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La Ville des impasses

Voici le court roman d’un auteur d’origine arabe – Tunisien – écrit en français, roman qui n’a rien ou pas grand-chose d’arabe si ce n’est Bayoumi, un personnage d’origine égyptienne, quelques références culturelles disséminées çà et là, et peut-être la thématique sous-jacente en arrière-plan.

Xoxox est une ville nouvelle bâtie au cœur de la forêt landaise sur un plan en forme de palmier conçu par l’architecte Gravimal, un type proche d’Albert Speer par l’attitude mais totalement à l’opposé dans ses conceptions. Xoxox, censé être un paradis écologiste libéré du démon à quatre roues, qui s’avère, comme tout paradis digne de ce nom, un enfer pour qui y vit. On n’accède à la ville palmier que par le train, et deux ruelles de moins d’un mètre de large. Gharbi ne s’étend pas sur la question, mais de fait, Xoxox est exclue du transport conteneurisé : impossible d’y livrer une table ou un piano. C’est une ville fermée, exclusivement en impasses, imposant de toujours repasser par l’esplanade centrale et permettant donc un contrôle drastique de la circulation, une ville qui, de 100 000 habitants ne pouvant rien consommer ni produire, a perdu 60 % de sa population en 2042, époque du récit. À Çatal Höyük, la première grande ville du monde, il y a près de 10 000 ans, le concept de rue n’avait pas encore été élaboré et il fallait circuler d’un toit à l’autre ; à Xoxox, ledit concept a été rejeté et la population des opposants à Gravimal se déplace dans les égouts. Pour le reste, on n’en sait guère plus, Gharbi s’étendant insuffisamment sur les conditions de vie pratique de la population de sa cité.

L’histoire est, elle aussi, pour le moins sommaire. Pour que puissent être ouvertes des avenues dans Xoxox, il faut se débarrasser de Gravimal. Aussi un attentat est-il ourdi, qui échoue piteusement. Mais un second, perpétré contre la ville elle-même, aboutit de telle sorte que le concept de ville en impasse tombe à l’eau.

Outre la tueuse à gage de service qui rate tout, le roman suit Gravimal et son principal opposant, Dashiel Zalama, ainsi que leurs faire-valoir. Ce qui permet de découvrir que l’un et l’autre ne s’intéressent guère au concept écolo qui les oppose, mais uniquement au pouvoir qu’il leur confère. Et c’est là qu’Aymen Gharbi renoue peu ou prou avec ses origines. On sait, et les intéressés mieux que quiconque, combien le monde arabe est gangréné par une corruption effrénée à laquelle les mouvements des « Printemps Arabes » ont essayé de mettre fin – en vain. Mais Gharbi connait également bien la face nord de la Méditerranée, assez pour savoir que si la corruption et l’influence mafieuse y est plus discrète qu’au sud, elle n’y est pas moins profonde, et que l’écologisme présente tous les critères voulus pour la favoriser. Gharbi nous délivre une mise en garde à ne pas prendre à la légère : sous les eaux tranquilles de la bien-pensance, la bête est là, tapie, à l’affût du pouvoir et du pognon, prête à passer les gens par profits et pertes en guise d’éthique.

N’en reste pas moins que tout au long de sa lecture, ce court roman apparaît au mieux médiocre. Ce n’est qu’à l’épilogue que toutes les pièces du puzzle finissent par trouver leur place, et que le récit en vient à faire sens. Bien qu’il soit loin de l’œuvre de James G. Ballard, IGH notamment, ou du chef-d’œuvre de John Brunner, La Ville est un échiquier, c’est malgré tout auprès d’eux que ce livre trouvera sa place sur les rayons de nos bibliothèques.

Reste au final la question de savoir si l’architecture et l’urbanisme, imposant aux citoyens les comportements déterminés par les décideurs-financeurs, sont, à l’instar de Speer ou Le Corbusier, fascistes  ?

Au carrefour des étoiles

Au Carrefour des étoiles, lauréat du prix Hugo 1964, est peut-être le livre le plus connu de Clifford D. Simak – après Demain les chiens.

