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Sleeping Beauties

À Dooling, le shérif est une femme. C’est en effet à Lila Norcross qu’incombe la charge de veiller à la sécurité de cette modeste cité des Appalaches, cadre principal de Sleeping Beauties. Et c’est encore à une femme, Janice Coates, que revient la responsabilité de diriger la prison (pour femmes) qu’abrite la ville. D’aucuns pourraient en conclure que la condition féminine a connu des avancées décisives dans ce concentré d’Americana. Et il semblerait en aller de même dans le reste du pays où, par exemple, Michaela Morgan s’est imposée comme reporter vedette de la chaîne NewsAmerica. Mais derrière ces arbres fièrement dressés que sont Lila, Jan ou bien encore Michaela — toutes héroïnes de Sleeping Beauties —, se cache une vaste forêt constituée d’autant de femmes toujours soumises au viriarcat. Se penchant sur ce dernier avec une remarquable acuité, les King père et fils en parcourent l’ensemble des manifestations. Sleeping Beauties souligne ainsi la confiscation par les hommes de l’essentiel du pouvoir tant à l’échelle de la nation — l’ombre de l’actuel occupant de la Maison Blanche plane sur le roman… — qu’à celle du couple. Parvenue à instaurer un rapport égalitaire avec les hommes dans son cadre professionnel, Lila échoue en revanche à affirmer sa volonté face à celle de Clint, son époux et par ailleurs psychiatre à la prison de Dooling.

Envisageant le viriarcat sous son jour le plus policé, le roman n’ignore rien de ses manifestations les plus brutales. Qu’il s’agisse d’agressions verbales nourries de rhétorique machiste ou bien, pour les plus infortunées des protagonistes du roman, de viols ou de meurtres. Avec une même précision exploratoire, le livre dessine les paysages mentaux de ces hommes et de ces femmes de Dooling. Le regard porté sur les psychés masculines est sans concession, en révélant l’imprégnation par le désir de domination. Y compris chez Clint qui, sous ses allures d’intellectuel progressiste, se fantasme en « cow-boy Malboro ». Sleeping Beauties restitue en revanche avec une belle empathie l’intériorité troublée de ses héroïnes, marquées parfois jusqu’à la folie par la domination masculine…

Mais de très singuliers événements viennent un jour de 2017 ébranler l’ordre viriarcal sévissant à Dooling comme à travers le reste du monde. Une épidémie inédite éclate en Australie, puis gagne en quelques jours l’ensemble du globe. Appelée « Fièvre Aurora », et ne frappant que les femmes, cette maladie les plonge dans une inconscience comateuse. Et ce après que leur corps aient été recouverts d’une blanche et filandreuse substance évoquant celle d’un cocon d’insecte. Ce n’est qu’en arrachant celui-ci que l’on met un terme à l’endormissement. Mais le remède s’avère pire que le mal. Les femmes ainsi réveillées basculent dans une frénésie de violence homicide telle que l’on renonce bien vite à les débarrasser de leur étrange enveloppe. Touchée à son tour par la pandémie, Dooling se distingue cependant par la présence en son sein d’une femme miraculeusement épargnée par Aurora. De celle-ci on ne sait presque rien. Comme jaillie de nulle part et ne répondant qu’au seul prénom de Eve, l’inconnue a été arrêtée par Lila peu avant que la maladie ne fasse ses premières victimes…

On se gardera cependant d’en dire plus afin de ne pas « divulgâcher » le plaisir des lecteurs et lectrices futures de Sleeping Beauties. Car cette comédie humaine et fantastique emporte aussi bien par sa profondeur réflexive et critique que par son art magistral de la narration. Combinant motifs éminemment « kinguiens » (entre autres ceux d’une épidémie apocalyptique ou d’adolescents tourmenteurs) et emprunts aux mythologies archétypales comme contemporaines (de la Bible à Orange is the New Black en passant par les contes de fée et le western), les 800 pages de Sleeping Beauties tissent le tout en un irrésistible page-turner.

S’inscrivant dans la lignée des plus belles réussites de King père, Sleeping Beauties — qui aurait pu être sous-titré Les Femmes de Dooling[1] — s’impose comme un titre majeur de l’Imaginaire proféministe.

