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Diamond Dogs Turquoise Days

Le moins qu'on puisse dire, c'est que du côté du groupe Pocket/Fleuve Noir, il y a du grain à moudre ce trimestre pour les amateurs de S-F. Ainsi, après Les Légions immortelles de Scott Westerfeld en mars chez Pocket, nous sont arrivés en avril un nouveau Iain M. Banks au Fleuve Noir (La Plage de verre), et le présent recueil d'Alastair Reynolds. Quoi ? Deux inédits chez Pocket, et qui plus est en S-F ? Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume de la pink fantasy ? Faut croire. En tout cas par chez-nous, en Bifrosty, on n'ira pas s'en plaindre…

Ainsi, alors que Pocket s'apprête à rééditer en poche L'Arche de la rédemption, troisième volet de l'incontournable tétralogie des Inhibiteurs, l'éditeur nous propose, en guise de mise en bouche, Diamond Dogs, Turquoise Days, recueil de deux longues nouvelles inscrites dans le même univers que le cycle précité (petite info en passant : on lira aussi bientôt dans Bifrost deux autres récits de Reynolds issus du même cycle).

Passée une intéressante préface de notre collaboratrice Sylvie Denis, qui a le mérite de poser l'univers de Reynolds tout en esquissant une définition du « Nouveau space opera » (intitulé qui semble avant tout se résumer à un argument commercial sous-entendant que non, le space op' n'est pas une branche de la science-fiction réactionnaire et débile, et, oui, il y a aussi des auteurs de gauche qui en écrivent, et même qu'ils sont intelligents…), le recueil s'ouvre donc sur la plus longue des deux novellas proposées : « Diamond dogs ». Qui repose sur un pitch pour le moins excitant : imaginez une planète lointaine et déserte. Rien n'y pousse, rien n'y vit. Bref, une zone sans intérêt, n'était un curieux artefact, une tour gigantesque et muette. Dans cette tour des pièces se succèdent, chacun d'entre-elles renfermant une énigme qu'il faudra résoudre avant d'accéder à la suivante. Et gare à l'erreur, la sanction de la Flèche est souvent sans appel… Que cache l'édifice ? Qui l'a construit ? Et pourquoi ? Autant de questions auxquelles devra répondre l'expédition qui, autour de Roland Childe (référence transparente, du moins pour les lecteurs anglo-saxons, au long poème de Robert Browning « Childe Roland to the Dark Tower Came » (1855), qui a aussi inspiré le cycle de La Tour Sombre de Stephen King), s'est fixée pour but de percer les mystères de la Flèche. Ici, sous des dehors classiques et référencés (on ne peut s'empêcher de penser à Cube), Alastair Reynolds livre une nouvelle d'une implacable efficacité, peuplée de personnages tous plus dingues les uns que les autres, d'une froide cruauté et d'une constante tension. Bref, un excellent texte (en dépit d'une résolution un peu décevante), y compris pour les lecteurs n'ayant jamais ouvert un bouquin de l'auteur, qui découvriront là un substrat S-F passionnant et n'auront qu'une envie : aller plus avant dans ce futur aussi terrifiant que fascinant.

Si le premier récit de ce petit recueil convainc sans déchaîner l'enthousiasme, « Turquoise days » est à mon sens bien au-dessus. Sous des dehors d'un absolu classicisme (planète lointaine, créature extraterrestre mystérieuse et fascinante que les humains tentent de comprendre, personnage principal hanté par un passé qui trouvera écho dans la résolution du texte…), voici un petit bijou d'humanité, à mi-chemin entre le meilleur de Robert Silverberg et Ursula Le Guin, de ces textes d'ethno-SF dont on se dit en les refermant : « Putain, ouais, c'est pour ça que j'aime la science-fiction. » Une perle, en somme, bien moins « froide » que la plupart des textes de l'auteur de la Cité du gouffre, moins « abyssale » aussi, peut-être, mais d'une justesse bâtie sur une économie d'effet remarquable.

À l'arrivée, Diamond Dogs, Turquoise Days propose 250 pages d'une excellente science-fiction pour pas cher, une occasion toute trouvée de découvrir l'un des auteurs les plus saisissants du moment, ou, pour ceux qui connaissent déjà, de se replonger dans un univers appelé à devenir un classique. Bref, une belle initiative de l'éditeur, dont on espère qu'elle sera suivie de nombreuses autres du même tonneau, et tant pis pour les amateurs de pink fantasy.

