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Amortels

Vous avez peut-être vu Dans la ligne de mire, film de 1993 réalisé par Wolfgang Petersen où Clint Eastwood interprète un garde du corps. Un de ceux qui sont prêts à se jeter entre la balle et le président des Etats-Unis. Bien sûr, pour un tel job, il serait plus confortable d’être un amortel. Autrement dit, de faire partie de ces quelques privilégiés qui, quand un accident survient, ou, tout bêtement, quand ils trouvent leur corps trop vieux, peuvent en changer au profit d’un plus jeune et intact. Et voir toute leur mémoire transférée dans ce clone tout neuf. Alors que le reste de la population continue de crever à petit feu. D’autant plus vite que les programmes de recherche contre les grandes maladies (sida, cancer…) ont été interrompus. A quoi bon, puisque les dirigeants et les puissants sont à l’abri de ces tracas ? Bienvenue dans un monde cynique (et un tantinet simpliste) où l’espérance de vie est en régression, et la connexion avec le réseau permanente grâce aux implants.

Ronan Dooley est policier. Un policier qui, il y a bien longtemps, a sauvé un président. En remerciement de cet exploit, il a reçu le privilège de l’amortalité. Depuis, soit il assure la sécurité du président (de la présidente, en l’occurrence), soit il s’occupe d’enquêtes criminelles. Au début du roman, Dooley vient d’être assassiné. Et de revivre. Histoire d’étrenner son nouveau corps, il entreprend d’élucider les circonstances de son meurtre. Et pour commencer, il va visionner l’événement, car bien entendu, autre merveille de cette société, tout est filmé, partout ou presque. Une expérience éprouvante au regard de la brutalité du meurtrier, qui, sans raison apparente, s’acharne sur sa victime. On s’en doute : essayant de comprendre ce qui est arrivé à son ancien moi, Dooley va plonger au cœur d’une conspiration gigantesque. Le ton est donné dès le début : on ne va pas y aller avec le dos de la cuillère côté spectacle, à grands renforts d’explosions et de bande son à fond la caisse, et ce jusqu’à une fin grandiloquente confinant au ridicule tant elle vise le grandiose.

Ce qui ne signifie pas que ce roman soit sans qualité aucune, bien au contraire. La société proposée par Matt Forbeck, malgré ses aspects caricaturaux, s’avère cohérente et, de fait, déprimante à souhait, tant les inégalités fleurissent à chaque coin de rue. Le personnage principal nous promène d’un quartier à l’autre de Washington, des fastes du pouvoir aux antres sordides de tueurs sans scrupules. Dans la mesure où il avait négligé de faire ses sauvegardes régulières, c’est plusieurs semaines de vie avant son assassinat qui lui manquent. Dooley doit donc revenir sur ses pas, redécouvrir ce qu’il avait alors deviné. Ce procédé assez classique justifie malgré tout certaines explications nécessaires au lecteur, explications qui auraient pu paraitre artificielles en d’autres circonstances. On est ainsi plus près du personnage central, on s’interroge avec lui. Sur les raisons de son meurtre. Mais aussi sur les conditions d’amortel. Comme dans le roman de Walter Jon Williams chez le même éditeur, Le Coup du cavalier, on suit ici un héros en proie à la lassitude, aux doutes. Comment garder une famille quand on voit mourir sa femme, puis ses enfants ? Qu’on finit par perdre le compte des générations ? Comment accepter de revenir éternellement quand la plupart des autres meurent ?

Roman rythmé et efficace, Amortels, malgré une fin décevante et une absence de génie manifeste, reste un ouvrage de bonne tenue, une lecture divertissante, un casse-croûte léger, ce qui n’est pas sans intérêt en ces temps de lourdeur.

Les Jardins de Kensington

Le roman débute avec l’évocation du suicide de Peter Llewelyn Davies à l’âge de soixante-trois ans : cet éditeur était le deuxième des cinq enfants de Llewelyn Davies, dont s’est inspiré leur tuteur, J. M. Barrie, pour créer le personnage de Peter Pan, devenu entre-temps un « chef-d’œuvre terrible ».

Le destin a souvent l’ironie cruelle. Parmi les modèles de l’enfant qui ne voulait pas grandir, l’aîné, George, est effectivement mort à vingt et un ans au front, en 1915. Michael, le principal inspirateur, se noiera avec un ami d’enfance juste avant ses vingt et un ans. Quels échos tragiques cela n’a-t-il pas éveillé en James Barrie, lui qui vécut une enfance malheureuse suite à la mort tragique, sur un lac où il faisait du patin à glace, de son frère David âgé de treize ans, considéré comme le plus beau, le plus sportif, décès dont ne se remit jamais sa mère et pour l’amour de laquelle l’enfant fera tout pour lui rendre le sourire, jusqu’à s’habiller avec les habits du défunt ?