Toute l’histoire se déroule dans et autour d’une ferme isolée près de Millville, dans le Wisconsin – Simak est né et a vécu dans une telle ferme, dans cette même région. À son retour de la guerre de Sécession, après la mort de ses parents, Enoch Wallace est contacté par Ulysse, un extraterrestre qui propose de transformer la ferme familiale en une station de transit galactique dont Wallace sera le gardien. Il y verra passer quantité d’êtres plus étranges les uns que les autres, mais plutôt sympathiques, qui lui offrent des tas de cadeaux dont il ignore l’usage. La première moitié du roman nous présente cette situation en recourant à maints flash-backs. Ceci se passe, bien sûr, à l’insu du reste de l’humanité. Mais en dépit de l’isolement et de sa discrétion, un homme de plus de 120 ans qui en paraît trente finit par attirer l’attention…

On est à mille lieues d’une SF à grand spectacle. Au Carrefour des étoiles est un roman quasiment minimaliste tant au regard des décors que de la poignée de personnages mis en scène. Outre Enoch Wallace lui-même et Ulysse, l’extraterrestre, on ne croisera guère que Lucy, l’étrange fille sourde-muette de voisins peu avenants, qui semble douée de pouvoirs paranormaux, Winslowe Grant, le facteur, seul lien de Wallace avec le vaste monde et son unique ami, Mary, une sorte d’avatar, de personnalité virtuelle comme on ne disait pas encore, qui lui tient compagnie et dont il devra au final aussi accepter la perte, et enfin Claude Lewis, l’agent de la CIA qui enquête vainement sur l’occupant des lieux. Ceci posé, la crise peut survenir.

Si le roman est empreint d’humanisme, il n’en reste pas moins plutôt sombre, marqué par la mort et le spectre de la perte. Pour tenir son rôle, il fallait que Wallace fût un humaniste solitaire se tenant à l’écart d’une humanité qui ne l’est guère. En ces temps troublés, loin du Wisconsin, entre « missiles de Cuba » et « Baie des Cochons », assassinat de JFK et concert de godasse khrouchtchevien, la Terre est au bord du gouffre d’une troisième guerre mondiale nucléaire. Mais la galaxie ne va pas bien non plus : le Talisman, un artéfact qui permet de catalyser la force spirituelle cosmique et maintenait l’harmonie dans le cosmos, a été perdu et les rapports entre les innombrables races peuplant la Voie lactée se délitent. Les tensions renaissent et la Terre pourrait bien en faire les frais, se retrouver isolée pour longtemps du reste de l’univers. Un dilemme cornélien déchire Enoch Wallace entre sa fidélité au Central Galactique et son appartenance à la Terre qui l’a vu naître. Perdre la galaxie ou renoncer à la Terre. Tout se précipite lorsqu’est violée la sépulture d’un alien enterré au fond du jardin…

Le roman est aussi empreint d’un mysticisme christique, proche de celui que l’on a pu voir dans Le Crépuscule deBriareus de Richard Cowper (réédité il y a peu, cf. le Bifrost 102), bien que ces deux romans soient on ne saurait plus différents. Le Talisman par lequel la force spirituelle cosmique se transmet aux peuples de la galaxie apparaît telle une version SF du Graal, qui lui aussi était perdu (et l’est de nouveau), et sa récipiendaire a tout de la sainte. Simak transpose la foi chrétienne dans un contexte cosmique, offrant une dimension spirituelle à sa SF. La fin heureuse n’en est pas moins mâtinée d’une certaine tristesse car choisir c’est renoncer, même lorsque l’on n’a pas vraiment le choix, que celui-ci s’impose à vous. Le livre terminé, reste le deuil et un lecteur qui, lui, n’en n’a pas encore tout à fait fini avec ce chef-d’œuvre…

La Montagne morte de la vie

Ce n’est pas de la SF, pourtant les trois livres qui forment le cycle de «  La Montagne morte de la vie » sont aussi, à leur manière, autant de voyages vers des planètes inconnues. Des mondes verts et rouges, couleurs de la forêt et du sang. Un univers originel où la rationalité n’a pas cours, où la connaissance n’assure aucune certitude, où l’homme est ramené à son insignifiance fondamentale devant l’énigme et la brutalité de l’existence.

« Tuer, mourir ! Voilà toute la vie ! » fait dire Michel Bernanos à l’un de ses personnages. Comme si tuer, c’était vivre, et tel est l’ordre des choses pour toutes les créatures de cet univers. De scènes programmatiques, les romans n’en manquent pas : cannibalisme, sacrifices rituels, meurtres, duels contre une faune exubérante et prédatrice. On peut y voir une parabole sur la valeur de la vie qui se nourrit d’elle-même pour se perpétuer.

C’est cette image qui est au centre du cycle et lui confère sa puissance, et non l’intrigue, par définition interchangeable. De fait, les trames des romans, volontairement simples, se résument à chaque fois en quelques mots  : une expédition, une traque, une traversée en mer suivie d’une robinsonnade.

