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Vacances !

Vacances ! Le Bélial’ s’accorde quelques jours de congés, de ce 30 juillet jusqu’au 8 août. Cela signifie activité réduite sur le forum et les réseaux sociaux, et vente par correspondance en pause. On revient en forme le 9 août !

Le Marteau de Dieu

Publié en 1993, Le Marteau de Dieu est une version étendue d’une nouvelle parue dans le magazine Time l’année précédente. Et le moins que l’on puisse dire est que le procédé est douloureusement visible et maladroit ! L’intri­gue est supposée parler de la menace vitale que constitue Kali, un astéroïde détecté en 2109 par le programme de surveillance Spaceguard (un postulat de base qui rappelle celui de Ren­dez-vous avec Rama, ce à quoi il convient d’a­jouter deux éléments recyclés de 2001 et 2010), ainsi que de la mission menée par le capitaine Singh pour le dévier de sa trajectoire, mais le roman débute en nous parlant du passé du protagoniste, l’astéroïde n’étant abordé, quand on y pense, que de façon pres­que marginale durant les deux premières parties du livre. Il faut même attendre plus du tiers pour que l’histoire de la découverte de Kali soit relatée. On a la nette impression que l’astéroïde n’est pas le principal sujet de l’ouvrage, un comble !

Pendant ce temps, l’auteur s’étend à n’en plus finir sur l’existence (peu passionnante) de son protagoniste, et tente de nous dépein­dre les changements sociétaux, technologiques ou autres qui ont eu lieu au XXIe siècle et au début du XXIIe. C’est un échec : ce qui n’est pas du cent fois vu, en mieux qui plus est, chez Clarke ou d’autres, nécessite parfois un considérable degré de suspension de l’incrédulité, comme avec l’hypothèse de départ, rien moins qu’absurde, de la formation d’un syncrétisme chrétien/islamique. Ce qui est d’autant plus grave qu’il a un certain rôle à jouer dans l’intrigue ! Les parties consacrées à l’astéroïde sont d’une faiblesse intolérable pour un auteur de hard-SF du calibre de Clarke, sans compter une absence quasi-totale de dramaturgie inacceptable dans ce genre de SF apocalyptique (les pro­blèmes se règlent pratiquement aussi vite qu’ils apparaissent !).

La structure inutilement bavarde et aérée de l’ensemble se conjugue à un patchwork de chapitres n’ayant rien à voir avec ceux qui forment l’intrigue principale et insérés n’importe comment entre eux. Avec la faiblesse de tous les aspects traités, cela aboutit à un roman dispensable, surtout chez un romancier tel que Clarke, qui a produit tant d’autres livres intéressants voire incontournables. Et ce d’autant plus que dans la thématique de l’astéroïde tueur, d’autres (à com­mencer par Benford et Rostler avec Shiva le destructeur, dont on se demande d’ail­leurs si Clarke ne s’en est pas inspiré) ont fait bien mieux.

Le Fantôme des profondeurs

Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le Tita­nic, navire amiral de la White Star Line et, à l’époque, plus grand et plus luxueux paquebot du monde avec son jumeau l’Olympic, coule au large de Terre-Neuve durant sa croisière inaugurale après avoir heurté un iceberg, causant la mort de plus de 1500 de ses passagers et membres d’équi­page. Par-delà le lourd bilan humain, le naufrage d’un navire qu’on disait insubmersible ébranla la foi dans le progrès, notamment scientifique, qui tra­versait le XIXe siècle ; une foi que guerre des tranchées et gaz de combat achèveront peu après. C’est parce qu’il bouleversa des décennies d’optimistes croyances que ce naufrage imprévu fascine depuis un siècle. Films, romans, essais, BD, le Titanic n’a jamais cessé d’inspirer. Jusqu’à Arthur C. Clarke, qui l’avait invité en guest star dans Terre, planète impériale avant d’en faire l’enjeu central du Fan­tôme venu de profondeurs, un roman publié en 1990, soit cinq ans seulement après la découverte de l’épave par 4000 mètres de fond et sept ans avant le fameux film de James Cameron. On notera que le titre VO dudit roman est le même que celui du chapitre consacré au Titanic dans Terre, planète impériale : « The Ghost from the Grand Banks ».

