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Tremblement de temps

Si je vous dis que Tremblement de temps est un roman qui n’a pas été écrit, vous allez me demander la nature de l’objet de cette chronique. Eh bien, pas vraiment un roman, non… C’en est un sans en être un. Il n’y a pas vraiment de début, ni de milieu, ni même de fin d’un strict point de vue narratif, sans pour autant s’apparenter au Nouveau Roman… La quatrième de couverture nous apprend « que Kurt Vonnegut n’a pas envie de l’écrire. En tout cas, pas comme ça. À la place il nous livre la genèse de son récit avorté.  » Et pourtant, ce n’est pas non plus un making of.

Donc, en 2001, un tremblement de temps renvoie tout le monde dix ans plus tôt, en 1991. « L’histoire recommence à l’identique, les gens commettent les erreurs déjà commises, les mêmes catastrophes se produisent de façon automatique…  » Voila l’histoire que Vonnegut n’a pas envie d’écrire.

Qu’a-t-il écrit, alors ? Peut-être bien un roman, tout de même. Une sorte d’autobiographie romancée contenant des éléments de fiction ; et pour cause, vu qu’elle se déroule pour partie dans l’avenir, le livre ayant été publié aux USA en 1997. Ou un essais sur la vie des classes moyennes américaines au XXe siècle, mais pas au sens journalistique ni universitaire. Des commentaires personnels et des réflexions, parfois acerbes, sur la vie des gens en Amérique, et surtout sur le sens de cette vie. Vonnegut nous parle ici de lui-même, bien sûr, de ses femmes, de sa sœur, de son frère, de ses enfants, de ses amis et connaissances, de ce qu’ils pensent du monde dans lequel ils vivent et meurent. Un monde aussi hanté par son alter ego, Kilgore Trout, écrivain de SF raté, que l’on a déjà croisé dans nombre de livres de Vonnegut, et auquel Philip José Farmer finit par prêter sa plume pour Le Privé du cosmos. On le retrouve ici, quasi clochard jusqu’à ce qu’il s’installe dans la suite Hemingway de la résidence Xanadu pour écrivains à Rhode Island, à proximité de laquelle eut lieu un pique-nique de fruits de mer au bord de l’eau… Le livre tourne ainsi autour de quelques lieux tel l’Académie Américaine des Arts et des Lettres, et l’asile pour clochards contigu. Un certain nombre de gimmicks reviennent au fil du roman, Kilgore Trout ne cessant de ponctuer sa conversation de « Ding Dong » qui veulent tout et rien dire. Ou «  Vous avez été très malade mais vous êtes guéri à présent et il y a du pain sur la planche  », qui revient plus ou moins à propos, contribuant à une sorte d’humour aigre-doux omniprésent.

On ne saurait dire sur cette rive orientale de l’Atlantique que Kurt Vonnegut est l’un des auteurs les plus populaires de son siècle. Ses romans ont certes été largement traduits en français – en ce qui concerne les nouvelles, c’est une toute autre histoire –, mais je ne crois pas que beaucoup de gens d’ici le citeraient comme l’un des écrivains américains majeurs du siècle dernier. Et c’est bien dommage ! Il est pourtant doté d’une plume aussi créative qu’iconoclaste, d’un humour grinçant à souhait mais sans méchanceté aucune.

Méditation sur les États-Unis, la guerre, la famille et les amis, où l’on peut voir les prémices du court essai bien davantage désabusé quant à l’Amérique, Un homme sans patrie (Denoël, 2006), publié peu avant sa mort. Selon Vonnegut, le bonheur tient dans les relations au sein d’une famille élargie qui fait qu’au bout du bout, la vie vaut d’être vécue. L’un des intérêts majeurs de Tremblement de temps est de nous donner à voir des Américains (quand même instruits et cultivés) vivant leur vraie vie, voyant le monde tel qu’eux le voient. Le roman y montre un pays qu’ils aiment mais qui ne se ressemble plus, qui a perdu ses valeurs cardinales alors que les Américains et le monde entier en ont plus que jamais besoin.

Tremblement de temps est un livre étonnant – pas vraiment de SF, même s’il en est question à l’occasion —,un chef-d’œuvre à lire absolument, qui restera comme le chant du cygne d’un très grand auteur.

Les Femmes de Stepford

Le nom d’Ira Levin, qui ne semble pas avoir été un écrivain des plus prolifiques, n’est pas archiconnu mais ses œuvres, pour la plupart adaptées au cinéma, le sont bien davantage – même si désormais cela concerne surtout un public guetté par la soixantaine. Plus rare mais plus brillant que Michael Crichton, ses livres sont en majorité des best sellers au premier rang desquels, bien sûr, figure Un bébé pour Rosemary adapté par Roman Polanski avec John Cassavetes et Mia Farrow, et qui reste comme l’un des meilleurs romans et films fantastiques. La couronne de cuivre fut récompensé d’un Edgar du premier roman en 1953 et adapté par deux fois : Baiser Mortel de Gerd Oswald en 1956 et Un baiser avant de Mourir de James Dearden en 1991. Ces garçons qui venaient du Brésil, adapté par Franklin Shaffner en 1978 avec James Mason et Gregory Peck, touche encore à la science fiction. Sa pièce de théâtre Deathtrap fut portée à l’écran par Sydney Lumet en 1982. Sliver, plus anecdotique, n’en fut pas moins adapté par Philip Noyce avec Sharon Stone et William Baldwin en 1993. Enfin, The Stepford Wives connu deux adaptations. La première en 1975, sous le titre français Les Femmes de Stepford par Bryan Forbes avec Katerine Ross dans le rôle de Joanna Eberhart puis en 2004 par Frank Oz avec pour titre français Et l’Homme Créa la Femme et Nicole Kidman dans le rôle principal. Romancier, dramaturge et scénariste, une vingtaine d’œuvres à peine ont suffit à imposé Ira Levin parmi ceux qui restent et la surprise n’est pas qu’il soit aujourd’hui réédité mais qu’il le soit seulement.