C’est à de telles considérations que se livre le narrateur à l’adresse d’un interlocuteur dont on ne connaît que le nom, Keiko Kai, mêlées d’observations tirées de sa vie personnelle, de ses réflexions sur l’enfance, sur ce qu’il comprend de celle de son prédécesseur avec qui il entretient des liens d’affinité. En effet, cet écrivain, qui signe Jim Hook, est l’auteur d’une série à succès où un enfant, Jim Yang, enfourche sa chronocyclette pour affronter son ennemi juré, Cagliostro Nostradamus Smith, à travers le temps, de l’ère victorienne à l’époque des Beatles, ou encore à l’époque de James Barrie dont il finit par devenir l’ami.

Voilà un livre peu évident à concevoir, à rebours des codes romanesques, qui n’a pas, en apparence, de réel fil narratif, juste un axe, à savoir les jardins de Kensington, où tout commença, quand Barrie jouait avec les enfants Llewyn Davies sans encore connaître leur mère, et où tout s’acheva, avec une statue (ratée) à l’effigie de la créature, Peter Pan. Au-delà de la biographie fort documentée de Barrie, le monologue qui court tout le long du livre disserte de tout et de rien, des débuts de la télévision et des fascinantes années swing, d’un chanteur s’entourant d’enfants dans son propre Neverland, de la mémoire et du temps, de la création artistique qui puise, de façon parfois bien curieuse, dans la vie intime, pour incarner des personnages qui dépassent le créateur, et qui deviennent parfois de dangereuses idoles. L’enfance, bien sûr, se trouve au centre des propos, en ce qu’elle détermine tout le reste.

On se demande parfois où Rodrigo Fresán veut en venir : il y a quelque originalité à présenter la biographie de J. M. Barrie à travers le monologue d’un auteur imaginaire, mais l’exercice risque d’être gagné par l’artificialité si les éléments de la fiction, à savoir la propre expérience du narrateur et ce que racontent les aventures de son héros, ne sont que les occasions de méditer sur la vie et l’œuvre du père de Peter Pan. C’est avec patience que Fresán avance ses pièces, révélant progressivement l’identité de l’auditeur, puis le contexte et les circonstances ayant donné lieu à ce monologue, ramassant d’un coup ses billes et finissant sur un coup d’éclat, en ayant fait prendre conscience au lecteur du danger qui dort dans les œuvres pour la jeunesse. Rodrigo Fresán, dont Philippe Boulier nous avait déjà longuement entretenu dans le Bifrost n°61, ne convaincra pas ici tout le monde, mais il a réussi son pari : cette évocation d’un auteur célèbre et le parfum de fantastique, les fantômes qu’il déploie au fil du roman, font forte impression. Il faut s’abandonner à cette lecture comme on arpente un jardin, effectuant des allers-retours comme dans ceux de Kensington, en méditant sur une vie et en voyant s’imposer la monstrueuse figure d’un héros de l’Imaginaire dévorant les enfants.

Cycle de Mars

Tous les auteurs de l’âge d’or, Bradbury en tête, l’avouent : les aventures de John Carter sur Mars les ont inspirés quand ils avaient dix ans. Après Tarzan, il est le héros le plus connu d’Edgar Rice Burroughs. Le cycle, dix romans et un recueil de nouvelles, faillit être classé meilleur de tous les temps par le prix Hugo en 1966, juste après Fondation d’Asimov. Son adaptation au cinéma justifie la réédition d’une intégrale en
« Omnibus », dont voici le premier tome, composé de cinq opus à la traduction révisée, voire nouvelle pour l’un.

John Carter est la caricature du héros aux poings fermés et à l’esprit obtus, qui classe les individus en supérieurs ou inférieurs, avec ce que ça suppose d’allégeance des uns envers les autres. Il surveille constamment ses émotions, comme si elles pouvaient attenter à sa virilité. Il peut éprouver des sentiments de rage infantile s’il se sent lésé, avant de réaliser qu’on lui joue une farce. La preuve qu’Edgar Rice Burroughs joue à fond les codes propres à séduire un lectorat de dix ans — qui trouve encore bêtes les filles — est bien que son héros aime pour la première fois sur Mars : « Ainsi, c’était ça, l’amour ! Je lui avais échappé pendant de nombreuses années, baroudant absolument partout dans le monde. » (La Princesse de Mars, p. 102.)

John Carter n’est réellement acteur que des trois premiers opus : devenu prince et héros suprême, il est remplacé par des personnages secondaires, dont son fils, puis sa fille. En fait, l’héroïne est Barsoom elle-même, planète à l’exotisme baroque, creuset du planet opera.

En effet, dans le cadre des aventures et voyages de la littérature populaire, les personnages et les thèmes codifiés nécessitent un renouvellement du décor, sur lequel rejouer les mêmes scènes, exercice plus problématique à mesure que rétrécit la planète. Aussi, Burroughs expédie son héros dans un décor absolument vierge, sans s’embarrasser d’explication ni de moyen de propulsion : après avoir échappé aux indiens, le capitaine John Carter, natif de Virginie (!), se retrouve, paf !, sur Mars.

