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Novice

Ayant pour thème le métissage, Novice adopte une construction elle-même hybride combinant des régimes narratifs les plus divers…

Le roman s’ouvre par des pages à l’horreur malaisante. On y découvre la narratrice (et protagoniste) blessée et amnésique. Elle gît dans une caverne sylvestre où elle tue puis dévore une créature s’étant aventurée dans son refuge. Miraculeusement guérie par son accès de férocité prédatrice, la narratrice quitte sa cache. Elle déniche les ruines d’un hameau, théâtre d’une violence énigmatique. Ayant rejoint une route, elle y attire l’attention d’un automobiliste. Rencontrant pour la première fois un regard humain depuis son retour à la pleine conscience, elle s’entend dire par Wright, le conducteur, qu’elle est une fillette afro-américaine d’une dizaine d’années. Déjà singulière, la narratrice le devient alors encore plus, en se mettant à boire le sang de Wright après l’avoir blessé. Ayant ainsi révélé la nature vampirique de l’enfant sauvage, Novice teinte bientôt son épouvante déjà perturbante d’un érotisme pareillement dérangeant. Tirant d’abord une véritable jouissance de la consommation de son sang par la fillette, l’adulte qu’est Wright aura bientôt avec elle un rapport sexuel apparemment pédophile… jusqu’à ce que l’on apprenne que l’infantile héroïne de Novice a en réalité cinquante-trois ans ! Se muant en enquête menée par la femme-enfant et son compagnon, le roman nous dévoile que Shori (tel est son prénom) appartient aux Inas, qui constituent une branche spécifique du genre humain. Semblables à nous autres Homo sapiens, les Inas s’en distinguent par une mutation génétique faisant d’eux (entre autres singularités) des buveurs de sang, si possible humain…

En réinterprétant ainsi le motif vampirique, Novice évoque Les Fils des ténèbres de Dan Simmons (cf. Bifrost n° 101), imaginant lui aussi une origine science-fictionnelle aux « nosferatus ». Mais alors que Dan Simmons campait classiquement le « non-mort » en monstre destructeur, Octavia E. Butler voit dans le vampirisme génétique des Inas un phénomène salvateur et libérateur. Rejoignant en cela Laisse-moi entrer de John Ajvide Lindqvist, Novice fait de ses vampires des êtres bénéfiques pour les humains choisissant de s’associer à eux. Développant avec ceux-ci une relation symbiotique, les Inas (eux-mêmes appelés à vivre des siècles) leur offrent une exceptionnelle longévité. Ils leur permettent en outre d’intégrer une société parallèle à celle de la classique humanité, matriarcale et libertaire, et décrite avec une précision transformant alors Novice en traité ethnologique. Déjà autrement plus avancé que le monde patriarcal de l’Homo sapiens (du moins d’un point de vue progressiste), celui des Inas est sur le point de franchir un nouveau cap émancipateur. Et ce grâce à Shori, qui constitue la première métisse Ina/ Homo sapiens, incarnant ainsi la promesse d’une nouvelle ère dans l’histoire commune aux deux espèces.

Tous les Inas n’apprécient cependant pas cette évolution, les plus conservateurs d’entre eux étant à l’origine des violences ayant frappé Shori et ses proches. Cet affrontement déchirant les Inas trouvera sa résolution avec un procès, amenant in fine Novice du côté du roman judiciaire. Ce n’est pas la partie la plus exaltante d’un récit procurant un plaisir de lecture d’intensité variable. Plus ou moins convaincant selon les genres adoptés, il séduit avant tout par sa réappropriation spéculative de la figure vampirique. Intellectuellement stimulant, Novice s’avère narrativement plus frustrant, peinant à maintenir l’intrigante tension des chapitres inauguraux…