Les Légions immortelles

Quatre ans après la publication de l'excellent L'I.A. et son double chez Flammarion « Imagine » (premier roman traduit en France mais en fait troisième bouquin de l'auteur), voici donc que nous arrive en inédit chez Pocket un nouveau Westerfeld, Les Légions immortelles, premier volet d'un diptyque space op' pour le moins musclé qui nous narre, dans un futur lointain, la guerre qui oppose l'Empire ressuscité, quatre-vingts mondes humains sous la férule d'un empereur vieux de vingt siècles, aux terribles Rix, créatures plus proches de la machine que de l'homme, serviteurs d'I.A. aux pouvoirs quasi divins. Humains contre machines, donc, mais des humains dirigés par une caste d'immortels dont on se demande s'ils sont encore humains, justement…

Le bouquin s'ouvre sur une hallucinante scène de bataille sur Legis XV, une planète aux marches de l'Empire. Ça dégage dans tous les coins, Westerfeld enchaîne les trouvailles technologiques à la cadence d'une mitrailleuse Thomson, entrecroise différents points de vue, différentes lignes de narrations, on est dedans, et pas pour rire. Accrochez-vous, ça va durer plus de cent pages ! Trop, probablement, car si l'auteur n'oublie pas de poser son univers dans cette gigantesque baston, il assène aussi un jargon technico-scientifique parfois lourdingue et à la longue éreintant. Ce qui n'empêche pas Westerfeld d'embarquer le lecteur dans ce tourbillon brutal, porté qu'il est, le lecteur, par l'impact des scènes décrites et le relief immédiat de persos qui, pour certains, dégageront dans une giclée de sang dix pages plus loin. Bref, une entrée en matière pyrotechnique sur plus d'un quart du bouquin assez sidérante… Si la suite est plus calme, elle n'en reste pas moins fort rythmée et, peu à peu, la structure narrative se dessine. Ainsi suivra-t-on pour l'essentiel trois personnages : Laurent Zaï, héros de guerre humain aux commandes d'une corvette impériale sur le front de Legis XV ; le sénateur Nara Oxham, qui s'oppose à l'empereur et à sa cohorte d'immortels et nouera une idylle avec Zaï le temps de trois flash-back assez touchants ; et enfin Herd, une Rix rescapée qui développera une relation étonnante avec une humaine de Legis XV. Voilà pour la forme.

Le fond est quant à lui plus fouillé qu'il n'y paraît de prime abord. D'abord parce que les personnages de Westerfeld sont d'une jolie profondeur, moins manichéens qu'on pourrait le croire, en prises à des dilemmes moraux aigus. L'univers du roman est fouillé, le monde humain, s'il fait front à la menace Rix, est le théâtre de luttes politiques réelles avec pour pivot l'affrontement entre les tenants de l'immortalité (les dirigeants, les factions impériales, comprenez les réactionnaires), qui se servent de cette même immortalité comme levier social, et les opposants (les démocrates, en fait), incarnés par le sénateur Oxham, qui refusent l'accession à l'immortalité, considérant cette dernière comme un facteur d'immobilisme mortifère. Face au monde humain, les machines et leurs serviteurs Rix font également état d'une jolie profondeur, des « méchants » réclamant un droit à la vie légitime tout en développant des aspirations qui auront tôt fait de convaincre le lecteur qu'après tout, les « méchants » ne sont peut-être pas ceux qu'on croit…

Sans atteindre la finesse de L'I.A. et son double (quoiqu'on y retrouve beaucoup des questions soulevées dans ce dernier, quant à la bipolarité I.A./humain, notamment), et pour peu qu'on s'adapte à un jargon « technoïsant » parfois rebutant, Les Légions immortelles, qui n'est autre que la première moitié d'un roman coupé en deux (dès la VO, d'ailleurs), s'impose comme un space opera de facture classique mais de qualité, un excellent morceau de S-F taillé pour divertir, ce qu'il fait avec classe, et même un peu plus que ça. Une bonne pioche, sans aucun doute, et un inédit S-F chez Pocket à moins de 9 euros dont on aurait tort de se priver. Vivement la suite

