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Bleue

Découverte dans nos contrées avec Une histoire des abeilles, Maja Lunde continue de creuser le sillon de l’introspection écologiste avec la constance d’une autrice s’étant fixée comme projet d’écrire un « Quartet » sur l’écologie. Pas sûr que l’amateur de récit dystopique ne trouve matière ici à entretenir sa passion déviante pour les futurs qui déraillent, a fortiori s’il a lu et apprécié les romans de Jean-Marc Ligny, en particulier Aqua™ et surtout Exodes. Bleue n’entretient pas en effet longtemps l’illusion, l’élément prospectiviste se réduisant rapidement à la portion congrue. L’autrice préfère encore une fois décrire les relations compliquées entre deux groupes familiaux, séparés par presque trente années de gabegie libérale-capitaliste. Trois décades pendant lesquelles le continent européen voit la ressource en eau douce se raréfier, au point d’entraîner l’éclatement communautaire au profit d’un chacun pour soi n’étant pas sans rappeler le raidissement actuel provoqué par les flux migratoires. Dans une double trame, avec un voilier en guise de fil directeur, Maja Lunde s’attache à décrire le baroud d’honneur d’une vieille activiste fatiguée et le drame vécu par un père et sa fille, contraints de s’exiler au Nord pour survivre à la sécheresse. Entre la Norvège et la France, des rives d’un fjord idyllique, en proie à l’exploitation de ses ressources aquifères, aux terres desséchées d’Occitanie, l’autrice décrit par le menu les pensées de ses personnages, s’intéressant à leurs fêlures intimes et aux petits détails de leur quotidien, lâcheté et actes manqués y compris. Deux destins se dessinent ainsi, l’un déjà achevé dont on découvre rétrospectivement le tracé, l’autre en devenir ne demandant qu’à être raconté.

Au regard des enjeux et des thématiques évoquées, l’amateur de science-fiction ne pourra juger que la moisson maigre, tant le futur décrit par Maja Lunde s’apparente à une anticipation légère, guère différente du drame vécu par les réfugiés climatiques dont le malheur ne suscite qu’un intérêt poli dans nos contrées, pour l’instant encore à peu près épargnées par les effets des sécheresses à répétition. Bref, un parfait faux ami ne faisant qu’emprunter son décorum aux littératures de genre pour dérouler un récit intime mêlant drame et fatalisme, sur fond de catastrophe environnementale prévue. Bref, de la dystopie for dummies destinée à un lectorat à la recherche d’une dose modérée de frisson enrobée de psychologie. Passons.

Starship Troopers

Il est, je pense, aussi difficile en 2019 de vendre que de chroniquer Starship Troopers. Le roman est ancien (VO en 1959, Prix Hugo en 1960, VF en 1974, sous le titre Étoiles, garde-à-vous !) ; un film en a été tiré en 1997, qui, pour beaucoup, constitue une connaissance suffisante de l’œuvre. Et pourtant, il est bien utile aujourd’hui de se replonger dans Starship Troopers, ceci pour deux raisons. D’abord car le film de Paul Verhoeven, en dépit de ses qualités propres, adopte un ton ironique – qui rend dérisoires les accusations de cryptofascisme dont certains l’ont affublé – alors que le texte de Heinlein est grave. Ensuite car ce dont parle l’auteur – et là, il faut rendre aux préfaciers Ugo Bellagamba et Éric Picholle ce qui leur est dû en terme d’analyse – c’est de l’engagement et de son prix, quelles que soient les formes que prennent celui-ci et celui-là.

L’histoire est assez connue pour qu’on puisse n’en dire que quelques mots. Futur, espace humain. La Terre et ses colonies spatiales sont gouvernées par un système – que Heinlein développe peu – dans lequel la citoyenneté est subordonnée à la réalisation d’un service fédéral, souvent militaire. Les non citoyens, majoritaires, y sont comme les métèques des cités grecques, libres de vivre et d’agir mais dépourvus de pouvoir politique.