Xenogenesis

La trilogie « Xenogenesis », rebaptisée « Lilith’s Brood » dans ses rééditions les plus récentes, raconte la mort et la renaissance de l’humanité. Sa mort est causée par une guerre nucléaire qui va anéantir la quasi-totalité de sa population. Sa renaissance, elle la doit à une race alien, les Oankali, qui recueille ses derniers survivants. Lilith est l’une d’entre eux, et il lui faudra un certain temps avant de comprendre ce qui lui est arrivé et ce à quoi elle fait face. Dans ses premiers chapitres, L’Aube a des airs d’histoire d’enlèvement extraterrestre. Lilith se réveille dans un lieu clos, sans souvenirs de ce qui lui est arrivé. Les contacts avec ses ravisseurs vont se faire peu à peu, et passer par de multiples phases de déni et de révolte avant que Lilith ne soit en mesure d’accepter sa situation. Laquelle ne se départit jamais tout à fait d’une certaine ambiguïté. Elle n’est pas la captive des Oankali, mais elle n’est pas entièrement libre de ses mouvements pour autant. De même, les aliens l’ont sauvée, y compris en la soignant d’un cancer naissant, mais leur aide a un prix, tout comme elle en aura un pour l’ensemble de l’humanité. Car si les Oankali lui offrent bien une seconde chance, ce sera à leurs conditions, non négociables, la première d’entre elles étant que les deux espèces s’unissent pour donner naissance à une nouvelle race chargée de repeupler le monde.

Les extraterrestres qu’imagine Octavia E. Butler nous apparaissent à la fois omnipotents et ambivalents. Leur capacité à faire revivre une Terre moribonde ne fait très vite aucun doute, de même que leur maîtrise de la génétique, mais qu’en est-il dans ces conditions de l’avenir de l’humanité telle que nous l’entendons ? Leur projet semble d’autant plus radical et brutal qu’il ne souffre aucun compromis. Tout comme le lecteur, Lilith ne parvient jamais tout à fait à décider si elle doit envisager les Oankali comme les sauveurs ou les fossoyeurs de l’Humain. Situation d’autant plus délicate qu’elle se voit bientôt chargée de réveiller les autres survivants et de les convaincre d’assister les aliens dans leur dessein.

L’Aube est un roman assez lent, qui prend son temps pour poser ses enjeux et pour mettre en scène une société extraterrestre complexe, totalement étrangère par bien des aspects. Une altérité qui, pour Lilith, est source à la fois d’attraction et de répulsion, y compris du point de vue sexuel, élément crucial du programme des Oankali. Le roman se présente comme une promesse de changement, mais jusqu’au bout se refuse à qualifier de manière définitive le changement en question.

Dans Adulthood Rites, on découvre la première génération d’enfants nés de l’union des deux espèces. Des individus très différents les uns des autres, tirant leurs traits génétiques davantage de leurs deux parents humains pour les uns, de leurs trois parents oankali pour les autres. Akin, le dernier-né de Lilith, présente dès son plus jeune âge des capacités cognitives extraordinaires, lui permettant de prononcer ses premières phrases à deux mois. C’est à travers son regard naïf mais curieux que l’on découvre la nouvelle civilisation que bâtissent ensemble Humains et Oankali, puis, lorsqu’il est capturé par des pillards, qu’on rencontre ceux qui refusent de s’unir aux extraterrestres et n’aspirent qu’à retrouver le monde tel qu’il était autrefois. Un espoir sans aucun avenir, les Oankali ayant modifié leur génome afin qu’ils ne puissent plus se reproduire entre eux.

On passe la majeure partie du roman en compagnie de ces nostalgiques d’un temps disparu, qui refusent le changement et de se mêler à des êtres différents d’eux, quitte à se priver de tous les bienfaits qui leur sont offerts et à vivre dans des conditions déplorables. On retrouve là un thème au cœur de toute l’œuvre d’Octavia E. Butler. Malgré tout, la romancière ne porte jamais un regard accusateur sur ces personnages, donnant à voir leur point de vue sur le monde avec le plus de sincérité et de justesse possibles. Elle identifie chez eux moins de la haine de ces étrangers que de la peur, peur du changement, de l’inconnu, d’une remise en question trop radicale. L’arrivée d’Akin dans cet univers sclérosé va néanmoins faire bouger les choses, mettant chacun face à ses contradictions. Akin lui-même sortira transformé de cette confrontation, allant jusqu’à s’opposer à ses aînés pour défendre certaines revendications humaines. En adoptant son point de vue, Adulthood Rites apparaît paradoxalement comme une déclaration d’amour à l’humanité, dans toutes ses imperfections, ses tares et ses échecs.