Nés pour être damnés

Nés pour être damnés est le premier roman (du moins publié) du Marocain Jamal Benbrahim, par ailleurs auteur de Al-Moun-tadar, un recueil de nouvelles paru en 2016 chez Edilivre. Alléchant de prime abord par son titre étrangement référentiel, l’ouvrage attire tout autant par son propos semblant dessiner une contrée inédite et intrigante dans le paysage de l’Imaginaire. Nés pour être damnés narre la très extraordinaire destinée d’un Algérien âgé d’une trentaine d’années au mitan des années 1990. Rien de très remarquable a priori chez ce modeste employé des chemins de fer algériens, marié et père d’un enfant, lorsque s’ouvre le livre. Comme nombre de ses compatriotes, il tente de survivre dans une Algérie en proie à la crise économique ainsi qu’à la guerre civile opposant les forces gouvernementales et celles du Groupe Islamique Armé. Soit autant de très prosaïques difficultés auxquelles le protagoniste de Nés pour être damnés va apporter une réponse tout à fait hors-normes. Mettant à profit sa passion pour « les films diaboliques, les mythes, les superstitions, l’Apocalypse… », l’homme va présenter son second enfant tout juste né comme le futur tueur de l’Antéchrist. Utilisant qui plus est au mieux les potentialités virales du Net, il attire bientôt à lui adorateurs comme adversaires du Sauveur ultime de l’humanité, venus du monde entier. Mais ce qui ne semble d’abord être qu’une forgerie sectaire se mue bientôt en une aventure fantastique. Forts d’authentiques pouvoirs surnaturels, le père et le fils prodiges les déploient dès lors en une odyssée à travers l’espace et le temps. Allant de l’Algérie au Royaume-Uni, ou bien encore de l’Irak à la France, Nés pour être damnés déroule son récit empreint d’ironie jusqu’à nos jours, y intégrant ainsi la guerre en Syrie et l’attentat du Bataclan. Et il ne s’agit là que de quelques-uns des événements de l’histoire récente que le livre soumet à sa relecture fantasmagorique et sarcastique.

Certainement séduisant quant à son projet — offrir un point de vue décentré, à plus d’un titre, sur les rapports contemporains entre l’Occident et le monde arabo-musulman —, Nés pour être damnés déçoit malheureusement quant à sa facture littéraire. Faisant de l’ellipse son principal outil d’écriture, Jamal Benbrahim ne maîtrise celle-ci qu’imparfaitement. Si son écriture allusive participe non sans efficacité de la tonalité humoristique du roman, elle peine en revanche à camper une narration cohérente. Passées la relative continuité des quelques pages introductives, les hiatus temporels et spatiaux se multiplient et s’entrechoquent jusqu’à la confusion. L’ouvrage, il est vrai, ne compte qu’une petite centaine de pages imprimées en caractères de belle taille… Peut-être Jamal Benbrahim aurait-il été plus avisé de s’engager dans la voie du roman plutôt que dans celle de la novella pour embrasser un sujet aussi dense que les relations entre Occident et Orient.

Aux douze vents du monde

Paru outre-Atlantique en 1975, Aux douze vents du monde constitue le tout premier recueil de nouvelles de Ursula K. Le Guin (une vingtaine d’autres suivrons, ainsi que le rappelle la bibliographie des œuvres de Le Guin établie par Alain Sprauel et incluse dans Aux douze vents du monde ; très détaillée, cette recension englobant aussi bien les œuvres de fiction que les poésies et les essais de l’auteure vient compléter celle proposée à l’occasion du dossier qui lui fut dévolu en 2015 dans le Bifrost n°78.) Les dix-sept textes composant cette anthologie ont été choisis et commentés par l’auteure elle-même. Se dessine ainsi un remarquable autoportrait littéraire susceptible d’intéresser aussi bien les néophytes que celles et ceux qui fréquentent l’œuvre de Le Guin de longue date… Pour les premiers, Aux douze vents du monde peut être appréhendé comme une très riche introduction à l’univers de la créatrice des cycles de «  Hain » et de «  Terremer ».