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Les Femmes de Stepford est un court thriller d’une rare intensité où l’on voit le piège de Stepford se refermer petit à petit sur Joanna Eberhart, l’héroïne, et le suspense monter progressivement. On voit poindre la satire féministe derrière le thriller mais la qualité du suspense nuit à la qualité spéculative du roman qui ne transparaît plus qu’en filigrane. Elle masque cependant un certain manque de plausibilité. Ira Levin tenait à mettre en relief dans sa satire une forme de résistance masculine à l’indépendance des femmes, visant à les confiner dans leur rôle traditionnel – quitte à ce que la crédibilité en souffre. On voit donc Eberhart, surprise, s’interroger sur ces femmes intelligentes, susceptibles d’indépendance, se consacrer à leur seul ménage avec le soin le plus maniaque. Mais si on a la possibilité de substituer à sa femme un hybride de robot ménager et de poupée gonflable ne commencerait-on pas plutôt par l’envoyer bosser à notre place ? Mais ce n’est pas le propos de l’auteur. Réussir l’alchimie d’un thriller spéculatif constitue déjà un joli tour de force quand bien même la plausibilité engendrerait quelques réserves. En dépit ou grâce à son suspense soutenu, Les Femmes de Stepford permet au lecteur de se poser les questions sur lesquelles l’auteur voulait le voir se pencher.

Un bonheur insoutenable

Le nom d’Ira Levin, qui ne semble pas avoir été un écrivain des plus prolifiques, n’est pas archiconnu mais ses œuvres, pour la plupart adaptées au cinéma, le sont bien davantage – même si désormais cela concerne surtout un public guetté par la soixantaine. Plus rare mais plus brillant que Michael Crichton, ses livres sont en majorité des best sellers au premier rang desquels, bien sûr, figure Un bébé pour Rosemary adapté par Roman Polanski avec John Cassavetes et Mia Farrow, et qui reste comme l’un des meilleurs romans et films fantastiques. La couronne de cuivre fut récompensé d’un Edgar du premier roman en 1953 et adapté par deux fois : Baiser Mortel de Gerd Oswald en 1956 et Un baiser avant de Mourir de James Dearden en 1991. Ces garçons qui venaient du Brésil, adapté par Franklin Shaffner en 1978 avec James Mason et Gregory Peck, touche encore à la science fiction. Sa pièce de théâtre Deathtrap fut portée à l’écran par Sydney Lumet en 1982. Sliver, plus anecdotique, n’en fut pas moins adapté par Philip Noyce avec Sharon Stone et William Baldwin en 1993. Enfin, The Stepford Wives connu deux adaptations. La première en 1975, sous le titre français Les Femmes de Stepford par Bryan Forbes avec Katerine Ross dans le rôle de Joanna Eberhart puis en 2004 par Frank Oz avec pour titre français Et l’Homme Créa la Femme et Nicole Kidman dans le rôle principal. Romancier, dramaturge et scénariste, une vingtaine d’œuvres à peine ont suffit à imposé Ira Levin parmi ceux qui restent et la surprise n’est pas qu’il soit aujourd’hui réédité mais qu’il le soit seulement. Un Bonheur Insoutenable est finalement le seul de ses romans à n’avoir pas l’heur d’être transposé au grand écran. Et à sa lecture, on comprend aisément qu’on ne pouvait guère y puiser la tension dramatique permise par ses autres œuvres. Ce livre ne se prête en rien à la réalisation d’un des ces films de « courses et d’explosions » au montage stroboscopique qui trustent aujourd’hui les sommets du box office. (Certes, une dystopie comme Bienvenue à Gattaca a connu un succès d’estime mais resta loin de crever les plafonds et à l’instar des poissons volants, ne fait pas l’unanimité du genre…)

À l’horizon 2100, tout va bien dans le meilleur des mondes. Il n’y a plus ni guerre, ni famine, ni pauvreté, ni crime, ni solitude, ni chômage, ni riche, ni pauvre, ni argent, ni dirigeants (corrompus ou non), ni même de maladies telles que nous les connaissons. Tous les besoins des huit milliards de membres (le roman date de 1969) sont satisfaits. Tout le monde travaille, mange, est éduqué, fait du sport, jouit de loisirs, de vacances et même de sexe. Tout le monde est heureux, comme tout le monde…