Le Secret de l'orfèvre

Dans toute bibliothèque qui se respecte, il y a un recoin discret où s'abritent des livres spéciaux, ceux pour lesquels on garde une affection particulière. Ce n'est pas vraiment, ou pas seulement, la qualité qui invite une œuvre en ce recoin car il est un territoire de l'émotion… Ce court roman d'Elia Barcelo a pris place dans mon recoin à moi, sans bruit, avec la discrétion qui convient à l'évidence. Le voilà maintenant parmi des livres de Christopher Priest, le DVD de 2046 de Wong Kar Wai ; « L'Enfant en proie au temps », nouvelle de feu Charles L. Harness ; Le Voyage de Simon Morley de Jack Finney ou le Brigitta d'Adalbert Stifter entre autres…

Considérée comme l'un des plus grands écrivains espagnols de science-fiction, Elia Barcelo avait pu être découverte par le public français dans les page de la revue Antarès, mais c'est avec un court roman intimiste qu'on la retrouve aujourd'hui au catalogue de littérature étrangère d'un grand éditeur parisien en compagnie d'A. S. Byatt, Margaret Atwood ou Doris Lessing pour ne citer que des femmes. Ça situe.

Sans nulle machine, un voyage dans le temps ramène un homme mûr dans la jeunesse franquiste de ses parents et auprès de celle qui, vingt-cinq ans plus tôt, l'initia à l'amour. Traité avec une grande économie de moyens, qui focalisent sur l'essentiel, le livre d'Elia Barcelo nous touche avec sensibilité et profondeur. Il est difficile de rester insensible à ces êtres, Celia et le narrateur, qui se cherchent et s'attendent, ne se trouvant que pour mieux se perdre. C'est une bien belle et touchante histoire d'amour qu'il nous est donné là de lire.

On pourra déplorer un prix si élevé pour un texte si court mais, outre un exceptionnel confort de lecture, la qualité proposée impose de mettre la main au gousset pour accéder à ce vrai moment d'émotion littéraire.

Le Réveil des Titans

[Critique commune à L’Empire perdu et Le Réveil des Titans.]

Les Razzies, ça se mérite ! Alexis Aubenque, qui est aux Razzies ce que Michael Schumacher est à la Formule 1, visait le Grand Chelem en 2005 mais, faute d'avoir été publié, il n'a pas pu se contenter d'un accessit ni n'a même été nominé. Fort furieux, il s'est juré de reconquérir sa peu glorieuse couronne en 2006 et, force est d'admettre qu'il a déjà placé la barre très bas : il sera difficile de passer dessous.

La quatrième de couverture évoque Dieu sait pourquoi Le Seigneur des Anneaux et, on le comprend malheureusement mieux, Dune. En fait, évoquer les préquelles du cycle de Frank Herbert eût été plus juste et un véritable plagiat bien meilleur.

Donc, dans le lointain futur de cette autre galaxie où les gens portent des jeans, s'appellent Marlowe ou Florentin, habitent Séville ou Chicago, voire, comble de l'exotisme, Taigon ou Beijong, et sont affublés de prénoms tels que Gabriel, Stéphane, Catherina, XjzzyhgH'rg Esteban, Désiré, Hélène et j'en passe, sur cet univers, disais-je, règne un empereur entouré de tout un aréopage de ducs et de princesses fieffés de planètes dont l'une est — mais oui — désertique ! (Non, il n'y a pas d'asticots !) Mis à part les astronefs fabriqués par l'Eglise, on s'éclaire à la bougie… Quant à la toile de jean, elle doit être filée à la quenouille mais, obnubilé par les scènes de ménage et autres querelles nobiliaires à la portée du premier notaire venu, on a pas eu l'heur de visiter un tissage local. Les Amazones, sorte de ninjas femelles, constituent la ridicule élite combattante de ce grotesque univers où, jadis, une terrible guerre a abouti à l'interdiction de la technologie. Ajoutez, pour faire bonne mesure, des contrebandiers réfugiés dans une planque high tech…

Pour empêcher Stéphane Arkan, héritier putatif du trône, d'y monter, l'empereur marie sa fille à un Black, Désiré N'Goya, qui devrait être une charmante sorte de Baby Doc. Le scandale vient non de son anecdotique négritude ni des forfaits qu'auraient pu commettre les « tontons macoutes » de son entourage, mais de ce qu'il soit de petite noblesse. Ça, ça pardonne pas ! Tout ça parce que Stéphane Arkan se prépare à relancer l'empire sur la voie du progrès. Ce qui n'est pas du goût de l'Eglise. Pendant qu'Arkan fourbit ses cyborgs, Gabriel X joue de la bombe A.

