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Coulez mes larmes, dit le policier

Philip K. Dick n’a eu de cesse d’inoculer au cœur de ses romans des éléments puisés dans son vécu personnel. Un phénomène d’écho perceptible jusque dans ses interrogations métaphysiques sur la nature de la réalité et la définition de l’humain. Une constante faisant dire à certains de ses exégètes que ses fictions peuvent être lues comme des comptes-rendus.

Roman de transition, entre l’auteur halluciné des années 1960, sous l’emprise de substances psychédéliques, et le Dick mystique des années 1970, Coulez mes larmes, dit le policier est selon les dires de l’auteur américain, le reflet d’une des pires périodes de sa vie. Intoxiqué par les drogues, en particulier les amphétamines, en proie à une paranoïa obsessionnelle, à la dépression après le départ de son épouse Nancy, Philip K. Dick recherche la compagnie d’autrui, de peur de connaître une issue fatale. Incapable d’écrire, il abandonne le manuscrit de son roman pendant plus d’un an avant de le récupérer auprès de son avocat pour y apporter les ultimes corrections. Un cheminement tortueux dont la France connaît elle-même un épisode inédit. Paru initialement sous le titre Le Prisme du néant, le texte connaît plusieurs avatars. La traduction de Gilles Goullet — dont l’excellence saute aux yeux pour qui compare à la précédente — rétablit le roman dans sa version américaine, sans les coupures empreintes de pudibonderie imposées par Le Masque « SF » et les mystérieuses interpolations mentionnées par Gérard Klein. On regrette d’ailleurs de ne pas les retrouver en appendice, comme un témoignage du work in progress de l’auteur, même si la postface, où Etienne Barillier rappelle de manière limpide la genèse de ce roman, compense ce manque.

Coulez mes larmes, dit le policier traîne une réputation injuste de texte au mieux secondaire, au pire inachevé, voire raté. De fait, il n’apparaît pas parmi les titres les plus cités par les connaisseurs de l’auteur américain. Pourtant, on touche ici à l’un de ses romans les plus intimes et sans doute aussi les plus poignants. Histoire de réalité fluctuante se dérobant sous les pieds du personnage principal, trip hallucinatoire sur fond de monde dystopique, Coulez mes larmes, dit le policier est sous-tendu par l’empathie pour autrui et par l’amour. Même si les gesticulations de Jason Taverner pour redonner de la substance à sa réalité fournissent le fil directeur du récit, elles s’effacent cependant devant le véritable enjeu du roman. Un enjeu incarné par Félix Buckman, le général de police humaniste et manipulateur. C’est à ce personnage que le titre fait allusion. Lui, le représentant du pouvoir oppressif dont les agissements oscillent entre le calcul égoïste et l’altruisme. Lui, le rouage du système, en lutte secrète contre celui-ci. Lui, le seul personnage humain apte à accomplir un acte complètement désintéressé et sincère. Le point d’orgue d’un roman dont on espère qu’il touchera — dans tous les sens du terme — le plus large lectorat possible. Il le mérite.

All Clear

Fin d’alerte pour Connie Willis. Avec All Clear achève le diptyque « Blitz » entamé avec Black-Out. Un an après la parution du premier volet, les questions restées en suspens trouvent enfin leur réponse. Reste à voir si la montagne n’accouche pas d’une souris…

Sans préambule, on replonge dans le Blitz en compagnie de Polly, Michaël et Merope, les trois historiens expédiés dans le passé. Un sentiment de catastrophe imminente prévalait lorsque nous les avions quittés. L’impression que les faits divergeaient par rapport à la ligne historique connue. Une crainte confirmée par le dysfonctionnement des points de transfert et l’absence d’équipe de récupération venue les secourir. Il ne faut pas moins de sept cents pages pour venir à bout de leur panique et satisfaire l’impatience du lecteur.

On retrouve dans All Clear toutes les qualités que l’on avait appréciées dans Black-Out. La vraisemblance de la reconstitution historique et le ton tragi-comique font toujours merveille. Mais Connie Willis manifeste aussi la même propension au bavardage, multipliant les digressions et autres coups de théâtre. Une tendance lassante, voire agaçante, dont certains lecteurs lui avaient déjà tenu rigueur. On a ainsi droit à une longue description du bombardement du 29 décembre 1940, où le quartier de la City se trouve réduit en cendres par les bombes incendiaires, à l’exception miraculeuse de la cathédrale Saint-Paul. On se balade du côté de Bletchley Park où l’on croise Alan Turing et les scientifiques du projet Ultra. Sans oublier quelques chapitres consacrés aux opérations de désinformation ayant précédé et suivi le débarquement en Normandie. Bref, tout ceci ne fait guère avancer l’intrigue, du moins en apparence. Heureusement, Connie Willis joue habilement avec les différentes trames temporelles, bouleversant la chronologie des événements de manière à renforcer le suspense. Et puis, la part science-fictive du diptyque, quelque peu négligée par Black-Out, se dévoile davantage.