Enfin, presque tout le monde… C’est l’absolue perfection du socialisme conçu comme le primat de la société sur l’individu, sous l’égide d’Uni, le superordinateur qui gère tout. Tout. Qui décide de tout. De quel métier vous ferez, d’où vous serez affecté, quand vous serez mutés, si vous pouvez aller voir vos parents ou non, avec qui vous pouvez devez baiser et avoir ou non des enfants; de ce que vous pouvez non pas acheter mais utiliser. Vous devez être semblable aux autres, n’avoir que le minimum de différences et être aussi androgyne que possible, le crâne rasé pour éviter toute différenciation et marque d’une personnalité propre. Un bracelet vous identifie à longueur de journée auprès d’une foison de scanner qui assure Uni que vous êtes bien là où vous devez être tout au long des soixante-deux années de votre vie. Et chaque mois un cocktail de psychotropes et de tranquillisants vous est injecté afin que vous ne risquiez pas d’être malheureux ni de vous poser de question. De telles déviations se soignent. Ne craignez rien. Votre conseiller – hybride de commissaire politique, d’assistant social et de psychothérapeute –, résolument bienveillant, est là pour veiller au grain sur vous. À défaut, les autres membres vous aideront, contre votre gré au besoin, mais dans votre intérêt et puis vous les en remercierez, contrit et repentant, tout heureux d’être rentré dans le moule et reformaté.

Un bonheur Insoutenable ne déparerais en rien le carré des grandes dystopies que Nous ou Nous Autres d’Evgueni Zamiatine, Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, 1984 de George Orwell ou La Kallocaïne de la Suédoise Karin Boye. On y croise le thème de la dictature du superordinateur (pré Intelligence Artificielle et réseaux) comme dans Colossus de D.F. Jones et celui de la limitation de l’espérance de vie que l’on retrouvera dans L’Âge de Cristal de J. G. Johnson et W. F. Nolan, ouvrages de la même époque. Et on y devine les prémices du chef d’œuvre de l’Allemande Juli Zeh, Corpus Delicti : Un Procès . Mais Un Bonheur Insoutenable n’innove pas vraiment; il agrège ce que l’on a déjà pu lire ou voir par ailleurs, et qui hante le zeitgeist de la fin des années 60. Ce roman aurait largement gagné en force d’évocation et de mise en garde en se limitant aux deux premières parties, même si le reste ne manque nullement d’intérêt.

Par les temps qui courent de déresponsabilisation généralisée, où la société dans son ensemble prétend mieux que vous savoir ce qui vous convient, ce que vous voulez et plus encore ce qui est bon pour vous, ne cessant de rabâcher des messages infantilisant, tout comme la télé obligatoire du roman, afin de produire une population ayant peur de tout, prête à tout accepter dans son prétendu intérêt (lisez les anthologies parues à La Volte à ce sujet) d’une permanente recherche du risque nul, le roman d’Ira Levin a valeur prophétique, de bien mauvais augure, certes.

Kaboul et autres souvenirs de la troisième guerre mondiale

Il existe, pour un écrivain, plusieurs façons d’aborder ses mémoires. L’une consiste à se mettre en scène de manière déguisée, avec tout le métier, toute la fantaisie que son expérience de conteur lui a donnés. L’autre est de conter certains épisodes de jeunesse des personnages inventés dans ses anciens romans. C’est ce que fait parfois Michael Moorcock avec ses divers avatars, et encore aujourd’hui, à près de 80 ans, dans Kaboul et autres souvenirs de la troisième guerre mondiale. Tom Dubrovski, le narrateur, est un agent secret, figure familière des lecteurs de Jerry Cornelius. Les éléphants rejoignent pour mourir, dit-on, un cimetière caché ; certains romanciers également : le cimetière des hommes et des femmes qu’ils ont créés. Imaginer le passé de ces personnages, c’est prolonger leur avenir, celui de l’auteur, et d’abord celui du lecteur.

Ce parcours de la mémoire imaginaire n’est pas moins authentique que l’autre. En elle-même, la réalité n’est rien, ce sont les songes et les souvenirs qui donnent sa cadence à la vie, et qui brisent le cœur des hommes. Et il y en a davantage dans n’importe quel personnage de Moorcock, dont le cœur est brisé depuis longtemps. Les songes emmènent loin  : dans l’espace, dans le temps, dans l’histoire. Ceux de Moorcock s’inscrivent souvent dans l’histoire. Sauf qu’il fait mieux que l’historien, il est plus libre.

Ses romans qui mettent en scène l’histoire depuis plus de cinquante ans forment une libre comédie humaine où tous les genres se mélangent, et on n’est pas étonné qu’il ait été – qu’il soit – lecteur de Balzac. La meilleure façon de faire concurrence à l’histoire, c’est de la réinventer ou de la falsifier. Dans les mondes de Moorcock, la frontière entre réalité et fiction est sans cesse franchie, tout comme ses personnages ne cessent de paraître ce qu’ils ne sont pas : ainsi de Tom Dubrovski, faux Polonais, faux antiquaire, faux amoureux, faux combattant, endossant tous ses rôles avec le même cynisme apparent et le même détachement, sans qu’on sache jamais, dans cet univers fonçant droit vers sa fin, si c’est une force d’adaptation ou la violente faiblesse de ceux qui sont incapables de résister à la tentation du désastre.