Barsoom/Mars se peuple de la même façon infantile : les Martiens Verts font cinq mètres et ont quatre bras, mais pas les Rouges, humanoïdes qui naissent dans des œufs (le fils de John Carter éclora ainsi), et dans les romans suivants déboulent les Martiens Noirs, Blancs, Jaunes. Une fois apprivoisé, le monstre a les postures et la fidélité d’un caniche. Les connaissances exposées sont des bribes de culture disparates : Mars et ses canaux suggèrent une eau rare et une atmosphère ténue, et donc un ciel sans oiseau. Ceci n’empêche pas les peuples ayant sombré dans la décadence de survivre grâce à des générateurs d’atmosphère au radium, ni d’utiliser divers moyens aériens de propulsion. Et de préférer le combat à l’épée au fusil au radium d’une portée de cinq cents kilomètres…

Les explications ne servent qu’à justifier le cours immédiat de l’action, pour empêcher son ralentissement, parfois pour assurer sa relance, mais se soucient peu de cohérence et sont même carrément oubliées dès le chapitre suivant. Ainsi, la nature abrupte et belliqueuse du Martien lui fait préférer l’affrontement au mensonge, au risque de sa vie, mais on révèle sans cesse manipulation et traîtrise chez autrui. Ces naïves contradictions contrastent d’autant plus qu’elles côtoient des affirmations péremptoires qui en disent long sur les préjugés de l’époque (un peu d’indulgence, mesdames !). Barsoom revient à voir le monde avec le niveau culturel d’un enfant de dix ans, un enfant vif et curieux qui se saisit de tout ce qu’il découvre pour l’amalgamer in petto à son imaginaire. Burroughs n’écrit pas pour mais comme un enfant, capacité rare qui fit son succès.

Mais voyez comme l’enfant progresse avec un enthousiasme communicatif, rejouant les mêmes scènes pour y incorporer le savoir tout juste acquis, ajoutant au tableau de la finesse ! Il y a un désir de faire monde en se faisant tour à tour entomologiste, ethnologue et historien d’une planète, à multiplier les sociétés à mesure que s’étend l’exploration, trouvant les Premiers-Nés d’un darwinien arbre évolutif martien (Le Guerrier de Mars). Il y a un désir de vérité : au primitif refus de mensonge correspond la dénonciation des leurres d’une religion anthropophage (Les Dieux de Mars) qui voit les fidèles se rendant au paradis devenir la nourriture des Therns au service de la déesse Issus (Jesus ?), désir de se dépasser en se focalisant sur les pouvoirs de l’esprit dominant la matière (Thuvia, vierge de Mars), en faisant du cérébral et du physique, de la tête et des jambes, des entités distinctes (Echecs sur Mars). Et voyez comme le monde change ! Carter ramène la paix entre les tribus toujours en guerre (le cycle débute en 1917). Les premiers engins volants évoquant des zeppelins deviennent des aéronefs rapides et individuels (1919), à présent équipés d’un pilotage automatique… au radium, forcément (1920). C’est l’aube bouillonnante du XXe siècle que Barsoom reflète dans sa profusion. Et voyez comme ces désirs d’explications se font prudents dans l’énonciation, avançant un huitième type de rayonnement, inconnu des Terriens, « comme le neuvième du reste » ! C’est la science-fiction qui découvre les vertus de l’aporie et l’art du plausible.

Soyons sérieux : c’est kitch et il faut avaler de sacrées couleuvres. Mais on ne peut s’empêcher de regarder John Carter avec la tendresse pour l’enfant qu’on a été. On tolère et on pardonne ses écarts et ses excès car on admire l’énergie et la sincérité qui l’animent. John Carter, c’est la science-fiction encore maladroite, mais émouvante parce qu’elle contient en germe les richesses qu’elle déploiera adulte.

Blue Jay Way

Jeune franco-américain fasciné par l’écrivain Carolyn Gerritsen, Julien décide de lui consacrer une étude. Une amitié se noue alors entre cette New-yorkaise riche, assez dure, et le jeune homme qui vient de perdre son père dans les attentats du 11 septembre. Bientôt, Carolyn et son ex-mari, Larry Gordon, un des derniers nababs d’Hollywood, proposent à Julien de s’approcher de leur fils, Ryan, contre rémunération. Ryan est un jeune homme difficile, perturbé. Julien, qui a plaqué sa petite amie (à moins que ce ne soit l’inverse), accepte et se retrouve à Los Angeles, à Blue Jay Way, villa de rêve habitée par Larry Gordon (toujours absent), sa nouvelle femme âgée de vingt-trois ans prénommée Ashley, sans oublier Ryan, évidemment, et sa bande de pénibles potes. S’ensuivront des fêtes improbables (une, surtout). Une liaison. Un meurtre atroce. La routine à Hollywood. Sauf que pour Julien, ce n’est pas la routine : la victime est Ashley et c’est lui qui avait une liaison avec elle…

Quand on fait le bilan des qualités et des défauts de ce premier thriller (?) de Fabrice Colin, les défauts l’emportent haut la main, ce qu’on ne peut que regretter car Blue Jay Way regorge de fulgurances stylistiques, psychologiques, visuelles.