Le paradoxe temporel figure parmi les lieux communs de la science-fiction. Dans un continuum chaotique, où le moindre geste et la moindre parole peuvent revêtir des conséquences dramatiques, la vigilance, jusque dans le moindre détail, s’avère plus que jamais de rigueur. À la condition d’avoir une parfaite connaissance de l’enchaînement causal des faits. Mais, la vérité historique se révèle souvent dans le hors-champs de l’Histoire. Les zones d’ombre prédominent et notre savoir résulte de l’interprétation de sources fluctuantes, parfois contradictoires. En conséquence, comment un voyageur temporel, même historien, peut-il être sûr de ne pas influencer le déroulement des faits ? Comment peut-il rester neutre quand il n’est plus seulement l’observateur lointain de sources impersonnelles, mais un acteur engagé au contact d’êtres de chair et de sang ? Connie Willis aborde ces différents sujets tout en rendant hommage au courage des Londoniens, et elle invalide toute possibilité d’anomalie. Le continuum étant immuable, il ne peut s’y produire de paradoxe et l’Histoire ne peut diverger. Les historiens envoyés dans le passé sont les acteurs parmi d’autres de faits qui se sont produits, se produisent et se produiront. Ainsi, le hasard n’existe pas. L’enchaînement causal résulte d’innombrables actions ou d’inactions, de paroles ou de non-dits. À chacun d’y avoir sa part. Ou pas.

Avec All Clear, Connie Willis achève le diptyque « Blitz » sur une touche optimiste. Certes, une cure d’amaigrissement n’aurait pas été superflue, mais cette critique apparaît bien piètre au regard du plaisir de lecture.

Cru

Cherchant trop vite à saisir l’ensemble de la couverture, l’œil s’accroche aux détails, à un mouvement connu, au rythme d’un contraste ; abstraite au premier regard, on la sent pourtant figurative : ce livre ne sera pas de ceux qui s’offrent sans ambiguïté, il exigera que le lecteur s’engage sur des chemins incertains, s’ouvre à des mondes qui ne sont peut-être pas les siens…

Stéphane Perger, aux pinceaux, n’a pas menti : bienvenue dans l’univers de luvan. Les récits de Cru ne se saisissent pas d’un coup d’œil ou en quelques pages, mais se construisent par accrétion de scènes brèves, portées par l’urgence de dire, de ressentir et faire ressentir, sans s’embarrasser de concessions. Chacune des nouvelles de luvan est un patchwork d’impressions et de sensations fugaces, qui assaillent le lecteur et le submergent sans lui laisser de prise, le bousculant jusqu’à l’évidence, au point où la vue d’ensemble, brusquement, fait sens.

En chemin émergent çà et là des motifs récurrents : les contrastes, violents ; la musique — ou le son, omniprésent ; la solitude au regard de l’humanité ou de la nature, l’une comme l’autre inconnaissables ; la braise d’une cigarette… autant de repères qui rythment les nouvelles comme le recueil, et offrent un ancrage bienvenu. Car la réalité « tangible », consensuelle, toute en mouvements esquissés, en allusions ouatées, ne semble qu’effleurer ces filles au bord du gouffre, qui ne savent plus notre univers : qu’elles sillonnent l’Afrique ou le Grand Nord, la haute mer ou les rues de Paris, toutes, déjà, vivent dans leurs propres contes — cruels. Toutes s’y perdront, qu’ils soient inédits, nourris aux quatre coins du monde, ou mieux balisés, presque familiers : il y a des vampires chez luvan, il y a des fées, des créatures rôdant dans le noir ; il y a des loups.

Mais le fantastique, toujours, naît là où on ne l’attend pas : dans les failles et les déchirures ouvertes par une prose souvent lapidaire, allusive ou anguleuse, essentielle. Luvan craint-elle que sa plume ne puisse témoigner de la profondeur des brisures intimes, pour lui imposer ce style heurté, parsemé d’écueils qui déchirent ses personnages et nos certitudes ?

Il y a là des textes marquants. D’autres, peut-être, échouent. Mais qu’importe ? Dans un cas comme dans l’autre, il faut s’attarder, relire, savourer ces instants glaçants qui surgissent au détour de chaque page, quand la langue se fait charme ou maléfice, quand l’intime confine à l’universel.

