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Rites de sang

Ayant échappé à la mort et retrouvé sa progéniture, Tallula coule désormais des jours plus tranquilles en compagnie de Walker, conciliant vie de famille et baisetuemange sans état d’âme. Le virus empêchant la transmission de la Malédiction étant éradiqué, la lycanthropie prolifère à nouveau à la surface de la Terre, profitant aussi du retrait de l’OMPPO englué dans les luttes internes. Les gens heureux n’ayant pas d’histoire, on pourrait penser que le destin réserve ses piques à d’autres victimes. Pourtant, depuis qu’elle a rencontré Remshi deux années plus tôt, la jeune femme est hantée par un rêve tenace d’un érotisme torride. Un fait qu’elle pourrait négliger s’il n’impliquait l’espèce honnie des loups-garous, les vampires. Pas sûr qu’une telle union ne soit également du goût du nouvel ennemi des créatures surnaturelles, l’Église catholique.

Rites de sang met un terme à la trilogie initiée par Glen Duncan avec Le Dernier loup-garou. Et l’on a immédiatement envie de dire fort heureusement, car si Talulla se montrait encore à la hauteur de son prédécesseur, ce n’est plus du tout le cas ici. A vrai dire, on s’ennuie beaucoup à la lecture du roman, le cocktail de sexe, de violence et d’ironie ne parvenant pas à contrebalancer la monotonie et l’aspect répétitif d’une intrigue enferrée dans la routine. A quelques détails près, notamment un entrelacement de plusieurs trames et points de vue, Rites de sang reprend en effet les mêmes recettes que les précédents volets. On troque juste l’OMPPO et la secte vampirique contre le Milite Christi, organisation paramilitaire catholique guère convaincante dans sa capacité de nuisance. Il faut beaucoup creuser pour trouver ne serait-ce qu’une once d’originalité dans ce troisième roman et exhumer ainsi l’exultation prévalant à la lecture du Dernier loup-garou. Diluée dans un rythme mollasson, l’intrigue ne parvient à aucun moment à susciter l’enthousiasme. La tension dramatique pointe aux abonnés absents, les cliffhangers sont téléphonés, mais surtout les personnages brillent par leur banalité, un comble, compte tenu de leur nature. On peut adresser le reproche en particulier au fameux Remshi dont le modus operandi dans le roman se réduit à saigner une victime, dormir, puis à se lamenter sur son amour perdu au cours de plusieurs flashback laborieux, cherchant en Tallula comme un écho de celui-ci. On a connu mieux pour une créature dont l’existence s’étale sur vingt millénaires et on en vient à regretter le désenchantement jubilatoire de Jake et ses remarques acerbes sur le sens de la vie ou l’humanité.

Bref, Rites de sang apparaît à tous points de vue décevant. Et comme si ces motifs d’agacement ne suffisaient pas, le roman s’achève sur un twist final qui laisse perplexe tant il paraît bâclé. A se demander si avec cette fin ouverte, Glen Duncan ne garde pas sous le coude de quoi amorcer un nouveau cycle. Pas sûr qu’on le suivra sur ce coup, même accompagné des vers de Robert Browning.

Le Zoo de Mengele

Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? Fréquemment associée à la théorie du chaos, la question du météorologue Edward Lorenz convient aussi au roman de Gert Nygårdshaug, l’image du papillon y provoquant un tout autre genre de chaos…

Né dans un village de la selva sud-américaine, Mino Aquiles Portoguesa en connaît tous les dangers. Il sait également que les lieux recèlent des trésors. Une biodiversité foisonnante qui ne cesse de l’émerveiller. Dès son plus jeune âge, le garçon s’intéresse aux papillons. Une passion dont il fait une source de revenu en les chassant pour son père qui les re-vend ensuite à des collectionneurs. L’existence de Mino aurait pu se cantonner à ce bout de forêt s’il n’avait été contraint de fuir devant l’irruption d’une société pétrolière. La population du village exterminée, sa famille y compris, il commence alors le long apprentissage de la vengeance.

L’engagement politique de Gert Nygårdshaug trouve sans doute sa forme littéraire la plus aboutie avec Le Zoo de Mengele. Premier tome d’une trilogie, conçu comme un pamphlet contre la mondialisation, l’ouvrage oscille entre la fable et le thriller de politique fiction. Un curieux cocktail qui ne manque toutefois pas de qualités. L’Amérique du Sud de Mino est en grande partie imaginaire. Elle condense pourtant tous les malheurs des pays en voie de développement, passés à la moulinette d’une mondialisation prédatrice. Les Indiens, la faune et la flore sont ainsi sommés par les armeros, les comenderos et autres carabineros de s’effacer devant les barrages hydroélectriques, les plantations de palmiers à huile, les exploitations minières ou pétrolières. Avec la bénédiction des divers gouvernements, les gringos sacrifient sur l’autel de la croissance des hectares de forêt, éradiquant au passage les espèces endémiques, indigènes y compris. La selva cède la place à une civilisation gangrenée par le consumérisme, l’alcoolisme, l’acculturation et la pauvreté, où on ne peut guère compter sur les mouvements révolutionnaires pour inverser la tendance.