Mais le livre manque cruellement de rythme : il commence avec une piscine de références de deux cents pages dans laquelle on patauge allégrement (références cinématographiques, littéraires, musicales… une vrai mitraille). Puis le meurtre d’Ashley a lieu. On sort la tête de l’eau, pas pour longtemps, car suivent à nouveau cent cinquante pages de semoule. Ce n’est que vers la page 350 que le roman semble démarrer vraiment, malheureusement un envol truffé de scènes auxquelles on ne croit guère (voire pas du tout). La réalité dérape comme chez David Lynch, l’incongru règne comme chez Wes Anderson, mais la machine clopine.

Comédie de mœurs avec des petits morceaux de thriller dedans (comme The Big Lebowski ?), Blue Jay Way se crashe par manque d’alchimie, l’auteur s’intéressant davantage au nombril de son narrateur qu’à son intrigue (et quand je dis nombril, je suis poli, tant le livre regorge de fellations, de sodomies, de sperme sur les lèvres et dans les cheveux de jeunes californicatrices sensibles à la french touch-pipi). Avec son alternance de scènes à la première personne (pleines d’ironie), et de scènes en écriture omnisciente, presque journalistique, qu’on pourrait surnommer « Naissance des monstres », la structure même du livre témoigne de cette mayonnaise pas prise.

On attendait sans doute trop du premier Sonatine de Fabrice Colin. Là où il aurait pu écrire une sorte de The Player post-onze septembre, qui aurait sans doute trouvé sa place chez Flammarion, il se perd dans les terres du thriller californien, avec ficelles usuelles : rapports psy, allusions nazies, sociétés secrètes républicaines (c’est-à-dire d’extrême droite), animaux torturés. La moitié de ces pistes finissant évidemment dans le désert.

D’ailleurs, citer Flammarion à ce stade de cette critique n’est pas totalement dénué de sens, puisque Fabrice Colin s’approche ici de l’œuvre de Michel Houellebecq (name-dropping, histoires de cul drôles à force d’être déplorables, anecdotes du fric roi et de la célébrité reine, le tout saupoudré d’une bonne couche de drogues récréatives et d’ironie acide)… Ne manque que l’humour abject (sans doute ce qui sépare 5 000 ventes de 300 000).

Vous entendez ce bruit agaçant ? C’est James Ellroy qui fait le chien et se marre sous les lettres HOLLYWOOD. La littérature est cruelle : Blue Jay Way est un film ambitieux, mais raté.

Petites Morts

Petit retour au siècle dernier : en 1997, Laurent Kloetzer faisait son entrée en littérature avec Mémoire vagabonde, roman de fantasy devant davantage aux mémoires de Casanova et à l’œuvre de Choderlos de Laclos qu’aux traditionnelles références du genre. Un récit où, par le biais des aventures libertines et picaresques de son héros, Jaël de Kherdan, l’auteur s’interrogeait sur les rapports entre réalité et fiction, souvenirs et mensonges, et développait un univers bien plus complexe que ce qu’il semblait être de prime abord. Quinze ans plus tard, il renoue avec le personnage de ses débuts — personnage qu’il n’avait d’ailleurs jamais tout à fait abandonné, puisque deux des cinq nouvelles qui composent ce livre, davantage roman que recueil, d’ailleurs, ont déjà été publiées précédemment.

Premier constat : Laurent Kloetzer écrit mieux que jamais. Il n’est qu’à lire les quelques scènes du premier roman qu’il revisite ici pour juger du parcours accompli. C’est également cette écriture ciselée qui donne tout leur charme aux deux premières nouvelles au sommaire de Petites morts : « Eva » et « Mademoiselle Belle ». La première, une fois n’est pas coutume, apporte un regard extérieur sur le personnage de Jaël, héros romantique tel que le rêvent Eva, jeune valétudinaire de douze ans, et sa grande sœur Léora. Un triangle amoureux qui ne peut bien entendu que très mal finir. La seconde est une merveille d’érotisme pas toujours feutré, où l’on batifole au cœur d’un jardin luxuriant et où l’on s’émeut d’une gorge à peine découverte ou de la courbe d’une nuque, avant de s’abandonner à des jeux d’une rare perversité. L’une comme l’autre de ces nouvelles constitue une fête des sens permanente, comme peu d’écrivains sont capables d’en mettre en scène.

Malheureusement, la seconde moitié de Petites morts abandonne en grande partie ces célébrations charnelles pour renouer avec les principaux thèmes qui animaient Mémoire vagabonde. A la recherche de sa propre identité, Jaël y est balloté en permanence entre rêve et réalité, manipulé par des forces qui le dépassent et des individus dont il ignore tout. Dans le dernier texte au sommaire, « Immacolata », le récit bascule d’ailleurs dans la pure science-fiction, remettant en cause tout ce qu’on pensait avoir compris de cet univers. Mais à force d’empiler ainsi les strates de réalité et de remettre sans arrêt en question leur existence véritable, Laurent Kloetzer finit par perdre son lecteur. Et il est d’autant plus difficile de suivre ses développements que les textes n’offrent pas grand-chose à quoi s’accrocher. Pas les univers, qui se succèdent sans révéler leur vraie nature, ni les protagonistes, qui dissimulent leurs motivations — quand ce n’est pas leur identité — sous plusieurs épaisseurs de faux-semblants. Certes, « Immacolata » parvient in fine à renouer certains fils, en même temps qu’il offre à Jaël l’une de ses incarnations les plus intéressantes et qu’il prolonge dans une nouvelle direction la plupart des thèmes précédemment abordés. Néanmoins, à trop souvent se montrer cryptique dans sa narration, Laurent Kloetzer finit par perdre de vue l’essentiel, et les bonheurs de lecture qu’il a si bien su susciter dans la première moitié de Petites morts ne se retrouvent que trop rarement dans la seconde.

