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Agyar

Agyar, sorti dans l’indifférence générale en France en 1997, est le premier livre traduit de Steven Brust. Celui-ci, plus connu pour Vlad Taltos, cycle de fantasy à base de lézards paru chez Mnemos, fondateur du groupe d’écrivains scribblies de Minneapolis, considère Agyar comme son meilleur roman.

Squattant le grenier d’une maison abandonnée dans une petite ville universitaire, John Agyar profite d’une machine à écrire présente sur les lieux pour raconter sa vie au jour le jour, ou plutôt nuit après nuit. Récit lacunaire écrit entre deux incartades nocturnes, ce n’est que par bribes que nous découvrons la personnalité de John : un homme bien plus vieux qu’il ne semble, atteint d’une certaine lassitude générée par une vie routinière et cadrée par les contraintes, peu fier de ce qu’il est obligé de faire pour survivre. Obnubilé par ses rencontres féminines, qu’elles soient récentes ou de longue date, qu’il en soit bourreau ou victime, Agyar a du mal à se livrer en dehors de son journal intime, même à Jim, le fantôme d’un esclave avec qui il partage son grenier. Poursuivi par Kellem, la femme qui dispose de tout pouvoir sur lui et qui veut s’en débarrasser définitivement, et tiraillé entre Jill, sa victime du moment et Susan, maîtresse de Jill et proie potentielle, Agyar se trouve pris dans une chasse à l’homme à l’issue incertaine.

Agyar, par sa narration elliptique à la première personne (le narrateur évitant de signaler les évidences, le mot vampire n’ap-paraît jamais et ses contraintes matérielles sont à peine évoquées), par la fragilité de son personnage principal, et malgré l’utilisation d’une partie de la quincaillerie habituelle des histoires de vampires, se révèle être une vision rare du mythe, plus proche du drame psychologique que du fantastique à effets spéciaux. Car si Agyar est bien une créature de la nuit, pompant l’énergie vitale de ses victimes, dormant la journée dans une boite hermétique, presque invincible physiquement et « vivant » depuis trop longtemps, tout ceci n’apparaît qu’en trame de fond du récit, occulté par l’essentiel : ses relations avec les femmes et sa quête de l’émancipation.

Mêlant domination absolue et pitié, amour et violence, John Agyar se révèle faible et profondément humain, bien loin des clichés habituels des créatures gothiques. Avec ce roman, publié en 1993, à une époque dominée par les suceurs de sang baroques d’Anne Rice (Entretien avec un vampire est adapté au cinéma l’année suivante), Steven Brust, qui se définit politiquement comme trotskyste, livre une vision résolument à contre-courant : un homme de la classe moyenne n’ayant d’autre ambition que de vivre libéré de son asservissement, le joug violent et total imposé par la femme qui l’a vampirisé, pour jouir sans entrave. Aussi, même si le livre n’est pas exempt de quelques problèmes de crédibilité (étonnant que le narrateur puisse faire un feu de cheminée dans une maison abandonnée d’un quartier résidentiel sans se faire repérer, difficile de croire qu’il a le temps de se mettre à la machine à écrire quand son logement est cerné et que la police lui a lancé un ultimatum), ce vampire crypto-marxiste renouvelle habilement le thème.

L'Échiquier du mal

Un saisissant prologue dans le camp de concentration de Chelmno, en 1942. Le jeune Saul Laski lutte pour survivre. Puis, sans transition, nous nous rendons à Charleston, Caroline du Sud, le 12 décembre 1980. Trois petits vieux se réunissent pour prendre le thé. Rien de plus innocent, en apparence… Mais les trois convives se livrent à un étrange petit jeu, et comptent les points : un pour chaque mort. Et parmi les victimes, un certain John Lennon… Ces vieillards ne sont en effet pas comme les autres : ils ont le Talent, qui leur permet de manipuler les êtres humains pour leur faire accomplir leurs quatre volontés. Et celles-ci se résument souvent à cette ultime réalité : le meurtre. Pour eux : le Festin, qui entretient leur force et leur permet de « rajeunir ». Ce sont des vampires, à leur manière ; mais pas de vulgaires suceurs de sang encombrés des oripeaux gothiques, ni même « rationalisés » (à l’instar de ce que Simmons fera un peu plus tard dans Les Fils des ténèbres) : ce sont des vampires psychiques…

Ainsi débute L’Echiquier du mal, à n’en pas douter un des plus fameux romans de Dan Simmons avec le très différent Hypérion. Un roman-fleuve, et un monument de terreur. Et, ce qui nous intéresse ici, une relecture inventive et fascinante du mythe du vampire. Les allusions ne manquent pas, qui émaillent l’ensemble du roman. Un exemple sélectionné dans les premières pages :

« De toutes les terreurs que s’est infligées l’humanité, de tous les monstres pathétiques qu’elle s’est inventés, seul le mythe du vampire conserve encore quelques vestiges de dignité. Tout comme les humains dont il se nourrit, le vampire obéit aux sombres pulsions qui lui sont propres. Mais contrairement à ses ridicules proies humaines, le vampire utilise des moyens sordides pour parvenir à la seule fin qui puisse justifier de tels actes : son but est tout simplement l’immortalité. Quelle noblesse. Et quelle tristesse. »

En bon thriller paranoïaque, L’Echiquier du mal mêle ce canevas de théorie du complot. Derrière les puissants de ce monde se dressent les vampires psychiques, qui tirent les ficelles de leurs marionnettes humaines. On les trouve aux côtés du Führer dans l’Allemagne nazie. On les retrouve à Dallas le jour de la mort de John Fitzgerald Kennedy. On les croise enfin sur les scènes de meurtre les plus improbables, celles qui défient en apparence la logique. Ainsi le massacre sur lequel la réunion de Charleston débouche. Un vrai casse-tête pour le shérif Bobby Joe Gentry, et pour la jeune Noire Natalie Preston, dont le père figure parmi les victimes. Seule une explication, aussi improbable soit-elle, peut éclairer le drame ; et c’est le psychiatre Saul Laski qui la leur fournit : Laski est conscient de l’existence de ces vampires psychiques depuis ses cruelles années à Chelmno et Sobibor. C’est là-bas, dans l’enfer des camps d’extermination, qu’il a rencontré l’Oberst, ainsi qu’il désigne encore après toutes ces années son cruel bourreau. Terrible flashback : dans la nuit polonaise, une partie d’échecs où les pions sont des êtres humains, où chaque prise signifie la mort ; puis une chasse à l’homme où les dés sont pipés… Saul Laski traque l’Oberst, désormais William Borden, depuis toutes ces années. Et Gentry et Natalie de se joindre à lui pour faire la lumière sur les meurtres les plus obscurs, et obtenir enfin justice… quitte à se transformer à leur tour en meurtriers.