Dans Le Murmure des dieux, chronologiquement le plus ancien (1960), un ingénieur français et un docteur en philosophie partent explorer l’Amazonie en pirogue, à la recherche d’un trésor archéologique celé par les Indiens et qui est peut-être l’ultime vestige de la mythique cité d’El Dorado. La forêt intéresse les occidentaux pour d’autres raisons : l’industrie a un grand besoin d’arbres. La faute originelle de l’homme blanc, c’est le meurtre d’un arbre sacré, sans témoin sinon les puissances invisibles de la forêt. Le voyage est également une introspection : les voyageurs comme les indigènes, à travers des rites fantastiques où passé et présent irréel se conjuguent, mesurent la distance qui les sépare. Chacun aussi s’enfonce dans sa jungle personnelle, à la recherche d’une vérité qui lui échappe.

Achevé avant la mort de l’auteur mais publié à titre posthume, L’Envers de l’éperon se présente comme une sorte de western tragique. Deux frères, fâchés pour une affaire puérile d’orgueil blessé, sont appelés à régler leur différend dans le sang. Leur face-à-face est sans cesse différé par les maléfices d’un décor tropical sauvage où tout est démesuré, qui transforme la course-poursuite en parcours initiatique. À la fin néanmoins, l’un des deux devra tuer l’autre ; à moins que la victoire définitive ne revienne à la nature, véritable personnage en soi…

Posthume lui aussi, La Montagne morte de la vie se veut plus ouvertement fantastique. Embarqué de force sur un galion, le narrateur raconte les vicissitudes de sa vie de mousse en butte à un équipage violent et cruel, à l’exception d’un vieux cuisinier qui lui sert de père de substitution. Après une succession d’événements terribles, le bateau est fracassé par un maelstrom. Le mousse et le cuisinier sont les seuls rescapés. Ils échouent sur une mystérieuse île rouge, dominée par un soleil de la même couleur, qui semble inhabitée. À l’aventure maritime et à la plongée dans le maelstrom succède une ascension vers l’étrange. L’île est en effet dominée par une montagne qui les attire irrésistiblement. Un univers aussi fabuleux qu’inquiétant émerge de cette roche magnétique, fait de plantes carnivores, d’arbres mobiles, de villages fantômes et de silhouettes pétrifiées. La novella émerveille par sa capacité à susciter tour à tour l’admiration et l’inquiétude, par la diversité de ses registres.

L’ombre de Jules Verne plane sur ce cycle qui évoque des mondes inconnus ou irrémédiablement disparus, décrits dans une langue superbe. Les trois livres fonctionnent comme de parfaits récits d’aventures, des sortes de bandes dessinées entre Indiana Jones et L’Oreille cassée, parcourues de personnages hauts en couleurs et de rebondissements incessants. S’il ne saute pas toujours aux yeux, l’aspect fantastique se révèle progressivement. Plus que la succession d’épreuves herculéennes imposées aux héros, c’est la présence constante de la nature, incarnée dans les aberrations du règne animal, végétal et minéral, magnifiée par la plume de l’auteur, qui confère au cycle une dimension surnaturelle originale.

Un auteur à découvrir ou à redécouvrir.

Du roi je serai l’assassin

Après une Reconquista victorieuse, l’Espagne est redevenue entièrement catholique. Situé au cœur d’un empire où le soleil ne se couche jamais, le pays est désormais livré à l’Inquisition par une monarchie Habsbourg toujours « plus ultra », conformément à la devise de Charles Quint. Enfants de l’Al-Andalus, Sinan et sa jumelle Rufaida sont réduits à vivre dans le souvenir de la grandeur musulmane, sous la férule d’un père tyrannique nourrissant le secret espoir de briser le joug que les vieux Chrétiens font peser sur les Marranes et les Morisques. Poussés à la compétition par leur géniteur, les deux adolescents sont finalement envoyés à Montpellier pour étudier la médecine. Ils sont surtout chargés par leur père de retrouver la pierre d’Al-Geuzahar, ingrédient essentiel d’une magie puissante et féroce, clé de voûte de la victoire sur les Catholiques. Mais le royaume de France est lui-même la proie d’un désordre grandissant, celui de la Réforme. Les guerres de religion grondent jusqu’aux portes de la cité du Languedoc, menaçant de tout emporter.