Ce recueil dresse d’abord un panorama des formes de l’Imaginaire chères à Le Guin. Aux douze vents du monde souligne ainsi l’attachement particulier de l’auteure aux registres de la science-fiction et de la fantasy. De cette dernière relèvent des nouvelles telles que « La Boîte d’ombre », « Le Mot de déliement » et « La Règle des noms ». Campant tous trois des affrontements à la fois héroïques et magiques entre créatures humaines et légendaires, ces récits témoignent du goût de l’écrivaine pour un certain médiéval-fantastique. « Neuf existences », « Plus vaste qu’un empire » ou « Le Champ de vision » illustrent quant à elles la manière science-fictionnelle de Le Guin. Constituant autant d’odyssées spatiales en miniature, ces nouvelles mêlent au thème de l’exploration intersidérale des questions telles que celles du clonage ou bien de l’intelligence extraterrestre. Fantasy et SF peuvent aussi coexister en une même histoire, comme dans « Le Collier de Semlé ». Épousant une trajectoire narrative allant du conte merveilleux à l’anticipation scientifique, cette nouvelle atteste de la capacité de Le Guin à se réapproprier de la manière la plus personnelle les formes les plus canoniques de l’Imaginaire. Une liberté littéraire dont témoigne peut-être plus encore un ensemble de récits — « Les Maîtres », « Les Choses », « Le Chêne et la Mort », « Ceux qui partent d’Omelas » — relevant du « psychomythe ». Un genre forgé par Le Guin elle-même, consistant en « des fables quasiment surréalistes qui ont en commun avec le fantastique de se dérouler hors du temps et de l’histoire ». Quasi exhaustive, cette ample cartographie formelle dressée par Aux douze vents du monde inclut encore les veines humoristique (« Avril à Paris ») ou historique (« Étoile des profondeurs ») de l’auteure. Restituant au mieux la variété narrative de l’imaginaire le-guinien, le recueil permet d’en cerner la cohérence thématique de façon pareillement éclairante. Chacune des dix-sept nouvelles fait en effet de la rencontre avec l’Autre sa question centrale. Certes, comme l’auteure l’écrit dans « Neuf existences », « rencontrer un étranger n’a rien d’évident. Même le plus grand extroverti, face au plus paisible des étrangers, ressent une certaine crainte, parfois même sans s’en rendre compte. […]. Il y a cette chose terrible : l’étrangeté de l’étranger. » Mais pareil trouble doit être dépassé car, ainsi que l’exprime « Le Roi de Nivôse » : « c’est notre variété qui fait notre beauté. Si l’on fusionnait tous ces mondes si divers par leurs esprits, leurs vies, leurs corps, quel tout harmonieux l’on pourrait en faire ! » S’imposant comme une initiation idéale à l’œuvre métisse de Le Guin, Aux douze vents du monde n’en séduira pas moins les plus averties de ses admiratrices et admirateurs. Précédemment publiées en français dans des ouvrages épars, ces dix-sept nouvelles sont enfin réunies en un seul volume respectant fidèlement la forme que lui avait initialement conférée Le Guin. Tous les textes sont en outre proposés dans des traductions révisées par Pierre-Paul Durastanti. Aux douze vents du monde inclut par ailleurs des « nouvelles séminales » à l’occasion desquelles l’écrivaine ébaucha les contours de quelques-uns de ses romans les plus fameux. Soient autant de précieuses archives pour les leguiniens et leguiniennes désireuses d’en savoir (encore) plus quant à la genèse de La Main gauche de la nuit, de L’Ultime rivage ou bien encore des Dépossédés. Nul doute donc qu’une fois achevée la lecture de ces dix-sept nouvelles, l’on éprouvera une irrésistible envie de (re)lire tout Le Guin.

Et c’est ainsi un très bel hommage que Le Bélial’ rend à l’auteure récemment décédée en publiant Aux douze vents du monde.

Sous béton

Après Suréquipée de Grégoire Courtois l’an dernier, « Folio SF » continue d’aller chercher au Québec des œuvres qui n’avaient pas eu l’occasion de traverser l’Atlantique jusque-là. Sa nouvelle découverte se nomme Sous béton et est signée d’une artiste touche à tout passant régulièrement, nous apprend la quatrième de couverture, de la littérature à la vidéo ou la modélisation 3D — Karoline Georges.

Le roman se déroule dans un bâtiment aux proportions démesurées, qui ferait passer les I.G.H. de Ballard et les monades urbaines de Silverberg pour de plats pavillons de banlieue. Des milliers d’étages, divisés en millions d’appartements/cellules d’où l’on ne sort à peu près jamais. Le nécessaire y est fourni : oxygène, eau, nutriments, et en guise de distraction, des écrans diffusant en continu des images de l’extérieur sur lesquelles une meute d’êtres à peine humains s’entre-déchirent au pied de l’édifice.

