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Les critiques de Bifrost

La Retraite maudite

La Retraite maudite

Stephen R. DONALDSON
POCKET
704pp - 11,70 €

Bifrost n° 45

Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45

Quarante années se sont écoulées dans le Fief depuis la quête du Bâton de la Loi, première aventure de Thomas Covenant (voir La Malédiction du Rogue). Quarante années de labeur et de préparatifs guerriers pour les défenseurs résignés d'un monde merveilleux en train de s'effilocher peu à peu. Quarante ans qui ne leur ont pas suffi pour retrouver la plénitude de l'ancien savoir, caché après le rite de la Profanation mené par le Haut Seigneur Kevin. Et pourtant, le temps presse, car à l'abri de leurs regards le Rogue rassemble ses forces afin de mener à terme la malédiction dont il les a frappés. Plus que jamais, un seul espoir demeure : la magie sauvage détenue par l'Incrédule. Mais bon, il faut rappeler le méprisable lépreux et espérer qu'il soit convaincu de l'urgence « réelle » de la situation.

Quelques mois se sont écoulés depuis la réédition dans une version véritablement intégrale du premier tome du cycle « mythique » de Stephen R. Donaldson. Quelques mois que le lecteur a mis à profit pour : 1/ oublier l'attente intolérable où il croupissait en détournant son attention vers d'autres lectures, 2/ faire le point sur « l'événement » éditorial — catégorie artillerie mercatique lourde — que constituait cette réédition. Oui, événement il y avait car le cycle des Chroniques de Thomas Covenant était devenu introuvable en France, ce qui n'était pas plus mal compte tenu du découpage assassin, pour ne pas dire le massacre, qu'il avait subi lors de sa première et partielle parution chez J'ai Lu. Cependant, l'assaut marketing auquel a donné lieu la sortie du premier volet de cette réédition peine désormais à masquer un fait que j'ai personnellement occulté, tout à ma joie de renouer avec une lecture marquante de ma folle jeunesse (je suis encore fou, puisque j'en ai entamé sa relecture). L'un des plus grands chefs-d'œuvre de la fantasy [dixit la quatrième de couverture] ne dépare finalement pas dans la production actuelle de fantasy. Certes, ces Chroniques remontent à 1977 (pour la première trilogie), mais il est douteux qu'une date de parution soit un argument suffisant pour distinguer une œuvre dans une masse, surtout lorsque celle-ci manie les mêmes matériaux et ressorts.

Mais, revenons à l'objet de notre attention, à savoir cette retraite maudite qui donne son titre au deuxième épisode des aventures subies par Thomas Covenant dans le Fief. Le lépreux y met en veilleuse ses obsessions et, aux côtés de ses anciens compagnons, fait la connaissance de quelques nouveaux personnages. Tout d'abord Hile Troy, l'Insigne de la Milice — comprendre, son commandant en chef —, un aveugle de naissance provenant lui aussi du monde « réel » et qui s'affirme d'entrée comme l'antithèse à tout point de vue de Covenant. Amoureux de cette terre d'adoption qui lui a restitué la vue, il s'y épanouit et prend fait et cause dans sa défense, poussant son action jusqu'au sacrifice ultime. Le lépreux est aussi confronté à sa fille Elea, née de ses œuvres criminelles dans le premier épisode. Elle est à la fois sa descendante et l'instigatrice de son invocation pour des raisons avouables — sauver le Fief — et d'autres, qui le sont beaucoup moins… Ça ressemble à une amorce de relations incestueuses, mais ça ne va pas jusqu'au bout. Et surtout, il y a le Fief, véritable personnage à lui tout seul, qui gagne un peu plus en épaisseur dans ce deuxième épisode. Les événements historiques qui ont précédé l'intrusion de Covenant se précisent, on arpente de nouvelles terres, on explore plus longuement des lieux déjà vus et on se pénètre de l'organisation sociale de ce monde où le merveilleux n'est pas encore dénaturé. Mais ce qui ressemble à une richesse supplémentaire contribue également fâcheusement à multiplier les points de convergence avec l'univers du Seigneur des anneaux. Les parallèles abondent pour nous rappeler que l'inspiration majeure de Stephen R. Donaldson, en dépit d'une coloration plus wagnérienne du récit, reste l'œuvre de Tolkien. Et ce ne sont pas les seules ressemblances, puisque le mode de narration (un embryon d'entrelacement) et l'intrigue (pendant que les uns attirent l'attaque de l'ennemi, les autres mènent une capitale mission secrète) viennent rendre la filiation encore plus évidente.

Alors quel intérêt reste-t-il à lire cette œuvre ? Pour le lectorat chenu non anglophone, essentiellement le plaisir de redécouvrir une œuvre dans sa dimension originale. Pour les autres, un cycle de plus dans une offre de fantasy stéréotypée et pléthorique.

Laurent LELEU

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