La Fille automate

Premier roman de Paolo Bacigalupi, La Fille automate débarque en France bardé d’un nombre de récompenses assez impressionnant, dont un doublé Nebula/Hugo (ce dernier ex-aequo avec The City and the City de China Miéville). Avant cela, on avait déjà pu découvrir quelques-unes de ses nouvelles dans les pages de la revue Fiction, parmi lesquelles « Le Calorique », qui se déroule dans le même univers.

A l’instar de Ian McDonald dans Le Fleuve des dieux (éd. Denoël), Bacigalupi a choisi de situer l’action de son récit dans un lieu des plus dépaysant, la Thaïlande, quelques décennies dans le futur. Un futur cauchemardesque, où la biogénétique est à l’origine de catastrophes sanitaires à l’échelle planétaire, où les foyers de guerre ne cessent de se multiplier, et où la disparition du pétrole a bouleversé toutes les relations commerciales. Mais aussi chaotique que soit la situation en Thaïlande, elle n’en demeure pas moins privilégiée si on la compare à celle de la plupart de ses voisins asiatiques qui se sont effondrés les uns après les autres.

La Fille automate démarre sur un rythme nonchalant, rythme qu’il va garder pendant près de trois cent pages. Le temps pour Paolo Bacigalupi d’immerger pleinement son lecteur dans ce monde exotique, d’en faire ressentir les particularités tant politiques que sociales ou culturelles. Petit à petit, on obtient un tableau extrêmement vivant de cet univers aussi foisonnant qu’effrayant, où la majeure partie de la population doit mener une lutte permanente pour survivre, tandis qu’au sommet de l’Etat, une poignée de profiteurs n’hésite pas à remettre en cause le fragile équilibre qui s’est instauré afin d’accroitre encore un peu plus ses privilèges. Au fil des chapitres, on s’acclimate progressivement aux conditions locales, à ce monde en perpétuel mouvement, peuplé de mastodontes transgéniques, de réfugiés climatiques et de chemises blanches chargées de faire régner l’ordre. Malgré la diversité des sujets qu’il brasse, le tour de force du romancier est de parvenir à donner une vision cohérente et crédible de cet univers, sans la moindre fausse note.

Bacigalupi prend également son temps pour introduire ses différents protagonistes et leur donner toute l’épaisseur qu’ils requièrent. Il y a Anderson Lake, ressortissant américain, officiellement gérant d’une fabrique de piles, mais en réalité davantage intéressé par la découverte des secrets qui ont permis à la Thaïlande de ne pas connaitre le même sort que ses voisins ; Hock Seng, vieux Chinois qui a fui son pays pour échapper aux guerres de religion qui y font rage, et qui est prêt à tout pour ne plus jamais connaitre pareille horreur ; Jaidee Rojjanasukshai et son lieutenant, Kanya, chargés par le ministère de l’Environnement d’empêcher l’importation sur le sol thaï des produits de contrebande qui ont ravagé le reste de l’Asie ; sans oublier Emiko, la fille automate du titre, jeune femme née dans un laboratoire japonais, conçue pour assouvir tous les fantasmes de ses propriétaires, et qui va soudain se mettre à rêver de liberté. De par sa nature même, il s’agit sans doute du personnage le plus complexe et le plus fascinant du roman.

Le destin de ces quelques individus va s’accélérer dans la seconde moitié du roman, lorsque le chaos qu’on sentait planer depuis le début s’abat brusquement sur le pays. Paolo Bacigalupi change alors de braquet et poursuit son récit sur un rythme effréné qui ne ralentira plus. Contraint d’agir dans la précipitation, chacun va devoir prendre des mesures drastiques, d’abord pour survivre, ensuite pour tenir son rôle dans l’Histoire qui s’écrit.

Par l’ampleur de son sujet, par la maitrise dont fait preuve son auteur, d’autant plus impressionnante qu’il s’agit, rappelons-le, d’un premier roman, La Fille automate mérite largement tous les prix qui lui ont été attribués. Le monde qu’annonce ce livre n’a rien d’enthousiasmant, mais Paolo Bacigalupi le fait vivre avec une telle énergie qu’on souhaite le voir y revenir le plus tôt possible, tant il offre de potentialités qu’il lui reste à explorer.

Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps

Lorsqu’il ne signe pas des romans pour la jeunesse ou des bandes dessinées, ne traduit pas des comics ou des textes anglo-saxons, ne publie pas des articles ici ou là et ne participe pas à cinquante autres projets divers, Laurent Queyssi trouve parfois le temps d’écrire des nouvelles. Pas souvent, certes, une petite quinzaine en à peine moins d’années, mais la qualité est assez régulièrement au rendez-vous. Les éditions ActuSF rééditent les meilleures d’entre elles dans Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps, accompagnées d’un inédit qui donne son titre au recueil.

