécurité sa priorité. Guide et planche de salut à la fois, Anne-Marie sait être une compagne compatissante durant ces quelques jours d’effroi. Amicale, prévenante, rassurante, conversant volontiers, elle disserte sur la conscience et la perception, jusqu’à prouver à Vic qu’entre son moi numérique et celui, biologique, de son passager, les différences sont moindres qu’il ne le croit. Sur la fin, alors que tout est encore en balance, Vic fera preuve de dignité et de courage, des caractéristiques humaines qui contrastent avec la rationalité tranquille de l’IA.

Lisant Helstrid, le lecteur passera plus de cent pages en compagnie du couple improbable formé par Vic et Anne-Marie. Et il en sortira éprouvé, car Vic est un personnage que sa détresse rend attachant, au point qu’on tremble pour lui quand le danger arrive. L’homme et l’IA vont de Charybde en Scylla, la tension ne cesse de monter jusqu’à l’insupportable, on se croirait parfois dans Le Salaire de la peur.

Léourier raconte ici une très belle histoire pleine de tension et d’humanité — une sorte de Vieil homme et la mer de l’espace. Il offre une de ces histoires old school qui mettent le focus sur l’homme face à l’adversité, qui l’obligent à se mettre au clair avec ce qu’il est, qui oublient pour un temps société et politique. Une histoire reposante, en somme, par la simplicité de ses enjeux, et en même temps terriblement « impliquant » par l’énormité de ceux-ci — pour le héros menacé du récit comme pour le lecteur qui prend fait et cause pour lui au point que sa tension artérielle augmente au rythme du sien. Must-read.

Voir l'espace

Dans ce livre riche en illustrations, Elsa De Smet nous propose une approche originale de l’astronomie et de l’astronautique à travers la mise en image de ces disciplines pour leur diffusion vers le grand public. Son travail commence à la fin du XIXe siècle, quand émergea l’idée d’une science pour tous, avec d’ardents promoteurs comme l’astronome François Arago, auquel succèdera Camille Flammarion. Les sciences s’allièrent alors aux arts pour mettre ces récits en image, avec une volonté didactique et de divertissement. Cette iconographie fut notamment réutilisée par Jules Verne, qui est sans nul doute l’un des premiers à intégrer les sciences dans un roman. La même chose se produisit en Allemagne, pays de plusieurs des pères fondateurs de l’astronautique, où l’iconographie chercha aussi à montrer les réalisations pratiques du progrès technique. Cette abondante production d’images a bien sûr accompagné l’aventure spatiale. Mais, si tout le monde connaît l’œil de la Lune transpercé par l’obus du Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902) ou le pas-de-deux des Dupont dans les aventures lunaires de Tintin (Hergé, 1954), peu d’entre nous connaissent les origines culturelles de ces images et les histoires qui les relient. L’auteure analyse donc toute l’iconographie de la culture populaire, des astronomies populaires européennes aux pulps américains, pour comprendre comment, et par quelles voies, ces images sont devenues si efficaces et si souvent reprises. L’auteure montre aussi qu’elles sont les témoins privilégiés de l’histoire des sciences et des techniques ainsi que de la communication à leur propos : pour scénariser les promesses d’un futur dans l’espace, les images sont d’autant plus précises que les techniques d’observation le sont. Des premiers dessins de la Lune par Galilée aux photographies prises depuis le sol de notre satellite par les astronautes de la mission Apollo 11, on suit la façon dont ces images ont été absorbées par l’imaginaire collectif, ainsi que l’émergence du space art et de ses liens étroits avec les sciences. Au croisement de l’histoire culturelle, de l’histoire de l’art et de l’histoire des sciences, l’ouvrage d’Elsa De Smet, érudit mais restant accessible, est tout à fait recommandable.

L'Ours et le Rossignol

Inspiré de contes russes, L’Ours et le rossignol, opus initial d’une trilogie, est aussi le premier roman de son autrice, Katherine Arden. Il emmène le lecteur au Nord de la Russie médiévale, ou plutôt la Rus’, puisque, à cette époque, la Russie n’existait pas. Les Rus’, peuple scandinave à l’origine, étaient dirigés par des knèzes, des nobles rivaux, dont l’allégeance allait aux seigneurs mongols. Le peuple vient de se convertir au christianisme sans avoir complètement oublié ses anciennes croyances. Il continue à honorer les domovoï, ces esprits protecteurs des maisons, et à craindre les créatures qui hantent les lacs et les forêts.