Au-delà de la fable écologique, Le Zoo de Mengele aborde le sujet de l’éco-terrorisme. A bien des égards, l’itinéraire suivi par Mino apparaît comme une éducation à la lutte armée prônant la formule : « la fin justifie les moyens ». Nygårdshaug ne semble en effet pas partisan du développement durable impulsé par le rapport Bruntland deux ans avant la parution de son roman en Norvège. Il préfère tailler dans le gras de l’humanité en commençant par la tête. Mino et ses amis s’érigent ainsi en défenseur de Gaïa, assassinant ceux qui lui portent tort. Et tous y passent sans exception, patrons de multinationales, dirigeants de fonds spéculatifs, intermédiaires complices et médias. Une violence radicale renvoyant les sabotages du Gang de la clef à molette au rang de gamineries sans conséquences.

Grand succès de librairie lors de sa parution en 1989, Le Zoo de Mengele reste plus que jamais d’actualité à l’heure des conférences mondiales sur le climat et la biodiversité. Il peut se lire comme une catharsis face à l’immobilisme d’une humanité enferrée dans ses contradictions. Une bien maigre consolation au regard du désastre.

La Fleur de verre

Voici donc le cinquième ouvrage et le troisième recueil de George R. R. Martin chez ActuSF. Point ne sert de se voiler la face : il faut bien admettre que ses meilleurs textes ont été traduits depuis longtemps, même si ce qui reste est encore très acceptable.

Pourtant, ça commence franchement mal avec « La Fleur de verre », novella qui occupe un quart du volume (aïe) et qui est beaucoup trop longue bien qu’elle date de 1986, époque où l’auteur avait déjà donné nombre de chefs-d’œuvre. ActuSF ne fournit pas d’indication bibliographique, aussi ne sait-on pas quel fut le parcours du récit avant qu’il ne trouve preneur. Ce texte s’inscrit dans l’univers de space opera que Martin a créé pour L’Agonie de la lumière (J’ai Lu) et plusieurs autres nouvelles, souvent remarquables. Ici, Martin nous entraine hors de l’espace humain, sur Croan’dhenni, où Cyrain propose un jeu de vie et de mort à l’aide d’un très ancien artefact qui permet la transmigration d’un esprit dans un autre corps à conquérir de haute lutte. Certains jouent contraints et forcés, d’autres paient des fortunes pour ça. Sa rencontre avec l’immortel cyborg Kleronomas ne sera pas sans conséquences… Martin aime les personnages et il revient sur le passé de l’un et de l’autre longuement, beaucoup trop longuement.

Bien plus récent puisque daté de 2009, « Une nuit au chalet du lac » est un hommage à Jack Vance et au monde de la « Terre Mourante ». C’est aussi une des rares incursions que Martin s’autorise encore dans la forme (relativement) courte, tout occupé qu’il est par « Le Trône de Fer ». Ce texte, qui occupe un autre quart du volume, constitue lui aussi une variation sur le thème de la transmigration. En dépit de sa longueur, Martin y cultive l’art de la chute et un certain humour qui va de pair — un humour un peu sombre, faut-il le préciser. C’est un texte agréable mais certainement pas un chef-d’œuvre !

Nettement plus court, « Cette bonne vieille Mélodie » ressemble longtemps à un texte de littérature générale. Quatre étudiants partageant un appartement nouent un pacte d’entraide à jamais un soir de cuite, et puis la vie les sépare, chacun vivant la sienne et faisant carrière… Sauf Mélodie ! Véritable musée à emmerdes qui ne cesse de se rappeler aux bons soins de ses ex-colocataires. La plaie, quoi ! Une nouvelle qui finira par basculer dans l’horreur et qui s’avère une réussite.

Lauréat du prix Locus, « Le Régime du singe », que l’on avait pu lire dans Bifrost voici deux ans (n°67), est un exemple tout à fait remarquable d’horreur sociale. Martin est lui-même assez corpulent, et l’on peut penser que cette situation lui a inspiré au moins deux textes très forts, pour ne pas dire exceptionnels : celui-ci et « L’Homme en forme de poire », également publié dans Bifrost (n°33) et tout autant repris par ActuSF (dans le recueil Dragon de glace). Son talent s’y exprime à pleine puissance et il sait comme peu vous remuer les tripes. Sans conteste le meilleur morceau de ce recueil, et l’occasion d’un rattrapage pour ceux qui l’ont manqué dans Bifrost.