Le récit se focalise sur trois personnages : l’enfant-narrateur, que ses parents n’ont pas pris la peine de nommer, le père, violent et défoncé en permanence à l’abrutissant, et la mère, qui tente à peine de dissimuler ses perpétuelles crises de larmes. Il y a eu d’autres enfants, auparavant, mais ils ont tous fini au recyclage.

Sous béton raconte donc le sort de cette humanité déshumanisée, qui semble n’accepter sa condition que parce que la seule alternative qui lui est proposée (l’extérieur) semble pire encore. Une vie consacrée à des tâches répétitives dont personne ne questionne l’utilité. Sauf, bien entendu, le narrateur. Sur le fond, le roman n’a rien à offrir qu’on ait déjà lu cent fois ces cinquante dernières années. Et quiconque a lu trois dystopies dans sa vie ne sera guère surpris par ce que l’on découvre in fine du fonctionnement de l’Édifice. Sur la forme, Karoline Georges opte pour une succession de courtes scènes, des chapitres parfois à la limite du haiku, et une écriture qui se complait trop souvent dans une forme d’hermétisme. La froideur du style rend parfaitement bien l’horreur des situations qu’elle décrit et accentue le caractère claustrophobe du décor qu’elle met en scène. De ce point de vue, on peut reconnaître à ce roman une indéniable cohérence. De là à vous encourager à y passer l’heure et demie qu’il vous faudra pour le lire…

Tschaï, retour sur la planète de l'aventure

« Le Cycle de Tschaï » figure parmi les œuvres phares de Jack Vance ; cette tétralogie bourrée de rebondissements est un modèle de planet opera, où l’auteur a mis à profit son talent pour la création d’univers et de sociétés bigarrées et complexes. Les aventures d’Adam Reith sur cette planète lointaine, où quatre espèces extraterrestres dominent une humanité importée il y a bien longtemps, sont l’occasion d’explorer un monde fascinant, riche de possibilités. Tschaï : retour sur la planète de l’aventure, nouveau titre de la très belle collection « Ourobores » des éditions Mnémos, joue légitimement de cette carte, pour un résultat enthousiasmant.

La réalisation de ce beau livre a fait appel à quatre auteurs et un illustrateur, Dogan Oztel ; celui-ci livre un bon travail, et l’ouvrage est assurément beau, même si quelques-uns de ses prédécesseurs (Kadath : le guide de la cité inconnue) étaient peut-être plus riches sous cet angle. Le résultat est tout de même plus que satisfaisant — et la maquette assez sage garantit le confort de lecture.

Le travail des quatre auteurs a été orienté aussi bien par les canons de la collection « Ourobores » que par les romans de Jack Vance : celui-ci avait titré les quatre livres du cycle avec les noms des espèces extraterrestres dominantes — Le Chasch, Le Wankh, Le Dirdir et Le Pnume. Cependant, Adam Reith avait surtout affaire aux quatre races d’ » hommes hybrides » associées à ces espèces : Hommes-Chasch, Hommes-Wankh, Hommes-Dirdir et Pnumekin. La répartition des tâches entre les quatre auteurs s’est donc basée sur ce principe, avec respectivement Étienne Barillier, Raphaël Albert, Jeanne-A Debats et Adrien Tomas.

Cependant, il s’agit pour eux de décrire « la planète de l’aventure » après le départ d’Adam Reith — or son séjour a tout changé… Les humains de Tschaï viennent à croire ses récits, selon lesquels ils viendraient originellement d’une même planète, la Terre ; mais, parallèlement, ils ont pris conscience de la position inférieure dans laquelle les maintenaient leurs races maîtresses, et un vent de révolte se met à souffler… qui doit beaucoup à la présence d’agents terriens infiltrés — sur la base des rapports d’Adam Reith, dont on ne saura rien de plus — qui préparent l’arrivée de la flotte solaire. On trouve de semblables agents auprès de tous ceux qui s’élèvent pour constituer de nouveaux pouvoirs, désireux de se libérer de l’emprise des races maîtresses — et qui se surveillent mutuellement, la méfiance étant de mise… y compris à l’encontre de ces Terriens qui agissent dans l’ombre, et dont les ambitions ne sont pas innocentes ! En fait, les « hommes hybrides » au cœur des quatre récits sont souvent vus de l’extérieur, par les agents qui les conseillent… et les manipulent.