Nous voici deux ans avant le centenaire du naufrage. Deux équipes d’ingénierie concur­rentes sont engagées dans une course à la récupération de l’épave. Les uns cherchent à renflouer la proue (le navire est brisé en deux) à l’aide de milliards de microbilles de verre, pour les autres c’est de la poupe qu’il s’agit, remontée à l’intérieur d’un iceberg artificiel (sic !) généré par effet Peltier. Les deux groupes sollicitent – en vain — l’aide de Jason Bradley, un spécialiste des opérations sous-marines complexes ; celui-ci préfère, après avoir discuté avec les deux, rejoindre le Commandement international des fonds marins, une organisation de protection de l’écosystème sous-marin. N’aidant ni les uns ni les autres, Bradley s’assurera juste du caractère écoresponsable des opé­rations conjointes (il interdira notamment une technique utilisant de l’hydrazine), avant de se lancer dans un projet annexe de cartographie intégrale du lit océanique à l’aide d’un robot ad hoc. Jusqu’à une catastrophe imprévisible – et une fin science-fictive qui tend à signifier que la fascination du Titanic ne s’éteindra jamais.

Un peu comme dans le « Grand Tour » de Terre, planète impé­riale, Le Fantôme… brosse de nombreux thèmes. L’histoire et la postérité du Titanic, le statut des reliques arché­o­logiques entre tombe à respecter et lieu de savoir à documenter, les difficultés et prouesses de l’ingénierie sous-marine, les monstres biologiques des abysses, les enfants doués, la perte et le deuil personnels, la folie auto-induite, mais aussi le bug de l’an 2000 ou l’espace de Mandelbrot. Et comme Terre, planète impériale, il souffre hélas de trois défauts rédhibitoires. D’abord des personnages bien peu épais, upper class unique­ment, encore une fois, dont les mo­tivations et les biographies sont au mieux imparfaites. Ensuite, la réunion sous une même couverture d’éléments dont on ne comprend jamais vraiment ce qui les relie, à part l’intérêt que Clarke éprouve pour eux – c’est particulièrement vrai pour le bug Y2K ou l’espace de Mandelbrot (de plus expliqué d’une façon difficile à comprendre car Clarke n’utilise pas le mot « complexe » qui éclairerait la visualisation de la chose). Enfin, le roman – dans son aspect aventure sous-marine détail­lée à la Jules Verne – souffre d’un manque total de tension dramatique. Jamais d’inquiétude pour les personnages, si ce n’est un tout petit peu vers la fin pour Bradley.

Le Fantôme venu des profondeurs n’est donc pas un roman satisfaisant. Clarke a clairement écrit bien mieux.

Les Chants de la Terre lointaine

Sur Thalassa, petite colonie fondée sept siècles auparavant par un vaisseau-semeur dans l’espoir que des humains survivent à la mort de la Terre, les habitants mènent une vie sereine, indolente même. Parce qu’il y a d’autres choses plus importantes, ou simplement plus amusantes à faire, la grande antenne parabolique permettant les commu­nications très longues distances attend depuis quatre cents ans d’être réparée et le réseau de communication locale n’est jamais opérationnel à plus de 95%. « Les ingénieurs ap­pelaient cela une élégante déchéance, une expression qui, déclaraient quelques cyniques, décrivait assez exactement le mode de vie lassan. » Mais voilà le temps du changement.

De l’espace surgit le Magellan, vaisseau transportant un million de rescapés choisis parmi les dix millions d’habitants qu’abritait la Terre avant d’être balayée par l’explosion de son Soleil. Thalassa ? Une étape prévue de longue date, nécessaire à la réparation de son bouclier d’ablation (en glace) érodé, avant de rejoindre une planète hostile qu’il reste à terraformer. Pendant ce temps, dans l’immense océan encore à explorer faute d’assez de volon­taires, des ancres disparaissent et des nasses métalliques sont détruites. Ces deux événements vont être à la source de bien des découvertes.

Les Chants de la Terre lointaine peut se lire comme une histoire de premières rencon­tres, entre Terriens et Lassans tout d’abord, puis entre humains et Scorps, espèce de scorpions géants peuplant les fonds océa­niques. Fascinés par le métal qui leur tombe du ciel, ils pourraient bien être une espèce extraterrestre intelligente en devenir avec laquelle les Lassans devront composer. C’est aussi l’histoire d’une rencontre amoureuse entre Mirissa, jeune Lassane dont l’esprit brillant trouve trop rarement d’interlocuteur à sa hauteur, et Loren, ingénieur capitaine de corvette.