Le roman, à la première personne, est l’histoire de Juan Rico, un jeune diplômé qui s’engage un peu par hasard et contre l’avis de ses parents, et se trouve affecté dans l’Infanterie Mobile, le corps des fantassins d’élite de l’armée fédérale. Rico, qui s’engage en temps de « paix », fait ses classes – très dures – puis se trouve plongé dans une guerre chaude déclarée vers la fin de sa période d’instruction par une race d’insectes lancés – ni plus ni moins que les humains – à la conquête de l’espace connu et des ressources vitales qu’il renferme. Instruction, épreuves et expérience feront grandir Rico jusqu’à lui faire comprendre quel doit être l’engagement du citoyen ; qu’il ne s’agit pas pour lui et les autres engagés de simplement gagner un droit de vote dont beaucoup (jusqu’aux parents de Rico) se passent fort bien, mais de vivre en plein accord avec la communauté politique dont ils se réclament – jusqu’à lui sacrifier temps, santé ou vie.

Certes, Starship Troopers accuse parfois son âge – dans les rapports de genre par exemple. Certes, encore, il est un vrai roman de guerre, avec ses passages obligés, du sergent sévère mais juste aux rivalités viriles entre armes. Certes, enfin, on y trouve un usage aussi immodéré qu’irréaliste des munitions nucléaires tactiques (même si l’utilisation tactique de ces armes fut envisagée durant la Guerre de Corée). Mais le roman reste essentiel car il aborde des questions intemporelles. En effet, par-delà le récit très SF militaire (si on y est allergique, mieux vaut passer son chemin), le roman développe deux thèmes principaux. D’une part, la fusion dans une communauté de frères d’armes (on peut penser à la première partie de Full Metal Jacket) qui serait tout aussi soudée si elle était une communauté de citoyens engagés dans une action autre que militaire – les travaux du politiste D. Gaxie, entre autres, disent assez les liens qui naissent dans l’action militante ; ces liens de fraternité nés de l’adversité partagée, dont manquent trop souvent les sociétés individualistes. D’autre part, l’importance et la valeur de l’engagement civique, quelle que soit la forme que prend cet engagement — militaire ici, écologique peut-être aujourd’hui, par exemple. En 1959, Heinlein invitait à s’engager, ce qui signifie accepter d’en payer le prix si nécessaire. Notre époque utilise le mot citoyen comme un mantra dépourvu de sens. Il faut alors laisser la parole à Rousseau : «  Dans un État vraiment libre les citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent. Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes… Dans une cité bien conduite chacun vole aux assemblées  ». Que nous en sommes loin ! C’est alors une piqûre de rappel qu’administre Heinlein, lui qui fait dire à ses personnages : « le destin le plus noble d’un homme est de placer son corps mortel entre son foyer et les ravages de la guerre » ou « Il n’y a pas de plus grand amour qu’une chatte qui meurt en défendant ses petits ». Il voulait rappeler qu’il n’y a pas de droit sans devoir, ni de liberté sans responsabilité. Et si nul ne souhaite ni mourir ni souffrir, il importe d’être prêt à le faire lorsqu’est en jeu la survie même de la communauté politique. Un message dont notre époque a, semble-t-il, grand besoin.

Nécropolitains

Nécropolitains est le second roman de Rodolphe Casso. Il fait suite à Pariz (sorti en 2016), dans lequel on voyait le monde – et singulièrement Paris – être emporté par l’apocalypse zombie vers un post-apo’ dans lequel la simple survie est un exploit en soi.

Nécropolitains commence un an après ces événements. Une poignée de soldats survit plus qu’elle ne vit dans la base souterraine de Taverny. Leurs réserves s’épuisent lentement mais c’est surtout leur moral qui est de plus en plus en berne, au point que les suicides se multiplient. Le commandant de la base décide alors qu’il est temps de réagir. Pour ce faire, il envoie le capitaine Franck Masson, un commando de l’air, en mission dans Paris afin d’y prendre contact avec les quelques poches de survie qui s’y trouvent — des photos satellites l’attestent – et créer avec les survivants des liens qui seraient à la fois le ferment d’une renaissance sociétale, voire nationale, et aussi une source d’espoir et de projets pour les enterrés volontaires de Taverny. Masson est un « soldat d’Épinal », courageux, discipliné, patriote, catholique – l’homme de la situation, donc.