Tom Dubrovski est né en 1979 dans l’anthologie de Maxim Jakusbowski Vingt maisons du zodiaque, dans la nouvelle « La Traversée du Cambodge ». Il est l’une des silhouettes de cosaques chargeant, sabre au clair, vers Angkor sur fond d’horizon rougi par un champignon nucléaire. On le retrouve trois ans plus tard dans la défunte revue Orbites des éditions NéO, avant qu’un premier recueil, chez Mille et une nuits, ne fixe trois de ses missions. Nous savions de lui, avant sa réapparition, qu’il combattait par lâcheté et qu’aucune femme ne pouvait vraiment le retenir. Kaboul et autres souvenirs de la troisième guerre mondiale est un fix-up de six récits géographiques, qui reprend et enrichit cette trouble trajectoire. Du même coup, l’auteur fournit quelques explications sur le contexte géopolitique, même si les causes et les camps du conflit mondial restent en définitive nébuleux.

Dubrovski est un agent russe. Il fait la taupe dans les plus grandes villes du globe. Contrebandier de l’information, expert en manipulation, il prospère dans l’interzone ouvert par la montée des tensions entre les grandes puissances.

En mission à Rome, sa couverture d’antiquaire et de dandy débauché lui permet de fréquenter et de surveiller une faune de mondains parmi lesquels figurent peut-être des agents dormants. Le contact de cette bonne société, en particulier d’une femme, l’éloignera un temps de ses objectifs. Il n’y a pas pire condition pour un espion que de devoir se rappeler quelles ont été ses raisons d’être – et d’agir. Ses chefs le rappellent sans ménagement pour l’envoyer négocier en Amérique, au Venezuela : un espion ne peut pas plus couper avec ses donneurs d’ordre qu’un personnage avec son écrivain (ou un écrivain avec son personnage). Il sort peu à peu de sa zone de confort. Au fil de ses missions, le texte alors nous fait remonter dans son passé, entre exhumation de vieux rapports et récit secret de l’entropie qui progresse inexorablement. Il finit par intégrer un bataillon cosaque, ce qui l’amène à retrouver d’anciennes connaissances, comme on allume les bougies d’un anniversaire sinistre et incertain. Aucune raison ne permet d’échapper à l’enlisement, puisque la mémoire et la morale sont aussi troubles que l’action.

Au cœur de cette recherche grise d’un temps perdu, pleine de dialogues brillants et contée d’un ton détaché et ironique, il y a plusieurs récits d’action, justement, mais l’action elle aussi est décalée, aux contours vaguement hallucinatoires. Il y a également de superbes portraits de femmes. À la fin, le héros moribond retrouve son foyer après des années de fuite. Son ex et sa fille ont fait leur vie sans lui. Il prend la mesure avec nostalgie de ce qu’il a laissé. Grâce à son argent et ses relations, il peut encore leur assurer un avenir. Quand, à une question de son ex sur les causes de son retour, il répond qu’il espérait une réconciliation et leur donner l’assurance qu’elles étaient en sécurité, elle lui dit : « Tu as toujours été idiot. » Ulysse est revenu, mais il n’y a plus rien pour lui. Alors, une dernière fois, il endosse son uniforme de cosaque et puis s’en va.

Le cœur perdu des automates

« Un fantastique hybride de Highlander et Terminator avec un soupçon de Blade Runner pour faire bonne mesure », proclame la quatrième de couverture. Le livre avait-il besoin de cette promotion improbable ? Au-delà d’un aspect quelque peu putassier, l’affaire a au moins le mérite d’annoncer la couleur : voilà un livre inspiré du cinéma, écrit comme au cinéma, et peut-être pour le cinéma. L’auteur n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai : un de ses livres précédents (Robopocalypse, même éditeur), dormant dans les cartons d’Hollywood, aura bientôt l’honneur d’une adaptation par le tâcheron Michael Bay.

Le pitch de ce Cœur perdu des automates — beau titre, soit dit en passant – s’articule autour d’une double ligne narrative : la première emmène à Moscou, au début du xviiie. Dans un atelier secret du palais de Pierre le Grand, deux automates reprennent vie, animés par la plus fine et élaborée des horlogeries. Ils sont doués de parole, de conscience, d’une âme ; mais ils ont tout oublié de leur passé et de leurs semblables, les Avtomats. La seconde ligne, ancrée dans notre époque, suit June Stefanov, spécialiste en automate ancien : elle les étudie, les répare et, parfois, les réactive. Elle doit sa passion à son grand-père, qui lui a légué un étrange objet métallique ainsi qu’une drôle d’histoire d’ange de métal datant de la Seconde Guerre mondiale.

Jusqu’ici, tout va bien, les fils vont gentiment se nouer pour, d’un côté, éclairer l’histoire des Avtomats – et en particulier des deux poupées russes précitées — depuis les origines, et de l’autre pour raconter, de manière épique, les dernières séquences d’un conflit pluriséculaire pour la possession, ou la récupération, de la fameuse clé détenue par June.