Traduit dans Fiction voici plus de trente ans, « L’Homme aux aiguilles », inspiré d’une légende urbaine, trouve aujourd’hui une nouvelle jeunesse. Ce récit ne déparerait aucune anthologie de polar contemporain, où le crime se pavane très volontiers revêtu des sombres atours de l’horrible. On saura en apprécier toute l’amère saveur.

Texte d’un tout jeune Martin, datant de 1967, « Y a que les gosses qui ont peur du noir » croise thématique lovecraftienne et super-héros de comics. Il s’agit vraiment d’un récit de jeunesse perclus de défauts, et on aurait beaucoup gagné à une notice bibliographique expliquant le contexte de sa ré-daction. Si la nouvelle n’est pas en soi d’un grand intérêt propre, elle montre cependant que Martin s’intéressait déjà aux thèmes des « Wild Cards » dont le premier tome vient de sortir chez J’ai Lu. On peut appeler ça avoir de la suite dans les idées…

« On ferme », pochade sheckleyenne à l’humour ravageur, clôt le recueil sur un grand éclat de rire.

Plusieurs textes valent ici encore le détour, et Martin a suffisamment de talent pour que même ses fonds de tiroir présentent autant — voire davantage — d’intérêt que les textes de bien d’autres. Nulle déception au final, donc, car on sait à quoi s’attendre. Mais La Fleur de verre ne sera certainement pas une priorité. Un tel recueil ne concerne désormais plus que le fan de l’auteur. Le fan hardcore…

High-opp

Fond de tiroir ? Evidemment. « Demeuré inédit jusqu’à ce jour, refusé à l’époque et sans doute retrouvé dans les archives d’un agent littéraire », nous dit le quatrième de couverture ; le préfacier parle, lui, d’un roman perdu. High-Opp et une dizaine d’autres œuvres auraient ainsi pris le moisi durant plus d’un demi-siècle avant de refaire surface. On peut se demander pourquoi. Pourquoi ce roman n’a-t-il pas vu le jour durant les vingt années qui séparent Dune de la mort d’Herbert ? On ne peut que se perdre en conjectures d’autant que nul ne s’étend sur les conditions de cette résurgence inopinée.

A ses débuts, dans les années 50, Herbert ne publia qu’un unique roman (Le Dragon sous la mer), mais n’en continua pas moins d’écrire. High-Opp (Oh, le vilain titre !) date de la fin de ces années-là : après Le Dragon… et avant 1959, où il commença à rassembler du matériel en vue de Dune.

On ne peut que suivre Gérard Klein dans son éclairante postface (qu’on déconseille de lire avant le roman — ce n’est pas pour rien une postface). Klein voit sur High-Opp l’influence de trois écrivains majeurs de l’époque. Au premier chef : A. E. Van Vogt. Quant à la construction du récit, qu’il rapproche de celle du Monde des A. Mais aussi parce qu’il est question d’une « sémantique » qui n’est pas ce que l’on entend généralement par là, mais d’un corpus de techniques de propagande, et qui renverrait à la sémantique générale de Korzybski au cœur du roman de Van Vogt. Surtout, par la personnalité du héros, Daniel Movius, doué d’emblée mais se révélant hyperadapté aux circonstances ; il ne s’agit pas tant de pouvoirs surhumains que d’une capacité extrême d’homme providentiel à même de toujours fournir la réponse optimale à la situation. Autant d’éléments qui font penser à la programmation neurolinguistique (PNL) qui ne sera inventée qu’une vingtaine d’années plus tard par R. Bandler et J. Grinder et dont le fameux « la carte n’est pas le territoire » est la première présupposée. Movius apparaît comme l’archétype de la personne que la PNL se propose de modéliser en vue de la reproduction des compétences. La fin du roman d’Herbert explicite ce concept central de la PNL qui veut qu’un système (un individu, en somme) contienne en lui-même les ressources nécessaires au changement et à l’adaptation optimisée, et qu’il « suffit » de faire sauter les verrous que sont les croyances pour libérer ce potentiel. On voit là combien la PNL peut se rapprocher de la Dianétique. Mais elle n’est qu’un outil auquel Herbert ne voit pas du tout la même fonction.