Imago conclut la trilogie quelques décennies plus tard en donnant la parole à un autre des enfants de Lilith, Jodahs. On le découvre alors qu’il se prépare à sa métamorphose, une transformation physique marquant son passage de l’enfance à l’âge adulte, et au terme de laquelle apparaîtront ses attributs sexuels. Or, contre toute attente, Jodahs ne devient ni mâle ni femelle, mais ooloi, ce troisième sexe spécifique aux Oankali. Un phénomène qu’on pensait impossible et qui va bouleverser tous les plans à long terme des aliens pour la Terre et ses habitants.

Comme dans le roman précédent, Octavia E. Butler poursuit ici sa réflexion sur les notions de changement, de transformation, à la fois dans la sphère sociale et dans celle de l’intime. Et cette fois, c’est en premier lieu aux Oankali de s’adapter à cette nouvelle donne. Par ses capacités inédites, Jodahs incarne ce changement, chaotique par nature, qu’il lui faut apprendre à maîtriser. Et pour cela, il a un besoin absolu, vital, de s’unir à d’autres que lui, en l’occurrence un couple d’humains, frère et sœur. Va se développer entre eux une dépendance réciproque, un lien physique indéfectible. La métaphore est évidente, le fait que la romancière utilise les outils de la science-fiction pour la mettre en scène ajoute encore à sa puissance d’évocation et achève de faire de « Xenogenesis » une œuvre importante de la SF contemporaine.

Opération Une Heure-Lumière 2023

L'opération Une Heure-Lumière 2023 avec son hors-série commence maintenant !
Ce hors-série 2023 vous est offert pour l'achat de deux titres ou plus de la collection. Cette opération a cours dans les librairies participantes (en papier comme en numérique) et sur belial.fr (en papier uniquement), dans la limite des stocks disponibles.

“Rossignol” : l'avis d'Apophis

« Le constat est limpide : non seulement Rossignol est le chef-d’œuvre d’Audrey Pleynet, non seulement c’est un court roman éblouissant de subtilité, d’intelligence, d’humanisme et d’émotion, mais qui plus est, chassant Ken Liu d’un trône qu’il occupait depuis les origines de la collection Une heure-lumière, il s’impose désormais tout simplement comme le meilleur livre parmi les 45 UHL publiés à ce jour. » Le Culte d'Apophis

Le Jardin quantique

Derek Künsken, dans cette suite directe du Magicien quantique (cf. notre 99e livraison), poursuit les aventures de Belisarius Arjona. Après un casse du siècle dont la construction ne manquait pas d’évoquer le Ocean’s Eleven de Steven Soder­bergh, l’auteur s’intéresse désormais aux retombées de cette arnaque à grande échelle pour les différents partis concernés. Le lecteur aura plaisir à retrouver ici les personnages marquants du précédent volume. Ainsi Cassandra, Saint Matthieu et Stills sont de nouveau de la partie, de même que des figu­res importantes de l’Union subsaharienne et de la Con­grégation.

Si l’auteur s’efforce de restituer l’essentiel du premier roman dès le départ afin de remettre rapidement ses lecteurs à la page, il est malgré tout préférable de commencer par le premier tome pour saisir correctement les tenants et aboutissants, ainsi que l’évolution de dynamiques importantes installées en amont.

Le récit débute quelques semaines après le vol du portail temporel par Belisarius et Cassandra, les premiers à mesurer les con­séquences de leur participation à la rébellion de l’Union : la Mansarde, unique foyer des homo quantus, est détruite par la Congré­gation qui voit en eux une menace. Le portail, qu’ils sont les seuls à savoir utiliser, apparait alors vite comme l’unique solution pour éviter le drame et dénicher un nouveau lieu de vie pour leurs pairs inconnus du reste de la civilisation. Un plan qui tient la route, à ceci près qu’il né­cessite la coopération de ceux à qui ils viennent de dérober ledit portail…