Sauf qu’une succession de mauvais choix narratifs va venir passablement gâter le décor : de chercheuse chevronnée au look de Lara Croft, June redevient d’un coup la pauvre potiche damoiselle en détresse qu’il faut sauver, ce qu’accomplira un Terminator bienveillant (nommé Pierre Alexeievitch, d’après le Tsar) dans une séquence quasiment transposée du film de James Cameron. Et le thriller ésotérique à la Da Vinci Code de basculer dans un enchaînement de péripéties empruntées aux gros blockbusters qui tachent, avec courses-poursuites, duels à l’arme blanche, pétarades et robots flippants à souhait. Le récit a le bon goût d’alterner, on l’a dit, deux lignes narratives temporelles. Si la ligne « historique », plus calme, plus introspective, apporte un temps le contre-point idéal au déferlement de testostérone de la ligne contemporaine, l’intérêt qu’on y porte ne tient pas sur la longueur. Les cartes postales sont belles : un chapitre sur Helsinki au siècle des Lumières, d’autres dans l’Angleterre prévictorienne, dans l’Inde coloniale, dans la Chine antique… mais ce n’est pas de la 3D, il manque la profondeur. Le travail sur les personnages est à l’avenant : inégal pour les gentils, parfois incompréhensible pour les méchants (ainsi de la « mère des vers », le boss final du jour, censément toute-puissante mais incapable de retrouver ses ennemis sur un périmètre de quelques kilomètres, et dans un intervalle couvrant quelques décennies…), et indigents pour les seconds rôles, nous autres, pauvres humains, réduits au rôle de faire-valoir, ou plutôt de chair à pâté. Signalons encore cette anecdote à propos de l’héroïne falote : dans la lettre de l’éditeur accompagnant mon exemplaire de service de presse, le nom de June est remplacée par celui d’Alexa… Parfaite métaphore de ce qu’on appelle une erreur de casting ! Le scénario dans son ensemble n’aide évidemment pas tous ces protagonistes à livrer des prestations mémorables, même s’il est vrai qu’on est touché, par moments, de voir le grand Pierre Alexeievitch se débattre avec la Parole – sorte de programme interne qui rappelle les lois de la robotique du bon docteur Asimov. Comme quoi, il y avait de bonnes idées, malheureusement noyées sous des tonnes de lignes anodines et attendues.

Le Cœur perdu des automates est un véritable piège pour les lecteurs qui ont aimé les langueurs et la complexité philosophique, politique et artistique d’œuvres telles que La Vénus anatomique (Xavier Mauméjean), L’Automate de Nuremberg (Thomas Day), ou encore plus récemment L’Alchimie de la pierre (Ekaterina Sedia). Le livre de Daniel H. Wilson en est la parfaite antithèse : rapide, violent, bourrin, peu nuancé, jouant à fond la carte de l’émotion forte. Des ingrédients qui feront pourquoi pas un bon film d’action, mais qui, en l’état, ne suffisent pas à faire un bon livre.

Void Star

La science-fiction étant devenue la nouvelle frontière à conquérir pour de nombreux éditeurs, Hugo & Cie nous gratifie à son tour d’un label dédié au genre révéré par les lecteurs de Bifrost. Et on se dit, en découvrant le pitch de Void Star, l’un des deux titres inauguraux de « Nouveaux Mondes » (avec le très mauvais Armada, d’Ernest Cline), qu’il y a peut-être matière ici à ressusciter un post-cyberpunk bien orphelin. Hélas, si toutes les promesses ne sont certes pas déçues, le roman de Zachary Mason déroule une intrigue au final assez convenue, voire même plan-plan, comme on va le voir.

Futur proche. Le changement global a provoqué l’élévation du niveau des océans, engloutissant les côtes et une partie des mégapoles qui y prospéraient. Un déferlement de réfugiés climatiques a bouleversé la physionomie des villes survivantes. Des favelas ont poussé de manière anarchique, déployant les concrétions bétonnées de leurs alvéoles d’habitation sur les rares espaces libres. Par voie de conséquence, la ségrégation sociale et spatiale règne à tous les niveaux, sous le regard des drones armés. Tout cela pour le plus grand bonheur des plus favorisés, sans cesse en quête d’une jeunesse éternelle, garantie par les cliniques de rejuvénation, mais aussi pour le plus grand malheur des miséreux, condamnés à vivre d’expédients. Dans ce monde chaotique, en proie au recul des États et aux guerres, Irina a su creuser sa niche, usant de son implant cérébral pour servir d’intermédiaire entre ses clients fortunés et leurs IA dysfonctionnelles. De son côté, Kern s’est taillé une réputation de petite frappe dans les favelas de Los Angeles où il survit. À force de discipline, mais non sans intelligence, il s’est peu à peu élevé dans la hiérarchie des gangs. Quant à Thales, victime collatérale de l’attentat ayant entraîné la mort de son père, il se remet difficilement de ses blessures, l’esprit petit à petit réduit en charpie par le dysfonctionnement de la puce expérimentale implantée dans son crâne. De contrats mirobolants en quiproquos, le destin du trio se retrouve inextricablement lié.