Le tsar, deux fois veuf et tombé sous le charme d’une belle inconnue à qui l’on prête le pouvoir de parler aux animaux et que les évêques ne tardent pas à qualifier de sorcière, est obligé d’éloigner de Moscou leur seul enfant, une fille. Marina épouse donc un boyard de la Rus’ septentrionale, Piotr Vladimirovitch. De cette union heureuse naissent quatre enfants, enjoués et résistants. Marina tombe à nouveau enceinte, d’une fille qui sera, selon elle, comme sa mère. Elle meurt en mettant au monde Vassilissa en novembre. Dounia, sa servante, élève les enfants et les régale de contes au coin du feu les soirs d’hiver. Sur l’insistance du tsar, maître des intrigues de la cour, Piotr se remarie avec Anna Ivanovna, une dévote qui, elle aussi, voit les esprits. Loin de considérer cette particularité comme un don, elle espère que sa piété et les offices du père Konstantin la guériront de sa différence. En marâtre identique à celles des contes, elle prend en grippe la petite Vassia, bien décidée à grandir aussi libre que ses frères, et réfractaire à toute contrainte. Ses pouvoirs attirent rapidement l’attention de Morozko, le roi de l’hiver qui lutte contre le réveil de son frère maléfique Medved.

Katherine Arden parvient à recréer l’ambiance des contes et légendes slaves et à faire vivre un bestiaire fantastique aussi fascinant que dangereux. Elle immerge son lecteur dans le folklore russe, sa poésie et les interminables hivers de ses contrées les plus reculées. Roman d’apprentissage centré sur la jeunesse de Vassia, qui, entourée d’une famille bienveillante et tolérante, se construit en opposition à la norme donnant aux femmes un rôle des plus restreints (épouse, mère et femme au foyer), L’Ours et le rossignol propose aussi le récit de la transformation d’un monde et d’un conflit entre la foi chrétienne et la magie ancestrale. Cette société en plein basculement s’en trouve fragilisée, ce qui permet le réveil de redoutables forces immémoriales. Si le récit n’est pas parfait — il souffre d’un manque de rythme dans son premier tiers —, il reste impressionnant de maîtrise, surtout si l’on considère qu’il s’agit là d’un premier roman. Il offre aussi une fin satisfaisante qui permet d’attendre sereinement la sortie de la suite, The Girl in the Tower, traduite par Jacques Collin et annoncée pour août 2019.

