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Les critiques de Bifrost

Fumée d'opium

Fumée d'opium

Graham JOYCE
POCKET
416pp -

Bifrost n° 31

Critique parue en juillet 2003 dans Bifrost n° 31

Daniel Innes, électricien, vit seul depuis sa séparation avec Sheila. Ensemble, ils ont eu deux enfants : Phil, une grenouille de bénitier plus radine que Scrooge, et Charlie, une insoumise qui considère son père comme un débile mental depuis qu’elle a treize ans. Plutôt que de donner une conclusion satisfaisante à ses études à Oxford (un truc de nazes…), Charlie a cédé aux sirènes du sud-est asiatique, notamment à la consommation d’opium. Apprenant que sa « petite fille » est emprisonnée à Chiang Mai pour trafic de drogue et risque la peine de mort, Daniel se rend en Thaïlande avec Phil et son meilleur ami, le gros Mick. Là, il ne va pas tarder à découvrir que la jeune femme incarcérée n’est pas sa fille, mais une « fourmi » nommée Claire Marchand qui a dérobé son passeport à Charlie alors que celle-ci faisait un mauvais trip dans un village perdu du nord-ouest thaïlandais. Pour Daniel, le véritable voyage peut commencer maintenant qu’il sait où chercher Charlie : à la frontière avec la Birmanie, dans une zone interdite aux touristes, sur laquelle règnent des bandes armées héritées de l’époque où Khun Sha était le Kaiser Söze thaïlandais. Accompagné par deux guides, Coconut et Bhun, puis par un jeune guide akha, notre trio britannique ne tardera pas à retrouver Charlie (p. 208)… Mais les esprits de la montagne rôdent dans ce coin perdu du monde extrême-oriental.

Voilà un livre qui ne manquent pas de défauts et qui, pourtant, se lit avec grand plaisir, presque comme un thriller estival. Pour ce qui est des défauts, ils sont surtout cantonnés dans la première moitié du récit où Joyce et ses gros sabots ne nous épargnent rien : Phil, le fils fanatique religieux, est un personnage tellement outré que le lecteur a du mal à y croire ; le consul britannique est probablement pédophile (ce qui permet à Mick de le faire chanter) ; Mick tombe amoureux d’une magnifique thaïlandaise de grande taille, Mae-Lin, qui est bien évidemment un travesti ; le trio anglais se comporte de manière odieuse la plupart du temps (forcément, les asiatiques sont de gros hypocrites, de sales vendeurs de drogue, des types qui bradent leurs gamines aux étrangers et violent celles des autres) ; les prostituées sont toutes plus belles les une que les autres (l’auteur nous le dit trois fois en moins de vingt pages). Et au final, Joyce est bien plus à l’aise dans sa description de la jungle et des villages montagnards (pp. 208 à 397), plutôt que dans celle de Chiang Mai — la Perle du Nord — (pp. 79 à 183) dont il donne un portrait extrêmement réducteur, limite cliché. Il est d’ailleurs étonnant de remarquer que le récit s’améliore au fur et à mesure que les personnages de Joyce perdent leurs préjugés racistes et se laissent pénétrer par l’ambiance asiatique, les odeurs, les couleurs et les saveurs.

Pour conclure cette critique, il convient sans doute d’avertir le lecteur de Bifrost sur un point important : malgré la collection dans laquelle Fumée d’opium est publié, il ne s’agit pas d’un livre d’horreur, mais d’un solide roman de littérature générale comportant quelques éléments fantastiques (et encore…). Le ou les véritables sujets de ce roman relèvent clairement du mainstream ; Joyce nous parle de l’incommunicabilité entre un père ouvrier spécialisé et ses enfants plus éduqués, de la découverte d’un pays autre. Il en profite pour mettre en parallèle, de façon satisfaisante, le paradis naturel thaïlandais et le paradis artificiel offert par l’opium. Voilà donc un bon roman sur la Thaïlande auquel le lecteur curieux de découvrir ce pays préférera néanmoins la lecture de La Plage d’Alex Garland, livre-culte qui n’a pas volé son statut et parle des paradis artificiels et naturels avec beaucoup plus de mordant que Fumée d’opium.

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