Void Star recèle de chouettes idées, un faisceau de spéculations aussi brillantes que stimulantes autour des neurosciences et de l’interaction entre l’homme et la machine. Expert en intelligence artificielle, Zachary Mason met son savoir à contribution pour s’interroger sur l’émergence de consciences numériques rendues de plus en plus étrangères à l’esprit humain par leur complexité extrême. L’écriture de l’auteur, très bien restituée par la traduction, dévoile des fulgurances visuelles puissantes, conférant au récit une atmosphère dense, propice à l’immersion. Malheureusement, les longueurs, des temps morts interminables où l’on tourne les pages sans enthousiasme, plombent un tantinet la progression dramatique. À cela, il convient d’ajouter une narration au tempo haché, thriller oblige, où l’ennui finit par se substituer au suspense. Mais surtout, le roman pâtit d’un déséquilibre fâcheux entre les personnages. À côté de Kern, sans doute le caractère le plus intéressant du récit, Irina et Thales déçoivent par leur traitement terne, ne suscitant guère l’empathie. Thales apparaît d’ailleurs complètement superflu, en dépit du twist téléphoné dont il fait l’objet.

Bref, on ressort de Void Star avec un sentiment mitigé, où l’intérêt pour le post-cyberpunk se mêle à la déception. L’impression d’avoir lu un récit dont l’horizon d’attente miroite dans le lointain, comme un mirage, avant de s’évanouir. Dommage.

Les étoiles sont Légion

Parmi les nouveautés du tout jeune label Albin Michel Imaginaire, les amateurs de science-fiction seront sans doute impatients de découvrir, aux côtés du second tome du phénoménal [anatèm], le premier roman traduit sous nos longitudes de l’autrice américaine Kameron Hurley. Un space opera viscéral (euphémisme) où les vastitudes intersidérales cèdent la place aux profondeurs claustrophobiques et moites d’un essaim de mondes organiques. Un parti-pris aventureux, que d’aucuns jugeront guère propice au déploiement du sense of wonder. À la place, il faudra se contenter de l’atmosphère anxiogène et délétère d’un univers engagé dans un long collapsus. Bref, excepté auprès des fans d’hybridations malsaines et de délires corporels flirtant avec le gore, pas sûr que Les Étoiles sont Légion fasse l’unanimité.

La Légion se compose d’un chapelet de vaisseaux-mondes orbitant autour d’un soleil mourant. Les lieux ont sans doute connus des jours meilleurs, mais tout n’est plus que ruines, ou plutôt que tumeurs cancéreuses et chairs nécrosées, dans ce qui s’apparente désormais à un pandémonium en proie à une entropie irrésistible. Zan et Jayd ont un plan pour y remédier. Surtout la seconde, car Zan a sombré dans une fâcheuse amnésie qui la contraint à subir les événements. Pour arriver à ses fins, le duo féminin doit mettre un terme à la guerre opposant deux factions de la Légion, les Katazyrna et les Bhavaja, afin de s’emparer de la Mokshi, un monde à part, véritable électron libre doté de capacités inédites.

À l’instar de Zan, la guerrière amnésique, le lecteur est immergé en aveugle dans l’univers de chair et de sang du roman de Kameron Hurley. Le procédé est censé ménager le suspense, tout en distillant progressivement les données sur l’environnement organique des personnages. Même si l’on n’apprend pas grand-chose sur ses origines, la Légion s’avère en effet comme le point fort du roman. Un univers vivant où les habitants apparaissent davantage comme des symbiotes participant à un grand tout dont la raison d’être échappe au champ du récit. Pour apprécier Les Étoiles sont Légion, il faut aimer la plomberie, les sécrétions, excrétions et autres humeurs qui transitent dans un organisme. Kameron Hurley ne nous épargne rien de la déliquescence des lieux. On y vit, on y meurt, on y est recyclé dans un déluge de sang, de merde, de pisse et de glaires. Aucun être vivant n’est sacré. Tout n’est que chair, organe, tendon ou os, prêts à être digérés pour servir de nutriments aux générations futures, ou prêts à être implantés dans un autre corps – comme les utérus de Zan et de Jayd. Si l’univers suscite l’intérêt, voire une fascination trouble, il n’en va pas de même, hélas, de l’intrigue. Récit linéaire perclus de clichés, Les Étoiles sont Légion pèche aussi par ses cliffhangers répétitifs supposés accroître la tension dramatique. Peine perdue puisque les clés du récit nous sont livrées dès le début, via les citations en exergue de chaque chapitre. Quant à l’aspect féministe annoncé en quatrième de couverture, il se réduit à un monde exclusivement féminin, où les femmes rejouent ad nauseam la sempiternelle comédie humaine de la lutte pour le pouvoir. Un peu maigre, en somme, à moins d’y voir un rappel de l’inutilité du sexe masculin, y compris dans le processus de reproduction.

Achevons donc cette chronique sur un sentiment mitigé, entre déception et enthousiasme modéré. Les Étoiles sont Légion apparaît comme un roman bancal. Une coquille un peu creuse, voire une cellule dévitalisée. Tant pis.