L’ensemble forme un récit cohérent, qui se lit comme un roman, au travers d’une narration épistolaire passant par des documents divers — correspondances et rapports de renseignement pour l’essentiel. Raphaël Albert, qui nous présente le versant religieux et intriguant de cette affaire avec le Culte de Reith, et Adrien Tomas, qui se confronte aux hermétiques Pnumekin, sont probablement ceux qui s’en tirent le mieux avec cette dimension « matérielle » — mais le fond, chez Étienne Barillier, dans la geste épique et utopique de Jra Acton l’Homme-Chasch, et chez Jeanne-A Debats, dont la Femme-Dirdir et son amante terrienne ont un comportement bien plus iconoclaste dans un récit qui ne l’est pas moins, ce fond, donc, rachète sans peine quelques menus défauts dans la présentation.

L’ensemble constitue un récit aussi juste que palpitant, détournant à sa matière l’aventure vancienne en lui témoignant en même temps un grand respect. Et s’avère une lecture aussi agréable que convaincante.

Les Oiseaux de nuit

Oublié chez nous, mais régulièrement traduit (notamment en anglais et en japonais), Maurice Level avait pourtant, en son temps, acquis une certaine renommée littéraire dans l’Hexagone, ceci alors même qu’il officiait dans un registre à même de scandaliser les bonnes âmes : le récit de terreur, et dans sa variante la plus grotesque — le Grand-Guignol. L’expression n’est pas employée à la légère, car nombre de ses petites histoires glauques ont été adaptées pour la scène, où elles ont rencontré un grand succès — la plus fameuse de ces pièces étant Le Baiser dans la nuit, d’après une nouvelle figurant dans ces Oiseaux de nuit, réédition d’un recueil de 1913.

Maurice Level, dans cette « première manière » (car il s’est ensuite tourné vers des récits plus légers), abreuvait les journaux et leurs lecteurs de brèves nouvelles (cinq pages en moyenne, ici), au style très travaillé, mais dans l’optique de l’épure, en retranchant tout le superflu. Et ces « contes cruels » étaient autant de condensés d’angoisse, de désespoir, de meurtre et de folie. Il ne s’agit pas de littérature fantastique (une seule nouvelle, « Qui ?… », pourrait éventuellement en relever) : l’inspiration de Level se trouve plutôt dans les faits divers sordides, qui égayent la presse et occupent les tribunaux.

Mais Level, sur cette base, peut tirer le récit, en apparence fort simple, dans des directions variées. Le lectorat bifrostien sera peut-être attiré, en priorité, par les histoires les plus typées Grand-Guignol, et ce registre outré produit des merveilles d’horreur — citons « Le Baiser dans la nuit », donc, mais aussi « Le Chenil », ou encore, très étrange, « La Nuit et le silence »… Des récits brefs, intenses, étonnamment graphiques ; pas forcément, cela dit, les plus appréciés par la critique d’alors — qui préférait des récits plus mélodramatiques, d’une douleur poignante. Dans ce registre également, Level livre des réussites saisissantes, qui nouent le ventre en exprimant un désespoir fatal et tellement humain — celui des filles-mères, ou des vieux qui n’ont plus personne, et une théorie d’époux déçus et trompés… Ailleurs, le récit dépasse la seule chronique judiciaire pour endosser des atours de policier — ou de thriller ? « Le Crime de la rue Pergolèse » en est un exemple frappant. Mais une même base peut aussi être traitée sur le mode du désespoir, donc — même ironique : ainsi dans « Je m’accuse ! ». Mais qu’on ne s’y trompe pas : ici, Level ne fait pas rire… Et, puisant dans sa propre expérience, il a aussi mis en scène bien des médecins, bien des patients atteints de la tuberculose — qui sont tous à même de susciter des scènes terribles et grotesques, ce dont « Une erreur » témoigne tout particulièrement. Sur ces bases, l’auteur dépeint la meilleure société comme les bas-fonds, avec un égal bonheur, dans l’angoisse et dans la douleur, ce qui confère régulièrement à ses récits une portée sociale subtile.

Très heureuse initiative, de la part du Visage Vert, que cette réédition, dans un écrin à la mesure : le paratexte est imposant, avec des études très savantes de Philippe Gontier et Jean-Luc Buard, incluant une (très) longue bibliographie. À ce stade, on fait dans l’édition scientifique.