Mais c’est peut-être plus encore l’histoire de la rencontre entre Mirissa et Kaldor, vieux philosophe qui pleure la mort de sa femme sur Terre. Fruit d’une expérience éducative contrôlée, la population de Thalassa constitue un fascinant terrain de jeu et Mirissa un parfait sujet d’étude autant qu’une confidente. Élevés pour les premiers d’entre eux par des machines sans aucun contact avec des Terriens, leur accès au savoir a été délibérément dirigé et les Lassans disposent d’une bibliothèque au contenu sélectionné avec soin : riche en connaissances scientifiques, dotée des ressources utiles pour développer une pensée ration­nelle et la démarche scientifique, elle ne contient aucune œuvre reli­gieuse ou en rapport avec la violence et « les passions destructrices ». Ces conditions ont-elles faits d’eux des athées ? Quel impact cette éducation et cet environnement ont-ils sur le développement de leur art, de la littérature et de la science ? Quel rapport au corps et au politique entretiennent-ils ? Quels éléments culturels présents dans le vaisseau leur transmettre ? Faut-il limiter les perturbations culturelles ou au contrai­re insuffler des idées nouvelles ? Que leur répondre à la question « qu’est-ce que Dieu ? »

Une histoire d’amour, une tragédie, une rencontre extra­terrestre, un ascenseur spatial, une réflexion sur le rôle de l’éducation et de l’environnement sur la formation d’une société et son rapport au religieux, à l’art, aux sciences, une mutinerie, un concert d’adieu des terriens «  pour rappeler le passé et donner de l’espoir pour l’avenir  »… Clarke nous sort le grand jeu. Et quand Manchu se met de la partie pour la réédition du roman chez Milady, inutile de résister : vous n’avez pas encore ouvert Les Chants de la Terre lointaine que vous êtes déjà sur Thalassa, cette planète bleue d’une beauté tranquille devant laquelle un vaisseau majestueux reçoit les premiers rayons d’un soleil inconnu. Est-ce un air de valse que j’entends au loin ?

Le 21 juillet 2019

Lorsqu’Arthur C. Clarke a publié cet essai, le 50e anniversaire du premier pas de l’homme sur la Lune se situait dans un avenir distant de 33 ans — un laps de temps suffisamment vaste pour que l’ou­vrage de prospective le plus in­formé (ce que n’est pas le présent essai) se retrouve obsolète.

Le point de départ de ce 21 juillet 2019 est science-fictif : à la suite des annonces d’un président américain volontariste au début des années 90, Clarke imagine le retour des humains sur notre satellite na­turel, et déploie un panorama de la vie sur Terre et dans l’es­pace en ce début de XXIe siècle rêvé, au fil de chapitres passant en revue différents aspects sociétaux — la santé, le sport, la culture, les technologies, les conflits. Il est aisé de jouer au jeu des sept (ou plus) erreurs, pour pointer là où l’auteur de 2001 a vu juste et là où il est tombé à côté de la plaque, mais il serait malvenu de lui en tenir rigueur. Il n’empêche : certains chapitres ont mal vieilli, en particulier ceux sur la santé mentale, les sports ou la guerre. Par mo­ment, la vision de Clarke sur l’avenir se fait myope (non, en 2019, les films ne seront pas forcément colorisés pour plaire au public). À l’inverse, d’autres gardent une certaine per­tinence (les loisirs). Ainsi Clarke, au fil de la petite quinzaine de chapitres, fait-il preuve d’un optimisme constant sur 2019 et l’avenir : nous vivrons mieux, plus longtemps, robots et IA nous faciliteront la vie, et les guerres, s’il y en a, seront menées chirurgicalement, épargnant populations et bâtiments civils (hmm…). Chaque chapitre débute par une brève introduction narrative : rien d’é­tonnant à ce que tout le chapitre sur la domotique prenne l’aspect d’une nouvelle de SF policière. À vrai dire, lire cet essai en 2021 n’a guère d’intérêt, si ce n’est pour le fan ultime de Clarke ou pour qui s’intéresse à comment était perçu l’avenir au mitan des années 80. Et le meilleur passage en reste l’introduction : « Bien que la SF n’exige aucune justification (lorsqu’elle est convenablement écrite), elle revêt une valeur sociale en tant que signal d’alarme. »