À sa manière simple et toujours à hauteur d’homme, Jean-Laurent Del Socorro renoue avec l’univers de Royaume de vent et de colères ou de La Guerre des trois rois, et l’on est bien content de ce retour. On retrouve en effet avec plaisir le goût de l’auteur pour l’histoire, plus précisément ici le xvie siècle européen. En proie aux tiraillements divergents de l’humanisme et de l’intolérance religieuse, l’époque n’est guère favorable aux parias, boucs émissaires idéaux pour tous les fanatiques. Entre Andalousie et Languedoc, Inquisition et guerre civile, Jean-Laurent Del Socorro trace l’itinéraire tragique d’un frère et de sa sœur, abordant les sujets plus intimes de l’homosexualité, de l’inceste et de la foi. Il ne néglige pas pour autant la camaraderie, la fraternité, voire la sororité, et de manière plus générale la tolérance, jalonnant son récit de vers de Ronsard ou de du Bellay, histoire de rappeler que le xvie ne se réduit pas à des tueries haineuses. Sur fond de Grande Histoire, celle que l’on connaît et dont il s’amuse à subvertir le déroulement par petites touches discrètes de fantasy, on croise des figures connues, monarques européens enferrés dans leurs querelles dynastiques, astrologue féru d’horoscopes dont les arcanes font encore office de prédictions de nos jours chez les esprits simples, mais aussi des gens de peu dont on a oublié jusqu’à l’existence. Le récit est ainsi semblable à un creuset où se déploie l’alchimie de l’imaginaire et de l’histoire, pour le plus grand bonheur de l’amateur de récits sensibles et tragiques.

Du roi je serai l’assassin renoue et prolonge donc avec bonheur l’univers de Jean-Laurent Del Socorro, même si l’ellipse finale peut paraître un tantinet précipitée. En dépit de ce léger bémol, nulle déception n’est à craindre, bien au contraire, le nouvel opus de l’auteur français apparaît même comme un roman fort honorable.

LERMITE

After®

La quatrième de couverture d’After® laissait présager un roman post-apocalyptique semblable à des dizaines d’autres : son déroulé et son propos ne viennent pas nous contredire. Le paysage parsemé de vestiges antédiluviens des terres renoncées, maigre reliquat d’un monde effacé par un cataclysme de sinistre mémoire, ne man-que pas en effet de réveiller immédiatement de multiples réminiscences, comme d’ailleurs la communauté parfaite qui survit dans leurs parages. Sous l’égide d’un conseil bienveillant installé dans un baobab, ses habitants rejouent un mode de vie rural et s’efforcent de diminuer leur empreinte écologique dans le respect d’un dogme égalitaire et apaisé. On se doute vite que les apparences cachent de sombres desseins et des secrets inavouables tant elles paraissent frappées du sceau de la duplicité.

La savane où les personnages traînent leur carcasse ne parvient pas à nuancer l’impression fâcheuse de déjà-vu. Elle se réduit vite à une épure, un décor que l’on traverse sans y prêter vraiment attention puisque le cheminement se révèle avant tout intérieur, recelant son comptant de supposées surprises. Dans ces conditions, difficile de se passionner pour l’intrigue du roman d’Auriane Velten, d’autant plus que tout paraît dépourvu de tension dramatique et empreint des faiblesses du débutant. Sans enthousiasme, on suit ainsi les aller-retour de Cami, l’électron libre trop curieux pour son propre bien, et de Paule, la disciple trop fidèle au dogme pour véritablement y croire, devinant même avant eux les découvertes laborieuses qui viennent jalonner leurs pérégrinations répétitives. Un voyage d’ailleurs guère crédible puisque les personnages ne voient aucun obstacle s’opposer à leur progression, les indices jaillissant exactement à l’endroit où ils/elles les cherchent, et leurs adversaires leur fournissant même les clés de la résolution de l’énigme. Bref, tout apparaît balisé, convenu et même assez maladroit, l’autrice ne faisant guère preuve de finesse pour distiller les révélations sur la véritable nature des personnages. Et que dire du dénouement, si ce n’est qu’il est bien moins vertigineux que la chute de rein d’une vénus callipyge. De quoi assurément faire frémir le plus zélé transhumaniste.

Premier roman d’Auriane Velten, After® aurait pu faire une nouvelle fort honorable. Mais on ressort de ce récit un tantinet frustré, guère convaincu par un traitement n’étant pas à la hauteur des ambitions de son autrice. On aurait vraiment voulu aimer, hélas on est juste déçu par la légèreté de tout cela.

Spectres de Poe dans la littérature et dans les arts

Ce livre recueille les communications qui ont été données, en 2017, lors d’une session des colloques du Centre culturel international de Cerisy consacrée à la destinée des œuvres et de la figure d’Edgar Allan Poe dans la littérature et la culture occidentales du xxie siècle. Il étudie les raisons de l’importance de l’œuvre de Poe et les modalités de sa persistance de nos jours, à travers les champs artistiques et culturels les plus divers (musique, cinéma, BD, art contemporain…).