Les personnages sont encore plus plats que ceux du Flatland d'Edwin Abbott, à tel point qu'Aubenque finit par confondre Hérizon N'Goya et Esteban de Mandragore. On le comprend…

Moins cher, moins gros que La Chute des mondes (Pocket), L'Empire des Etoiles, dont l'un des personnages secondaires se nomme Liette Ninet — si ça ne vous rappelle rien, c'est que vous avez de la chance — est un peu plus lisible, un rien moins mauvais. Publié dans la feue collection « Anticipation », Alexis Aubenque se serait trouvé une place discrète dans le tout-venant des tâcherons maison, entre Dan Dastier, André Caroff et Daniel Piret : pas vraiment des ténors. C'est au space op' ce que les sitcoms sont au cinéma. Avec cette histoire de trône à lire sur le trône, Alexis Aubenque n'a pas réussi à se « souspasser ». Il faudrait peut-être qu'une bonne âme se dévoue pour lui expliquer qu'il n'y a aucune gloriole à truster les Razzies année après année, tout en affirmant à sont éditeur que ce n'est pas parce qu'une bouse se vend qu'elle sent moins mauvais… À titre de comparaison, juste histoire de bien enfoncer le clou, on pourra lire Les Légions immortelles de Scott Westerfeld. Il y a aussi des empereurs, des princesses, des cyborgs, des batailles…

L'Empire perdu

[Critique commune à L’Empire perdu et Le Réveil des Titans.]

Les Razzies, ça se mérite ! Alexis Aubenque, qui est aux Razzies ce que Michael Schumacher est à la Formule 1, visait le Grand Chelem en 2005 mais, faute d'avoir été publié, il n'a pas pu se contenter d'un accessit ni n'a même été nominé. Fort furieux, il s'est juré de reconquérir sa peu glorieuse couronne en 2006 et, force est d'admettre qu'il a déjà placé la barre très bas : il sera difficile de passer dessous.

La quatrième de couverture évoque Dieu sait pourquoi Le Seigneur des Anneaux et, on le comprend malheureusement mieux, Dune. En fait, évoquer les préquelles du cycle de Frank Herbert eût été plus juste et un véritable plagiat bien meilleur.

Donc, dans le lointain futur de cette autre galaxie où les gens portent des jeans, s'appellent Marlowe ou Florentin, habitent Séville ou Chicago, voire, comble de l'exotisme, Taigon ou Beijong, et sont affublés de prénoms tels que Gabriel, Stéphane, Catherina, XjzzyhgH'rg Esteban, Désiré, Hélène et j'en passe, sur cet univers, disais-je, règne un empereur entouré de tout un aréopage de ducs et de princesses fieffés de planètes dont l'une est — mais oui — désertique ! (Non, il n'y a pas d'asticots !) Mis à part les astronefs fabriqués par l'Eglise, on s'éclaire à la bougie… Quant à la toile de jean, elle doit être filée à la quenouille mais, obnubilé par les scènes de ménage et autres querelles nobiliaires à la portée du premier notaire venu, on a pas eu l'heur de visiter un tissage local. Les Amazones, sorte de ninjas femelles, constituent la ridicule élite combattante de ce grotesque univers où, jadis, une terrible guerre a abouti à l'interdiction de la technologie. Ajoutez, pour faire bonne mesure, des contrebandiers réfugiés dans une planque high tech…

Pour empêcher Stéphane Arkan, héritier putatif du trône, d'y monter, l'empereur marie sa fille à un Black, Désiré N'Goya, qui devrait être une charmante sorte de Baby Doc. Le scandale vient non de son anecdotique négritude ni des forfaits qu'auraient pu commettre les « tontons macoutes » de son entourage, mais de ce qu'il soit de petite noblesse. Ça, ça pardonne pas ! Tout ça parce que Stéphane Arkan se prépare à relancer l'empire sur la voie du progrès. Ce qui n'est pas du goût de l'Eglise. Pendant qu'Arkan fourbit ses cyborgs, Gabriel X joue de la bombe A.