On retrouve dans ces textes le côté touche-à-tout de leur auteur, et l’on ne s’étonnera pas de la diversité des thèmes abordés. Rock, science-fiction, séries télé ou cinéma, Laurent Queyssi revisite ses passions par le biais de la fiction et part à la recherche des créateurs dissimulés derrière leurs créations. « 707 Hacienda Way », écrit en collaboration avec Ugo Bellagamba, nous permet de rencontrer dans quelque univers parallèle Jane C. Dick, auteure culte de l’uchronie La Sauterelle pèse lourd, tandis que « Planet of Sound », co-signé par Jim Dedieu, réécrit l’histoire des Pixies (rebaptisés pour l’occasion Sugarmaim) dans un contexte où l’on s’attend à chaque instant à voir débarquer une bande d’aliens musicophiles. On retrouve le même côté ludique dans « La Scène coupée (Fantômas, 1963) », où le héros de Souvestre et Allain rencontre son interprète le plus fameux, sinon le plus fidèle. Mais au-delà des clins d’œil inhérents à ce type de texte, ce qui intéresse en premier lieu Laurent Queyssi, c’est de s’introduire dans les coulisses de la création, d’observer le réel qui donne naissance à la fiction. C’est ainsi que « Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps » révèle les secrets du développement d’une série télé, ses rivalités et ses règles parfois totalement grotesques.

D’autres récits s’inscrivent dans un registre plus sombre. « Sense of Wonder 2.0 » se penche sur un futur qui ne chante plus, où des bandes d’ados sponsorisées par de grandes marques s’affrontent dans un décor de zone commerciale sordide, et où l’on ne peut plus compter que sur des palliatifs chimiques pour espérer encore rêver. Etrangement, la vie ne semble guère plus enviable dans l’enclave pour milliardaires de « Fuck City », où on trompe son ennui comme on peut, où on s’emmerde royalement, mais où on ne cèderait sa place à personne.

Au cynisme et à la noirceur de ces deux textes qui ouvrent le recueil, Laurent Queyssi oppose, comme un démenti, « Nuit noir, sol froid », le texte le plus étonnant du sommaire, quand bien même il aborde l’un des thèmes les plus traditionnels de la SF, celui du vaisseau générationnel. Là où « Sense of Wonder 2.0 » semble nous dire que la science-fiction n’est plus capable aujourd’hui de nous faire rêver, cette dernière nouvelle se conclut sur une idée vertigineuse de toute beauté. Et le récit est d’autant plus réussi que l’auteur y fait montre d’un talent de conteur qu’on ne soupçonnait pas forcément au regard du reste de sa production.

A l’exception de « Rebecca est revenue », nouvelle ratée où il bataille en vain pour exposer de manière intelligible le concept qu’il met en scène, les autres textes au sommaire de ce recueil montrent toute la diversité et le talent dont peut faire preuve Laurent Queyssi, une érudition allègre qui s’appuie sur un solide sens du récit et une inventivité permanente.

Blanc comme un astéroïde

Il y a des écrivains à ce point discrets qu’ils mériteraient des baffes. Philippe Heurtel en fait partie. Voilà plus d’une quinzaine d’années qu’il écrit et publie, souvent dans des supports amateurs aux tirages des plus restreints, et qu’il bâtit au fil des ans une œuvre qui mériterait pourtant une audience bien plus large. Et ce n’est sans doute pas la parution de Blanc comme un astéroïde, son troisième recueil de nouvelles aux confidentielles éditions de L’Œil du Sphinx, qui changera quoi que ce soit à cet état de fait, et il est malheureusement probable que la grande majorité des lecteurs de science-fiction continuera d’ignorer son existence.

L’autre erreur à ne pas faire à propos de Philippe Heurtel serait de ne voir en lui qu’un écrivain potache, simple auteur de courtes nouvelles à chute plus ou moins rigolote. On trouve certes quelques textes de la sorte au sommaire de ce recueil, mais on y trouve surtout des nouvelles bien plus roboratives et abouties. Des récits humoristiques et satiriques pour la plupart, où l’auteur s’approprie tous les stéréotypes du genre qu’il aborde pour les tourner en dérision avec une inventivité qui fait plaisir à lire. C’est le cas par exemple avec « Objets du désir », première nouvelle du recueil et seul inédit au sommaire, enquête criminelle dans un univers cyberpunk peuplé d’IAs aussi omniprésentes que caractérielles, avec « Les Trois petites victimes et le grand méchant Psyko », situé dans le même univers que son roman Psykoses (éd. Rivière Blanche), qui revisite le conte pour enfants en mode slasher, ou encore avec « L’Affaire Sandra Lion », réécriture des mésaventures de Cendrillon en forme de roman noir. L’exemple le plus farfelu en est sans doute « Achille contre Zénon », histoire de super-héros masqué dans la grande tradition du genre, si ce n’est qu’elle se déroule au temps de la Grèce Antique.