Mais ces Oiseaux de nuit le valent bien. Forts de leur singularité, et de leur habile conception, ces récits faussement anecdotiques sont autant de cauchemars très humains, sous les éclats du Grand-Guignol. On comprend l’admiration de ses contemporains, et la nécessité d’y revenir.

Nouvelles de l'anti-monde

Un peu oublié aujourd’hui, l’auteur franco-britannique George Langelaan, à la biographie rocambolesque, a pourtant son titre de gloire SF : « La Mouche », nouvelle à l’origine des films que vous savez. Mais il avait écrit d’autres récits d’Imaginaire, entre science-fiction et fantastique, qui furent rassemblés en 1962 chez Robert Laffont dans le recueil Nouvelles de l’Anti-Monde, aujourd’hui réédité par l’Arbre Vengeur.

Ces treize récits constituent un ensemble varié, même si certains thèmes (le temps, les radiations, les expériences scientifiques qui tournent mal) ou procédés (la chute, le rapport livrant l’explication du mystère après coup, l’apparence de récit policier) sont récurrents. S’il faut jouer le jeu des références, on a pu avancer que les récits de George Langelaan évoquaient ceux d’un Richard Matheson, et ils témoignent en tout cas d’un art de la narration consommé, même si pas sans failles.

Ces nouvelles étaient sans doute remarquablement inventives à l’époque — on le sent, et cela peut contribuer à expliquer leur postérité cinématographique, dans le cas de « La Mouche » et de quelques autres (relevons aussi le caractère étonnamment graphique de certaines histoires). Mais, pour le coup, le temps a peut-être joué un mauvais tour à l’auteur, et un lecteur de SF contemporain ne sera que bien rarement surpris par des récits qui étaient régulièrement conçus pour surprendre. Rien de dramatique, cela dit, et si le recueil a quelque chose d’un peu suranné, ça n’est au fond pas désagréable.

Un aspect un peu plus gênant de ce nécessaire vieillissement doit cependant être noté. Dans les récits les plus amples, l’auteur tend à dilater l’intrigue en retardant artificiellement la compréhension qu’a le narrateur des phénomènes qu’il vit : le cas le plus flagrant est « Temps mort », une nouvelle fascinante par ailleurs, et conçue avec une grande attention aux détails, où le héros se retrouve dans un Paris qui vit beaucoup, beaucoup plus lentement que lui… Le texte est bon, voire mieux que ça, mais on en voit arriver la fin avec un certain soulagement. Ce problème n’est pas systématique : « La Mouche », texte d’une veine assez comparable, est une réussite de la première à la dernière ligne, où le mystère et l’explication sont bien mieux dosés ; mais des textes comme « Robots pensants », sur la base d’un automate joueur d’échecs, ou « Sortie de secours », thriller baignant dans les souvenirs de la Résistance, moins convaincants, pâtissent davantage de cet écueil.

Sur des formats plus concis, d’autres nouvelles sont bien dignes d’être notées, comme « La Dame d’Outre-Nulle part », qui, au-delà de sa dimension de romance par écran interposé, repose sur un postulat très original et porteur d’une certaine angoisse, ou encore « L’Autre main », qui joue impeccablement d’une trame bien autrement convenue (la main qui n’obéit plus et qui prend l’initiative d’actes criminels).

Le reste est probablement un petit cran en dessous, mais jamais mauvais, qu’il s’agisse de nouvelles en formes de blagues (« Le Miracle » en tête) ou de choses plus « sérieuses » (très belle ambiance, par exemple, dans « La Dernière Traversée »), avec nombre de degrés intermédiaires (« La Tournée du Diable »).

Ces Nouvelles de l’Anti-Monde ont pris un coup de vieux, mais qui ne leur a pas été fatal. Même suranné, ou parce que suranné, le recueil demeure une lecture intéressante, riche d’idées fortes et qu’on devine avoir été alors d’une inventivité remarquable. « La Mouche » en témoigne, mais d’autres nouvelles tout autant, et l’auteur mérite bien qu’on ne l’oublie pas.

Dans l'épouvante

Maître allemand du récit de terreur et de la décadence, à la réputation sulfureuse, Hanns Heinz Ewers a bénéficié récemment de plusieurs rééditions, l’occasion de revenir sur une œuvre singulière et mordante.