Sept secondes pour devenir un aigle

Sept secondes pour devenir un aigle est le dernier recueil publié de Thomas Day. En six nouvelles et un peu plus de trois cent pages, il livre sa vision, justement pessimiste, de l’état du monde et de l’avenir de l’humanité. S’y ajoute, pour le lecteur, une postface documentée de Yannick Rumpala, spécialiste de la décroissance, proche donc du souci de Thomas Day ici.

Car ce dont nous parle l’auteur — convaincant car convaincu — dans un recueil très joliment illustré par Aurélien Police, c’est d’écologie, de deep ecology, même, idéologie radicale qui considère comme moralement condamnable de traiter le monde comme une ressource au service de l’homme, et l’enjoint à respecter la planète sur laquelle il vit ainsi que les êtres vivants avec lesquels il la partage.

Protéger la planète, les biotopes, la biodiversité, est nécessaire en soi car tout ce qui est a une valeur, indépendamment de son utilité pour l’Homme. Cela implique conscien-ce, respect et maîtrise ; la deep ecology c’est à peu près l’opposé exact de l’Ancien Testament invitant les hommes à croitre et à se multiplier en soumettant la Terre et ses créatures.

Sauver la planète, la venger, la soigner, s’assurer au moins de ne pas la meurtrir plus, c’est à ces tâches que s’affairent les personnages de Thomas Day. Suivons-les.

Commençons par « Mariposa », très beau texte, délicat et empreint de nostalgie. On y voit un groupe de Japonais assistés d’un Américain — ennemis d’hier qui tentèrent mutuellement de s’éliminer et y réussirent en partie — faire cause commune pour protéger une espèce d’arbre à papillons endémique, rendant par là même à la terre une partie de ce qu’elle leur donna. Et pas seulement sur un plan symbolique…

Dans « Sept secondes pour devenir un aigle », un vieux rebelle indien transmet le flambeau de la révolte à un fils adolescent qu’il n’a pas élevé. Venger la Terre, blesser ceux qui la blessent, est la seule voie droite : c’est celle que Johnny la Vérole enseigne à Léo au cours de sa dernière chevauchée vers une revanche qui est celle de la Terre meurtrie. Léo y apprendra à vivre sans argent, hors du système, en se protégeant des objets de la modernité qui attachent au mode de production suicidaire que l’Occident impose au monde.

« Ethologie du tigre » est un beau texte dans lequel un homme qui a fait le choix, difficile mais raisonnable, de ne pas se reproduire, étudie les tigres et tente sans espoir de protéger cette espèce qu’il aime d’une extinction programmée par l’humanité.

« Shikata gan ai » fait du lecteur le spectateur d’un désastre écologique. Dans une ambiance à la Stalker, on suivra des récupérateurs pillant la zone interdite de Fukushima pour vivre de la revente d’objets abandonnés par les populations en fuite.

« Tjukurpa » est proche de « Sept secondes… ». Personnages issus de peuples premiers aux marges de la modernité ravageuse, retour aux pratiques et valeurs anciennes, recherche d’harmonie avec le monde, y compris en version virtuelle, rétribution violente et décroissance « forcée » dans une forme, ici subliminale, d’écoterrorisme doux.

Enfin, « Lumière Noire » nous montre une Terre nettoyée d’une bonne partie de l’Humanité par une IA rogue décidée à réaliser enfin le potentiel jamais exploité de l’Homme en se tournant vers les étoiles. Inquiétant et déjanté. Peut-être nécessaire.

Sur un thème capital, Sept secondes pour devenir un aigle combine l’urgence d’un cri primal à une vraie maîtrise narrative. C’est donc un recueil éminemment recommandable.

Ceux de l'autre rive

1935. La Grande Dépression est encore vivace aux Etats-Unis. L’économie est moribonde ; la misère est grande, surtout dans les zones rurales.

Dans ce contexte morose, Frank et Eudora, un couple en rupture de ban, s’installent à Whitbrow — petite ville de Géorgie dans laquelle Frank vient d’hériter d’une maison — pour y démarrer une nouvelle vie. Eudora remplacera l’institutrice de la ville et Frank prévoit de faire des recherches pour écrire la biographie de son terrifiant ancêtre local, un planteur esclavagiste, cruel et sanguinaire, assassiné lors de la révolte de ses esclaves. Le couple s’intègre lentement à la vie de Whitbrow et découvre, ce faisant, les étranges traditions de la petite ville et le mystère qui entoure la forêt de l’autre côté de la rivière. Vient un jour où une décision malheureuse de la communauté provoque une avalanche d’évènements terrifiants…

Ceux de l’autre rive est un premier roman, et il en a deux ou trois traits caractéristiques. Quelques mots ou expressions trop modernes dans la bouche d’un narrateur des années 30, des personnages peut-être un peu trop contemporains dans leurs attitudes (même pour des intellectuels de la Côte Est), certains dialogues imparfaits, une motivation maléfique pas totalement réaliste. On pourra aussi lui reprocher une fin sans doute rapide, et qui, par certains côtés, fleure bon le jeu de rôle.