Les personnages sont encore plus plats que ceux du Flatland d'Edwin Abbott, à tel point qu'Aubenque finit par confondre Hérizon N'Goya et Esteban de Mandragore. On le comprend…

Moins cher, moins gros que La Chute des mondes (Pocket), L'Empire des Etoiles, dont l'un des personnages secondaires se nomme Liette Ninet — si ça ne vous rappelle rien, c'est que vous avez de la chance — est un peu plus lisible, un rien moins mauvais. Publié dans la feue collection « Anticipation », Alexis Aubenque se serait trouvé une place discrète dans le tout-venant des tâcherons maison, entre Dan Dastier, André Caroff et Daniel Piret : pas vraiment des ténors. C'est au space op' ce que les sitcoms sont au cinéma. Avec cette histoire de trône à lire sur le trône, Alexis Aubenque n'a pas réussi à se « souspasser ». Il faudrait peut-être qu'une bonne âme se dévoue pour lui expliquer qu'il n'y a aucune gloriole à truster les Razzies année après année, tout en affirmant à sont éditeur que ce n'est pas parce qu'une bouse se vend qu'elle sent moins mauvais… À titre de comparaison, juste histoire de bien enfoncer le clou, on pourra lire Les Légions immortelles de Scott Westerfeld. Il y a aussi des empereurs, des princesses, des cyborgs, des batailles…

Camisoles

Martin Winckler a su se tailler une place enviable parmi la nouvelle génération d’écrivains de littérature générale ; il a obtenu une certaine reconnaissance. Mais, et c’est ce qui nous intéresse ici au premier chef, il ose aussi aborder les mauvais genres. Il est vrai que l’ostracisme, notamment à l’égard du polar, n’est plus ce qu’il était. À défaut d’être brisé, le tabou s’est fissuré. S-F et fantasy restent encore à l’index. Il n’y a pas si longtemps, à propos du dernier roman de Michel Houellebecq, certains abrutis prétendument intellectuels du genre à l’esprit en chas d’aiguille considéraient le recours à la science-fiction comme le signe indubitable que l’écrivain était sec ! Néanmoins, c’est à des gens comme Winckler ou Houellebecq que la littérature doit un certain élargissement de son spectre sans que ces auteurs se retrouvent dans le ghetto… Ici, le polar est mâtiné d’un zeste de science-fiction. C’est presque abusif de le formuler de la sorte car il n’y a pas, à proprement parler, de science-fiction dans Camisoles, mais ce roman en véhicule tout l’esprit. Il y est question de crypto technique. Ça n’a rien de nouveau ; tout particulièrement dans le domaine de prédilection de Martin Winckler, médecin dans la vraie vie. Winckler s’inscrit donc dans une lignée déjà riche d’œuvres et d’auteurs dénonçant de possibles dérives fascisantes de la médecine lorsqu’elle se mêle de politique. Etant un facteur majeur de l’évolution sociale contemporaine, un rappel à l’éthique n’est peut-être pas superflu.

En 2008, à Tourmens — une grande ville de la province française qui rappelle la « Lormont » de Robert Deleuse comme fiction permettant de ménager les susceptibilités — le juge d’instruction homosexuel (ça ne sert pas à faire avancer le schmilblick) Jean Watteau est chargé d’enquêter sur la mort de son ex-amant Henry d’Artigues, abattu d’une balle dans le ventre, et sur celle du Dr Yann Derec qui s’est la même nuit suicidé de deux balles de calibres différents dans la tête. Madame Madeleine Derec est bien sûr suspectée, d’autant plus que le Dr Wallace, toubib de la famille, la charge de son mieux…

En parallèle, le Dr Charly Lhombre est invité à collaborer avec son ex-maîtresse, Dominique Damati, dans un centre psychiatrique des plus discret, géré par la société pharmaceutique WoPharma. L’établissement est structuré en deux parties : le Village, où l’on traite selon des méthodes expérimentales des délinquants difficiles, et le Château, où ce sont des médecins à problèmes que l’on « soigne » avec toute la discrétion voulue. Et bientôt, une journaliste qui s’est introduite dans la place afin d’enquêter est retrouvée étrangement brûlée vive. Charly Lhombre, ex-légiste, et Dominique Damati, qui nourrissent des soupçons d’homicide et entendent voir la police se saisir de l’affaire, se retrouvent internés au Village (rien à voir avec Le Prisonnier).