Bien entendu, lorsqu’on parle de science-fiction humoristique, on ne peut s’empêcher de penser au Galaxy des années 50 et aux grands nouvellistes qui ont fait son heure de gloire, Robert Sheckley en tête. Plusieurs nouvelles au sommaire, parmi les meilleures, se situent dans ce registre, comme « Contre-inférences », qui imagine un monde où les effets précèdent les causes, et pousse cette logique absurde jusque dans ses derniers retranchements, ou « La Question de madame Pandore », variation amusante sur une idée développée autrefois par Clifford D. Simak dans « Le Zèbre poussiéreux ». On rangera dans la même veine les trois derniers textes du recueil, contant les malheurs à répétition de deux contrebandiers de l’espace, Hamilton et Murphy (rebaptisés on ne sait trop pourquoi Williamson et McMurphy dans la dernière nouvelle), doués comme personne pour se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Tout cela n’a d’autre prétention que de faire rire ou sourire le lecteur, ce qui, l’air de rien, requiert une sacrée dose de finesse et de talent, et dans l’ensemble le contrat est rempli haut la main.

Au réveil il était midi

Pour son nouveau livre, Claude Ecken s’est essayé à un exercice périlleux. Ni roman, ni recueil de nouvelles à proprement parler, Au réveil il était midi apparait davantage comme une collection de récits, de portraits et de scènes de la vie quotidienne, qui, mis bout à bout, dressent un tableau assez exhaustif de notre société et de son très proche avenir. Expulsion d’une famille de squatters, contrôle de gendarmerie qui dérape, parcours du combattant d’une mère célibataire au chômage contrainte de faire face à une accumulation de petites tracasseries administratives, jeune prof d’histoire-géo victime d’une vendetta absurde, chaque nouveau récit prolonge le précédent et permet à l’auteur d’identifier et d’analyser les grandes tendances à l’œuvre dans la société française d’aujourd’hui, qu’il s’agisse du désengagement progressif de l’Etat de certaines de ses fonctions, de la dégradation de la situation économique et so-ciale, ou du fichage de plus en plus précis et de moins en moins facultatif de chaque citoyen, entre autres thèmes abordés.

Les écueils potentiels pour un tel projet sont nombreux. Le premier aurait été de faire de ces histoires intimes des récits édifiants et/ou larmoyants. Ce n’est jamais le cas. Claude Ecken ne surjoue pas la carte de l’émotion, réservant à quelques passages forts des scènes d’une belle humanité, et l’empathie que l’on peut ressentir pour les personnages ne se substitue pas à l’analyse rigoureuse et argumentée des situations qu’il décrit. De même, il évite tout manichéisme en mettant en scène une large palette d’individus, issus de tous les milieux, dont il nous décrit le quotidien avec un sens du détail et de la nuance qui donne à la fois de l’épaisseur aux personnages et du poids à son propos. Enfin et surtout, l’auteur s’interdit de porter tout jugement moral sur ses protagonistes, qu’il se contente d’observer et de décrire de manière aussi objective que possible.

L’autre grande erreur aurait été de faire d’Au réveil il était midi un pamphlet revendicatif et provocateur, au détriment de toute ambition littéraire. Un piège que déjoue Claude Ecken en travaillant tel un orfèvre la forme de chacun de ses récits, portés qui plus est par une écriture où l’élégance le dispute à la précision.

Il serait également trop réducteur de ne voir en ce roman qu’un réquisitoire contre la politique française de ces dernières années. Certes, la plupart des sujets abordés font écho à nombre de débats qui ont agité la scène politique et médiatique depuis 2007, et l’auteur s’amuse même à pasticher un discours présidentiel qu’il nous restitue plus vrai que nature. Mais sa réflexion s’inscrit dans un cadre plus large que le seul plan national, et met à jour des phénomènes plus profonds, dont la politique gouvernementale actuelle ne constitue qu’une manifestation parmi d’autres. De ce point de vue, il est intéressant de noter que, sur de nombreux aspects, le diagnostic que fait Claude Ecken rejoint celui que dresse Cory Doctorow dans son récent Little Brother. A distance et dans un contexte fort différent, l’un comme l’autre s’inquiètent des méthodes de surveillance et de fichage de plus en plus élaborées et sournoises, des pratiques policières de moins en moins encadrées, ou encore de voir la défiance de l’Etat s’accroitre à l’égard de ses propres citoyens — soupçonnés de terrorisme chez l’un, de fraude chez l’autre —, autant d’accrocs à la démocratie dont le poids est supporté par l’ensemble de la communauté, souvent avec son assentiment d’ailleurs. Au réveil il était midi évoque également certaines œuvres de Ballard (on ne s’étonnera pas que le narrateur de l’une des nouvelles se nomme Jim Graham) dans sa manière d’amplifier quelque peu certains traits de notre société pour mieux mettre en lumière les principales forces qui l’animent. C’est ce qui en fait un livre remarquable et une lecture indispensable, notamment en ces temps électoraux, mais pas seulement.