Chez Ombres, précieux petit éditeur, on a ressorti l’an dernier le recueil Dans l’épouvante : Histoires extraordinaires, qui ne s’avère qu’assez rarement épouvantable, et guère plus extraordinaire. Le fantastique, quand il est présent, se fait généralement discret, et c’est davantage le sentiment du macabre qui associe ces contes, plutôt que l’angoisse ou l’horreur à proprement parler. À vrai dire, lus avec un siècle de décalage, ces textes brillent surtout par leur dimension de satire sociale grinçante, qui met en scène autant de personnages parfaitement répugnants et qu’on aime détester. Osera-t-on dire que cette force peut, parfois, se muer en faiblesse ? Car l’auteur, qui s’amuse beaucoup à décrire une bonne société qui est comme de juste la pire de toutes, s’y attarde et pas qu’un peu ; ce goût de la digression, sur la durée du recueil, produit parfois un ennui poli mais pas moins gêné chez le lecteur — trait qui sera à nouveau sensible dans le roman Mandragore. Parmi les contes les plus intéressants, « Le Cœur des rois » prête essentiellement à rire ; « Ces Messieurs de la cour » horrifie mais par son prosaïsme ; « La Fin de John Hamilton Llwellyn » a un vague élément SF dans l’ambiance, amusant mais tardif ; « Journal d’un oranger », plus classique, convainc dans son traitement de la folie du narrateur et son portrait de femme fatale, rappelant « L’Araignée » et anticipant Mandragore ; « La Fiancée du Tophar » et « La Mamaloi », en fin de recueil, sont les récits les plus horribles, le dernier surtout, qui s’étend à volonté sur une vision totalement délirante du vaudou, et qui noue le ventre avec son narrateur immonde. Mais, avec toutes ces indéniables qualités, l’ennui guette malgré tout le chroniqueur, régulièrement…

[…]

Ces rééditions sont bienvenues : Ewers était un écrivain brillant, et un satiriste décadent de première, mais l’amateur d’Imaginaire ne sera pas immanquablement convaincu par ces récits somme toute très terrestres, et bien de leur temps.

Celle qui n'avait pas peur de Cthulhu

La déferlante de publications lovecraftiennes ou para-lovecraftiennes se poursuit, y compris dans le rayonnage made in France. Ce coup-ci, c’est Karim Berrouka qui s’y colle, avec un roman qui, disons-le d’emblée, ne restera certainement pas dans les annales, même celles du sous-registre si prolifique, mais n’en est pas moins fun comme tout — et c’était bien ce qu’on en attendait, après tout.

Notre héroïne s’appelle Ingrid, et, pour une bête histoire de naissance à l’heure, à la minute et à la seconde fatidiques, elle se retrouve embarquée dans une improbable histoire aux ramifications forcément cosmiques incluant son lot de gélatine indicible et d’angles cyclopéens : même à Paris, les adorateurs du Géant Vert (pas celui du maïs) peuvent foutre le bordel. Enfin, plus exactement, les cinq factions dédiées chacune à telle « divinité » du panthéon lovecraftien, et qui se demandent si, à l’occasion du nouvel avènement du Grand Cthulhu, il serait préférable de l’accueillir avec l’espoir qu’il anéantira le monde, ou la crainte qu’il anéantisse le monde. Autant de sectes frappadingues et de « cultistes » guignolesques, incluant ces types au faciès bizarre qui font de la plongée sous-marine dans les environs d’Innsmouth, Nouvelle-Angleterre, les Satanistes de l’Amour qui aiment les chèvres et la fornication partout et tout le temps, ou encore les mélomanes viennois qui guettent le son des flûtes en provenance du chaos nucléaire ; mais les pires sont probablement les ahuris qui vénèrent à la fois le Christ, Yog-Sothoth et le boson de Higgs (tout en un et un en tout).

La quatrième de couverture avance que notre héroïne n’en a rien à péter de tout ça — peut-être était-elle dédiée à un autre roman, car Ingrid ne semble pas exactement s’en foutre, dans celui-ci. Oh, elle aurait sans doute préféré qu’on la laisse en dehors de tout ça, et cultiver l’ignorance bénie de qui n’a pas lu HPL sinon le Necronomicon, mais elle réalise assez vite qu’elle n’a guère le choix, et s’implique dès lors avec un certain sens du devoir.