Écotopia

Vous ne l’avez sans doute pas su, mais ces satanés hippies ont pris le pouvoir dans les trois États de l’Ouest, imposant une sécession douloureuse aux États-Unis. Vingt années après cet événement traumatique, vers l’an 2000, l’Écotopia ouvre pour la première fois ses portes à un journaliste américain, William Weston. Pour cet envoyé du grand quotidien le Times-Post, ce nouveau pays apparaît à la fois comme une source de curiosité et de rancune. Son reportage est donc un bon moyen de combattre les préjugés, y compris les siens, afin d’établir la vérité sur les choix adoptés par les Écotopiens.

Écotopia reprend une formule littéraire ancienne, celle de l’utopie. Paru dans nos contrées en 1978 chez Stock, sous le titre de Écotopie, la fiction utopique d’Ernest Callenbach bénéficie d’une nouvelle traduction publiée chez Rue de l’Échiquier pour inaugurer la collection « Fiction » de l’éditeur. Une réédition bienvenue, offrant l’opportunité de découvrir un ouvrage relevant ouvertement de l’écologie politique, un OLNI de 1975, devenu rare sur le marché de l’occasion, et dont le propos se révèle plus que jamais d’actualité. Très honnêtement, c’est surtout cet aspect de Écotopia qui retient l’attention, comme un écho funeste aux inquiétudes et aux catastrophes de notre époque. Le dispositif narratif et l’écriture sont en effet d’une lourdeur et d’un didactisme bien décourageants. Ernest Callenbach mêle les articles publiés par le Times-Post aux extraits du journal personnel de Weston, témoignant de l’évolution du regard du journaliste sur l’utopie écologiste ouest-américaine. Le compte-rendu informatif côtoie ainsi le quotidien vécu, pendant que le devoir d’objectivité se frotte au ressenti intime du simple citoyen. Pour le lecteur d’aujourd’hui, quel intérêt à découvrir un ouvrage de plus de quarante ans, de surcroît fastidieux à lire malgré la nouvelle et excellente traduction ? Peut-être pour (re)découvrir un pan non négligeable de la contre-culture américaine, où l’on imaginait autre chose, histoire de rompre avec les sirènes de l’« American Way of Life ». Les problématiques soulevées par Ernest Callenbach et les réponses qu’elles obtiennent en Écotopia puisent en effet leur source dans l’écologie politique et radicale. Les solutions mises en œuvre par les Écotopiens démontrent qu’un autre monde est possible, mais elles appellent à une redéfinition complète des modes de vie, de consommation, de production et de gouvernance. Un renversement total de paradigme, sans doute un peu rude à digérer pour des populations profitant des bienfaits à court terme de la croissance. Écotopia est en effet une utopie écologiste fondée sur les principes de la décroissance économique et démographique. Les Écotopiens cherchent avant tout à réduire leur empreinte écologique pour aboutir à un état d’équilibre. Ils prônent le rejet du productivisme, du consumérisme, de l’individualisme et du capitalisme. Bref, les fondamentaux de la société industrielle. À la place, ils défendent l’idée d’une exploitation raisonnée des ressources, où prévaut le recyclage intégral. Ils pratiquent l’amour libre, tout en affichant leur préférence pour la vie en communauté, non sans éviter l’écueil du communautarisme. Chacun de ses membres a voix au chapitre, dans la plus élémentaire égalité, y compris des sexes, pouvant éliminer ses frustrations au cours de simulacres de guerre. Les Écotopiens développent enfin une économie de la parcimonie, où chacun bénéficie de garanties pour vivre décemment, ne rejetant pas la technologie lorsqu’elle sert leurs desseins, mais n’hésitant pas à user de la coercition pour mener leur projet à terme.

Ainsi, entre essai théorique, manifeste politique et fiction romancée, Ernest Callenbach dessine le portrait d’une société où l’utopie se mue en objectif désirable, car porteur d’un projet d’avenir optimiste. Et, même si Écotopia échoue sur le terrain de la littérature et du romanesque, l’ouvrage se montre visionnaire sur de nombreux points qui donnent à réfléchir à la lumière de la situation présente de notre monde.

Destin boiteux

Destin boiteux a d’abord connu un premier avatar dans l’Hexagone sous le titre de Les Mutants du brouillard, version tronquée du présent roman, exfiltrée d’URSS pour des raisons de censure sous la forme d’un samizdat diffusé en Allemagne dans les années 1970. À l’occasion de la Perestroïka, le roman paraît finalement en Russie en 1987, bénéficiant d’une nouvelle traduction en France aux éditions de Fallois, avant de connaître une dernière réédition, cette fois-ci complétée, dans la collection « Nuits blanches » dirigée par Viktoriya et Patrice Lajoye. Si Destin boiteux comporte bien un aspect science-fictif, celui-ci relève davantage de la métaphore filée. À vrai dire, Arkadi et Boris Strougatski font davantage part de l’échec du modèle politique et social de l’URSS, abordant le sujet par le truchement d’un roman gigogne. Destin boiteux est en effet l’histoire de l’étrange relation unissant un auteur, Félix Sorokine, à son œuvre, un roman resté à l’état de manuscrit qu’il retrouve et décide de compléter. Dans le monde de Sorokine, l’URSS est à l’agonie, s’apprêtant à troquer le communisme intégral contre l’inconnu. Dans celui de Banev, énième variation cryptofasciste, des mutants frappés d’une maladie mystérieuse pervertissent la jeunesse, lui inculquant le goût pour le changement et la révolte. Au récit de Sorokine, auteur vieillissant condamné à écrire des livres patriotiques pour plaire aux autorités, répond celui de Banev, personnage de fiction fantasque, exilé dans une ville de province soumise à une pluie incessante et à un brouillard tenace. Un caractère entier, prompt à faire le coup de poing avec les fâcheux, entre deux repas gargantuesques composés de lamproies copieusement arrosées de vodka. Entre l’URSS déliquescente de Sorokine et la ville imaginaire de Banev, le doute ne dure pas longtemps. Entre le grand pays tourné vers son passé, enferré dans la paranoïa et la médiocrité, et la perspective d’une révolution d’où émergerait un monde meilleur, le choix est vite fait, du moins si l’on a encore foi en l’avenir radieux. Pour Sorokine, le récit de Banev apparaît comme un remède contre la déprime et la procrastination, car le personnage n’a rien perdu de son esprit combatif, redoublant d’énergie pour semer la pagaille, avec une générosité qui laisse pantois.