Là où l’on aurait pu craindre un imbroglio fastidieux – les voyages temporels comportent un risque structurel dans lequel beaucoup se sont pris les pieds –, Derek Künsken parvient à conduire son lecteur au travers de notions relativement complexes sans le perdre en route, ce qui n’était pas une mince affaire. Le plus bel apport de ce nouveau roman est sans aucun doute le développement de protagonistes largement sous-exploités dans le précédent : d’une part et avant tout celui d’Ayen Iekanjika, par le truchement de laquelle l’auteur en dit davantage sur le passé de l’Union subsaharienne ; mais aussi celui de l’Épouvantail. Il s’agit donc plus d’approfondissement que de réelle nouveauté, ce qui donne un relief des plus satisfaisants à cet univers, révélant au lecteur la nature d’éléments déjà mentionnés mais dont on ne lui avait encore rien dit. Du reste, on sent Derek Künsken plus l’aise dans la description des concepts de mécanique quantique que dans celle des émotions partagées par ses personnages, écueil qui ne saurait altérer le plaisir de lecture qu’il nous offre par ailleurs. L’aventure est à poursuivre, donc — ou à commencer si vous ne l’avez pas encore découverte.

After Yang et autres histoires

After Yang est un recueil de treize nouvelles inscrit dans la liste des cent meilleurs livres de l’année 2016 du New York Times, et dont l’intérêt pour sa traduction française est certainement dû à l’adaptation d’une des nouvelles, « Nos adieux à Yang », par Kogo­nada, avec en tête d’affiche Colin Farrell.

Dans son recueil, Alexander Weinstein car­tographie un futur proche mettant en scène notre rapport aux technologies et son incidence sur le quotidien. Sans surprise, l’humain y délaisse sa vie réelle au profit d’une expérience et d’une existence sans limite dans le virtuel, comme dans « Les Enfants du nouveau monde », où un couple devient parents d’enfants qu’il ne peut avoir dans la vraie vie. L’incapacité du héros de « Ouver­ture » à recourir à la parole avec sa petite amie l’amène à rompre, une vie sans réseau étant pour lui impossible. Or, la technologie a ses limites et n’est pas dénuée de noirceur. Un androïde n’est pas éternel, il peut tomber en panne – non, mourir – car dans « Nos adieux à Yang », ledit Yang est un frère avec lequel on joue, un fils qui aide à entretenir le jardin, une nounou, aussi, pendant que les parents travaillent, mais un membre à part entière de la famille, un pres­que humain qui, un jour, décède, et dont on entretient le souvenir. « Les Cartographes » questionne : comment ne pas devenir fou quand on vit dans les souvenirs des autres, souvenirs dont on devient dépendant ? Dans « Mi­gration », Max fuit la vie virtuelle de ses parents qui y travaillent et entretiennent même des rela­tions sexuelles extraconjugales tout en étant côte à côte dans le même lit dans la vie réelle. Max, lui, ne rêve que d’une seule cho­se, faire du vélo, du vrai. L’en­vie de vivre autrement résonne dans certains textes, des résurgences vite étouffées par l’infinie possibilité de la virtualité. Le recueil se conclut par une nouvelle postapocalyptique, « Âge de glace », où quelques survivants vivent dans des igloos, en harmonie semble-t-il, jusqu’à ce que l’un d’eux creuse la glace et… paf ! tout recommence.

Si on devait faire passer un électroencéphalogramme à ce recueil, nul doute que le résultat serait une belle ligne droite. Quel­ques pics d’intérêt pour « Nos adieux à Yang »,« Les Enfants du nouveau monde » et « Ou­verture », mais dont les chutes retombent comme des soufflés. L’auteur alerte sur des sujets qui concernent notre génération ultra-connectée, mais dont les effets ne nous sont pas inconnus et ne surprennent guère : l’extrémité du monde dépeint par Alexander Weinstein est déjà là. Quant au lecteur de SF qui expérimente ce futur depuis bien trop longtemps, il y a peu de chance qu’il se sente bouleversé par cette lecture, ingurgitant passivement ce « nouveau monde » sans savoir pourquoi ni comment le changer.