Claude de Lermignat, mère du juge Watteau, s’embarque elle aussi dans une drôle d’affaire : la disparition de Jannie Le Guen, présentatrice-vedette de l’émission de télé-réalité locale, dont elle a perçu la liaison avec la psychiatre consultante de l’émission, le Dr Luce Garry, qui fait également partie de l’équipe médicale du Château. Pour éclaircir cette sombre affaire, elle se fait aider de son vieil ami, Raoul D’Andrésy…

Cette dernière enquête, sans lien réel avec les autres, fait figure de pièce rapportée. C’est une comédie de gentleman détective comme on en fait plus qui, sans raison, vient se greffer sur une intrigue plus noire et en prise sur le monde contemporain. C’était manifestement l’occasion pour l’auteur de glisser quelques réflexions sur ce qu’il pense de la télé-réalité, mais, hormis le croisement de personnages, c’est un autre livre.

Le reste se tient par contre, même si l’intrigue n’est pas la force première de ce roman. Winckler recourt au procédé des coupures de presse et autres « communications » pour créer le fond social de son histoire. Histoire qui a pour but d’alerter sur les possibles, voire probables, dérives qu’engendre la collusion du politique et du médical et une tendance forte à « psychiatriser » ce qui, en fin de compte, est du ressort de la morale.

Camisoles est donc une bonne raison de joindre l’utile à l’agréable, de prendre plaisir à une réflexion salutaire dont il serait dommage de se priver.

La Dame des abeilles

Chez Swann, tout est faux, mais tout est vrai. Dans les notes qui introduisent les deux nouvelles du recueil, le petit maître méconnu de la fantasy américaine annonce la couleur. Pour composer l'Enéide, Virgile a déformé les mythes et l'histoire ; pour composer la Trilogie du Latium (réunissant les deux longues nouvelles du présent volume et le Phénix vert), Swann évacue toute volonté d'historicité et s'intéresse aux seuls mythes, qu'il a réinventés. De là découle un programme tout simple : l'imagination avant l'énumération des faits, la chronologie. Car, comme il dit encore : « La poésie et la fiction ont une vérité qui échappe à l'histoire, celle d'interpréter plutôt que d'enregistrer. » Le roman est d'abord une interprétation.

Celle-ci suppose un préalable : de bons interprètes. Les acteurs qui agitent le petit théâtre de Swann sont à cet égard très bien choisis : des figures archétypales, hésitant entre condition humaine et divine, entre l'arbre et la bête, entre nature et civilisation ; des silhouettes dont la forme définitive n'est pas arrêtée, dont le destin attend de s'accomplir. « Le Peuple de la mer », premier des deux récits qui nous sont ici proposés, met en scène les héros malheureux de la guerre de Troie. Enée, vaincu, a fui le sac de la ville avec son fils Ascagne, ils sont en quête d'un havre où planter le germe de la nouvelle Troie. Sa flotte s'échoue à Carthage, au royaume de Didon, une autre exilée. Carthage est aussi le domaine du roi éléphant Iarbas, lunatique comme pas deux. Enée aime Didon qui est aussi aimée de Iarbas ; amours impossibles qui s'achèveront pas la fuite du premier (Rome l'attend) et le sacrifice de la seconde. Dans « La Dame des abeilles », Enée et Ascagne sont passés à l'état de poussière et de souvenirs, on retrouve la dryade Mellone, déjà croisée dans Le Phénix vert (même cycle, même éditeur). Il est aussi question de faunes, de loups, d'une couronne convoitée et d'un roi sans couronne, ainsi que de célèbres jumeaux. Les jumeaux traînent un encombrant héritage, ils sont les princes déchus et cachés d'Albe la Longue. Ils rêvent de reconquête, de femmes accortes ou de créatures mythologiques aux seins blancs. On sait ce qu'il adviendra. Le récit raconte leurs hauts-faits et met en balance la difficile conciliation entre les désirs de pouvoir et la recherche d'une utopique harmonie pastorale.

Tout est faux donc, mais tout est vrai : ici tout est plus vivant, plus dépaysant que nature. À « Interprétation », le Larousse donne comme définition : « qui éclaircit le sens des choses ; qui fait connaître ou exprime une chose cachée. » Qu'exprime Swann sinon la longue et lente marche de l'humanité (de Charybde en Scylla) vers la civilisation ? L'individu s'émancipe du joug de la nature et des dieux pour tomber sous l'empire des passions humaines, trop humaines. Swann dit cette éternelle errance, cette quête d'un bonheur impossible, avec des mots qu'on ne retrouve nulle part ailleurs en fantasy contemporaine, toute préoccupée de manichéismes brutaux. De brutalité ou de violence, il est également question chez Swann ; mais tout est sublimé par la technique littéraire, les ruses d'un style (et d'une traduction) qui allie finesse et puissance d'évocation, sens de la fresque et science de la fesse. C'est charnel, chatoyant comme un été grec. Décidément, l'antiquité selon Swann, c'est épatant.