Autre influence plausible, celle du cycle de « Fondation » d’Isaac Asimov, selon lequel les crises de civilisation sont prévisibles et remédiables. Pour Herbert, ces crises trouvent leurs origines dans la sclérose et le dévoiement des systèmes de pouvoir, surtout bureaucratiques, qui finissent par ne plus avoir d’autres fins que leur propre pérennité. La « fondation » selon Herbert, c’est le Bu-Sab (le bureau des sabotages dans Dosadi). Le concept était alors dans le Zeitgeist. On le retrouve chez Moorcock, notamment dans le cycle de « Jerry Cornelius », héros qui aurait pu être un agent du Bu-Sab, des « facteurs chaos » venant réintroduire de la fantaisie, de l’imprédictibilité dans les systèmes mortifères conduisant à l’accroissement de l’entropie, comme incarné par Miss Brunner ou, ici, Quillian London.

Enfin, Klein voit dans le modèle de société de High-Opp l’influence du Philip K. Dick de Loterie Solaire, où l’on percevait l’influence de Van Vogt sur ce premier roman de Dick qui influença Klein à son tour pour Le Sceptre du Hasard.

High-Opp contient en germe l’essentiel de la thématique qu’Herbert développera dans ses œuvres majeures ultérieures, dont le principal est la lutte contre la tyrannie, tout particulièrement bureaucratique. A l’instar des libertariens, Herbert se méfie des pouvoirs, mais ne suit pas ces derniers dans le primat qu’ils accordent à l’individu. Selon Klein, Herbert, écologiste avant l’heure, prête à l’espèce ses propres finalités, en premier lieu la survie, qui implique la préservation d’un milieu adéquat et une capacité d’adaptation. Herbert apparaît au final comme un darwinien doté d’une vision spéciste de l’évolution le conduisant à préférer des systèmes aristocratiques, plus à même de transmettre les valeurs nécessaires. Plus un individu a de devoir et plus il a de pouvoir pour les assumer. La valeur ne se mesurant plus dès lors à l’aune du pouvoir ou de la possession, mais à celle de son apport global à autrui, en favorisant une société changeante et variée.

High-Opp est peut-être resté au fond d’un tiroir parce que trop en avance sur son temps pour trouver preneur. C’est certes encore une œuvre de jeunesse, mais dont la lecture est aisée et agréable. Pour une surprise, c’est une bonne surprise !

La Lisière de Bohême

Longtemps chroniqueur au quotidien Le Monde en charge des littératures de l’Imaginaire, Jacques Baudou est bien connu des amateurs. Cette fois, il passe de l’autre côté et entre dans le domaine des créateurs. Avec ce court roman, il y réussit de bien brillante manière.

L’objet proposé par l’éditeur est plaisant, avec sa couverture cartonnée revêtue d’une jaquette à l’esthétique remarquable qui évoque le bois de Ryhope cher à Robert Holdstock, ou la forêt d’épines de La Belle au Bois Dormant, et dont le graphisme agrémente joliment les pages intérieures.

J’ai envie de dire que l’on sent la patte du critique dans une volonté de rechercher le zéro défaut. Nickel chrome sur toute la ligne. La Lisière de Bohême est un premier roman, certes, mais c’est le roman d’un lecteur très expérimenté. C’est aussi, à la manière de Morwenna de Jo Walton, un roman plein d’allusions et de citations à travers lesquelles Jacques Baudou rend hommage à toute une littérature qu’il adore.

Comme le titre n’en fait point mystère, La Lisière de Bohême est une fantasy sylvestre. C’est un roman paisible, tranquille. Loin des fureurs habituelles du registre — à moins qu’il ne s’agisse de fantastique, à la lisière des genres. L’explication finale de la coda se veut même SF. Si cette histoire de fantômes flirte avec les genres, elle est surtout proche d’une littérature blanche, intimiste et plutôt minimaliste. Baudou ne cesse d’y jongler avec des mises en abîmes et des récits enchâssés.

Nulle part en France, sur le cours de la Bleigne, dans la vaste forêt qui s’étend entre Ferventes et Sognes, l’écrivain à succès Roland Darjac s’est installé dans une maison forestière pour se ressourcer. Un jour de pluie arrive Béatrice, randonneuse venue spécialement le rencontrer après avoir lu son dernier roman, L’Examen de conscience, qui est aussi le premier à contenir des éléments fantastiques. Ce roman a remémoré à la visiteuse un album illustré qui l’avait beaucoup marqué dans son enfance. Si Darjac ignore tout de l’album en question, il révèle à Béatrice que ce qui, dans son livre, ne relève pas de la fiction, contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre, ce sont les trois fantômes ! Et il les lui montre. Aux fantômes s’ajoutent les mystères d’un inaccessible manoir composite connu comme la folie Millescande qui fut jadis le théâtre d’un drame, et ceux d’un domaine tabou dont on ne parle qu’avec réticence dans la région où d’étranges phénomènes ont lieu et dont les récits nous parviennent au fil des rencontres que Roland fait faire à Béatrice. Au final, tous les éléments vont s’emboîter et trouver leur juste place.