La Trilogie du losange

Françoise d’Eaubonne (1920-2005) fut une emmerdeuse multicarte. Militante politique (communiste ? anarchiste ? féministe ? écologiste ? féministo-écolo-anarcho-communiste ?), co-fondatrice du MLF et du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolution­naire), éco-terroriste occasionnelle, amie de Beauvoir et de Foucault, elle n’adopte leurs concepts que pour mieux les détourner et forger elle-même, par exemple, ceux de phallocrate et d’écoféminisme, ou encore de non-pouvoir. Essayiste, romancière, biographe et poète, sa production littéraire va de la littérature jeunesse à l’érotisme, en passant par quelques romans de science-fiction.

Les éditions des femmes/Antoi­nette Fouque ont eu la bonne idée de publier sa « Trilogie du losange », dont les deux premiers tomes, Le Satellite de l’amande (1975) et Les Bergères de l’apo­calypse (1978) étaient depuis longtemps indisponibles, et le dernier, Un bonheur viril, tout simplement inédit.

À première vue, le premier tome pourrait être un planet opera d’exploration assez classique, avec les connotations sexuelles obligées de la SF post-1968. Il pourrait aussi s’agir d’une utopie féministe et post-capitaliste – le capitalisme étant le « stade ultime du patriarcat », expliquera d’Eaubonne dans l’essai Le Féminisme ou la mort (1974). Ici, les hommes ont disparu, après une guerre des sexes dont on sait peu de choses, sinon qu’elle fut violente. Les femmes se reproduisent par ectogénèse, et les dialogues dégoulinent de bienveillance et de conscience sociale. Maladresse d’un auteur par trop idéologique, qui en fait des tonnes sur les vertus de son modèle ? Ou tout cela pourrait-il n’être qu’un vaste pastiche tous azimuts – de la SF politique post-soixante-huitarde, des planet ops à l’ancienne, des tics du discours communiste de l’époque, des naïvetés des copines féministes, peut-être même un pastiche du propre écoféminisme de d’Eaubonne ?

Les Bergères de l’apocalypse apporte au moins un élément de réponse : pas ques­tion de prendre Le Satellite… au premier degré ! Bien plus imposant, ce roman affiche un style plus riche et soutenu. La protagoniste et commandante de l’expédition du Satellite de l’amande, Ariane, a désormais des doutes sur l’utopie concrète qu’elle habite, et mène l’enquête. Où est le vrai pouvoir ? Pour­quoi et comment les hommes ont-ils disparu ? Et d’ailleurs, que fait-on des enfants mâles ? La réflexion politique sous-jacente se fait plus riche et plus subtile, et plus profonde l’autocritique de l’essayiste.

Françoise d’Eaubonne étant Françoise d’Eaubonne, on ne doute guère qu’Un bonheur viril viendra à son tour renverser ce renversement, et proposer un troisième éclairage radi­calement différent sur un univers plus complexe que prévu. Ce troisième tome n’étant toutefois pas encore disponible au moment du bouclage, on laissera prudemment le lecteur curieux en juger par lui-même…

Au total, l’un des projets les plus ambitieux de la SF française des années 1970, à redécouvrir, et l’une des sources majeures de la SF écoféministe qui semble en passe de de­venir un axe important de la SF mondiale : un must pour les érudits.

Comment écrire de la fiction ? - Devenir artisan de ses histoires

Fondateur de la Science Fiction Writers of America, mais aussi co-créateur des premiers ateliers d’écriture professionnels, no­tamment les très courus workshops Clarion, Damon Knight a consacré une part significative de son existence à aider les jeunes auteurs à franchir le cap du professionnalisme.

Ce sont, pour l’essentiel, les conseils rodés à Clarion sur l’écriture de fictions courtes qu’il nous livre ici. Qu’on se rassure : Knight est un pragmatique, non un théoricien de la littérature. Écrivain chevronné, il s’adresse avec bienveillance à des collè­gues moins expérimentés, mais pas exactement débutants : plutôt de jeunes auteurs ayant déjà vendu quelques nouvelles, et con­scients aussi bien de leur capacité à réussir un tel exercice que de sa difficulté. Le ton est léger et les conseils souvent inattendus, comme lorsque Knight décrypte pour nous l’art de la négociation avec « Fred » – l’inconscient de l’auteur, collaborateur indispensable mais capricieux de son moi conscient rationnel et méthodique. S’y ajoutent quelques rappels de bon sens et des exercices d’échauffement potentiellement utiles ainsi que, en appendice, cinq «  règles de Knight pour duper la lectrice ».