Les Fontaines du paradis

Dans un univers très similaire à celui de Les Prairies bleues (gouvernement mondial unifié, montée des eaux et système solaire en cours de colonisation), Les Fontaines du paradis s’avère un pur roman d’ingénieur conjuguant à la fois la culture scien­tifique d’Arthur C. Clarke et son talent d’écrivain. Le début nous entraîne dans le lointain passé d’une île fictive proche du sous-continent indien et ressemblant fortement au Sri Lanka. Il raconte l’ascension puis la chute d’un roi qui bâtit un palais fabuleux au sommet d’une monta­gne juste en face d’une autre montagne abritant ses plus farouches enne­mis : des moines bouddhistes l’accusant d’hérésie. Des millénaires plus tard, Vannevar Morgan va profiter de ses vacances pour visiter ce qu’il reste de ce palais. Architecte et ingénieur ayant réalisé un pont entre l’Europe et l’Afri­que par-dessus le détroit de Gibraltar, il réfléchit à un nouvel ouvrage immense : un ascenseur vers l’espace. Le roman sera le récit de ce projet, des premiers rêves à la réalisation finale et ses conséquences des millénaires plus loin sur l’Humanité.

Pour autant, Arthur C. Clarke n’est ni le premier ni le dernier à avoir rêvé d’ascenseur spatial. L’idée originale nait en 1895 sous la plume du russe Constantin Tsiolkovski, qui posa les fondements scientifiques de l’astronautique. Tout au long du XXe siècle, comme le rappelle l’auteur en postface, l’idée va être reprise plusieurs fois. Avec l’apparition des nanofilaments, elle devient à nouveau d’actualité, tout du moins pour les scientifiques japonais. Les Fontaines du paradis est l’occasion pour l’écrivain d’expliquer à un pu­blic non scientifique comment pourrait se réaliser un tel projet, et quels seraient ses avantages et ses conséquences sur l’économie mondiale. Il ne cache rien des problèmes techniques, financiers et humains qui pourraient servir d’obstacles à un tel ouvrage, mais il en fait un récit épique et pas­sionnant, que l’on soit féru ou non d’astronau­tique et de construction. Même le premier con­tact avec les extraterrestres tel que présenté dans le livre est presque réaliste, car il se fait par l’intermédiaire d’une sonde automatisée, sorte de Voyager plus perfectionnée, et entraîne des conséquences sur la façon dont l’Humanité envisage les religions et son avenir. Appartenant résolument à la tendance optimiste de lahard SF, qui se fait désormais plus rare, Les Fontaines du paradis est un petit bijou d’originalité, presque précurseur de ce qui deviendra plus tard le solarpunk.

Terre, planète impériale

2276. Duncan Makenzie, âgé de trente ans, est le fils-clone de Colin, lui-même fils-clone de Malcolm, le colon terrien qui a installé une petite société permanente sur Titan et y prospère depuis en vendant l’hydrogène nécessaire au fonctionnement des vaisseaux à fusion. La société titanienne vit dans un univers hostile où le froid est intense et l’atmosphère empoisonnée, mais, de petite taille et très organisée, elle survit sans trop de dif­ficulté au prix d’un in­dispensable commerce extérieur. La dynastie Makenzie dirige Titan avec bienveillance, et désormais il est temps pour Duncan d’aller sur Terre pour faire fabriquer le clone qui sera son fils. Il doit aussi représenter son monde aux cérémonies du cinquième centenaire de la dé­claration d’indépendance des USA, pour lesquelles on vient de tout le Système solaire. Ce sera pour le jeune hom­me l’occasion de découvrir le monde de ses ancêtres, de renouer avec une histoire sentimentale passée, et de lever le voile sur un étrange trafic de titanite.

Que dire ? Le début est intrigant et certaines descriptions de pay­sages titaniens vraiment belles. Puis, entre le monde de prospecteurs, des rivalités interfamiliales qu’on voit poindre (et resteront mort-nées), le nom Makenzie, et la difficile adaptation de Colin à la gravité terrestre, on pense au Luna de Ian McDonald et on espère une histoire de la même eau. Hélas, c’est loin d’être le cas. Parti de Titan, Duncan voyage dans un vaisseau de tourisme et il ne s’y passe pas grand-chose — sinon qu’il peut inutilement jeter un œil au nouveau type de moteur à même de ruiner l’économie de l’hydrogène, et qu’il aurait pu pratiquer le sexe en apesanteur à l’occasion du retournement de l’astronef. Arrivé sur Terre, Colin visite le monde, fait un ersatz de « Grand Tour ». Nous découvrons alors avec lui une planète qui a drastiquement réduit sa population jusqu’à 500 millions, enterré ses bâtiments sauf les historiques, et connaît visiblement une grande prospérité. On s’y distrait beaucoup et on y utilise un réseau télématique qui évoque Internet. Le jeune homme y vivra quelques aventures diplomatiques et amou­reuses.