Mais il serait vraiment dommage de s’en tenir là.

Ceux de l’autre rive possède une bonne histoire, au rythme de progression très satisfaisant. Il parvient à être un roman de genre bien typé qui se camoufle sur une bonne partie de sa longueur, évitant ainsi l’écueil d’une catégorisation trop rapide tout en instillant dès l’abord un sentiment de malaise intense. Intrigant un lecteur qui n’a, longtemps, pas tous les éléments du mystère en main, il l’invite à croiser deux personnages principaux détaillés et attachants, ainsi qu’un nombre conséquent de seconds rôles pittoresques et hauts en couleur, dans une bourgade reculée de l’Amérique profonde que la modernité n’a pas encore atteinte. Convaincant dans la description qu’il fait d’hommes simples dépassés par les évènements, Buehlman montre très bien la désagrégation rapide d’une petite communauté confrontée à une menace trop grande pour elle, et l’inefficacité de « civils » tentant de résister par la force à une adversité violente. N’est pas un vétéran de la grande Guerre qui veut ; seul Frank peut s’en vanter.

Ceux de l’autre rive, malgré ses défauts de jeunesse, est un ouvrage agréable et palpitant, un page-turner très distrayant. Il y a dans ce premier roman quelque chose du Stephen King des débuts, quand il savait écrire court et inquiéter sans abuser d’effets gore, quand il savait aussi faire entrer le lecteur dans les rituels intimes d’une communauté sans l’abreuver de références pro domo. Quant à Buehlman, c’est un auteur dont il faudra suivre la maturation ; en France dès qu’aura été traduit son second roman : Between two fires.

J’y vais de ce pas.

Mausolées

Europe. Futur indéterminé. Siècle prochain ?

Les Conflits sont terminés. Ils ont culminé dans l’Année Noire et éradiqué une bonne partie de l’Humanité. Réinventant les structures de la Renaissance italienne, les hommes font leur vie dans des Cités-Etats largement autonomes, elles-mêmes regroupées, en Europe du moins, en une Fédération lâche et lointaine. Cette vie, même dans la version rabougrie qu’imposent les restrictions de l’Après-guerre, ne durera peut-être plus longtemps car la fertilité humaine a diminué de façon drastique sous l’effet des armes chimiques et génétiques utilisées massivement pendant les Conflits.

Dans ce monde rieur, précisément dans la cité de Sargonne où il arrive en « ferrail », se présente au lecteur le jeune Léo Kargo, embauché comme bibliothécaire et biographe par le célèbre et énigmatique Pavel Khan, chef de guerre des Conflits, combattant impitoyable pour la démocratie, fléau des potentats mafieux, mercenaire devenu avec la paix milliardaire et mécène. Dans la base fortifiée de son nouveau patron, Kargo découvre un monde étrange. Une théorie d’assistants — dont la peu farouche Danoo — et de gardes du corps forme le nouvel entourage du jeune homme, qui ne rencontrera pas le « souverain » Khan avant plusieurs mois ; l’immense bibliothèque de Khan, que Kargo est chargé de préserver et d’améliorer, semble lui délivrer un message par-delà les siècles. Mais à l’image de l’humanité entière, et sans doute pour les mêmes raisons, elle est menacée par une lèpre qui détruit les pages et fait disparaître les ouvrages. Il est temps de réagir avant que tout ne disparaisse, en espérant seulement qu’il ne soit pas déjà trop tard. Mais comment espérer quand les projets de réparation génétique ne sont pas encore aboutis, quand la lèpre des livres progresse si vite qu’il faut bien admettre qu’ils tirent peut-être leur révérence car, voulant nous parler d’un monde disparu au point d’être incompréhensible, ils n’ont plus rien d’intelligible à nous dire, quand les derniers jours de Khan sont consacrés à une vieille vengeance ? La bonne idée est peut-être simplement de laisser partir ce qui a fait son temps…

Dans Mausolées, Chavassieux présente au lecteur un théâtre d’ombres rempli d’illusions et de faux-semblants. Nul n’y est seulement ce qu’il affirme, les non-dits et les trahisons abondent ; la méfiance est, pour les résidents de la forteresse, une vertu évolutionnaire qu’ils doivent posséder sous peine de mort. La vie au palais est symbolisée par un jeu de stratégie, le Palais des Fous, créé par Khan lui-même, dans lequel chaque pièce peut être jouée indifféremment par chacun des adversaires. Persuasion, corruption, menace sont nécessaires à la victoire ; il peut même être rationnel de sacrifier une pièce utile pour empêcher l’autre de l’utiliser à son profit.

