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Les critiques de Bifrost

Les Légions immortelles

Les Légions immortelles

Scott WESTERFELD
POCKET
413pp - 10,30 €

Bifrost n° 42

Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42

Quatre ans après la publication de l'excellent L'I.A. et son double chez Flammarion « Imagine » (premier roman traduit en France mais en fait troisième bouquin de l'auteur), voici donc que nous arrive en inédit chez Pocket un nouveau Westerfeld, Les Légions immortelles, premier volet d'un diptyque space op' pour le moins musclé qui nous narre, dans un futur lointain, la guerre qui oppose l'Empire ressuscité, quatre-vingts mondes humains sous la férule d'un empereur vieux de vingt siècles, aux terribles Rix, créatures plus proches de la machine que de l'homme, serviteurs d'I.A. aux pouvoirs quasi divins. Humains contre machines, donc, mais des humains dirigés par une caste d'immortels dont on se demande s'ils sont encore humains, justement…

Le bouquin s'ouvre sur une hallucinante scène de bataille sur Legis XV, une planète aux marches de l'Empire. Ça dégage dans tous les coins, Westerfeld enchaîne les trouvailles technologiques à la cadence d'une mitrailleuse Thomson, entrecroise différents points de vue, différentes lignes de narrations, on est dedans, et pas pour rire. Accrochez-vous, ça va durer plus de cent pages ! Trop, probablement, car si l'auteur n'oublie pas de poser son univers dans cette gigantesque baston, il assène aussi un jargon technico-scientifique parfois lourdingue et à la longue éreintant. Ce qui n'empêche pas Westerfeld d'embarquer le lecteur dans ce tourbillon brutal, porté qu'il est, le lecteur, par l'impact des scènes décrites et le relief immédiat de persos qui, pour certains, dégageront dans une giclée de sang dix pages plus loin. Bref, une entrée en matière pyrotechnique sur plus d'un quart du bouquin assez sidérante… Si la suite est plus calme, elle n'en reste pas moins fort rythmée et, peu à peu, la structure narrative se dessine. Ainsi suivra-t-on pour l'essentiel trois personnages : Laurent Zaï, héros de guerre humain aux commandes d'une corvette impériale sur le front de Legis XV ; le sénateur Nara Oxham, qui s'oppose à l'empereur et à sa cohorte d'immortels et nouera une idylle avec Zaï le temps de trois flash-back assez touchants ; et enfin Herd, une Rix rescapée qui développera une relation étonnante avec une humaine de Legis XV. Voilà pour la forme.

Le fond est quant à lui plus fouillé qu'il n'y paraît de prime abord. D'abord parce que les personnages de Westerfeld sont d'une jolie profondeur, moins manichéens qu'on pourrait le croire, en prises à des dilemmes moraux aigus. L'univers du roman est fouillé, le monde humain, s'il fait front à la menace Rix, est le théâtre de luttes politiques réelles avec pour pivot l'affrontement entre les tenants de l'immortalité (les dirigeants, les factions impériales, comprenez les réactionnaires), qui se servent de cette même immortalité comme levier social, et les opposants (les démocrates, en fait), incarnés par le sénateur Oxham, qui refusent l'accession à l'immortalité, considérant cette dernière comme un facteur d'immobilisme mortifère. Face au monde humain, les machines et leurs serviteurs Rix font également état d'une jolie profondeur, des « méchants » réclamant un droit à la vie légitime tout en développant des aspirations qui auront tôt fait de convaincre le lecteur qu'après tout, les « méchants » ne sont peut-être pas ceux qu'on croit…

Sans atteindre la finesse de L'I.A. et son double (quoiqu'on y retrouve beaucoup des questions soulevées dans ce dernier, quant à la bipolarité I.A./humain, notamment), et pour peu qu'on s'adapte à un jargon « technoïsant » parfois rebutant, Les Légions immortelles, qui n'est autre que la première moitié d'un roman coupé en deux (dès la VO, d'ailleurs), s'impose comme un space opera de facture classique mais de qualité, un excellent morceau de S-F taillé pour divertir, ce qu'il fait avec classe, et même un peu plus que ça. Une bonne pioche, sans aucun doute, et un inédit S-F chez Pocket à moins de 9 euros dont on aurait tort de se priver. Vivement la suite

Olivier GIRARD

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