Jérusalem au poker

Imaginons d'abord un Noir musulman aux yeux bleus, avec une boule de fourrure blanche (très vivante) perchée sur l'épaule, et spécialisé dans la vente de poudre de momies. Ensuite, pour équilibrer un peu, prenons un Hongrois sioniste héritier de la colossale fortune accumulée par les femmes de sa famille, les Sarah, et porteur d'une montre à trois cadrans contradictoires — ou apparemment contradictoires. Enfin, mettons un Irlandais catholique arrivé déguisé en bonne sœur, et trafiquant d'amulettes plus ou moins orthodoxes.

Réunissons ces trois individus dans la minuscule boutique d'un antiquaire casqué, âgé de trois mille ans, qui s'est toujours battu aux côtés des perdants lors des innombrables guerres qui ont ravagé Jérusalem. Disons enfin qu'ils engagent par désœuvrement une interminable partie de poker dans laquelle ils misent des sommes inconcevables, des objets plus rares et plus précieux les uns que les autres — et des quartiers entiers de la Ville sainte…

Ceux des lecteurs du précédent ouvrage de Whittemore paru dans la même collection, Le Codex du Sinaï, qui penseraient que l'auteur pouvait difficilement trouver un « plus » ou un « au-delà » à ses délires… eh bien, ceux-là ont tout faux. Car si Le Codex s'apparentait déjà à nombre de romans d'auteurs singuliers et remarquables comme Lewis Carroll, Franz Kafka ou Thomas Pynchon, il convient d'ajouter ici à la famille le Sade de La Philosophie dans le boudoir et le Samuel Delany des grands textes sur la politique et la sexualité comme Vice-versa ou Dhalgren.

Car de sexualité il est aussi beaucoup question, et outre les aspects absurdes et pourtant très logiques déjà rencontrés dans le premier volet de cet invraisemblable Quatuor, on rencontrera ici des développements saisissants sur l'histoire d'une lignée de femmes (les Sarah) dont les maris sont tous musiciens, sur les amours homosexuelles, sur la place accessoire des enfants mâles dans la transmission de l'Histoire, sur…

En fait, il serait presque plus rapide d'évoquer ici les thèmes que Jérusalem au poker n'aborde pas d'une manière ou d'une autre, tant le roman malmène de sujets et, avec un humour ravageur, pousse son lecteur à en malmener d'autres. Jamais l'expression « mise en abîme » n'aura peut-être eu autant de sens.

On signalera enfin la touchante préface de Gérard Klein, qui ne s'est que rarement autant confié à son public, et l'excellent travail de traduction réalisé par Jean-Daniel Brèque.

Et on se consolera d'avoir lu Jérusalem… en se disant qu'il reste deux volets à paraître…

La Plage de verre

Surprise, il reste encore des romans S-F de Iain M. Banks inédits en France. Ni Culture, ni apparenté, Against a dark background, publié outre-Manche en 1995, débarque ce mois-ci au Fleuve Noir sous le titre La Plage de verre. Il aura donc fallu attendre onze ans pour découvrir ce space opera étonnamment traditionnel, même si la touche Iain M. Banks est évidemment très présente. Si le second degré et l'ironie mordante de la Culture sont ici atténués par une action menée tambour battant du début à la fin, la description de la planète Golter vaut le détour, tant la critique d'un système hiérarchisé et quasi-médiéval est acerbe. L'anticléricalisme n'est pas en reste, mais jamais Banks ne donne dans le primaire. Il tape en décalage et avec humour. Exemple, cette confrérie de moines qui a tout de la prison, où les pensionnaires sont enchaînés aux murs, mais, par un habile système de rails (Banks adore les rails, c'est presque une obsession), peuvent se déplacer dans l'édifice. Au-delà de ces petits détails et de la vision tragi-comique d'une société décatie, La Plage de verre est surtout un excellent roman hard-boiled où l'auteur applique la petite phrase magique de Chandler : In case of doubt, have a man with a gun.