Finalement assez peu conforme aux canons de la SFF, si ce n’est par son contexte, Mausolées est une histoire de secrets, de vengeance, de paranoïa. C’est un roman qui aurait pu mettre en scène des mafieux contemporains sans être fondamentalement différent. Il peut, de ce fait, décevoir le lecteur attiré par la présentation post-apo’ de l’éditeur. Nonobstant, c’est une très bonne histoire, lente, tendue, qui saisit le lecteur, fasciné par l’étude, presque entomologique, de la vie d’une fourmilière hiérarchisée et organisée. C’est l’histoire de la fin d’un cycle, celui de l’humanité que nous connaissons, de sa philosophie et de ses mythes fondateurs. Car même si les hommes réussissent à maitriser assez le génie génétique — et ceux des humains qui souhaitent l’extinction — pour éviter que l’humanité ne devienne un souvenir, ce qui nous succèdera sera très différent de nous ; comment comprendre le son que rend l’arc d’Ulysse quand on ne sait pas ce qui est une hirondelle ?

C’est aussi en contrepoint une histoire sur la volonté de survivre, de poursuivre, de faire descendance, tant physique qu’intellectuelle.

Eros et Thanatos s’affrontent dans Mausolées ; le lecteur assiste, médusé, à leur duel.

Rappelant plutôt le Boris Vian de L’Arrache-cœur que le Walter Miller d’Un cantique pour Leibowitz, enfermant ses personnages comme dans le Bunker Palace Hôtel de Bilal, Mausolées propose un voyage dans une contrée étrange où vivent des femmes-troncs nues aux membres mécaniques, où une abbaye, reconvertie en place forte, abrite des trésors culturels derrière des systèmes de destruction massive, où des vieillards agressent, depuis leur maison, les passants qu’ils haïssent, où les politiques, corrompus ou incompétents, meurent ou trahissent, où un centre pour handicapés tient lieu, parfois, de centre du monde. Un voyage en terre bien singulière, plaisamment dépaysant.

Très écrit, mais jamais trop, Mausolées est un roman d’une lecture agréable, plein d’images qui embellissent le texte sans jamais l’alourdir inutilement. Un roman recommandable pour peu que le lecteur sache où il met les pieds.

Silo

Ainsi, les prestigieuses éditions Actes Sud lancent « Exofictions », une collection de… science-fiction. Si si. Exercice périlleux, du coup, qui consiste à publier de la SF sans trop que ça se voie, afin d’ambitionner un succès populaire dans un genre réputé répulsif auprès du grand public français. Face au postulat de ce grand écart annoncé, les optimistes verront peut-être là l’occasion de redorer le blason d’un domaine bien malmené en librairie, et de convaincre quelques « critiques littéraires » parisiens de tenter l’aventure SF sans trop se boucher le nez… On peut toujours rêver.

Or donc, pour résoudre cette quadrature du cercle, « Exofictions » a misé sur Hugh Howey, un phénomène outre-Atlantique, une de ces belles histoires qui courent le Net depuis quelque temps : auteur qui s’autoédite sur la Toile ; rencontre un immense succès populaire ; est repéré par un éditeur US qui fait dudit succès initial une réussite mondiale colossale. Bref, Actes Sud a mis le paquet pour obtenir Silo (ils n’étaient pas les seuls sur le coup, naturellement), puis pour le faire connaître (grosse campagne de pub, venue de l’auteur en France, services de presse abondants, etc.). Et force est de reconnaître que l’éditeur arlésien ne s’est pas trompé : il a trouvé le bon produit, une infusion de science-fiction peu corsée à même de ne pas trop agresser le palais délicat d’un lectorat peu habitué au domaine.

Dans un futur indéterminé, après une catastrophe tout aussi indéterminée ayant rendu le monde extérieur impropre à la vie (ou prétendu tel), un petit bout d’humanité se calfeutre dans un immense silo souterrain de cent quarante-quatre étages. On découvre comment il s’organise, une partie de son histoire, les mensonges d’une hiérarchie qui manipule la population, le tout à travers les yeux de quelques personnages clés du Silo.