Si aux premiers abords, Destin boiteux n’a rien d’une lecture facile et distrayante, le roman des frères Strougatski recèle des moments d’une drôlerie irrésistible. Le duo dresse en creux un portrait grinçant de l’URSS, tout en usant d’un art de la satire jubilatoire, surtout perceptible dans le portrait des personnages. On y boit, on y ripaille et on y baise avec en arrière-plan la fin du monde et l’imminence du chaos, tout en questionnant l’altérité et le statut de l’écrivain dans un État totalitaire. Mais, il s’agit bien d’une tragédie, certes goguenarde, sur fond d’échec et d’incertitude. Celle d’un pays dont on connaît désormais un peu mieux le devenir. Qu’y faire ? Reprendre un coup de vodka et un plat de lamproie, peut-être ?

Car je suis légion

585 av. J.-C, Babylone. Sarban ne fait pas respecter la Loi, non : il l’incarne tel un Josh Randall en robe indigo, celle portée par l’Ordre des Accusateurs. Oublieux de ses désirs et rancœurs personnelles, Sarban exprime la volonté intangible du législateur inscrite pour l’éternité dans la pierre par Hammurabi, rendant ainsi justice aux hommes, sous le regard attentif et silencieux des dieux. Mais les augures sont formels. Le dieu Marduk doit se reposer, laissant libre cours au désordre que ne manquera pas de déchaîner son aînée Tiamat, la déesse du chaos primordial. Le temps va s’interrompre et la Loi s’effacer. Les Accusateurs vont suspendre leur sacerdoce et devenir les spectateurs de la fin du monde, avec pour ultime consigne de défendre leur vie et de protéger les temples contre les exactions de citoyens livrés à eux-mêmes. Rien ne doit en effet gêner le repos de Marduk. Rien ne doit nuire à l’éventuel rétablissement de sa Loi, quitte à laisser le reste de Babylone sombrer dans le meurtre, le viol, le pillage et d’autres actes de cruauté innommables. Et pourtant, Sarban va commettre l’impensable. Pour résoudre un crime prémédité auquel il a assisté, il va sonder les abîmes de l’âme humaine, accomplissant un périple de l’En-Bas vers l’En-Haut. Pas sûr qu’il en sorte indemne.

Nouveau packaging pour la réédition de Car je suis légion, sans aucun doute l’un des points d’orgue (de barbarie) de l’œuvre de Xavier Mauméjean. Une réédition bienvenue dont on ne peut que louer Mnémos, son éditeur historique. Roman apocalyptique, au sens littéral du terme, Car je suis légion joue avec des motifs issus de la culture mésopotamienne. Xavier Mauméjean nous immerge dans le berceau de la civilisation, dans ce pays de l’entre-deux-fleuves, contrée millénaire où bien des mythes ont infusé jusqu’à nous, inspirant notamment une bonne partie du légendaire judéo-chrétien. Fresque historique babylonienne, Car je suis légion emprunte également beaucoup de ses traits à la forme classique du cinéma américain. Western, péplum et film noir sont convoqués pour animer une intrigue fertile en clins d’œil et morceaux de bravoure. On croise ainsi sept mercenaires, un tantinet salopards, mais aussi la figure archétypale du détective hard-boiled, guère embarrassé par ses états d’âme lorsqu’il s’agit de rétablir un tort. Xavier Mauméjean mêle le vrai et le faux pour accoucher d’un effet de réel convaincant, où l’humain se confronte à l’effacement des règles et des conventions sociales. Dépouillé de son vernis de civilisation, il ne lui reste plus qu’à laisser s’exprimer sa nature. Sur ce point, l’auteur ne se montre ni optimiste ni pessimiste. Il se contente juste de dévoiler la propension de l’homme à faire le bien ou le mal, bref à s’adapter aux circonstances et à ses passions.

Entre ziggourats vertigineuses et jardins suspendus, Car je suis légion nous invite à un voyage brutal sans concession aux origines de la civilisation, mais aussi aux tréfonds de l’esprit humain. Un périple historique et métaphysique dont il serait regrettable de se passer.

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