La coda finit par tirer le livre sur les rives de la SF, on l’a dit. Peut-être Jacques Baudou se refusait-il à écarter ce genre, mais je me demande si la conclusion n’aurait pas été plus élégante sans ?

Le roman s’écoule comme un profond ruisseau, au rythme des promenades pédestres en forêt, et non seulement il n’y a pas de temps mort ni longueur, mais le livre ne se dépare jamais d’une certaine densité. Remarquablement écrit, La Lisière de Bohême ne s’adresse évidemment pas aux amateurs exclusifs de fantasy épique pleine d’action frénétique ni à ceux d’horreur, tendance gore. Il est pour ceux, en quête d’un plaisir différent, qui aiment les belles lettres comme de belles choses. Espérons qu’il trouvera son public, il le mérite.

Culturama

On sait que les big data, par leur capacité à traiter de grandes masses de données, sont en passe de corriger notre vision du monde. Un changement d'échelle comparable selon les auteurs à la révolution galiléenne où la lentille grossissante changea la vision et donc la compréhension du cosmos en révélant les lunes de Jupiter. Les recherches exploratoires des big data sont dépourvues d'hypothèse, mais offrent des résultats inattendus souvent instructifs. Profitant de la numérisation de trente millions d'ouvrages par Google, les auteurs ont imaginé une nouvelle approche de la culture, du langage et de l'Histoire basée sur la récurrence des termes à travers les textes, à laquelle ils ont donné le nom de culturomique. À vrai dire, elle n'est pas inédite puisque des recherches lexicographiques ont déjà été menées par des linguistes qui ont patiemment recensé les occurrences d'un terme à travers une période ou dans l'espace restreint d'un livre ; l'aspect fastidieux de l'entreprise limitait ces évaluations à quelques rares recherches. Les capacités de l'ordinateur permettent de systématiser ce type de questionnement.

Cet ouvrage retrace l'aventure des chercheurs : il a fallu convaincre Google de l'utilité d'une telle exploration pour se voir accorder l'accès aux calculateurs et aux données couvrant l'édition de 1800 à nos jours. L'obtention de graphes a rencontré un tel enthousiasme auprès des utilisateurs potentiels, sociologues, historiens, linguistes, qu'un Ngram Viewer, N identifiant le nombre d'éléments recherchés dans une requête, est désormais en libre accès (https://books.google.com/ngrams).

Cet aspect anecdotique est de peu d'intérêt. Les premiers chapitres sont un exposé un peu laborieux de la constitution du savoir et de sa consultation depuis les origines. Mais il s'agit d'un ouvrage grand public, qui a pour corollaire de délimiter clairement la question. Pour exploiter les statistiques, il est nécessaire de se doter d'outils mathématiques : on saura ainsi en quoi consiste la loi de Zipf (qui établit dans les années trente la liste des mots composant l'Ulysse de James Joyce), celle de Benford, ou la fréquence de Hautpoul.

À quoi sert-il de relever les occurrences d'un terme dans un ensemble de livres ou de revues ? On peut ainsi démolir des idées reçues ou constater des mouvements de fond invisibles autrement, car étalés dans le temps ou occultés par le crépitement de l'actualité. On réalise là une traque de la matière noire de la culture. Ainsi, véritable matière noire lexicale, la loi de Zipf détermine que les mots revenant moins d'un million de fois ne sont pas repérés par les dictionnaires, même spécialisés. Le seuil d'entrée est fixé à un milliard d'occurrences.

Il est troublant de constater que la fréquence de régularisation d'un verbe irrégulier en langue anglaise, du fait d'un emploi erroné généralisé, est similaire à la demi-vie d'une substance radioactive. Il est ainsi possible de connaître le nombre de verbes irréguliers qui le seront toujours dans cinq siècles et même de déterminer le prochain à recevoir une forme régulière. De même, l'entrée de mots nouveaux dans un dictionnaire est dépendante de leur fréquence.

Les exemples qui constituent l'essentiel de l'ouvrage, souvent surprenants, recensent les emplois possibles de telles recherches : mise en évidence d'une censure dans l'Allemagne nazie jusqu'à présent passée inaperçue, activités garantissant une célébrité rapide (les grands criminels avant les acteurs) et courbe de l'oubli au sein de la mémoire collective, taux de pénétration d'une invention, accélération de la capacité d'apprentissage de la population. Au passage, on fait appel aux fractales de Mandelbrot ou à la théorie des jeux de von Neumann. Des applications pratiques sont également envisageables avec les big data, comme la détection des fraudeurs dont les déclarations ne suivent pas la courbe de Benford lors du trucage des chiffres. Sur le plan culturel, la mesure de l'accélération du progrès et des changements du mode de vie humain met en évidence la proximité d'une singularité typiquement vingienne d'une limite au-delà de laquelle l'activité humaine telle que conçue actuellement ne pourrait se poursuivre. De façon plus prosaïque, des changements progressifs de l'opinion peuvent être mis au jour, dont des publicistes ou des politiques pourraient tenir compte. Nous ne sommes pas loin de la psychohistoire asimovienne.