On croise dans le roman quelques réflexions intéressantes sur un développement durable de la planète après l’âge des « Tourments ». On observe que Clarke est toujours un vulgarisateur à l’affût des avancées et des potentialités de la science. On remarque une fois encore son goût d’ingénieur pour la description détaillée des machines et des mécanismes qui rappelle Jules Verne. Mais le style est quelconque et l’histoire peu complexe, la primauté donnée aux USA sur l’humanité si­gne un manque désas­treux de vision prospective, les personnages, aussi peu crédibles que les tourments amoureux de Duncan, sont des bons bourgeois des années 50 envoyés dans l’avenir avec leurs manières et leur habi­tus intacts (on les croirait ex­filtrés d’un épisode de Doris Day Comedy) ; même la tech­nologie du quotidien prête parfois à sourire. C’est un livre qui fait vieux, et qui faisait sûre­ment déjà vieux lors de sa pu­blication en 1975. À la même époque, Delany écrivait aussi ; la comparaison est cruelle.

Profils du futur

Au cours de sa longue carrière, Arthur C. Clarke aura publié bon nombre d’essais et de re­cueils d’articles, une bonne part demeurant inédite en français. Faisant partie des rares à avoir bénéficié d’une traduction sous nos latitudes, Profil du futur est sûrement le plus connu, car for­mulant deux des « lois de Clarke » – les bonnes choses allant par trois, notre auteur en rajoutera une dernière plus tard.

Cet essai compile une série d’articles, à l’origine publiés dans Playboy – on ne peut qu’espérer que les lecteurs anglophones de la revue auront autant appris sur l’anatomie féminine que la science. Sous nos latitudes, Profil du futur est paru au sein de « L’Ency­clopédie Planète », une émanation de la revue Planète fondée par Jacques Bergier et Louis Pauwels suite au succès de leur Matin des magiciens. Clarke aborde ici toute une variété de thèmes allant de l’as­trophysique aux techniques, dressant un état des lieux de la science et de ses perspectives. Sacrifiant rarement au sensationnalisme (à l’inverse du plus tardif essai 21 juillet 2019), ce Profil… reste d’une lecture des plus enthousiasmantes, en particulier dans le vertige que l’ou­vrage est à même de susciter – on comprend son influence sur un écrivain comme Stephen Baxter. De fait, soixante ans après publication, bon nombre de cha­pitres gardent leur acuité : l’éloge de la science-fiction, de la science et des arts, le problème de la distance dès lors qu’il est question de voyage dans l’espace, l’épui­sement des ressources naturelles… D’autres chapitres se font reflets des angoisses de l’époque : la surpopulation ou les disettes invitent à des réflexions sur le rapetissement des humains ou les réplicateurs de matière. Faisant preuve d’un humour discret, la plume de Clarke n’est ici jamais péremptoire et l’optimisme scientiste de l’auteur garde tou­jours une certaine lucidité. On pourra regretter les envahissantes annotations des éditeurs, venant complémenter plus ou moins à propos les articles.

Si Profil du futur est épuisé depuis belle lurette, on le trouve d’occasion sans trop de difficultés. En dépit de l’âge du livre, les lecteurs curieux de découvrir plus avant la pensée de l’un des auteurs majeurs de la SF auraient tort de s’en priver.

Les Gouffres de la lune

Ce roman est un simple récit d’aventures lunaires, ou plu­tôt de naufrage. Les titres des deux tomes de la première édition française au Fleuve Noir (Naufragés de la lune et SOS Lune) sont explicites, mais le titre original, A Fall of Moondust, spécifie davantage le contexte. Le Séléné est le seul et unique « bateau » lu­naire — imaginez une sorte de petit bateau-mouche comme on en voit sur la Seine, conçu pour une vingtaine de passagers – qui navigue sur la (fictive) Mer de la Soif. Il s’agit d’une mer de poussière ultrafine, comme du talc ou cette poudre de graphite que l’on utilise comme lubrifiant. Ce qui y tombe y disparaît sans laisser la moindre trace en surface.