Mais les vampires psychiques ne se limitent pas au trio de Charleston. On en croise vite d’autres, à Beverly Hills — le producteur Tony Harrod, détestable personnage qui est une des plus belles réussites du roman — ou au FBI. Et la vérité se fait bientôt jour : tous, ou presque, ne sont que des pions dans une gigantesque partie d’échecs à grande échelle. Et le sort du monde entier pourrait bien reposer dans les mains du vainqueur…

L’Echiquier du mal est assurément un chef-d’œuvre du genre. L’argument promotionnel nous dit que Stephen King, à la lecture de ce roman, a salué en Dan Simmons son rival le plus redoutable. Et on le concèdera volontiers… Rares sont les œuvres horrifiques à dégager une telle puissance narrative, doublée d’un déconcertant sentiment de malaise, provenant de l’arrière-plan de la Shoah — encore imprégné de tabou — et de l’atmosphère générale de théorie du complot.

Il serait cependant dommage de s’arrêter sur cette impression, ou d’être rebuté par la longueur, que d’aucuns jugeront sans doute excessive — mais peut-on véritablement y enlever quoi que ce soit ? —, de cette fresque. L’Echiquier du mal se révèle en effet être un page turner d’une efficacité sidérante, et c’est sans effort ou presque que l’on se laisse guider par l’auteur, sûr de son art, tout au long de ce roman-fleuve (en « intégrale » chez « Lunes d’encre », scindé en deux tomes chez Folio « SF ») à la trame complexe. La plume de l’auteur, magnifiquement servie par la traduction de Jean-Daniel Brèque, est d’une justesse constante, et le roman accumule morceaux de bravoure et scènes d’anthologie, palpitantes scènes d’action et séquences cauchemardesques, éclats de suspense et introspection bouleversante. Et l’on se passionne aisément pour l’entreprise folle de ces éternelles victimes que sont Saul et Natalie, et pour les manœuvres obscures et cyniques de leurs puissants adversaires.

N’en jetez plus : L’Echiquier du mal est un chef-d’œuvre de terreur, une lecture incontournable pour les amateurs du genre. Et pour les autres aussi, tant qu’on y est.

La Vierge de glace

A l’abri dans son égout, Brand goûte à une tranquillité méritée. Au milieu des effluents nauséabonds de la cité, les pieds dans la fange, un verre de Clos-Vougeot à la main, il laisse les souvenirs affleurer. Lui revient d’abord un paysage de forêt glacée. Des Indiens. Les Archers du Roi ensuite. Le gibet de Nottingham. Les souvenirs du Nouveau Monde parasitent ceux de l’Ancien, générant confusion et malaise. Un nom finit par émerger : Anthony.

Pendant ce temps, affalé dans son refuge provisoire, Tony s’achemine progressivement vers la mort. Dans les vapes, il se remémore des événements de son passé, mais bizarrement ses pensées sont hantées par l’image d’un monstre, une créature rencontrée jadis et à qui il doit sa condition présente.

Plus tard dans son appartement cossu, Cora s’éveille toute pimpante. Comme à son habitude, le crépuscule l’a tirée de son sommeil impénétrable. Un coup d’œil au soleil couchant qui darde ses ultimes rayons derrière les rideaux, histoire de défier l’Interdit, la voilà déjà affairée à se faire belle. Vite, direction le club privé où elle tient une table de roulette, le visage impavide, ce qui lui vaut son surnom de Vierge de Glace.

Qu’est-ce qui rassemble ce trio noctambule en dehors de sa condition monstrueuse ? Une frénésie pour la vie sans aucun doute. Mais aussi la recherche d’un confort somme toute bourgeois. Rien de bien original finalement, le commun des mortels aspirant aux mêmes conditions de vie. Cependant, pour faire suer la rente, il faut se lever tôt : une expérience que notre trio n’est pas prêt de tenter. Reste à réaliser le Gros Coup, le casse du siècle, genre piller la recette du patron de Cora, histoire de se reposer sur ses lauriers quelques longues années.

La littérature fantastique et son pendant cinématographique ont accoutumé le lecteur, et son alter ego le spectateur, à une imagerie du vampirisme dépourvue de toute surprise. Nosferatus blafards et monstrueux, princes valaques hautains et autres adolescents bodybuildés, prompts à fasciner les foules prépubères, pullulent comme la vérole sur le bas clergé. Sans totalement déroger aux codes, Marc Behm assène un grand coup de pied aux archétypes et autres stéréotypes présidant au mythe sous ses déclinaisons littéraire et cinématographique. Il envoie valdinguer les clichés éculés, les gimmicks lassants et trousse un récit paillard, délicieusement déjanté, où les tourments métaphysiques et les frayeurs primitives sont détournés par un humour débridé, un sens du burlesque et du rythme irrésistible.

Les vampires de La Vierge de Glace sont des noceurs invétérés, des jouisseurs impénitents s’amusant des tours pendables joués aux mortels, vivant au crochet de la bonne société, multipliant rapines et mauvais coups, bref, définitivement en marge. Fuyant miroirs, crucifix et autres bimbeloteries mystiques, ils s’enivrent de sang et de grands crus, baisent tout ce qui bouge, besognent tous les orifices dont Dame Nature a pourvu l’engeance humaine et n’aspirent en fin de compte qu’à l’embourgeoisement. Brand l’ancêtre cradingue et misanthrope atteint de priapisme. Tony, véritable panier percé du groupe, pianiste dilettante et esclave de son instinct meurtrier. Cora, le cerveau de la bande, plus fourmi que cigale mais sachant apprécier la bamboche à l’occasion. Ces trois-là sont faits pour faire des étincelles.