Instructif et distrayant, l'ouvrage a le mérite de rendre ces notions statistiques accessibles au grand public. Corollaire : il manque une analyse plus en profondeur des implications philosophiques et sociales de telles recherches. Mais chaque lecteur trouvera ici les éléments pour mener sa propre réflexion.

Terminus Radieux

Presse dithyrambique, Pierre Jourde satisfait, Prix Médicis. Faut-il en dire plus ?

Terminus radieux est le dernier roman post-exotique d’Antoine Volodine. Le post-exotisme, SF qui ne veut pas en être, collective, fascinée par l’idéal communiste, dont Terminus radieux serait, si l’on en croit son titre, l’aboutissement.

Fini de temporiser. Je me lance.

Terminus radieux est inracontable. C’est une expérience à vivre.

Contexte : futur, date indéterminée, taïga. La Seconde Union Soviétique, mondiale celle-là, s’est effondrée sous l’assaut de forces contre-révolutionnaires backstage. Effondrement politique, social, mais aussi écologique. Les innombrables mini-réacteurs nucléaires qui réalisaient le rêve écolo-productiviste d’une décentralisation énergétique à la soviétique ont failli, engloutissant d’immenses zones sous les radiations. Hommes et bêtes meurent. La civilisation avec eux.

Dans ces limbes, deux « lieux ».

Un train en route pour un hypothétique camp de prisonniers où pourraient vivre enfin heureux, car régulés, les soldats et prisonniers qui le conduisent dans une stricte égalité communiste. Le camp comme réalisation parfaite du rêve totalitaire d’ingénierie sociale marxiste-léniniste. Sloterdijk et sa domestication du parc humain ne sont pas loin.

Un kolkhoze, « Terminus radieux », gouverné par Solovieï, sorte d’ogre chaman omnipotent, entre Staline et Raspoutine, qui s’introduit dans les rêves et les façonne. Y vivent aussi la mémé Oudgoul, liquidatrice rendue immortelle par les radiations, les trois filles de Solovieï, victimes de ses viols psychiques, et quelques autres, plus ou moins contrôlés par lui. L’arrivée de Kronauer, soldat déserteur qui a conservé un semblant d’indépendance, déséquilibre la mécanique du lieu.

Terminus radieux est l’histoire de ces lieux, de ceux qui y vivent, si peu. Chacun raconte son histoire, dans ces mots qui fuient progressivement le monde. Noms et lieux s’effacent des mémoires. Les livres aussi, brûlés pour se chauffer. Avec eux s’éteignent le savoir technique et l’idéologie omniprésente. C’est dans les mémoires, les réflexes, les tics de langage qu’elle survivra le plus longtemps, pierre de Rosette d’un monde enfoui.

Lire Terminus radieux, c’est partir pour un voyage vers la fin de tout, entre rêve et réalité. Il faut pour cela abandonner toute rationalité. Dans un monde qui s’éteint, qui retourne au végétal, aucune assise stable sur laquelle s’appuyer. Le temps est élastique. Les distances incertaines. Les humains vivants, ou morts, ou presque morts, ou régulièrement ressuscités ; en état d’indétermination quantique, des communistes de Schrödinger. Qu’importe. Tous agissent, à leur façon, en dépit d’identités devenues poreuses.

C’est aussi lire un roman très écrit, plein d’images, de néologismes végétaux, doté d’un rythme presque hypnotisant. Un roman encore dans lequel on sent une ironie pince-sans-rire, une prise de distance par rapport à une langue révolutionnaire des origines utilisée avec une ferveur détachée qui en souligne le caractère religieux. Quant à l’idéologie, mourante comme le reste — mots, pensée, systèmes —, son dernier avatar est le féminisme étymologiquement hystérique et profondément non humain de Maria Kwoll. La domination masculine comme blueprint de toutes les autres.

Une lecture très russe dans le ton, entrainante en dépit du fond, jamais ennuyeuse, toujours surprenante.