Dans ce roman, Clarke nous propose une Lune réaliste selon les connaissances de l’époque, et c’est là le plus grand intérêt du livre. Il n’y a pas d’air, il faut porter des scaphandres. La pesanteur est six fois moindre que sur Terre, laquelle est im­mobile dans le ciel mais connaît des phases tout comme la Lune vue du plan­cher des vaches. La journée y dure quinze jours et la nuit tout autant. L’amplitude thermique est énorme. Le paysage lunaire ap­paraît comme en noir et blanc ; les ombres très tranchées font apparaître le relief comme fort tourmenté alors qu’il est en fait peu ac­centué.

Un tremblement de Lune engloutit le Séléné sous quinze mètres de poussière ultra-fluide avant qu’il puisse envoyer un appel de détresse. Nous savons aujourd’hui, grâce aux sismographes laissés sur notre satellite par les diverses missions, qu’il y a bien des séismes sur la Lune, mais Clarke, lui, dut le spéculer. En revanche, la poussière n’atteint jamais une telle épaisseur.

Dans un premier temps, il faut localiser le lieu du naufrage, avant que s’engage une course contre la montre pour sauver les passagers et l’équipage du bateau. L’accroissement de la chaleur dans la cabine, l’augmentation du taux de gaz carbonique sont quel­ques-uns des risques auxquels les naufragés doivent faire face. Pendant ce temps, la colonie lunaire met tout en œuvre en la person­ne de son ingénieur en chef, Lawrence, pour organiser les secours. Les médias sont là, avi­des d’informations, de sensationnel et d’émotions, certes, mais pas de tragédie.

L’histoire se déroule dans un XXIe siècle qui n’est pas le nôtre – on est très loin d’avoir des villes et du tourisme lunaires, des colonies sur Mars et Vénus et un astronaute ayant atteint Pluton. Il n’y a pas de méchants et pourtant, ça tient. Il y a de sales caractères, des personnes plus fragiles, un soucoupiste devenu escroc pour le bien de sa cause, et le flic qui va de pair avec.

Les Gouffres de la lune est un roman d’aventures où le suspense est bien tenu tout du long, toujours plausible, sans grand renfort de pyrotechnie, mais il a un peu vieilli, le progrès n’ayant pas suivi la marche effrénée qu’Arthur C. Clarke aurait voulu lui voir soutenir.

Les Prairies bleues

Les Prairies bleues reprend la trame convenue du récit initiatique où le héros passe, via une quête, de l’adolescence à l’âge adulte. Adulte, le héros l’est déjà ici, marié et père de deux enfants : Walter Franklin est forcé de quitter son élément premier, l’espace, pour en apprivoiser un nouveau, l’océan. Sa quête sera de recon­struire sa vie sur sa planète natale et de s’occuper de la protection et l’élevage des baleines, source primaire de nourriture dans un monde en pleine évolution. Clas­siquement, le livre se divise en trois parties – l’apprenti, le gardien, le directeur – qui re­tracent la nouvelle carrière de Walter Franklin et qui montrent son évolution tant profession­nelle que personnelle.

Écrit en 1957, d’après une nouvelle de 1954, ce roman est daté par sa structure et son approche très limitée du rôle de la femme : le héros est bigame sans que personne n’y trouve à redire, et sa seconde épouse abandonne une carrière scientifique prometteuse pour rester à la maison s’occuper des marmots (sic). Par d’autres aspects, notamment le ré­chauffement climatique qui a conduit à une hausse du niveau des océans et à la néces­sité d’en protéger la faune et la flore pour nourrir l’humanité, il s’avère d’une étonnante modernité. Certains de ses éléments (gou­vernement mondial, bouddhisme prédominant) se retrouveront quelques décennies plus tard dans Les Fontaines du Paradis, situé dans un univers très similaire, mais nette­ment moins macho. Pour autant, même si Les Prairies bleues est un livre facile à lire et plaisant, il n’est pas indispensable dans la bibliographie d’Arthur C. Clarke. Les péripéties s’enchaînent sans réelle importance autre que de montrer la progression de Walter Franklin et expliquer sa carrière prestigieuse. Ce roman est sur­tout l’occasion pour Arthur C. Clarke de parler de son amour de l’océan et de ses créatures, mais également d’avancer cer­taines idées comme le passage de la consommation de viande de baleine à celle des baleines laitières pour remplacer les vaches. Il renferme de belles envolées, mais sans la puissance évocatrice des Enfants d’Icare ou de Rendez-vous avec Rama. À réserver aux passionnés de plongée et/ou de cétacés.

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