Largué par hélicoptère près de la butte Montmartre (la première des trois stations de son calvaire), il entreprend une dangereuse tournée dans l’inconnu – même si le vrai danger, désormais, vient aussi souvent des hommes et des chiens errants que des zombies eux-mêmes. Pour tout équipement, un uniforme, un Famas, une radio-satellite histoire de contacter sa base, des rations, et un carnet pour noter ce qu’il voit et entend afin d’initier une nouvelle mythologie, la culture populaire des temps nouveaux.

Première étape : la butte Montmartre et sa « République » foutraque. Dirigée par un ex-animateur télé, confite dans un passé qui ne veut pas mourir, on y trouve, sous une bonhomie et une liberté affichées, une société perverse dont certaines des pratiques sont bien peu ragoutantes. Second arrêt : le parc des Buttes-Chaumont, où s’est installée une communauté autogérée plutôt pacifique. Plus digne sans conteste que le précédent, ce groupe humain n’est néanmoins à l’abri ni des dissensions internes, ni des agressions externes, ni, surtout et toujours, des diverses pénuries qui rendent la vie difficile et nécessairement courte. Enfin, ultime stop : l’île de la Cité, étroite langue de terre isolée devenue une sorte de mini théocratie illuminée gouvernée par les autorités ecclésiastiques et policières du lieu – un genre de parvis de Notre-Dame hugolien avec des motos. Partout, Masson doit s’intégrer – jusqu’à créer parfois des liens forts – pour voir si un rapprochement est possible, sans abandonner néanmoins ses valeurs. Mais toujours sa mission prime, toujours il va de l’avant, bravant les périls des transits et les risques de chaque nouvelle insertion. Paris a changé, radicalement, et, conséquence, notre héros change aussi, gauchi par la réalité qu’il traverse et les rencontres qu’il y fait, jusqu’à comprendre qu’il lui faut aussi dans sa tête aller de l’avant.

Pour rythmé qu’il soit, Nécropolitains n’en est pas moins alourdi par le luxe de détails donnés par l’auteur. Rodolphe Casso adore Paris, son roman le hurle. D’interminables descriptions, qui rendent le texte sans doute trop long, décrivent les lieux, les boutiques, les rues, les structures de la vie urbaine (canaux, métros, ponts et compagnie). Ce n’est jamais désagréable, mais on peut penser que cette façon de décrire Paris dans ses moindres détails avant (ou afin) d’y placer le malheur parlera plus aux Parisiens, qui reconnaîtront des lieux dans lesquels ils vivent (encore) une vie normale, qu’aux autres habitants du désert français. Le tout fait très parigot, des lieux emblématiques jusqu’aux références à Aristide Bruant. Concernant le ton, le texte oscille entre — parfois – une ironie gouailleuse à la Audiard, et – souvent – un anarchisme visuel à la Fluide Glacial ; régulièrement, on croit voir des personnages ou des situations à la Goossens. On accrochera… ou pas, selon ses goûts propres.

Jardins de poussière

Quatre ans après le très bon La Ménagerie de papier, Le Bélial’ propose aujourd’hui Jardins de poussière, nouveau recueil du multiprimé Ken Liu, une fois encore organisé par les Quarante-Deux et traduit par Pierre-Paul Durastanti. Non contents d’avoir réuni des textes écrits par Liu durant toute sa carrière, les Quarante-Deux les ont regroupés par thèmes, offrant ainsi à l’ensemble une cohérence multithématique qui a surpris l’auteur lui-même.

Le premier texte du recueil concentre pour le mieux ce que sait faire l’auteur : « Jardins de poussière » est le récit vertigineux d’une colonisation spatiale au bord de l’échec sauvée de justesse par un acte mêlant rigueur scientifique, beauté poétique et une once d’amour.