Trois Oboles pour Charon

« Sisyphe, agité par de cruels tourments, s’offre à mes regards ; il roule un énorme rocher et le pousse avec ses pieds et ses mains jusqu’au sommet d’une montagne. Mais dès que la roche est près d’atteindre à la cime, une force supérieure la repousse en arrière et l’impitoyable pierre retombe de tout son poids dans la plaine. Sisyphe recommence sans cesse à pousser la roche avec effort, la sueur coule de ses membres, et des tourbillons de poussière s’élèvent au-dessus de sa tête. » Ainsi Homère décrit-il, dans L’Odyssée, le supplice infligé à Sisyphe par Zeus. Pas de rocher chez Franck Ferric, mais une torture tout aussi cruelle. Sisyphe, pour avoir trompé le roi des dieux, est condamné à renaître, éternellement, au milieu d’un conflit dans lequel il doit perdre la vie. Rendu amnésique par Charon, le passeur du fleuve des Enfers, quoi qu’il fasse, il périt. Lors de la brutale Antiquité, il reprend vie au milieu des cadavres de l’armée de Varus, défaite par les Germains, et se retrouve gibier d’une meute sans pitié. Au VIIIe siècle il assiste, dans le camp des vaincus, au triomphe sanglant des Francs sur les Saxons. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se réfugie, insensé, dans les entrailles d’un Messerchmitt fuyant les attaques anglaises. Et entre chaque épisode, entre chaque renaissance, il retourne dans les bas-fonds du Monde, sur les rives du Léthé, auprès de son bourreau involontaire, Charon. A chaque mort, il perd la mémoire et poursuit son chemin de croix.

Ce qui frappe avant tout au début de ce roman, c’est la dureté, la cruauté du monde décrit. Servies par une langue âpre, minérale, sèche. Par des phrases qui griffent, qui tranchent, qui arrachent. Tuer ou être tuer. Ne rien faire d’autre que tenter de survivre. L’homme n’est qu’un animal qui court à sa perte, sans jamais rien comprendre à ce qui lui arrive. Il vit uniquement par des sensations : la chaleur des cendres ou la douleur de la faim, la violence de la colère ou la morsure du froid. Et Sisyphe, malgré les bribes de connaissances arrachées à chaque nouvelle apparition sur notre Terre, suit la voie tracée pour lui par les dieux. Il se dresse à chaque fois, seul, contre un destin écrit d’avance. Et périt à chaque fois, seul, dans le sang et les cris.

Erudit et malin, ce roman séduit par la force de son personnage tout d’abord. Le lecteur est jeté dans la peau de ce géant hirsute, malmené par des dieux qu’il a cru tromper. Cet être au physique hors norme est rongé de doutes. L’incompréhension face à son sort et sa rage permanente le guident, lui permettent de découvrir, peu à peu, son identité, la raison de son supplice. Les résurrections, principaux chapitres au début de l’ouvrage, cèdent progressivement la place à l’affrontement entre lui et Charon. Franck Ferric aurait pu se contenter d’enchaîner les renaissances de Sisyphe à des périodes différentes, accumuler les morceaux de bravoure et exposer sa maîtrise de l’Histoire. Et pourtant non. Afin de maintenir l’intérêt de son lecteur, il a su déplacer le centre de gravité de son intrigue d’un solo à un duo fort réussi. Car si Sisyphe a mérité son sort, Charon doit-il, lui aussi, payer pour la faute d’un autre ? Doit-il supporter indéfiniment les mêmes questions posées par cet amnésique violent ? Continuer à servir des dieux à l’influence en perdition, ou prendre le parti de leur victime ?

Trois oboles pour Charon est définitivement une excellente surprise. L’arrivée de Franck Ferric, auteur français peu capé, dans la prestigieuse collection « Lunes d’encre », était aussi attendue que surveillée : c’est une réussite indéniable. Davantage habitué aux nouvelles qu’aux romans, il a su donner une dimension, un souffle nouveaux à un mythe pourtant balisé, et fournir à son héros une force et une grandeur dignes de celles de son modèle. Au risque de se répéter : voilà une excellente surprise.

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Dénicher un appartement pas cher à Los Angeles ? Une gageure. Presque autant que parvenir à se garer en moins d’une demi-heure. Alors, quand Nate Tucker entend parler de cette occasion dans un vieil immeuble de briques rouges, il n’hésite pas une seconde. D’accord, l’ascenseur est en panne. Mais quoi de plus classique ? Bien sûr, une blatte l’accueille dans son nouveau logement. Et alors ? On ne va tout de même pas se formaliser pour si peu. Sauf que, de jour en jour, le jeune homme découvre des éléments étranges, des anomalies anodines prises une par une, mais qui, bout à bout, finissent pas créer chez lui un sentiment de malaise croissant. Pourquoi ce locataire quitte-t-il le n°5 avec une telle hâte ? Pourquoi la porte de l’appartement n°14 est-elle condamnée par plusieurs cadenas ? Pourquoi la lumière de sa cuisine, quelle que soit l’ampoule utilisée, s’obstine-t-elle à émettre une lumière « noire » ? Pourquoi aucun appartement n’a-t-il les mêmes dimensions ?