Au final, La Vierge de Glace c’est un peu les pieds nickelés chez les vampires. Un brin d’esprit anar, des plans criminels foireux et des gaffes à n’en plus finir. Et si on s’amuse beaucoup en lisant les mésaventures de Cora, Tony et Brand, à l’instar de notre trio de saigneurs, on garde toutefois à l’esprit que la vie reste courte, beaucoup trop courte. Aussi ripaillons de concert.

Riverdream

La rencontre de George R. R. Martin et du vampire ressort d’une sorte de fatalité, une de ces choses qui ne peuvent qu’arriver. Quelque part, Martin était un auteur qui devait écrire une histoire de vampires.

Martin est un auteur âpre et sombre chez qui la noirceur est bien souvent au rendez-vous. La mort s’invite sans ambages dans ses écrits. Elle n’est ni cynique et désinvolte, ni pleine de bruit et de fureur ; elle n’est pas même cruelle, juste dure. Quand carnage il y a, on arrive après, quand cris et râles se sont tus et que le silence a repris ses droits. Ce n’en est que pire de parcourir le charnier puant quand tout est fini. Dans la touffeur des ombres une sueur glaciale vous coule au creux des reins comme l’ongle de la mort courant le long de votre épine dorsale. Martin sait mieux que nul autre enchevêtrer mélancolie et noirceur.

Tout ce qu’on a pu lire de lui, ou presque, le vouait à traiter le mythe vampirique. Son style, sa patte, ses ambiances, sa manière, tout ce qui fait de lui un écrivain à nul autre pareil le désignait comme celui-là même qui devait faire gravir une marche supplémentaire au vampire sur l’escalier de son évolution littéraire.

De Dracula à Twilight, le vampire a longuement cheminé pour sortir de la nuit. Quelque part, au début des années 80, il arpentait les méandres du Mississipi sur de splendides vapeurs…

A son origine, le vampire est une incarnation du Mal. Il est le Mal dans le monde des hommes mais hors des hommes eux-mêmes. Page 138, par la bouche de Joshua York, Martin dépeint ce vampire originel dont les forces comme les faiblesses relèvent de la surnature et qui se combat par les mêmes moyens : tout un bric-à-brac de croix, de pieux, d’argent, de miroirs (où ils ne se reflèteraient pas car, étant morts, ils n’ont pas d’âme) et d’eau bénite. Avec le reflux de la religiosité, cet état du vampire dépérit et se cherche un second souffle de vie.

Ce vampire s’est épanoui dans la littérature de la fin du XIXe siècle, époque où, dans la société, s’épanouit (concomitamment ?) l’idéal social marxiste. On peut, à cette lueur, lire le mythe vampirique comme une métaphore de l’aristocrate (ne vit-il pas, le plus souvent, dans un château ?). En poussant un peu, le vampire devient alors la figure du bourgeois capitaliste se nourrissant de la vie, de la force du prolétariat.

Des années 80 à aujourd’hui, le marxisme étant cliniquement mort, le vampire (et les puissances économiques qu’ils métaphorisent) entre alors en réhabilitation. Dans un même temps où l’on voit la haute finance cesser d’être perçue comme maléfique, le vampire se dépouille de ses oripeaux surnaturels et métaphysiques pour devenir, chez Martin comme chez Charnas, un prédateur naturel, inscrit dans l’ordre darwinien des choses. Dans Riverdream, Damon Julian, le « méchant » vampire, ne tient pas un autre discours — les financiers se réclamant d’un darwinisme social qui ne serait, pour eux, qu’une heureuse fatalité. Les vampires de Stephenie Meyer cherchant à contrôler leur soif, à l’instar de Joshua York dans le roman antérieur de Martin, entrent alors en résonance avec les discours ultralibéraux prétendant que le capitalisme ne peut que profiter à tous.

Les vampires existent, bien sûr. Et nous en connaissons tous, nous les fréquentons au quotidien à l’instar des fantômes… Mais, alors que les fantômes nous sont propres, sont en nous, sont ce qui reste quand la chair n’est plus, les vampires sont des autres, à moins que nous n’en soyons nous-mêmes un. Pas étonnant, dès lors, qu’il s’agisse de créatures infernales puisque l’enfer, c’est les autres. Pour la psychanalyse, le vampire est la métaphore de l’hystérique. Celle des casse-pieds, des voraces, des emmerdeurs dont nous pouvons, sans même le savoir ni nous en rendre compte, faire partie ; celle de tous ces gens à l’économie libidinale pathologique qui nous bouffe notre temps et notre énergie, notre libido. Dont le sang, fluide vital, est une remarquable et très forte métaphore. Le vampirisme se conçoit dès lors comme névrotique mais sa forme moderne ne renouvelle pas l’approche psychanalytique. Il ne semble pas que dans Riverdream, Joshua York tienne à ramener quoi que ce soit à la lumière du jour, à la surface, pas même le Peuple de la nuit. Le but de la cure est bien présent : restaurer une économie libidinale saine. Damon Julian, qui se complaît dans son pathos, peut incarner les mécanismes de résistance. Si le vampire n’est plus un être surnaturel mais un prédateur victime des contingences qui font de lui ce qu’il est, faut-il accepter ces comportements de gens, plus moustiques que chauves-souris, qui dévorent nos énergies comme inhérent à la nature humaine et non point pathologiques ?