Le Rêve de Galilée

Avec Le Rêve de Galilée, Kim Stanley Robinson nous invite à redécouvrir l’un des épisodes les plus connus de l’histoire des sciences : les démêlés de Galilée (1564 - 1642) avec l’Inquisition et sa condamnation en 1633. Trente-trois ans après le supplice de l’impertinent Giordano Bruno, qui croyait trop en la pluralité des mondes habités… La science moderne est l’héritière directe de la révolution intellectuelle qui s’est jouée, en bonne partie, au cours de ces trois décennies.

Le roman débute en 1609, lorsque Galilée décide de construire sa première lunette astronomique. Détaillant l’Italie de la Renaissance tardive que parcourt son héros, de Venise à Florence et à Rome, Robinson prend le temps de construire un personnage complexe, généreux mais colérique, courtisan mais indépendant, égocentrique mais attentif, souffrant mais rabelaisien. Il s’intéresse aussi à la condition des femmes et au sort de Sœur Marie-Céleste, la fille préférée du savant. S’il ne s’attarde ni sur René Descartes, « un Français agaçant », ni sur « ce dingue de Kepler », quelques portraits bien sentis de grands seigneurs et de princes de l’Eglise viennent compléter la galerie : on trouvera ici la matière d’un roman historique de la plus belle eau, très documenté, avec la minutie qui caractérise cet auteur.

L’uchronie pointe son nez spéculatif là où on ne l’attend pas : ce XVIIe siècle historique est mis en dialogue avec un futur lointain, appartenant à une ligne d’univers où, comme Bruno, Galilée a finalement été brûlé vif, consommant un divorce définitif entre science et religion. Moins solidement étayée, voire purement onirique, cette seconde ligne narrative n’en constitue pas moins un contrepoint fructueux. Robinson peut y donner libre cours à sa réflexion sur l’ambivalence des rapports qu’entretiennent science et religion, après celle menée dans sa trilogie « Capital code » sur les rapports entre science et politique.

Un regret toutefois. S’attachant aux pas de Galilée, Robinson nous fait entrer dans son intimité et s’impose de ce fait l’un des défis les plus difficiles de la littérature : susciter chez le lecteur la révérence qu’inspire invariablement le contact d’une puissance créatrice hors du commun. Le souffle d’un Victor Hugo lui permet à n’en pas douter de dialoguer sans complexe avec les plus grands esprits de l’Histoire — « Oui, ces génies qu’on ne dépasse point, on peut les égaler. Comment ? En étant autre » suggère-t-il dans L’Art et la science —, mais n’est pas Hugo qui veut. Si Robinson déjoue sans peine le piège de l’hagiographie, son Galilée n’est, comme lui peut-être, qu’un honnête spécialiste. Mais ne boudons pas notre plaisir : génie ou pas, les découvertes du physicien sont crédibles et compréhensibles, et ce n’est déjà pas si mal !

D’un texte à l’autre, Kim Stanley Robinson continue à tisser une trame conceptuelle cohérente, jusqu’à faire sans doute de son œuvre l’une des plus significatives de la science-fiction actuelle. Original et ambitieux, Le Rêve de Galilée apparaît comme un élément d’envergure de ce projet. Chacun y trouvera son compte, de l’étudiant en physique au passionné d’histoire en passant par l’amateur féru d’uchronie ou de hard science fiction.

C’est toutefois un tout autre livre que nous proposent les Presses de la Cité. La traduction de Dominique Haas et David Camus, par ailleurs honorable, est parsemée de faux sens et d’approximations chaque fois qu’il est sérieusement question de physique. Pour le lecteur attentif, loin du génie scientifique que tente de faire revivre Robinson, le Ga-lilée de la version française se révèle alors du dernier balourd, confondant les concepts, employant un mot pour un autre, etc.

Passé le premier mouvement d’exaspération, on peut choisir de s’en accommoder en fermant les yeux sur les passages fautifs. Ce ne serait ni la première, ni sans doute la dernière fois. On peut aussi décider de lire cette version telle qu’elle est. Et là, surprise ! Si ce nouveau Rêve de Galilée n’a plus grand-chose à voir avec la version originale, dans son rapport à la science du moins, il tient presque aussi bien debout et ouvre de nouvelles pistes très intrigantes. Mieux : il apparaît comme une réinterprétation radicale de la naissance de la science moderne.

Cette version alternative n’y va pas par quatre chemins. La gloire de Galilée y est très surfaite. L’aplomb du soi-disant physicien impressionne ses femmes et ses domestiques, ainsi que quelques protecteurs puissants et généreux ; mais ce n’est en fait qu’un cuistre incompétent. Comment pareil personnage peut-il avoir eu une telle influence sur la science ? C’est que, comme l’expose sans ambages la quatrième de couverture, Galilée « va naviguer entre le XVIIe siècle et le quatrième millénaire, rapportant de ses voyages dans le futur de quoi alimenter de nouvelles découvertes ». Tricheur, avec ça ! Les motivations de ses visiteurs du futur, tout sauf scientifiques, étant également des plus douteuses, l’ensemble constitue une uchronie assez fascinante, un mythe burlesque des origines de la science à mi-chemin entre Le Voyageur imprudent et Tartuffe.

Si c’est un accident de traduction, il est peu banal ; mais s’il s’agit d’une mystification littéraire — chapeau bas !

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