Si Silo n’est pas un bon livre de SF, c’est indéniablement un bon produit, un page-turner typiquement américain aux cliffhangers parfaitement huilés, à la caractérisation des personnages poussée à l’extrême. Trop, sans doute, car il en devient parfois bavard dans l’introspection excessive de ses héros. Il pèche aussi par une construction non assumée jusqu’au bout. Rappelons qu’il s’agit là, initialement, d’un recueil de nouvelles. Or, si les trois premiers textes nous présentent le point de vue de trois personnages différents, Howey change son fusil d’épaules en cours de route à partir du quatrième récit en cassant son principe. Dommage, car il y avait là, dans cette construction en prisme, une réelle ambition — autre que celle de raconter une histoire rondement menée. Enfin, pour l’amateur de SF un tantinet capé, Silo ne sort jamais d’un schéma ouvertement grand public qui en fait avant tout un « livre de SF pour les nuls », manière de roman post-apo’ dystopique light assez agaçant.

Bref, Silo est un succès public, et ça ne surprendra personne. On l’a dit, Actes Sud ne s’est pas trompé et a mis les petits plats dans les grands. Aussi le candide pourra toujours se dire qu’un tel ouvrage pourrait amener de nouveaux lecteurs à la SF. Mwouais… En attendant, plutôt que lire le tome 2 et 3 (eh oui, il s’agit d’une trilogie !), on relira La Vérité avant-dernière de Philip Dick et Les Cavernes d’acier d’Isaac Asimov, en attendant le prochain titre de la collection « Exofiction », Leviathan Wakes de James Corey, un gros space opera qui envoie du bois, et nettement moins « infusion de SF » que le présent Silo.

Fils du ciel

[Critique commune à Fils du ciel, Lever du jour sur la montagne de fer, L'Empire du milieu, La Glace et le feu et L'Art de la guerre.]

Zhongguo. La Chine. Vaste pays qui fascine et effraie à la fois, y compris de nos jours. À juste titre, si l’on doit croire David Wingrove. Car en cette fin de XXIe siècle, le monde va connaître un bouleversement terrifiant. Sous la conduite de Zao Chun, un haut dignitaire, la Chine lance une attaque imparable contre le monde occidental. Premières visées, les bourses, centres névralgiques où tout se décide. L’assassinat du président des Etats-Unis d’Amérique et l’effondrement des marchés financiers sont le début d’une mécanique précise à l’efficacité redoutable. En quelques mois, l’Europe retourne au Moyen Age. En Angleterre, les gens vivent tant bien que mal dans des communautés refermées sur elles-mêmes. Sans nouvelle des autres pays. Mais tandis que les survivants reconstruisent patiemment un semblant de civilisation, l’ennemi approche. Son but : unifier le monde en une gigantesque cité construite de toutes pièces ; faire disparaître un passé de guerre et de divisions ; pacifier la planète. Mais à quel prix ?

Il est des œuvres portées par leur auteur envers et contre tout. Il est des histoires qui veulent exister jusqu’à leur dénouement. « Zhongguo » est de celles-là. David Wingrove est tenace. Cette série, qu’il défend depuis des années, a déjà été publiée dans les années 80. Mais devant le tassement des ventes, elle n’est pas vraiment arrivée au bout, l’auteur bricolant une fin, plutôt décevante, avant l’heure. Depuis 2011, grâce à un nouvel éditeur, l’aventure recommence. Et, ce qui n’avait pris « que » huit volets doit à présent s’épanouir en vingt romans dont l’architecture est déjà prévue, les titres annoncés.

Les deux premiers tomes, Fils du ciel et Lever du jour sur la montagne de fer, absents de la première mouture, racontent la transition entre notre monde et celui imaginé et voulu par Zao Chun. Les personnages, européens, nous servent de guide. En effet, proches de nous, ils sont la porte d’entrée d’une société codée selon des valeurs parfois bien éloignées des nôtres. C’est d’ailleurs un des problèmes de cette introduction. David Wingrove a voulu tenir par la main son lecteur, ne pas le plonger tout de suite dans un environnement résolument asiatique, aux règles inconnues, voire dérangeantes. Il a donc situé ces deux premiers romans en Angleterre, adoptant pour seul regard celui des Occidentaux victimes d’une attaque imprévue et cruelle. D’où une impression pour le lecteur que tout ce qui vient de l’Est est mauvais, les Chinois sont des monstres sans cœur, etc. Bref, une approche assez caricaturale. Une impression que la suite de la saga dissipe, et c’est tant mieux : dès L’Empire du milieu, traîtres et criminels se recrutent aussi bien chez les maîtres de la société que chez les Hongmao, les Occidentaux.