Riverdream n’est pas qu’un roman de vampires. C’est aussi un hymne formidable au Mississipi, ce fleuve dont la source, en altitude absolue (par rapport au centre de la terre et non au niveau de la mer), est plus basse que l’embouchure. Fleuve qui est à l’Amérique ce que la Volga est à la Russie ; qui, au XIXe siècle, avec ses affluents, faisait figure de système sanguin pour l’économie de Saint Paul à la Nouvelle-Orléans. C’était l’âge d’or de la vapeur comme celui du fleuve. Aujourd’hui, on ne voit plus guère de tels bateaux, diesel, que sur le bassin de l’Amazone où la route et le fer n’ont pas encore supplanté les voies fluviales. Martin s’est servi du vampire pour faire revivre le temps d’un livre toute la magnificence et l’esprit d’une époque à jamais révolue. Il est parvenu, mêlant le fleuve et le sang, à renforcer l’un de l’autre avec tout le brio qu’on lui connaît. Nostalgie mélancolique pour ces vapeurs disparus et ces vampires prédateurs qui disparaissent comme tigres et grizzlys, ne survivant plus que dans notre ombre…

[Lire aussi l'avis de Thomas Day dans le Bifrost n°42.]

Un Vampire ordinaire

Qualifié dès sa sortie de roman classique de la littérature moderne, intuition que le temps a confirmée, le récit de Suzy McKee Charnas n’est pas plus un fix-up qu’un recueil de novellas, mais adopte la forme stochastique de la mémoire qui est celle du protagoniste. Cinq moments d’une vie, elle-même fragment d’une longue existence, permettent de suivre un grand prédateur.

Dans « L’esprit ancien en action », premier texte du roman, on découvre ainsi le docteur Edward Lewis Leyland, Ph. D., brillant professeur d’anthropologie au Cayslin College de New York. Grand, grisonnant, légèrement voûté, d’une beauté froide qui séduit toutes les femmes mais fait aussi dire de lui par certains collègues qu’il est un « salaud dédaigneux », Leyland aime le confort ou plutôt la tranquillité. Individu solitaire, qui paradoxalement attire l’attention au sein du milieu universitaire friand de cancans, le seul plaisir qu’on lui connaît est de foncer sur les routes à bord de sa superbe Mercedes-Benz. Un palliatif aux chasses d’antan, car cette bête de travail est aussi une créature féroce, d’une surprenante longévité. « Leyland » n’est qu’une identité empruntée à une pierre tombale de Nouvelle-Angleterre, tout comme il n’est pas un descendant d’immigré allemand. Il ne sait rien de lui-même sinon qu’il est un vampire, sans commune mesure avec les fictions de livres que méprise ce lettré. Son appétit de savoir a pour but d’assouvir une autre faim, compagne de siècles qu’il doit tous les jours contenter. Dans ce but, le directeur du Centre pour l’Etude de l’Homme utilise son programme d’étude des rêves pour endormir les étudiants volontaires et leur faire une ponction de sang. Non sans les avoir au préalable soumis à une analyse de sang afin d’éliminer les sujets consommateurs de drogues ou atteints d’une maladie. Leyland ne voit qu’un cheptel dans la communauté d’étudiants.

Un autre regard est celui de Mrs de Groot. Veuve d’un professeur, assurant depuis la fonction d’intendante, cette native d’Afrique occidentale entretient elle aussi une vision distanciée. Elle déplore que Jackson, l’employé noir de maintenance, soit ignorant de son passé : « Sa vraie place était dans une couverture rouge, la peau luisante d’huile et les cheveux nattés. » Aucun mépris, bien au contraire, chacun devrait apparaître tel qu’il est, et la nostalgique du Veldt, formée à la chasse au rhinocéros et au léopard, a compris qui est vraiment Leyland. Vampire et Afrikaner se rejoindront dans une traque, chacun devenant à son tour l’ombre et la proie.

Blessé, Leyland se retrouve, dans « Le pays du contentement perdu », capturé par Roger, un escroc à la petite semaine. Il le tient encagé dans une chambre à barreaux métalliques. Le vampire est nourri à partir de poches de sang puis par des donneurs volontaires. Mais très rapidement, Roger est convaincu par Alan Reese d’exploiter sa prise. Reese, occultiste bâti en force, doté d’un authentique charisme, souhaite organiser un sacrifice afin de s’emparer de la puissance du vampire, une cérémonie à l’usage de riches amateurs venus du monde entier. Pour cela, il affame le captif. Leyland parviendra à éveiller la compassion de Mark, neveu de Roger. Solitaire et réservé, le prisonnier fait cas de son geôlier, adolescent introverti. Durant les heures de garde, Mark dessine les plans de Skytown, une cité spatiale, sa vision du futur. De même, le vampire privé de passé songe constamment à l’avenir. Leyland parviendra à fuir.

Mais il lui faut revenir, recouvrer son poste de professeur. Dans « La dame à la licorne », le brillant universitaire doit se soumettre à une évaluation psychologique, suite à l’incident survenu au Cayslin College qu’il est parvenu à étouffer. « Il semble que je sois victime de l’illusion d’être un vampire », déclare-t-il à Floria, analyste dont le cabinet est situé à Central Park South. La thérapeute, qui vit elle-même une crise, voit d’abord en Leyland un individu dépressif. Mais au fil des séances le cas lui apparaît comme un magnifique sujet d’études, pouvant donner lieu à un livre à succès, dans la lignée de L’Homme aux loups de Sigmund Freud. Pour au final se laisser séduire par un habile manipulateur qui truque ses réponses, donne à ses actions concrètes une simple dimension symbolique. Mais le jeu n’est pas sans risques. L’esprit parasité par le questionnement de Floria, l’analyste apparaissant alors comme un vampire psychique, Leyland craint de s’affaiblir, pareil à la licorne des contes qu’une vierge amadoue avant que n’arrivent les chasseurs. Il mettra un terme aux séances de façon inattendue, à sa propre surprise.

L’ « Intermède musical » permet de le retrouver à l’université d’Albuquerque, Nouveau-Mexique. Son poste, beaucoup moins exposé que celui de New York, lui garantit de travailler au calme, un labeur fait de chasse et d’études. Convié à une représentation de La Tosca à l’opéra de Santa Fe, le docteur Leyland ne peut se défiler. Mais, suite à son dernier repas, il n’a pu bénéficier du court sommeil nécessaire à sa digestion. Leyland se sent lourd, irritable, beaucoup trop perméable au pouvoir de la musique qu’il a découvert au New York City Ballet. Alors que la création artistique lui apparaît navrante, en regard d’une Nature tellement riche et pourtant oubliée des humains, musique et danse éveillent en lui son instinct primitif. Le vampire commettra un meurtre sauvage en coulisses, occasion de l’unique réminiscence du roman : il a suivi en 1800 les armées du général Bonaparte. Une vision du passé qui le recentre sur son présent : sa vie factice est de plus en plus menacée.