Nous suivons les aventures de Sharrow, sorte de Wonderwoman guerrière rompue à toutes les formes de combat (mais rangée des camionneurs), descendante d'une lignée de femmes qui ont, hélas, commis çà et là quelques blasphèmes qu'il faudra un jour payer. Ça tombe bien, le jour est arrivé, et les affreux fondamentalistes obtiennent le droit légal d'assassiner Sharrow si elle ne restitue pas à l'Ordre ce que ses ancêtres ont volé. Suivant le principe très fantasyste de la quête initiatique, l'héroïne (car c'en est une) doit d'abord réunir ses anciens compagnons d'arme et récupérer quelques objets mythiques pour ensuite se consacrer au problème en lui-même. Cette promenade donne lieu à toutes sortes de rebondissements violents et meurtriers dont on ne dévoilera rien ici, mais qu'on peut tout de même qualifier de palpitants. Assez curieusement, le roman est souvent taxé de « sombre » par la critique anglo-saxonne. Même si les cadavres s'accumulent et que le fond de l'histoire reste assez tragique, le côté réjouissant de La Plage de verre, son ironie distante et son action permanente en font plutôt un texte jubilatoire où, comme à son habitude, Iain M. Banks aligne les poncifs les plus éculés pour mieux les tordre et les réinventer. On a presque l'impression d'assister à une sorte de répétition générale « avant Culture », univers aujourd'hui mythique qui pousse la parodie encore plus loin.

Mais si ce « nouveau » Iain M. Banks est une lecture parfaitement recommandable, il est effectivement un peu en deçà de ce à quoi nous avait habitué un auteur aussi talentueux qu'intelligent. La Plage de verre n'est donc pas un chef-d'œuvre, simplement un très bon roman, drôle et violent, passionnant et remarquablement bien mené. Que demande le peuple, ma bonne dame ?

Le monde enfin

Fidèle à ses amours post-apocalyptiques, Jean-Pierre Andrevon revient en grande forme avec Le Monde enfin, écrit à l'origine dans le contexte de la vache folle, mais rattrapé depuis par le spectre de la grippe aviaire. L'opération promotionnelle est donc parfaite, ce dont personne ne se plaindra, tant ce nouveau roman (compilation d'anciennes nouvelles et de plus récentes, liées par un fil conducteur glissé entre les « chapitres ») se lit avec un plaisir bien réel. Le contexte narratif est assez simple (mais au premier abord seulement) : un virus meurtrier se répand comme une traînée de poudre sur notre planète bleue en bien mauvais état. Aussitôt, les morts s'entassent par milliers, puis par millions, et c'est bientôt la survie des hommes en tant qu'espèce qui est clairement menacée. À l'instar du triste sort des tigres de Sibérie, trop peu nombreux pour se rencontrer (et donc se reproduire) sur leur immense territoire, l'humanité risque fort de ne pas s'en remettre. La nature, elle, reprend vite ses droits (ce qui donne par ailleurs de belles pages descriptives d'un Paris envahi par les animaux échappés du zoo et rendus à la vie sauvage) et le (mauvais) souvenir de l'Histoire humaine ne perdure pas longtemps. À quelque chose, malheur est bon, la disparition de ces encombrants bipèdes étant le prélude à un nouvel ordre écologique enfin débarrassé de son principal persécuteur. Mais si Jean-Pierre Andrevon n'est pas particulièrement fan de l'espèce humaine, il s'y intéresse suffisamment pour croquer des personnages attachants, perdus sur une Terre qu'ils ne reconnaissent plus et à laquelle ils sont désormais étrangers. Les années passent et les rares survivants meurent peu à peu, seuls, vieux et finalement pathétiques. Auparavant, le lecteur suivra le parcours (et notamment la première nouvelle, véritablement formidable) de quelques « heureux élus » qui, du savant français au militaire tout juste sorti d'hibernation en passant par des cosmonautes débarqués de leur navette sans conscience réelle de l'état du monde, luttent contre un ennemi invisible et évidemment tout-puissant : leur propre inutilité.

Sombre, mais pas désespéré, Le Monde enfin ne donne pas dans la morale. Il l'évite même comme la peste et se contente d'observer la fin avec une saine et salutaire distance goguenarde. Un Andrevon grand cru, donc, qui se déguste tranquillement, les deux pieds bien enfoncés dans les scories d'un monde dévasté.

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