Bref : un opuscule utile, quoique ciblant un public assez spécifique. L’éditeur français ne semble toutefois pas avoir fait beaucoup d’efforts pour la mise en page, assez terne en dépit de quelques schémas ; sommaire minimaliste, index absent, et les exercices se retrouvent un peu noyés dans le reste du texte.

La traduction s’avère également discutable, au point d’éjecter parfois certains lecteurs (les plus ringards certainement, comme votre serviteur). Glissons sur le style, moins enlevé que l’original : l’exercice est difficile, même si des con­seils d’écriture passent sans doute mieux lorsque l’on peut effectivement se laisser prendre à la plume de leur auteur. Mais la tra­ductrice fait aussi le choix, bizarre ou militant, mais jamais expliqué ni justifié, de féminiser la destinatrice du discours de Knight : les writer ou author deviennent une écri­vaine ou une autrice, qui devra bien sûr interagir avec des lectrices et des éditrices, voire se faire prestidigitatrice, etc. (le poseur de bombe ou le simple agent de sécurité restant, eux, au masculin). Le procédé n’est en outre pas tenu de façon systématique, ce qui provoque, paradoxalement, après que l’on a fait l’effort de s’y plier, quel­ques sursauts supplémentaires.

Après le chapitre 1 assez réussi de cette collection — Comment écrire de la fiction ? Rêver, construire, terminer ses histoires, par Lionel Davoust (cf. Bifrost n° 103) –, peut-être préférera-t-on plutôt attendre qu’Argyll nous en propose un troisième, de facture plus traditionnelle ? Aux aspirants-auteurs vraiment débutants, on re­commandera Comment écrire des histoires – Guide de l’explorateur d’Élisabeth Vonarburg (Alire, 2013), ou encore Écriture, de Stephen King (Livre de Poche, 2015).

La Maison aux mille étages

Publiant tous azimuts, la collection du Rayon Imaginaire d’Hachette a réédité cet été une curiosité quasiment centenaire : La Maison aux mille étages de l’écrivain tchèque Jan Weiss (1892-1972), dans une nouvelle traduction. Si la Tchéquie n’est pas le pays que l’on associe le plus facilement à l’imaginaire, notons toutefois que Prague est le berceau de Frank Kafka et que le terme « robot » a été forgé par les frères Josef et Karel Capek. Moins connu que ses illustres prédécesseurs, Jan Weiss tient sa renommée à cette Maison aux mille étages, roman paru originellement en 1929 et qui semble le seul de son auteur à avoir bénéficié d’une traduction française.

Un homme reprend conscience sur un escalier. Qui est-il ? Il l’ignore sur le coup, mais découvre assez vite que son nom est Petr Brok, qu’il est détective… et accessoirement invisible. Où est-il ? Dans un immense édifice, de mille étages au minimum, sous la domination du démiurgique Ohisver Muller : le Mullerdôme. Charge à Brok de gravir les étages, de protéger quelque princesse prisonnière de l’édifice, et de défaire le mystérieux maître des lieux.

Curieux roman que celui-ci, qui emprunte davantage au surréalisme qu’à la science-fiction à proprement parler. Pour autant, La Maison… regorge de visions et de trouvailles, à commencer par cet édifice insensé, peuplé par une humanité qui croit accéder aux étoiles via la compagnie Univers, poussée à la surconsommation et, parfois, exterminée sans autre forme de procès dans des chambres à gaz. Par certains aspects, le roman louvoie du côté de Nous autres d’Evgueni Zamiatine, mais garde toute son insaisissable spécificité. Composé de chapitres courts, syncopés, faisant la part belle à des jeux graphiques présentée de manière plus travaillée que dans la première traduction, parue chez Marabout en 1967, La Maison aux mille étages se lit d’une seule traite. Si la SFFF anglo-saxonne est omniprésente, le roman de Jan Weiss vient rappeler que l’Imaginaire, de ce côté-ci de la Manche et de l’Atlantique, peut s’enorgueillir d’étonnantes pépites.

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