Ainsi « La fin du docteur Leyland » le voit travailler à mettre un point final à son grand œuvre, une recension des rêves humains, lui qui ne rêve jamais. Mais l’un de ses collègues conçoit un outil statistique portant sur la provenance sociale des enseignants et de leurs étudiants. L’étude ne manquerait pas de révéler les failles dans l’identité du prédateur. En danger, Leyland passe ses week-ends à faire de l’escalade pour repérer une grotte qui lui assurerait un abri en vue de son prochain long sommeil. Ce n’est pas sans regrets qu’il s’apprête à quitter cette existence, mais ses dernières expériences l’ont rendu trop vulnérable. Et, depuis quelques temps, le chasseur a l’impression d’être suivi par une Volkswagen bleue. Alan Reese a fini par le retrouver et cherche maintenant à l’utiliser pour fonder une nouvelle religion, quitte à employer tous les moyens, chantage et usage de drogues. Le récit s’achève sur la fin de Leyland, mais rien n’est vraiment terminé.

Profondément novateur, le roman de Suzy McKee Charnas n’est pas sans évoquer toutefois un épisode de Twilight Zone, première saison (1959-1960). Dans Longue vie, Walter Jameson, sur un scénario de Charles Beaumont, le personnage principal est un universitaire, professeur d’histoire. Son futur beau-père, lui-même enseignant, est troublé par une photographie datant de la guerre de Sécession, car l’un des officiers qui y figure est le portrait craché du jeune chercheur. De fait, cet immortel ayant connu So-crate est spécialiste de textes anciens qu’il a lui-même écrits.

D’autres rapprochements sont possibles sans rien ôter à l’originalité du récit. Ainsi, de nombreux critiques situent le roman de Suzy Mc-Kee Charnas dans la lignée du Je suis une légende de Richard Matheson. La com-paraison n’est en rien outrée, car la créature d’Un vampire ordinaire tranche elle aussi radicalement avec la vision convenue du suceur de sang. La morphologie de « Leyland » est en apparence humaine mais ses attaches musculaires, sem-blables à celles du léopard, lui assurent vitesse et puissance. Il se nourrit au moyen d’un aiguillon disposé sous la langue qui sécrète un anticoagulant afin que le sang puisse couler. Ses proies se réveillent com-me après un léger étourdissement et ne deviennent pas vampires. D’ailleurs, « Ley-land » pense être l’unique représentant de son espèce, rêve et redoute en même temps de rencontrer un sujet qui lui soit sembla-ble. Il ne se reproduit donc pas, le sexe n’est qu’un instrument de chasse visant homme ou femme indistinctement, et sans jamais con-clure. « Vous accoupleriez-vous avec votre bétail ? » lâche-t-il à son analyste. L’anthro-pologue étudie l’humanité qu’ironie du pa-radoxe, il instruit : « Je dois boire leur sang pour me nourrir ; par conséquent je ne peux vivre seul et me désintéresser de leur histoire. » Cette nécessité de perpétuellement s’instruire tout en éduquant n’est pas sans danger. Lors d’un cours de travaux pratiques, « Leyland » pourrait façonner un coutelas en silex, sans se remémorer quand il a appris les gestes. Mais ne le fait pas car l’outil serait beaucoup trop parfait. L’instinct du vampire lui commande de ne pas éveiller les souvenirs parasitaires du passé, afin de vivre dans l’instant. D’où la nécessité des plages d’un long sommeil, périodes de coma intermédiaire entre deux existences qui le plongent dans l’amnésie. Un temps mort que « Leyland » doit sans cesse écourter, car les progrès du genre humain sont tels qu’il ne peut rester trop longtemps éloigné. Au réveil, le chasseur ne se souvient que des langues et des techniques apprises. La vie n’offre à son terme d’autre enseignement qu’elle-même, bientôt effacé par l’oubli. Ce qui suit relève de l’inconnu, que l’on soit vampire ou mortel.

Le Rêve de l'élite

[Critique commune à Les Prédateurs, Le Dernier Prédateur et Le Rêve de l'élite.]

Une recherche sur les sites internet français ne vous apprendra pas grand-chose sur Whitley Strieber. Par conséquent, ce sont les sites anglo-saxons qui vous renseigneront au mieux sur ce qu’il a écrit. Cet auteur américain, né en 1945 au Texas, connaît le succès dès son premier roman, Wolfen (1978), un thriller mêlant lycanthropie et mythes amérindiens d’une qualité plus qu’acceptable et qui, dès 1982, deviendra un honnête film d’horreur signé Michael Wadleigh (le réalisateur du célèbre film-documentaire Woodstock). Son deuxième roman, Les Prédateurs, sera lui aussi adapté au cinéma, par ce qui était à l’époque un jeune réalisateur, Tony Scott (frère de…), avec un casting prestigieux (Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon). Si le film bénéficiera d’un succès d’estime grâce à son esthétique et son atmosphère pesante, son exploitation en salles se soldera par un échec commercial. Les Prédateurs (1981), dont est tiré le scénario du film, est en fait le premier volet d’une trilogie que Strieber a écrit sur vingt-deux ans (Le Dernier Prédateur en 2001, Le Rêve de l’élite en 2003). D’emblée, on est en droit de se demander si les suites sont alimentaires. Sans doute, car l’auteur s’est largement grillé à la fin des années 90 en publiant un récit autobiographique sur son supposé enlèvement par des extraterrestres, Communion, adapté au cinéma (encore !) par Philippe Mora, avec Christopher Walken dans le rôle de l’écrivain abducted.