L’ouvrage se divise en deux grandes parties : d’abord l’enquête, puis l’immersion dans l’étrange et l’horreur. Dans un premier temps, Nate, moyennement pris par un travail sans intérêt, alimentaire, part à la découverte de l’immeuble Kavach. Cette vieille bâtisse livre peu à peu ses secrets. Mais chaque réponse amène d’autres questions. Chaque découverte rend le mystère encore plus profond, les ramifications encore plus importantes. Malgré quelques longueurs, cette première moitié joue son rôle. Les pages tournent sans trop de temps morts, l’intrigue se tient. Peter Clines entoure son personnage principal de quelques locataires, créant ainsi une équipe d’enquêteurs amateurs. Dont Xela, la pin-up adepte des bains de soleil topless sur la terrasse ; Veek, l’informaticienne fan de Scooby-Doo ; Tim, l’homme au passé mystérieux. Et quelques autres. Rien de bien original, donc — on peut même parler, pour certains personnages, de caricatures, à moins qu’on ne préfère, histoire de rester positif, considérer ces derniers comme des clins d’œil aux livres et films de genre. A trop viser le grand public, Peter Clines n’hésite pas à enfiler les clichés, ni à avancer chaussé de sabots taille 45. La vieille voisine est forcément grincheuse ; quelques morts épicent l’action, mais pas trop. Et cela se ressent particulièrement à la fin du roman. Comme si l’auteur peinait à boucler un sujet pourtant pas si mal abordé, mais en définitive trop grand pour lui. Comme si l’écriture de la série best-seller « Ex- » (-Heroes, -Purga-tory et -Patriots) ne l’avait pas préparé à affronter les Grands Anciens.

14 n’en demeure pas moins un divertissement efficace, à la lecture rapide et aux multiples rebondissements. Et une distrayante plongée dans un complot tentaculaire. Sans plus.

Le Jardin des silences

Six années séparent Notre-Dame-aux-Ecailles, second recueil de l’auteure, du présent Jardin des silences. C’est long, six années… Mais Mélanie Fazi prend son temps, trace son chemin dans la jungle des mondes de l’Imaginaire à son rythme, alternant entre ses activités de traductrice et d’écrivain. Aux vues des qualités de l’œuvre produite (deux romans et trois recueils, donc), elle fait bien.

Sous un habillage (très beau) évoquant celui des deux précédents recueils de l’auteure chez Bragelonne (repris depuis chez « Folio-SF »), Le Jardin des silences propose douze nouvelles (comme ces autres recueils, là encore) initialement publiées sur des supports divers (site internet, revue, mais surtout anthologies), donc deux inédits, le tout écrit/publié sur une période d’une dizaine d’années.

« Un petit bijou d’intelligence et de sensibilité », disait ici même (in Bifrost n°50) Claude Ecken à propos de Notre-Dame-aux-Ecailles. Une formule qu’on reprendra sans sourciller. Il y a une magie indéniable dans les textes de Mélanie Fazi. Une magie faite de simplicité, d’évidence, presque de candeur — comme un certain effarement quant à la perversité du monde, parfois, ce qui rend cette dernière plus dérangeante encore. C’est intimiste, limpide, mené d’évidence. Avec toujours bien présent les motifs au cœur de la création fazienne : l’enfance et l’adolescence, la bascule qu’opère le passage à l’âge adulte. Moins de fantômes, toutefois, dans le bouquet présenté. Et un fantastique qui lorgne davantage vers le conte (« Swan le bien nommé », ou encore « Un bal d’hivers »), s’avère sans doute moins angoissant que dans Serpentine (son premier recueil) et se pare plus volontiers des atours de la fantasy. Il y a quelque chose de Carole Martinez chez Mélanie Fazi (il faut lire Le Cœur cousu chez « Folio »), notamment dans sa manière de dépeindre un monde au merveilleux jamais forcé, toujours évident.

Et comme il en va de tous les recueils, on choisira ses textes préférés (« L’Arbre et les corneilles », assurément, ou la nouvelle titre) et ceux qu’on estime un peu en-dessous du reste. L’unité de ton, chez Fazi, peut parfois lasser. Peut-être pourrait-on attendre de l’auteure un « lâcher prise » plus total, plus débridé. Qu’elle se mette un peu plus en danger dans son écriture, qu’elle aille un peu moins où on l’attend. Peut-être… Reste une nouvelliste (puisque c’est ce que Fazi est avant tout, et tant mieux !) aux qualités d’âme et de style exceptionnels — normal qu’on lui en demande beaucoup. En attendant, nul n’hésitera à se perdre dans le présent Jardin des silences : il est des promenades moins grisantes.

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