Tout au long de l’ouvrage, on trouvera ce mélange assez inédit qui caractérise le travail de Liu. Car touchant à beaucoup de genres SFFF différents – donc, à beaucoup de formes différentes –, c’est à son fond que l’auteur est reconnaissable, au mix de justesse, de sensibilité et de tendresse qu’il met dans des histoires qui racontent la difficulté des sentients à vivre ensemble, mais aussi la chaleur réconfortante qu’apportent la présence et l’amour des autres. Des nouvelles qui, peu ou prou, parlent toutes de famille, de contact, d’Histoire, d’exploration, de changements, voulus ou forcés. De la difficulté donc d’avancer vraiment sans perdre en route ce qu’on est, ce qui fut, sa culture ou son entourage.

Revue en flashes non résumés :

« La Fille cachée » et « Bonne chasse » – cette dernière adaptée en anime dans la série Love, Death, and Robots par Netflix – sont silkpunk et steamfantasy. Mais dans les deux cas, c’est de changement qu’il s’agit pour des personnages profondément émouvants.

« Rester » , « Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes », et la très jolie « Souvenirs de ma mère » s’interrogent, Ken Liu-style, sur les déchirements et les évolutions radicales qu’entraîneront les techniques de numérisation des consciences. Excellents et à rapprocher du meilleur d’Egan.

« Le Fardeau » est un texte de xéno-archélogie vraiment drôle sur lequel il importe de ne pas spoiler. Quant à « Nul ne possède les cieux », on y mêle science et religion au service d’innovations qui, les hommes étant ce qu’ils sont… N’en disons pas plus.

« Long courrier » , assimilable à un texte de climat fiction, dépeint un monde nouveau rendu meilleur, sans doute, par un retour à une technologie plus propre. Il montre ce qu’apportent l’ouverture et le contact ; ce qu’ils coûtent, aussi.

Ouverture et contact encore dans « Sauver la face », où Liu réintroduit joliment l’incontournable facteur humain dans la rationalité algorithmique.

« Une brève histoire du Tunnel transpacifique » dit plutôt la face noire du contact et du progrès imparfaitement distribué.

« Jours fantômes » raconte le désarroi existentiel de colons spatiaux pris entre une Histoire prégnante et un avenir inédit à forger.

« Dolly, la poupée jolie » est un conte cruel sur la fin de vie des objets sentients – qui peut rappeler « Le Petit soldat de plomb » d’Andersen, par exemple. Là où « Animaux exotiques », tragique aussi mais bien loin d’être un conte, est un récit quasi cyberpunk très touchant qui dit les horreurs possibles d’une génétique devenue prométhéenne au service d’une humanité hélas égale à elle-même.

« Vrais visages » montre les excès de l’éthique différentialiste – mais le texte est démonstratif et prévisible. « Moments privilégiés », en revanche, pointe les risques toujours inattendus des nouvelles technologies censées améliorer la vie humaine ; il rappelle les mises en garde de quelqu’un comme Peter Watts.

« Imagier de cognition comparative pour lecteur avancé » est un texte à liste qui, en ajoutant de l’humain, réussit le tour de force d’être émouvant, ce que ne sont pas toujours les textes de ce genre.

« La Dernière semence » émeut encore, autant qu’elle navre et précisément parce qu’elle le fait.

« Sept anniversaires » met en scène l’amour, difficile mais jamais éteint, qui lie mère et fille prises dans le tourbillon d’une panspermie d’origine humaine. Quant à « Printemps cosmique » elle nous amène, à grands renforts de gigantisme cosmique, vers la mort thermique de l’univers et le début d’un nouveau cycle. Les deux textes sont aussi beaux que vertigineux.

Concluons en disant que, mis à part un ou deux textes dispensables, l’ensemble est de très bonne tenue car Ken Liu parvient à mettre beaucoup d’humain dans ses textes, y compris dans ceux – à échelle cosmique – qui pourraient être les plus secs. High-tech, beauté, wonder, la (belle) couverture dit tout.