Libère-toi, Cyborg

En 1984, Donna Haraway publie un essai d’une quarantaine de pages intitulé Manifeste cyborg dans lequel elle réinterprète la figure du cyborg, hybridation entre l’organique (un être de chair) et la machine (inerte) comme outil de lutte contre le patriarcat et ses mécanismes oppressifs. Savoir où commence l’humain, où finit la machine, déterminer si l’hybridation est éthique ou pas dans une perspective post-humaniste n’intéresse pas Haraway. Ses cyborgs, en transgressant les frontières acceptées comme naturelles et les antagonismes artificiels qu’elles créent (humain vs animal par exemple) permettent de dépasser les problématiques de sexe et de genre, les constructions sociales des races et de libérer les femmes. L’autrice s’appuie sur la biologie, l’histoire, les sciences, mais aussi sur la littérature de SF américaine et notamment sur une liste de livres de SF féministes écrits par Joanna Russ, Samuel R. Delany, John Varley, James Tiptree Jr., Octavia Butler, Monique Wittig et Vonda McIntyre. Elle ne les choisit pas à titre d’illustration. Haraway considère ces auteurs comme des storytellers qui « explorent ce que veut dire être incarné dans des mondes de haute technologie », et, par extension, comme des théoriciens des cyborgs. L’essai de Donna Haraway, dense, n’est pas facilement accessible. Sa compréhension nécessite une bonne culture scientifique, littéraire, historique. Dans Libère-toi, Cyborg, ïan Larue — pseudonyme en forme de contribution à la lutte non-binaire de Anne Larue — analyse en profondeur le Manifeste… ainsi que la liste des œuvres de SF proposée par Donna Haraway. Cet essai est salutaire à plus d’un titre. Il contextualise, explicite et décode le Manifeste…, en plus de le remettre en lumière. Il permet aussi de comprendre l’impact de ce dernier sur le féminisme. En proposant son concept de cyborg qui s’affranchit de la dualité homme/ femme, Donna Haraway s’inscrit à contre-courant du féminisme traditionnel naturaliste et essentialiste de son époque. Sa critique du féminisme ouvre de nouvelles perspectives et appelle à l’action. Et le travail de ïan Larue sur la liste H montre les apports de la SF des années 70 au féminisme. Libère-toi, Cyborg va cependant plus loin. Il prolonge la réflexion, établit de nouvelles connexions avec les figures de la sorcière, de la déesse ou du vampire, et réactualise le concept de cyborg en prenant en compte les évolutions de nos sociétés et en s’appuyant sur des œuvres récentes comme celles de Sabrina Calvo ou de la performeuse Marion Laval-Jeantet. Avec érudition et humour, ïan Larue pousse le lecteur à questionner ses certitudes. Elle met en perspective le phénomène d’invisibilisation des femmes, avec l’exemple récent de l’informatique, manie l’écriture inclusive et les néologismes avec pour objectif de « dégenrer » la langue française. Et enfin, elle nous propose un féminisme inclusif, intersectionnel et queer dans lequel l’Imaginaire et la SF deviennent de puissantes armes au service de l’émancipation de celles et ceux qui ne correspondent pas à la norme dominante imposée et érigée en réel. Une lecture très recommandable.

La Voie Verne

Non, Jules Verne n’est pas mort ! Enfin, pas encore. Même dans cet avenir inventé par Jacques Martel, aseptisé au nom de notre santé ou de celle de la planète. Même dans cette société surveillée par de petits fonctionnaires médiocres se réfugiant derrière les réglementations européennes, sûrs de leur bon droit malgré leur insignifiance. Les Nains, comme le narrateur les appelle à longueur de pages. Même dans ce monde bouleversé par l’irruption d’un ver informatique d’une redoutable efficacité, vorace, heureusement stoppé par l’abondance de pornographie présente dans le Halo (un lointain descendant du Web) avant d’avoir tout détruit. Mais quand même, que de pertes ! Dont l’œuvre intégrale de Jules Verne (eh oui, le ver avait commencé à manger les données à partir de la dernière lettre de l’alphabet).

Et John Erns, le narrateur, doit retrouver ces textes. Pourquoi ? Le lecteur l’apprend peu à peu. Tout comme il comprend que cet homme n’est pas venu uniquement pour trouver un emploi : devenir majordome chez Madame Dumont-Lieber, la châtelaine du Haut-Cervent, est un simple prétexte. Mais la rencontre avec le petit fils de sa patronne, Gabriel, un jeune garçon autiste trouvant refuge dans un monde virtuel, va tout changer pour lui. Comme celle de Kurts, patron du seul bar du village proche du château, ancien pirate informatique aux idées anarchistes et au savoureux franc-parler teinté de termes anglo-saxons.

Roman à la structure parfois un peu lâche, La Voie Verne sait maintenir malgré tout l’intérêt jusqu’à un dénouement épique. Il faut cependant s’accrocher lors des monologues du narrateur, frustrants souvent car décousus et ne tenant pas toujours leurs promesses. Lors, aussi, des dialogues parfois un peu artificiels tenus à longueurs de pages par des personnages heureusement hauts en couleurs. À travers eux, l’auteur semble vouloir partager avec nous sa conception du monde. Son refus d’une bureaucratie envahissante, sourde et stupide, source de frustrations, de renoncements et d’une non-vie bien peu souhaitable : au nom de notre bien à tous, on rend l’existence de chacun morne et sans intérêt, on interdit à tous des plaisirs pourtant nécessaires à l’enthousiasme, à la passion. Et en particulier celui de la lecture de vrais livres en papier. Car pour protéger les arbres, et la planète à travers eux, le papier est réservé à l’administration. Les romans et nouvelles sont rejetés dans les limbes informatiques. De toute façon, on lit de moins en moins : le Halo rend les histoires tellement plus vivantes !