Sur le thème des vampires, Les Prédateurs se distingue des Dracula-like et des mièvreries twilightesques en décrivant la vie non pas d’un mais d’une vampire. Myriam Blaylock est âgée de plusieurs millénaires, qu’elle a passés à se cacher et à survivre en profitant des faiblesses de l’humanité. Elle est d’une beauté irréelle et possède un charisme absolument irrésistible. Ce qui tombe plutôt bien, car elle ne supporte pas la solitude. Elle se choisit donc des compagnons auxquels elle promet une jeunesse éternelle qu’ils ne connaîtront en vérité que pendant quelques siècles de vie, au terme desquels ils se flétrissent comme des fruits secs. Sans toutefois mourir. Son dernier amant et jouet arrivant au crépuscule de son existence, Myriam décide qu’il faut trouver un remède à sa prochaine dégradation physique. C’est ainsi qu’elle s’intéresse aux travaux de Sarah Roberts, spécialiste émérite en gérontologie. Supposant que Sarah ferait une excellente amante et une compagne fidèle pour les prochains siècles, Myriam décide de la séduire…

Dans Les Prédateurs, Whitley Strieber choisit de nous faire partager les états d’âmes de tous les personnages principaux : la prédatrice, l’amant déclinant, la proie et son mari ambitieux. A l’inhumanité des Prédateurs s’opposent donc la peur grandissante et l’incompréhension des victimes potentielles. En cela, le roman est un excellent thriller. L’atmosphère devient vite lourde et l’ambiguïté sexuelle de Myriam participe de l’efficacité du récit, car l’être assoiffé de sang a aussi besoin de l’amour inconditionnel de ses partenaires.

Myriam ne trouvera son âme-sœur que dans le volet suivant, Le Dernier des Prédateurs, mais l’élu est loin d’être conforme à ses attentes. Plus musclé, plus violent, ce deuxième roman perd de sa poésie érotique au profit de scènes pornographiques. D’ailleurs, tout est décuplé ici : le nombre de gardiens (lire vampires), les flashbacks qui renvoient à l’histoire des gardiens et les dialogues complètement idiots. L’intrigue s’articule autour du face à face entre Myriam et le chasseur de vampires, caricature de mercenaire moderne. Mieux encore (ou pire…), on ne peut s’empêcher de ricaner lorsque l’on comprend l’origine du lien unissant les hommes aux vampires.

Mais le grotesque atteint son paroxysme dans le dernier volet, Le Rêve de l’élite, qui décrit en long, en large et en travers le retour de la mère des gardiens parmi les hommes du XXIe siècle. Une plongée sanguinaire dans les feux de l’amour (sans oublier gloire et beauté).

Au final, si Les Prédateurs est un roman indispensable à tout amateur des suceurs de sang, les suites sont tout à fait dispensables.

Le Dernier Prédateur

[Critique commune à Les Prédateurs, Le Dernier Prédateur et Le Rêve de l'élite.]

Une recherche sur les sites internet français ne vous apprendra pas grand-chose sur Whitley Strieber. Par conséquent, ce sont les sites anglo-saxons qui vous renseigneront au mieux sur ce qu’il a écrit. Cet auteur américain, né en 1945 au Texas, connaît le succès dès son premier roman, Wolfen (1978), un thriller mêlant lycanthropie et mythes amérindiens d’une qualité plus qu’acceptable et qui, dès 1982, deviendra un honnête film d’horreur signé Michael Wadleigh (le réalisateur du célèbre film-documentaire Woodstock). Son deuxième roman, Les Prédateurs, sera lui aussi adapté au cinéma, par ce qui était à l’époque un jeune réalisateur, Tony Scott (frère de…), avec un casting prestigieux (Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon). Si le film bénéficiera d’un succès d’estime grâce à son esthétique et son atmosphère pesante, son exploitation en salles se soldera par un échec commercial. Les Prédateurs (1981), dont est tiré le scénario du film, est en fait le premier volet d’une trilogie que Strieber a écrit sur vingt-deux ans (Le Dernier Prédateur en 2001, Le Rêve de l’élite en 2003). D’emblée, on est en droit de se demander si les suites sont alimentaires. Sans doute, car l’auteur s’est largement grillé à la fin des années 90 en publiant un récit autobiographique sur son supposé enlèvement par des extraterrestres, Communion, adapté au cinéma (encore !) par Philippe Mora, avec Christopher Walken dans le rôle de l’écrivain abducted.

Sur le thème des vampires, Les Prédateurs se distingue des Dracula-like et des mièvreries twilightesques en décrivant la vie non pas d’un mais d’une vampire. Myriam Blaylock est âgée de plusieurs millénaires, qu’elle a passés à se cacher et à survivre en profitant des faiblesses de l’humanité. Elle est d’une beauté irréelle et possède un charisme absolument irrésistible. Ce qui tombe plutôt bien, car elle ne supporte pas la solitude. Elle se choisit donc des compagnons auxquels elle promet une jeunesse éternelle qu’ils ne connaîtront en vérité que pendant quelques siècles de vie, au terme desquels ils se flétrissent comme des fruits secs. Sans toutefois mourir. Son dernier amant et jouet arrivant au crépuscule de son existence, Myriam décide qu’il faut trouver un remède à sa prochaine dégradation physique. C’est ainsi qu’elle s’intéresse aux travaux de Sarah Roberts, spécialiste émérite en gérontologie. Supposant que Sarah ferait une excellente amante et une compagne fidèle pour les prochains siècles, Myriam décide de la séduire…

Dans Les Prédateurs, Whitley Strieber choisit de nous faire partager les états d’âmes de tous les personnages principaux : la prédatrice, l’amant déclinant, la proie et son mari ambitieux. A l’inhumanité des Prédateurs s’opposent donc la peur grandissante et l’incompréhension des victimes potentielles. En cela, le roman est un excellent thriller. L’atmosphère devient vite lourde et l’ambiguïté sexuelle de Myriam participe de l’efficacité du récit, car l’être assoiffé de sang a aussi besoin de l’amour inconditionnel de ses partenaires.