Sans surprise, tout cela n’est guère pointilleux au regard de l’orthodoxie lovecraftienne — ce qui n’a absolument aucune importance. La derletherie ne passe en effet pas si mal, en sachant se montrer moqueuse là où il le faut — et pas en permanence, dans un délire parodique qui aurait sans doute été assez vite lassant. L’humour est là (inévitablement, avec l’auteur ?), dans le décalage permanent qu’implique le personnage même d’Ingrid, ou, surtout, le tableau des cinq factions, satire vicieuse mais bienvenue du fanatisme religieux et de l’embrigadement sur la base de doctrines idiotes autant qu’aveugles. Nul besoin, dès lors, de glisser un gag à chaque paragraphe — finalement, la mesure en la matière s’avère bien plus pertinente.

Ce décalage, cet humour, suffisent à faire tenir le livre. C’est heureux, car l’ensemble est autrement assez convenu et hautement prévisible — les twists n’en sont pas, délibérément peut-on supposer. Qu’importe : Celle qui n’avait pas peur de Cthulhu remplit sans peine son office, sous la forme d’un roman sympathique et qui se lit tout seul. Ils ne sont pas si nombreux, les pastiches affichés comme tels et qui peuvent s’en targuer ; ou, du moins, un certain nombre d’entre eux, qu’il s’agisse de prétendre à un plus grand sérieux, ou au contraire de sortir son nez rouge de clown pour faire des jeux de mots sur les shoggoths, pourraient éventuellement en prendre de la graine.

Rien d’exceptionnel, non ; des failles, très certainement ; mais, oui, ça se lit tout seul.

Le Nuage pourpre

Cité par H. G. Wells, admiré par Lovecraft, ce roman de 1901 est réédité en français après plus de vingt ans dans les limbes (et une première incarnation en « Présence du Futur », puis une réédition chez 10/18). Pas de zombies ni de pandémie dans ce texte apocalyptique, mais les curieuses errances du dernier humain vivant ; un récit étrange et torturé, désuet à souhait, avec tout ce que ça implique de plaisirs et d’agacements pour un lecteur contemporain.

L’histoire, qui peut nous sembler simple aujourd’hui, tant son motif a été depuis exploité, apparaît comme novatrice lors de la parution : alors qu’il participe à un voyage pour rejoindre le pôle Nord (source de fantasmes au tournant du xx e siècle, le pôle géographique ne sera découvert que sept ans après la publication du texte), Adam Jeffson est l’unique survivant humain non seulement de l’expédition, mais, pire encore, comme il le comprend peu à peu, d’un cataclysme qui a parcouru la Terre (en évitant les pôles, donc) sous la forme d’un nuage pourpre tuant sur l’instant quiconque en a respiré la moindre parcelle. La source du désastre ? Divine ou créée par une présence étrangère, on effleurera la réponse sans jamais la dévoiler. La conséquence ? Les errances de ce personnage, objet d’un destin cruel, persuadé d’être mystiquement tiraillé entre deux forces, la Noire, destructrice, et la Blanche, créatrice. Les divagations de ce narrateur tantôt détestable à cause de sa mégalomanie paranoïaque, tantôt touchant de par sa solitude désespérée.

Cet intrus, dorénavant, au sein de son propre monde, parcourt pendant deux décennies la Terre, « Éden infernal ». Décidant parfois d’incendier les villes qu’il visite, par plaisir pyromane, certes, mais aussi pour exprimer l’enfer qui l’habite, lui, le dernier représentant d’une race décimée. Ou se réfugiant dans la construction du plus beau palais jamais bâti, parce qu’après tout, comment donner un but à son existence quand plus rien n’a de sens ? Mais s’interrogeant toujours sur les raisons du chaos. Jusqu’à ce qu’une rencontre lui fasse tout remettre en cause. La rédemption serait-elle malgré tout possible ? Préservons le mystère…

Si l’on fait abstraction des aspects scientifiques et de survie, traités comme des détails vite écartés par l’auteur, reste un roman curieux qui pousse à la réflexion. Reste aussi un ouvrage qui fait sens remis en contexte, car appartenant aux premiers récits s’emparant du désormais topos de l’empoisonnement de l’atmosphère, et inspirant par la suite de nombreux romans tels que La Ceinture empoisonnée de Conan Doyle (1913), ou Le Nuage vert de A. S. Neill (1938, et l’éditeur français de ce dernier ne s’y sera pas trompé, en traduisant ainsi le titre anglais de The Last Man Alive…).

Un livre pour le moins étonnant, donc, qui mérite un petit détour par curiosité historique littéraire.

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