Les sympathies de l’auteur vont à l’évidence vers ses personnages refusant l’ordre stérile du monde et vivant dans le regret d’un passé enviable. Enviable par certains côtés seulement. Car Jacques Martel ne tient pas non plus un discours tranché et réac. Son narrateur confirme et regrette, par exemple, la violence du traitement fait aux femmes lors des siècles précédents. Il utilise également l’outil numérique pour ses divertissements, pour ses projets. Mais essentiellement pour tenter de retrouver des valeurs selon lui disparues : l’optimisme d’un Jules Verne dans la science et dans l’être humain. La croyance en un demain meilleur, en un avenir lumineux…

En cela, La Voie Verne mérite notre attention. Une réflexion, même un peu foutraque, parfois naïve, sur notre société, notre rapport au monde et aux autres, portée par une intrigue accrocheuse et des moments de poésie. C’est déjà ça.

Prise de tête

Prenez du football américain, associez-le à la fête du cheval d’Octobre des Romains de l’Antiquité (pour rappel, lors de cette cérémonie, deux clans se disputaient une tête de cheval fraichement tranchée qu’il fallait porter, malgré les coups des adversaires, jusqu’à un lieu déterminé) et vous voilà grosso modo avec l’hilketa, un sport plein de promesses… Mais comme il est devenu peu acceptable d’arracher des têtes ou d’autres membres à des êtres vivants lors d’une rencontre sportive, dans ce futur imaginé par John Scalzi, les participants sont en fait des cispés. Des androïdes plus ou moins anthropomorphes pilotés à distance par des hadens, ces personnes victimes d’un syndrome les condamnant à l’enfermement dans leur corps immobile (Philippe Boulier l’explique fort bien dans sa critique du premier volume, Les Enfermés). Le but de l’hilketa est simple : arracher la tête d’un cispé adverse tiré au sort et l’envoyer derrière la ligne de but. Violence, frissons et spectacle garantis ! Mais lors d’une rencontre amicale, un joueur s’écroule. Son pilote humain est mort. Accident ou meurtre ?

Pour le découvrir, on fait appel au duo de choc découvert dans Les Enfermés : les deux agents du FBI Chris Shane et Leslie Vann. Le premier, rappelons-le, est un haden (riche, et heureusement, car il détruit un nombre incroyable de cispés par roman !). La seconde, un flic comme on en croise souvent : efficace, mais pas commode. Vraiment pas. Leur enquête va les entrainer dans les coulisses pas forcément ragoutantes d’un sport en pleine expansion.

On l’a compris, John Scalzi renoue donc ici avec les recettes ayant fait le succès du premier opus paru en 2014 outre-Atlantique : deux personnages attachants, dont on découvre peu à peu la vie et le passé. Leslie Vann, un brin laissée de côté dans Les Enfermés au profit de Chris Shane, y gagne en épaisseur — on découvre notamment en partie la raison de son caractère peu amène. Mais aussi une intrigue solide, bien implantée dans le monde actuel. Car, si on est dans un récit futuriste, la société décrite ressemble comme deux gouttes d’eau à la nôtre. Et l’auteur se fait un vif plaisir de dénoncer les vraies raisons de l’intérêt de beaucoup pour le sport : l’argent. La vie des joueurs et de leurs proches compte bien peu face aux sommes mises en jeu. Enfin, et c’est la grande force de cet auteur, la fluidité et l’efficacité de ses dialogues. Les chapitres s’enchainent, l’action avance, les personnages se dévoilent essentiellement sous forme d’échanges verbaux. Une arme à double tranchant, cependant : un roman si rapide à lire prend le risque d’être oublié tout aussi vite…

Une propension que la production récente de John Scalzi accuse un peu trop : une bonne idée, un traitement sympathique, mais un fond qu’on qualifiera de… léger. La faute au contrat signé avec son éditeur Tor Books : 13 romans (dont 10 pour adultes) à fournir en 10 ans ? En tout cas est-on en droit d’espérer un soupçon d’exigence retrouvée : Scalzi flirte avec le statut de tâcheron, un faiseur distrayant mais superficiel. En attendant de voir, pas question de bouder notre plaisir avec cette lecture sans prise de tête.

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