Myriam ne trouvera son âme-sœur que dans le volet suivant, Le Dernier des Prédateurs, mais l’élu est loin d’être conforme à ses attentes. Plus musclé, plus violent, ce deuxième roman perd de sa poésie érotique au profit de scènes pornographiques. D’ailleurs, tout est décuplé ici : le nombre de gardiens (lire vampires), les flashbacks qui renvoient à l’histoire des gardiens et les dialogues complètement idiots. L’intrigue s’articule autour du face à face entre Myriam et le chasseur de vampires, caricature de mercenaire moderne. Mieux encore (ou pire…), on ne peut s’empêcher de ricaner lorsque l’on comprend l’origine du lien unissant les hommes aux vampires.

Mais le grotesque atteint son paroxysme dans le dernier volet, Le Rêve de l’élite, qui décrit en long, en large et en travers le retour de la mère des gardiens parmi les hommes du XXIe siècle. Une plongée sanguinaire dans les feux de l’amour (sans oublier gloire et beauté).

Au final, si Les Prédateurs est un roman indispensable à tout amateur des suceurs de sang, les suites sont tout à fait dispensables.

Les Prédateurs

[Critique commune à Les Prédateurs, Le Dernier Prédateur et Le Rêve de l'élite.]

Une recherche sur les sites internet français ne vous apprendra pas grand-chose sur Whitley Strieber. Par conséquent, ce sont les sites anglo-saxons qui vous renseigneront au mieux sur ce qu’il a écrit. Cet auteur américain, né en 1945 au Texas, connaît le succès dès son premier roman, Wolfen (1978), un thriller mêlant lycanthropie et mythes amérindiens d’une qualité plus qu’acceptable et qui, dès 1982, deviendra un honnête film d’horreur signé Michael Wadleigh (le réalisateur du célèbre film-documentaire Woodstock). Son deuxième roman, Les Prédateurs, sera lui aussi adapté au cinéma, par ce qui était à l’époque un jeune réalisateur, Tony Scott (frère de…), avec un casting prestigieux (Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon). Si le film bénéficiera d’un succès d’estime grâce à son esthétique et son atmosphère pesante, son exploitation en salles se soldera par un échec commercial. Les Prédateurs (1981), dont est tiré le scénario du film, est en fait le premier volet d’une trilogie que Strieber a écrit sur vingt-deux ans (Le Dernier Prédateur en 2001, Le Rêve de l’élite en 2003). D’emblée, on est en droit de se demander si les suites sont alimentaires. Sans doute, car l’auteur s’est largement grillé à la fin des années 90 en publiant un récit autobiographique sur son supposé enlèvement par des extraterrestres, Communion, adapté au cinéma (encore !) par Philippe Mora, avec Christopher Walken dans le rôle de l’écrivain abducted.

Sur le thème des vampires, Les Prédateurs se distingue des Dracula-like et des mièvreries twilightesques en décrivant la vie non pas d’un mais d’une vampire. Myriam Blaylock est âgée de plusieurs millénaires, qu’elle a passés à se cacher et à survivre en profitant des faiblesses de l’humanité. Elle est d’une beauté irréelle et possède un charisme absolument irrésistible. Ce qui tombe plutôt bien, car elle ne supporte pas la solitude. Elle se choisit donc des compagnons auxquels elle promet une jeunesse éternelle qu’ils ne connaîtront en vérité que pendant quelques siècles de vie, au terme desquels ils se flétrissent comme des fruits secs. Sans toutefois mourir. Son dernier amant et jouet arrivant au crépuscule de son existence, Myriam décide qu’il faut trouver un remède à sa prochaine dégradation physique. C’est ainsi qu’elle s’intéresse aux travaux de Sarah Roberts, spécialiste émérite en gérontologie. Supposant que Sarah ferait une excellente amante et une compagne fidèle pour les prochains siècles, Myriam décide de la séduire…

Dans Les Prédateurs, Whitley Strieber choisit de nous faire partager les états d’âmes de tous les personnages principaux : la prédatrice, l’amant déclinant, la proie et son mari ambitieux. A l’inhumanité des Prédateurs s’opposent donc la peur grandissante et l’incompréhension des victimes potentielles. En cela, le roman est un excellent thriller. L’atmosphère devient vite lourde et l’ambiguïté sexuelle de Myriam participe de l’efficacité du récit, car l’être assoiffé de sang a aussi besoin de l’amour inconditionnel de ses partenaires.

Myriam ne trouvera son âme-sœur que dans le volet suivant, Le Dernier des Prédateurs, mais l’élu est loin d’être conforme à ses attentes. Plus musclé, plus violent, ce deuxième roman perd de sa poésie érotique au profit de scènes pornographiques. D’ailleurs, tout est décuplé ici : le nombre de gardiens (lire vampires), les flashbacks qui renvoient à l’histoire des gardiens et les dialogues complètement idiots. L’intrigue s’articule autour du face à face entre Myriam et le chasseur de vampires, caricature de mercenaire moderne. Mieux encore (ou pire…), on ne peut s’empêcher de ricaner lorsque l’on comprend l’origine du lien unissant les hommes aux vampires.

Mais le grotesque atteint son paroxysme dans le dernier volet, Le Rêve de l’élite, qui décrit en long, en large et en travers le retour de la mère des gardiens parmi les hommes du XXIe siècle. Une plongée sanguinaire dans les feux de l’amour (sans oublier gloire et beauté).

Au final, si Les Prédateurs est un roman indispensable à tout amateur des suceurs de sang, les suites sont tout à fait dispensables.

Je suis une légende

Robert Neville est le dernier homme sur Terre. C’est du moins ce que tout semble indiquer. Mais il n’est pas seul pour autant. Chaque nuit, ils se massent aux abords de sa maison. Et son voisin Ben Cortman est là, qui l’appelle : « Neville ! Viens, Neville ! » Mais Ben Cortman et ses semblables n’ont plus rien d’humain. Ce sont des vampires. Victimes d’une étrange épidémie qui a balayé la planète entière, ils n’ont absolument rien de surnaturel en dépit des apparences. Mais ce sont bien, pour Neville, des monstres, des prédateurs assoiffés de son sang. Sa femme elle-même n’est-elle pas sortie de sa tombe pour tenter de le tuer…?