Après une introduction claire qui contextualise le phénomène Poe dans notre vie aujourd’hui, faisant la part entre ce qui est significatif culturellement et l’écume de références faciles et vides de sens, tout en inscrivant l’ouvrage lui-même dans une tradition critique dont les plus célèbres représentants sont Lacan et Derrida, l’ouvrage se décompose en quatre parties, regroupant une vingtaine d’études : Sphères d’influence, Poe à l’écran, Lettres de Poe, Disséminations et résonances.

La première partie analyse, entre autres, la façon dont Poe est devenu une icône dans la culture populaire, contribuant à l’avènement de nouvelles expressions artistiques comme le cinéma ou la BD ou bien encore irriguant les nouvelles technologies, le web en premier lieu. Il y est aussi question des cycles des adaptations et de la sensible reviviscence au xxi e siècle des œuvres de Poe. La deuxième partie se consacre aux adaptations cinématographiques, plus ou moins libres, de l’œuvre de Poe, de l’avant-gardiste Jean Epstein qui sonde ce qui est montrable ou non du fantastique de l’auteur américain, aux adaptations aussi bien hollywoodiennes (jusqu’aux influences sur Del Toro ou Coppola) qu’à petit budget, du film grand public à celui d’horreur et confidentiel. Le troisième chapitre, quant à lui, a une portée plus littéraire : il s’intéresse à la façon dont Poe habite ses propres textes par l’onomastique, les problèmes qu’il donne à ses traducteurs, les questions qu’il pose à ses exégètes écrivains, comme Jules Verne, son influence sur la littérature américaine (Danielewski, Daniels) et sud-américaine (Borges, Quiroga, Caicedo). Enfin, la dernière section explore d’autres formes, intermédiales, de l’héritage poesque dans l’art contemporain : expositions (comme celle passionnante de 2004 consacrée à la « Lettre volée »), séries télévisuelles (fictions noires contemporaines comme Profiler), comics (ce que lui doit Batman), univers fantasmagorique de Tim Burton, musique (André Caplet et Claude Debussy).

Nombre d’articles sont accompagnés d’une bibliographie synthétique ayant trait à leur sujet. En fin de livre, une bibliographie générale choisie oriente le lecteur vers les ouvrages de référence consacré à Poe ; un index, précis sans être touffu, des passages de Poe étudiés, des noms mentionnés et des thèmes abordés permet d’opérer facilement ses recherches et déplacements dans le volume.

Si les analyses sont parfois pointues, comme c’est de rigueur dans un ouvrage scientifique (par exemple, seuls des musicologues aguerris pourront sans doute profiter pleinement de certaines communications de la dernière section), cet ouvrage n’en reste pas moins formidablement apéritif pour un esprit curieux de Poe, certes, mais aussi de tout le monde qui gravite autour de lui, notre monde qui ne cesse de s’en nourrir. Passionnant.

Lazare attend

New York, 1962. Larry Ben-Lazarus est un juif aisé et oisif qui passe son temps à déambuler pour se familiariser avec une société qui lui est étrangère ; car Larry n’est pas new-yorkais, il ne s’appelle pas Larry, et il est temps pour lui de raconter sa vie. Larry est Lazare de Béthanie, un ami de Jésus entré dans la postérité pour avoir – dit Jean dans son Évangile – été ressuscité par celui-ci. Sauf que c’est faux. Lazare était malade et il a guéri peu après son entrevue avec Jésus, certes, mais de mort ou de résurrection il n’y eut jamais. L’histoire n’était qu’un scam que laissa courir le rabbin Yeshua (un rabbin dissident rien de plus qu’humain, qui connut la postérité sous le nom de Jésus et était accessoirement un ami de Lazare). Et voilà que Jésus (appelons-le ainsi) est arrêté, crucifié, et que son entourage proche a le sentiment fondé que le nouveau procurateur de Judée en a après les membres de la « secte ». Pour Lazare et les trois Maries (Marie de Nazareth, mère de Jésus, Marie Madeleine, voyante et compagne de Jésus, et Marie Salomé, qui ne demanda jamais la tête de personne), il devint urgent de quitter la province. Commença alors, avec l’aide d’un automate à tête de crocodile et de son bateau magique, un voyage à travers temps et espace qui amena Lazare et ses amies à Carthage, dans la Rome puis la Byzance de Constantin, au concile de Nicée, le tout en passant par les Saintes Maries de la Mer et bien sûr New York.