Le Cimetière

Futur indéterminé. Espagne, peut-être. Montée des eaux, surpopulation et retombées nucléaires (!) ont rendu les terres (arables sans doute) rares. Si rares qu’il est devenu interdit d’enterrer les défunts et que tous les cimetières ont été récupérés – à l’exception d’un cimetière-musée par district, conservé à titre historique. Mais quand la mère d’Isobel meurt, la jeune femme ne peut se résoudre à la condamner post-mortem à l’incinération et à l’intégration mémorielle dans l’un de ces cimetières virtuels que fournit l’État. Alors, sur les conseils d’un médecin ami, elle se rend dans un cimetière-musée rural pour tenter d’y inhumer sa mère. Clandestinement. Car la loi est claire et durement appliquée. Il faut dire que la société dans laquelle vit Isobel est une dictature, pas moins. Gestion autoritaire des morts, écrans d’informations omniprésents, culture sous le rideau, mise au ban des livres papiers, « vaporisation » des contrevenants. Il y eut même une Grande Purge et il y a un XVIIIe Führer et une loi Lebensraum. Diantre ! Perpétuant une tradition familiale de résistance à l’oppression, Isobel se met en grand danger. Travis, le gardien du cimetière dans lequel elle prévoit d’inhumer sa mère, l’aidera-t-elle ou la dénoncera-t-elle ? Et, surtout, que feront ces deux solitaires de la tension érotique qui naît entre eux dès le premier regard ?

Lisant cette dernière phrase, on touche là au cœur du problème de ce court roman catalan. Mix peu subtil de Fahrenheit 451, des Androïdes rêvent-ils de moutons électriques et de 1984 mâtiné de surpopulation à la Soleil Vert, Le Cimetière, stylistiquement assez imparfait – dans les dialogues, notamment –, échoue à créer l’angoisse lorsqu’il tente de le faire et offre une présentation caricaturale du cinéma d’horreur indigne d’un auteur qui, ici, se réclame de l’Imaginaire ; sans compter un twist qu’on voit venir de l’autre bout du livre. Mais surtout, surtout, Le Cimetière place le lecteur dans la situation d’un otage involontaire de roman Harlequin. Une litanie de phrases finalement hilarantes – mais était-ce le but ? — racontent les émois d’Isobel et la folie des sens qui s’empare des deux seuls protagonistes vivants du récit ; c’est si mièvre que j’ai dû aller vérifier l’âge de l’auteur. Impossible de retenir autre chose de ce texte, d’autant que les banalités résistantialistes qu’il enfile comme des perles sur un collier ne sont guère transcendantes ; si les Catalans n’ont que cette bouillie indigente à se mettre sous la dent, craignons pour eux qu’ils succombent au crétinisme avant d’atteindre l’indépendance.

Te souviendras-tu de demain

2013, Ludwik, 83 ans, et son épouse Grazyna, 78 ans, se préparent pour une soirée spéciale. Cinquante ans auparavant ils faisaient l’amour pour la première fois. Malgré leurs corps en déliquescence, l’usure de leur couple et la routine quotidienne, ils s’aiment toujours et comptent bien, aidés de quelques artifices, rendre hommage à leurs premiers ébats. Le lendemain, ils se réveillent dans un appartement inconnu, leurs corps rajeunis d’une cinquantaine d’années mais avec tous les souvenirs de leur vie. S’agit-il d’une seconde chance, d’un miracle ou d’une vaste blague ? Pour ajouter à leur désorientation, la Pologne qui les accueille se révèle bien différente de celle qu’ils ont connue. Après la Seconde Guerre mondiale et trois ans sous domination soviétique, les élections de 1947 ont plébiscité une alliance sociale-démocrate-paysanne. Le président, Eugeniusz Kwiatkowski, s’est ensuite rapproché de la France. Cette Pologne alternative, une enclave dans le bloc de l’Est, suscite la convoitise de Moscou, et l’Union slave, parti à sa solde dirigé par Edward Gierek, gagne en popularité en attisant les velléités xénophobes de la population.

