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Les critiques de Bifrost

Diamond Dogs, Turquoise Days

Diamond Dogs, Turquoise Days

Alastair REYNOLDS
POCKET
285pp - 8,30 €

Bifrost n° 42

Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42

Le moins qu'on puisse dire, c'est que du côté du groupe Pocket/Fleuve Noir, il y a du grain à moudre ce trimestre pour les amateurs de S-F. Ainsi, après Les Légions immortelles de Scott Westerfeld en mars chez Pocket, nous sont arrivés en avril un nouveau Iain M. Banks au Fleuve Noir (La Plage de verre), et le présent recueil d'Alastair Reynolds. Quoi ? Deux inédits chez Pocket, et qui plus est en S-F ? Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume de la pink fantasy ? Faut croire. En tout cas par chez-nous, en Bifrosty, on n'ira pas s'en plaindre…

Ainsi, alors que Pocket s'apprête à rééditer en poche L'Arche de la rédemption, troisième volet de l'incontournable tétralogie des Inhibiteurs, l'éditeur nous propose, en guise de mise en bouche, Diamond Dogs, Turquoise Days, recueil de deux longues nouvelles inscrites dans le même univers que le cycle précité (petite info en passant : on lira aussi bientôt dans Bifrost deux autres récits de Reynolds issus du même cycle).

Passée une intéressante préface de notre collaboratrice Sylvie Denis, qui a le mérite de poser l'univers de Reynolds tout en esquissant une définition du « Nouveau space opera » (intitulé qui semble avant tout se résumer à un argument commercial sous-entendant que non, le space op' n'est pas une branche de la science-fiction réactionnaire et débile, et, oui, il y a aussi des auteurs de gauche qui en écrivent, et même qu'ils sont intelligents…), le recueil s'ouvre donc sur la plus longue des deux novellas proposées : « Diamond dogs ». Qui repose sur un pitch pour le moins excitant : imaginez une planète lointaine et déserte. Rien n'y pousse, rien n'y vit. Bref, une zone sans intérêt, n'était un curieux artefact, une tour gigantesque et muette. Dans cette tour des pièces se succèdent, chacun d'entre-elles renfermant une énigme qu'il faudra résoudre avant d'accéder à la suivante. Et gare à l'erreur, la sanction de la Flèche est souvent sans appel… Que cache l'édifice ? Qui l'a construit ? Et pourquoi ? Autant de questions auxquelles devra répondre l'expédition qui, autour de Roland Childe (référence transparente, du moins pour les lecteurs anglo-saxons, au long poème de Robert Browning « Childe Roland to the Dark Tower Came » (1855), qui a aussi inspiré le cycle de La Tour Sombre de Stephen King), s'est fixée pour but de percer les mystères de la Flèche. Ici, sous des dehors classiques et référencés (on ne peut s'empêcher de penser à Cube), Alastair Reynolds livre une nouvelle d'une implacable efficacité, peuplée de personnages tous plus dingues les uns que les autres, d'une froide cruauté et d'une constante tension. Bref, un excellent texte (en dépit d'une résolution un peu décevante), y compris pour les lecteurs n'ayant jamais ouvert un bouquin de l'auteur, qui découvriront là un substrat S-F passionnant et n'auront qu'une envie : aller plus avant dans ce futur aussi terrifiant que fascinant.

Si le premier récit de ce petit recueil convainc sans déchaîner l'enthousiasme, « Turquoise days » est à mon sens bien au-dessus. Sous des dehors d'un absolu classicisme (planète lointaine, créature extraterrestre mystérieuse et fascinante que les humains tentent de comprendre, personnage principal hanté par un passé qui trouvera écho dans la résolution du texte…), voici un petit bijou d'humanité, à mi-chemin entre le meilleur de Robert Silverberg et Ursula Le Guin, de ces textes d'ethno-SF dont on se dit en les refermant : « Putain, ouais, c'est pour ça que j'aime la science-fiction. » Une perle, en somme, bien moins « froide » que la plupart des textes de l'auteur de la Cité du gouffre, moins « abyssale » aussi, peut-être, mais d'une justesse bâtie sur une économie d'effet remarquable.

À l'arrivée, Diamond Dogs, Turquoise Days propose 250 pages d'une excellente science-fiction pour pas cher, une occasion toute trouvée de découvrir l'un des auteurs les plus saisissants du moment, ou, pour ceux qui connaissent déjà, de se replonger dans un univers appelé à devenir un classique. Bref, une belle initiative de l'éditeur, dont on espère qu'elle sera suivie de nombreuses autres du même tonneau, et tant pis pour les amateurs de pink fantasy.

Olivier GIRARD

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