À partir de ce troisième tome, nous voilà donc sommes immergés dans les eaux troubles du pouvoir… Au XXIIe siècle, le monde est unifié. Tous les habitants (près de quarante milliards !) sont logés dans sept gigantesques cités. La paix semble régner. Mais les rancœurs et les jalousies sont à vif. Les Hongmao ruminent leur défaite et veulent renverser une société sclérosée où ils n’ont pas leur place. Et c’est parti pour des intrigues riches et parfois surprenantes, des complots, des haines, des passions et des trahisons. Tous les ingrédients d’une série nichée dans les hautes sphères sont déployés. Avec une érudition distillée sans ostentation, à bon escient, l’auteur révèle son univers par petites touches. Les personnages n’ont rien de coquilles vides : ils prennent corps, sont animés de sentiments puissants. David Wingrove est un artisan habile. Il connaît son affaire et sait multiplier les points de vue, les intrigues, les coups du sort pour donner du souffle à une saga qui en aura besoin (vingt volumes ! rappelons-le). Souhaitons-lui de trouver son public, d’aller au bout de son dénouement, de ne pas laisser, une fois encore, au bord de la route ceux qui auront cru en « Zhongguo ». Un pari que cette série mérite…

Lever du jour sur la montagne de fer

[Critique commune à Fils du ciel, Lever du jour sur la montagne de fer, L'Empire du milieu, La Glace et le feu et L'Art de la guerre.]

Zhongguo. La Chine. Vaste pays qui fascine et effraie à la fois, y compris de nos jours. À juste titre, si l’on doit croire David Wingrove. Car en cette fin de XXIe siècle, le monde va connaître un bouleversement terrifiant. Sous la conduite de Zao Chun, un haut dignitaire, la Chine lance une attaque imparable contre le monde occidental. Premières visées, les bourses, centres névralgiques où tout se décide. L’assassinat du président des Etats-Unis d’Amérique et l’effondrement des marchés financiers sont le début d’une mécanique précise à l’efficacité redoutable. En quelques mois, l’Europe retourne au Moyen Age. En Angleterre, les gens vivent tant bien que mal dans des communautés refermées sur elles-mêmes. Sans nouvelle des autres pays. Mais tandis que les survivants reconstruisent patiemment un semblant de civilisation, l’ennemi approche. Son but : unifier le monde en une gigantesque cité construite de toutes pièces ; faire disparaître un passé de guerre et de divisions ; pacifier la planète. Mais à quel prix ?

Il est des œuvres portées par leur auteur envers et contre tout. Il est des histoires qui veulent exister jusqu’à leur dénouement. « Zhongguo » est de celles-là. David Wingrove est tenace. Cette série, qu’il défend depuis des années, a déjà été publiée dans les années 80. Mais devant le tassement des ventes, elle n’est pas vraiment arrivée au bout, l’auteur bricolant une fin, plutôt décevante, avant l’heure. Depuis 2011, grâce à un nouvel éditeur, l’aventure recommence. Et, ce qui n’avait pris « que » huit volets doit à présent s’épanouir en vingt romans dont l’architecture est déjà prévue, les titres annoncés.

Les deux premiers tomes, Fils du ciel et Lever du jour sur la montagne de fer, absents de la première mouture, racontent la transition entre notre monde et celui imaginé et voulu par Zao Chun. Les personnages, européens, nous servent de guide. En effet, proches de nous, ils sont la porte d’entrée d’une société codée selon des valeurs parfois bien éloignées des nôtres. C’est d’ailleurs un des problèmes de cette introduction. David Wingrove a voulu tenir par la main son lecteur, ne pas le plonger tout de suite dans un environnement résolument asiatique, aux règles inconnues, voire dérangeantes. Il a donc situé ces deux premiers romans en Angleterre, adoptant pour seul regard celui des Occidentaux victimes d’une attaque imprévue et cruelle. D’où une impression pour le lecteur que tout ce qui vient de l’Est est mauvais, les Chinois sont des monstres sans cœur, etc. Bref, une approche assez caricaturale. Une impression que la suite de la saga dissipe, et c’est tant mieux : dès L’Empire du milieu, traîtres et criminels se recrutent aussi bien chez les maîtres de la société que chez les Hongmao, les Occidentaux.

À partir de ce troisième tome, nous voilà donc sommes immergés dans les eaux troubles du pouvoir… Au XXIIe siècle, le monde est unifié. Tous les habitants (près de quarante milliards !) sont logés dans sept gigantesques cités. La paix semble régner. Mais les rancœurs et les jalousies sont à vif. Les Hongmao ruminent leur défaite et veulent renverser une société sclérosée où ils n’ont pas leur place. Et c’est parti pour des intrigues riches et parfois surprenantes, des complots, des haines, des passions et des trahisons. Tous les ingrédients d’une série nichée dans les hautes sphères sont déployés. Avec une érudition distillée sans ostentation, à bon escient, l’auteur révèle son univers par petites touches. Les personnages n’ont rien de coquilles vides : ils prennent corps, sont animés de sentiments puissants. David Wingrove est un artisan habile. Il connaît son affaire et sait multiplier les points de vue, les intrigues, les coups du sort pour donner du souffle à une saga qui en aura besoin (vingt volumes ! rappelons-le). Souhaitons-lui de trouver son public, d’aller au bout de son dénouement, de ne pas laisser, une fois encore, au bord de la route ceux qui auront cru en « Zhongguo ». Un pari que cette série mérite…

L'Empire du milieu

[Critique commune à Fils du ciel, Lever du jour sur la montagne de fer, L'Empire du milieu, La Glace et le feu et L'Art de la guerre.]