Avec Lazare attend, Morrow livre un roman aussi athée qu’irrévérencieux. D’un anticléricalisme plus rigolard qu’haineux, Morrow livre sa version des faits, étayée par l’Histoire. Pour ce faire, il met en scène un stupéfiant et idéaliste Lazare qui, nanti de sept voyages temporels, tente de corriger les erreurs du christianisme naissant et d’empêcher l’apparition des dogmes qui conduiront à des siècles d’intolérance et de persécutions, tant des Juifs que des innombrables hérétiques que tout dogme sécrète par essence. C’est lui qui organise l’escroquerie In hoc signo vinces qui convainc Constantin de se mettre sous le patronage du Christ puis de rédiger l’édit de Milan mettant fin aux persécutions de ceux-ci (Lazare y fait ajouter « et des Juifs », sans grand résultat, car l’Église s’obstine à faire des Juifs le peuple déicide) ; l’idée est ici d’aider ses potes chrétiens et son peuple juif. Puis, cette fois par amour, il file au concile de Nicée où il tente de faire admettre la doctrine arianiste selon laquelle le Christ n’est pas Dieu, seulement de nature similaire à lui, contre les Trinitaires (futurs Catholiques) pour qui le Christ est Dieu, un Dieu en trois personnes, Père, Fils, Saint-Esprit. Homoousios contre homoiousios, que de souffrances pour une lettre.

Juste historiquement, à quelques licences littéraires près, Morrow montre tant le personnage peu sympathique de Constantin que l’intérêt bien compris qu’Empire et Église trouvent à se soutenir l’un l’autre, tant le foisonnement des courants chrétiens antiques que l’élimination progressive de tous au profit du seul Trinitaire – qui forgera une orthodoxie que terreur et élimination physique maintiendront pendant des siècles de chape de plomb.

Pour dire son histoire, il peuple son récit rocambolesque et survolté de personnages profondément humains, très loin des icônes compassées de La Légende dorée. Imagine-t-on Marie de Nazareth en femme rationaliste, décidée et rebelle, scandalisée par l’esclavage, Marie Madeleine en gourou new age usant de champignons hallucinogènes comme adjuvants de ses prédictions, Marie Salomé en danseuse et chorégraphe des sermons de Jésus ? Imagine-t-on qu’un corbeau qui dit le Kaddish accompagne Marie de Nazareth ? Peut-on croire que Lazare s’amourache d’une philosophe épicurienne au point de consentir pour elle à un sacrifice presque impensable ? Croira-t-on que les seuls amis de Larry à New York sont un couple de sympathiques croyants inventeurs du porno chrétien ? Le tout est un régal, entre Mel Brooks et les Monty Python.

Imaginez une histoire secrète du christianisme naissant écrite par Charb et réalisée par Terry Jones sous le patronage d’Edward Gibbon. Un mélange entre La Plus grande histoire jamais contée etLa Vie de Brian entre deux couvertures, c’est un peu ce qu’est Lazare attend, le dernier et jubilatoire roman de James « Jehovah » Morrow. Alors, hommes de peu de foi, qu’attendez-vous pour le lire ?

Golden State

Futur indéterminé. Californie – ou, selon sa nouvelle dénomination, Golden State. Un événement cataclysmique s’est produit dans un passé indéterminé à l’issue duquel la Californie est devenue le Golden State, avant de se couper du reste du monde. Le paradis sur Terre qu’est le Golden State est un État fondé sur le culte de la vérité. Aucun mensonge n’est toléré, la réalité s’appuie sans cesse sur un ensemble de vérités incontestables. Celles que les citoyens énoncent entre eux dès qu’il s’agit d’initier une conversation (« Dix est la moitié de vingt ; mais c’est aussi deux fois cinq ; ainsi en a-t-il toujours été ; qu’il en soit toujours ainsi », par exemple). Celles que filment toujours et partout les innombrables « captures » – caméras de surveillance qui archivent tout ce qu’elle enregistrent dans le Registre central. Celles que chaque citoyen écrit sur son Carnet de jour à fin de stockage futur dans ledit Registre. Celles enfin qui sont filmées par les sténopés que portent sur eux les agents du Service Spéculatif, garants et gardiens de la vérité, choisis en raison de leur capacité à sentir le mensonge comme des chiens un os. Laszlo Ratesic est l’un de ces Spéculateurs. Solitaire et taciturne, il se retrouve affublé à son corps défendant d’une stagiaire, Aysa Paige, qui se révèle bien plus douée que lui dans l’intuition et la détection du mensonge.

Et voilà que sur une affaire banale, la chute accidentelle d’un couvreur du toit sur lequel il se trouvait, Laszlo et Aysa mettent à jour une anomalie imprévue – une altération de la vérité qui se révèle de fil en aiguille bien plus grave qu’il n’y paraissait au départ. Commence alors pour les deux Spéculateurs une enquête risquée qui met en cause les fondements même du Golden State, car ils vont s’y trouver confrontés à des faits que les autorités décrètent « inconnus et inconnaissables » et découvrir que, dans l’ombre, des citoyens œuvrent à miner les fondations de l’Etat de la vérité vraie.