Et Neville de se battre pour survivre. Le jour, quand les vampires sombrent dans leur étrange coma, il arpente la ville déserte, seul, bardé de croix et armé de pieux, quand il n’améliore pas les défenses de sa maison aux fenêtres barrées et surchargées de gousses d’ail. Neville tue pour survivre. Et il s’interroge ; il cherche à comprendre la raison de l’existence de ces vampires : d’où viennent-ils ? Comment l’épidémie s’est-elle propagée ? Pourquoi est-il immunisé ? Pourquoi cherchent-ils à boire le sang des humains ? Pourquoi ont-ils ces réactions face à l’ail et la croix ?

Ainsi débute Je suis une légende, sans doute le plus célèbre roman de Richard Matheson avec L’Homme qui rétrécit. Célèbre pour ses qualités intrinsèques, mais aussi pour son abondante postérité, notamment cinématographique : Je suis une légende a été adapté trois fois pour le grand écran (avec beaucoup de libertés… pour ne pas parler de trahison pure et simple, notamment dans le dernier exemple en date) ; de plus, en « rationalisant » le vampirisme — une voie qu’emprunteront par la suite d’autres auteurs à leur manière, tels Theodore Sturgeon (Un peu de ton sang) et Dan Simmons (Les Fils des ténèbres), pour n’en citer que deux —, et en décrivant ce cadre post-apocalyptique (l’anticipation est à court terme…) d’une planète submergée par une épidémie transformant les humains en monstres, Richard Matheson a contribué à façonner le concept moderne du zombie (George A. Romero et John Russo n’ont jamais caché s’être inspirés essentiellement de ce roman pour créer La Nuit des morts-vivants). C’est dire l’importance de Je suis une légende, roman séminal comme on n’en lit que rarement.

Mais, au-delà de cet héritage, Je suis une légende est avant tout un très grand roman d’horreur comme de science-fiction (davantage que de fantastique, justement du fait de la rationalisation du vampirisme — qu’on la juge convaincante ou pas). Et même, osons le terme, un chef-d’œuvre du genre, dont la lecture marque durablement.

Dès les premières pages, où Matheson fait preuve d’un réel talent pour l’attaque en force, le lecteur est immédiatement accroché et s’identifie bien vite à Neville, le dernier homme sur Terre. Sa détresse est palpable à chaque page, au-delà des seuls impératifs de la lutte pour la survie. Car Neville est bel et bien humain, avec ses faiblesses. C’est un homme triste et reclus dans sa solitude autant qu’un combattant, un homme qui a perdu sa famille dans le drame, et que seul l’instinct de conservation semble encore rattacher à la vie. Ce qui, sans surprise, l’amène régulièrement à sombrer dans la dépression et l’alcoolisme… Mais le pire est probablement que Neville reste de temps à autre sensible à de futiles espoirs ; ainsi dans cette magnifique séquence, tout simplement déchirante, où Neville rencontre un chien errant et tente de s’en faire un compagnon…

Car Neville est bien au centre de Je suis une légende, ainsi que ce titre magnifique, justifié par une conclusion bouleversante, le laisse déjà entendre. Et tandis qu’il s’interroge, avec méthode, sur la raison d’être et l’origine des vampires, le lecteur franchit une étape supplémentaire et questionne pour sa part l’homme, le sens de sa vie, sa place dans le monde. Et le court roman « de genre » de se transformer en subtile allégorie, riche en niveaux de lecture.

Palpitant, Je suis une légende est un bref roman cauchemardesque que l’on dévore littéralement, en l’espace d’une nuit (bien sûr…). Les scènes marquantes pullulent, très visuelles pour certaines d’entre elles. Et l’on tremble et l’on souffre à maintes reprises pour ce héros malgré lui…

Plus de cinquante ans après sa parution, Je suis une légende n’a pas pris une ride et reste un des sommets de la littérature vampirique. Un classique incontournable à la lecture indispensable.

La Maison des hommes vivants

On pourrait être surpris de trouver dans ce guide de lecture le court roman de Claude Farrère ; en effet, nul vampire ici, bien que le nom soit prononcé une fois. Mais bien du vampirisme, de celui qui assèche un être, jusqu’à le laisser totalement exsangue. C’est ce qui arrive à André Narcy, le narrateur, qui confesse dès les premières pages être mourant alors qu’il avait encore l’éclatante santé de ses trente-deux ans deux jours plus tôt. Par quel maléfice en est-il arrivé là ?

Tout commence lorsque ce capitaine de cavalerie, basé à Toulon, est chargé de porter un message dans un endroit isolé sur la côte. Son cheval tombe et se brise une patte en plein milieu de nulle part, il n’a d’autre choix que de l’achever et de continuer à pied. Alors que la nuit tombe, il croise son amante, marchant seule sur cette lande déserte, habillée comme à la ville et qui ne semble même pas le voir. Il décide de tirer cela au clair et finit par atterrir dans une petite maison tenue par trois hommes tous plus vieux les uns que les autres. Le secret de leur longévité, Narcy va le découvrir à ses dépens : ces « Hommes Vivants » — on appréciera la force de l’adjectif — ont découvert le moyen de pomper la vitalité d’autres êtres humains pour s’en gorger…

On est donc bien en plein dans la thématique vampirique ici : l’inquiétude monte graduellement à mesure que Narcy perçoit la nature de ses hôtes, et Madeleine, sa maîtresse, n’est pas sans faire penser à Mina Harker. Mais Farrère livre un roman qui sait trouver son identité, dans sa façon d’employer le vampirisme, qu’il relie à l’alchimie en faisant intervenir le Comte de Saint-Germain. De même, ses personnages de « vampires » détonnent : fins, cultivés, amicaux, ils ne souhaitent pas étendre leur pouvoir mais simplement continuer à vivre comme ils le font depuis des siècles.

En 1911, Claude Farrère signait cet admirable roman qui allait devenir un classique de la S-F française et conserver, un siècle plus tard, toute sa force et son originalité.

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