Zhongguo. La Chine. Vaste pays qui fascine et effraie à la fois, y compris de nos jours. À juste titre, si l’on doit croire David Wingrove. Car en cette fin de XXIe siècle, le monde va connaître un bouleversement terrifiant. Sous la conduite de Zao Chun, un haut dignitaire, la Chine lance une attaque imparable contre le monde occidental. Premières visées, les bourses, centres névralgiques où tout se décide. L’assassinat du président des Etats-Unis d’Amérique et l’effondrement des marchés financiers sont le début d’une mécanique précise à l’efficacité redoutable. En quelques mois, l’Europe retourne au Moyen Age. En Angleterre, les gens vivent tant bien que mal dans des communautés refermées sur elles-mêmes. Sans nouvelle des autres pays. Mais tandis que les survivants reconstruisent patiemment un semblant de civilisation, l’ennemi approche. Son but : unifier le monde en une gigantesque cité construite de toutes pièces ; faire disparaître un passé de guerre et de divisions ; pacifier la planète. Mais à quel prix ?

Il est des œuvres portées par leur auteur envers et contre tout. Il est des histoires qui veulent exister jusqu’à leur dénouement. « Zhongguo » est de celles-là. David Wingrove est tenace. Cette série, qu’il défend depuis des années, a déjà été publiée dans les années 80. Mais devant le tassement des ventes, elle n’est pas vraiment arrivée au bout, l’auteur bricolant une fin, plutôt décevante, avant l’heure. Depuis 2011, grâce à un nouvel éditeur, l’aventure recommence. Et, ce qui n’avait pris « que » huit volets doit à présent s’épanouir en vingt romans dont l’architecture est déjà prévue, les titres annoncés.

Les deux premiers tomes, Fils du ciel et Lever du jour sur la montagne de fer, absents de la première mouture, racontent la transition entre notre monde et celui imaginé et voulu par Zao Chun. Les personnages, européens, nous servent de guide. En effet, proches de nous, ils sont la porte d’entrée d’une société codée selon des valeurs parfois bien éloignées des nôtres. C’est d’ailleurs un des problèmes de cette introduction. David Wingrove a voulu tenir par la main son lecteur, ne pas le plonger tout de suite dans un environnement résolument asiatique, aux règles inconnues, voire dérangeantes. Il a donc situé ces deux premiers romans en Angleterre, adoptant pour seul regard celui des Occidentaux victimes d’une attaque imprévue et cruelle. D’où une impression pour le lecteur que tout ce qui vient de l’Est est mauvais, les Chinois sont des monstres sans cœur, etc. Bref, une approche assez caricaturale. Une impression que la suite de la saga dissipe, et c’est tant mieux : dès L’Empire du milieu, traîtres et criminels se recrutent aussi bien chez les maîtres de la société que chez les Hongmao, les Occidentaux.

À partir de ce troisième tome, nous voilà donc sommes immergés dans les eaux troubles du pouvoir… Au XXIIe siècle, le monde est unifié. Tous les habitants (près de quarante milliards !) sont logés dans sept gigantesques cités. La paix semble régner. Mais les rancœurs et les jalousies sont à vif. Les Hongmao ruminent leur défaite et veulent renverser une société sclérosée où ils n’ont pas leur place. Et c’est parti pour des intrigues riches et parfois surprenantes, des complots, des haines, des passions et des trahisons. Tous les ingrédients d’une série nichée dans les hautes sphères sont déployés. Avec une érudition distillée sans ostentation, à bon escient, l’auteur révèle son univers par petites touches. Les personnages n’ont rien de coquilles vides : ils prennent corps, sont animés de sentiments puissants. David Wingrove est un artisan habile. Il connaît son affaire et sait multiplier les points de vue, les intrigues, les coups du sort pour donner du souffle à une saga qui en aura besoin (vingt volumes ! rappelons-le). Souhaitons-lui de trouver son public, d’aller au bout de son dénouement, de ne pas laisser, une fois encore, au bord de la route ceux qui auront cru en « Zhongguo ». Un pari que cette série mérite…

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