Golden State est un thriller aussi intrigant que trépidant, non dénué d’humour dans sa description d’une société obsédée par la vérité intrinsèque de toute chose (exemple : l’humour y est autorisé car chacun comprend bien que la non vérité énoncée l’est à stricte fin comique). On y parcourt un monde où les romans de fiction sont blasphématoires, où les chaînes de télé proposent uniquement des flux de captures – autrement dit des faits vrais –, et où, hormis les romans documentaires, ne sont autorisés que quelques livres communs qui servent à consolider la réalité partagée : Index géographique, Almanach, Dictionnaires, etc. On y suit l’improbable couple Laszlo/Aysa au fil de son enquête et, magie des flashbacks, au cœur des éléments significatifs de leurs passés respectifs. On y visite aussi un État qui – à l’opposé de l’Oceania de 1984 – sacralise la vérité, l’enregistre sans cesse jusque dans ses moindres détails, et punit bien plus sévèrement un menteur qu’un voleur. On y découvre, avec les deux enquêteurs, qu’il n’existe, in fine, pas plus de vérité indiscutable et univoque qu’il n’y a de soi-même que nous pourrions être, si on en croit les magazines, par-delà les masques que nous arborons chaque jour et qui forment les facettes de nos identités sociales.

Si les deux premiers tiers sont très agréables à lire, le troisième tiers paraît plus confus, plus rapide aussi, moins travaillé, un peu décevant. Dommage. Et puis, on se demande aussi ce qu’a voulu signifier Ben H. Winters. Son pamphlet anti post-vérité – mais en est-ce un ? – a des airs très nets de dystopie. Alors y a-t-il égalité entre deux maux ? On a peine à croire que ce soit l’opinion de quelqu’un de sensé.

Derniers jours d’un monde oublié

Sheltel, une île isolée depuis le cataclysme de la Grande Nuit il y a trois siècles. Elle était au centre du monde, passage obligé à équidistance des trois continents ; elle a disparu pour eux. Elle, de son côté, est sûre d’être seule à avoir survécu à la Nuit. Et voilà qu’elle est redécouverte par un navire pirate commandé par la capitaine Kreed. Pour le meilleur ou pour le pire.

Sheltel, isolée, en manque de ressources – même l’eau y est parcimonieuse –, a développé un système malthusien de rationnement et de contrôle des naissances qui épargne la maigre élite de l’île. Pour les autres c’est, outre la pauvreté, consanguinité interdite, malformations interdites, pouvoirs magiques sous contrôle ou éliminés, et la règle principale : « Quand une vie arrive une autre doit partir ». La royauté (les Natifs et leur peau reptilienne), le culte de la Bénie (qui achète par l’aumône la loyauté du peuple, contre les Natifs), la chefferie Ashim (d’ex-réfugiés jamais vraiment intégrés), et la Sorcière (une force tellurique incarnée) assurent l’ordre et allouent les ressources rares selon des règles ancestrales qui ne laissent place à aucun libéralisme politique. Le conflit politique larvé se joue entre eux ; le peuple est exclu et survit comme il peut dans un système autoritaire. Avec l’arrivé des pirates, tout changera peut-être, en dépit du conservatisme de puissants locaux qui ne veulent rien tant que garder leur pouvoir ou des manigances d’autres qui voient dans les étrangers une opportunité supplémentaire d’enrichissement. Time will tell.

Derniers jours d’un monde oublié est une histoire de fantasy politique racontée par l’entremise de trois personnages principaux (qui donnent leur nom aux scènes). La Sorcière, une puissance mystérieuse qui donne et prend la vie selon de cryptiques règles visant à assurer l’homéostasie de l’île – elle cache deux terribles secrets. Arthur Pozar, le vieux marchand, un riche qui s’est extrait de la misère et ferait tout pour ne pas y retourner – il conseille la Bénie et espère gouverner à travers elle. Erika, la pirate, « fille » de la capitaine Kreed – une machine à tuer qui voit ici une occasion de quitter le navire et de prendre sa liberté. Le roman est l’entrecroisement de leurs peurs, de leurs actions parfois irréfléchies, de leurs bassesses, de leurs moments de dignité, de leurs changements d’attitude. Pleins de contradictions, ces personnages font vrai, loin, si loin du manichéisme d’une grande partie de la production contemporaine. Aucun n’est juste ni bon ni mauvais (sauf peut-être le Natif), chacun est humain en ce qu’il est fait de facettes contradictoires que des lumières nouvelles vont éclairer différemment.

Les personnages sont une des forces du roman, avec la vraie cruauté que l’autrice n’hésite pas à montrer, l’ironie qu’elle déploie, et la manière plutôt habile par laquelle elle informe le lecteur sur son monde (dans les dialogues et par l’utilisation de vignettes informatives d’ambiance – une méthode reprise à Tous à Zanzibar).

En revanche, l’ouvrage laisse au moins deux insatisfactions. Certaines situations ou évolutions rapides semblent peu crédibles, et surtout on a l’impression de lire une pièce de théâtre plus qu’un roman. Beaucoup se passe en off, le saut d’un moment à l’autre est souvent trop brutal, le background global, tout juste entrevu et pas à la hauteur du background politique, donne une impression de théâtre d’ombres. On a l’impression de passer d’une scène à l’autre et d’un dialogue à l’autre sans vraie solution de continuité, de progresser sur les pas des personnages dans un monde aux contours imprécis, de n’être là que pour entendre ce qu’ils nous disent bien plus que pour le voir ou le vivre – les scènes nommées comme les personnages, tels les descriptifs des scènes dans le théâtre classique, amplifient encore cette impression.

Des qualités, donc, mais du travail encore. Souhaitons bon vent à Chris Vuklisevic après ce premier roman prometteur ! Elle a l’estomac dont devrait être fait la littérature. Reste à parfaire la forme des abdos.

Sauter des gratte-ciel

Avec une confiance aveugle dans la technologie de leur combinaison Flysuit, des voltigeurs sautent des toits des gratte-ciel, enchaînent les figures acrobatiques avant de freiner leur chute au tout dernier moment pour de se poser sans encombre. Chaque saut devient un show orchestré au millimètre pour un public fasciné par ces athlètes dont la carrière médiatique, dans un monde ultra connecté, importe autant que la prestation physique. Riva Karnovsky, une de ces voltigeuses, parmi les plus célèbres et talentueuses, refuse soudain de sauter sans raison apparente. Hitomi Yoshida, jeune psychologue récemment embauchée par Psysolutions, est mandatée pour remettre Riva sur le droit chemin, lui faire reprendre l’entraînement et contenter ainsi ses sponsors. Cette dernière refusant tout contact, Hitomi use de moyens peu conformes à la déontologie de sa profession : pressions sur le petit ami de la star, surveillance constante après installation de caméras cachées, traçage de son téléphone, analyses de toutes les données disponibles, y compris son journal intime effacé du serveur, manipulation. Tout est justifié par la nécessité de «  réactiver un potentiel perdu ». Hitomi, elle-même sous surveillance constante, a l’obligation de tout consigner dans des rapports, commentés en temps réel par son superviseur, Hugo Master. Son sommeil, ses activités sportives, ses séances de médiation sont enregistrées. Dans ce système ultra libéral axé sur la performance et la responsabilité individuelle, le traitement des données sans éthique au service de concepts nébuleux masqués par des anglicismes en vogue chez les managers modernes —coaching, mindfulness, feedback, digital cleanse, etc. – l’auto-contrôle prévaut. Le culte de la performance amène chacun à s’autoévaluer et à réajuster son comportement en fonction d’objectifs à atteindre qui sont autant de normes sociales. La moindre baisse de régime et le moindre échec peuvent être sanctionnés – en toute bienveillance – par une « relocalisation », pour ne pas dire un exil sans retour dans les Périphéries, ces banlieues sales, pauvres et « hors réseau » adossées à une mégalopole étincelante, entièrement verrouillée et réservée à l’élite.

La narration adopte le point de vue d’Hitomi, qu’on voit se faire broyer par un système méritocratique biaisé alors même qu’elle a, en bonne élève, une foi absolue dans les règles intenables qu’il édicte. Dans cette société artificielle où les émotions, les relations, les sentiments doivent rester sous contrôle, Hitomi, par ses ajustements constants aux exigences qui lui sont faites, semble avoir perdu les fondements de sa personnalité. Riva, perçue comme dépressive et inadaptée, montre en fait le che-min de la liberté. Cette dystopie effraie par sa proximité avec notre société contemporaine concurrentielle, mais aussi parce que personne ne s’y rebelle vraiment, puisque chacun est persuadé de pouvoir réussir. L’écriture souvent froide et distanciée se révèle efficace. Avec Sauter des gratte-ciel, récipiendaire du Prix Suisse de Littérature, Julia von Lucadou signe un premier roman maîtrisé qui, à défaut de révolutionner le genre, porte un regard lucide sur les travers de nos sociétés 2.0.

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