Zygmunt Miloszewski entrelace le destin de ses personnages à l’histoire de la Pologne. La narration alterne les points de vue : Ludwik qui, malgré sa peur de perdre Grazyna, peine à divorcer de son épouse, puis Grazyna, qui tente de renouer avec son premier amour. En parallèle, il dépeint la société de l’époque et son évolution politique. L’influence française se fait sentir dans l’éducation, les mœurs, le langage et même l’architecture de Varsovie. Malgré cette porte ouverte vers l’Ouest (et ses prémices d’union européenne), la classe dirigeante peine à endiguer la montée d’un parti nationaliste piloté par les soviétiques. Ludwik et Grazyna portent un regard décalé sur un monde étrangement familier et pourtant différent. La dissonance est amplifiée par leur expérience de la vie. Grazyna intègre une institution dédiée à l’éducation des jeunes filles pour se rendre compte, un peu tard, qu’on les prépare à devenir de parfaites et dociles épouses pour Français célibataires.

Te souviendras-tu de demain  ? pourrait être décrit comme une comédie romantique douce-amère (avec un couple d’octogénaires bien décidés à profiter d’une nouvelle vie), une déclaration d’amour de l’auteur à son pays et à la France (en gardant à l’esprit que celui qui aime bien châtie bien), une double uchronie (politique et personnelle), un voyage dans le temps (aux causes inexpliquées), ou comme tout cela à la fois tant le récit emprunte à toutes ces formes. Intelligent et émouvant, à défaut d’être tout à fait réussi, le roman pose de bonnes questions. Sommes-nous condamnés à reproduire les mêmes erreurs ? Pouvons-nous trier et choisir ce que nous gardons ou jetons tout en acceptant l’inédit ? Avons-nous le pouvoir de maîtriser le cours de notre vie et celui de l’histoire. À ces what if, Zygmunt Miloszewski apporte des réponses partielles, laissant le lecteur se déterminer. À vous de jouer.

Vita Nostra

On n’est pas sérieux quand on a seize ans. On pense à s’amuser, à oublier l’année de cours bien chargée, les études du soir et la réussite imposée aux examens. Alors quand Sacha part avec sa mère en bord de mer pour plusieurs jours, elle ne s’attend certainement pas à voir sa vie basculer d’un coup. Un homme aux lunettes noires l’observe, la suit et finit par l’aborder. Sous la menace – diffuse –, il l’oblige à nager nue tous les matins à quatre heures. Puis à courir aussi tôt devant chez elle en plein hiver et à uriner dans un buisson. Tous les jours. Sinon… Un accident dans son entourage ? Des problèmes de santé chez ses proches ? Sacha est trop terrifiée pour s’opposer. Même si ces exigences semblent folles, dépourvues de sens. Or, un jour, l’inconnu inquiétant lui annonce qu’elle est admise à l’Institut des technologies spéciales pour y poursuivre ses études – dans un bled paumé au milieu de rien. Pour celle qui était promise à une école bien plus prestigieuse, c’est la douche froide. Pourtant, toujours à cause des menaces, en dépit des réticences de sa mère, de ses propres inquiétudes, Sacha accepte…

Pour découvrir la SF russe en France… mieux vaut lire le russe. À part les frères Strougatski (indispensables, mais qui datent un peu), quelques anciens classiques et l’inévitable Dmitri Gloukhovski, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Patrice Lajoye a produit plusieurs anthologies et écrit un essai, quelques nouvelles paraissent de-ci de-là, mais malgré ses efforts le bilan reste maigre. Aussi la présente publication chez l’Atalante, d’un texte assez récent qui plus est (2007), doit avant tout être saluée pour ce qu’elle est : une ouverture bienvenue. D’autant que la maison d’édition nantaise a visé juste avec cette trilogie (deux autres tomes, indépendants, mais dans la même thématique de la métamorphose, paraîtront sous peu). Vita nostra surprend, au premier abord, par sa rudesse, sa violence feutrée : on évolue ici bien loin du petit monde habituel des magiciens ; pas de Harry Potter au détour d’un couloir. La Brakebills des Magiciens de Lev Grossman semble gentillette face à l’âpreté du quotidien de Sacha. D’ailleurs, a-t-on vraiment affaire à de la magie ? Qu’enseigne-t-on réellement à Torpa, dans cet Institut des technologies spéciales ?

La ville en question paraît située aux confins de la carte. Le train qui y mène semble surgi d’un autre âge, baigné de cette poussière bureaucratique associée au système soviétique qui perdure çà et là. Dans ce trou perdu, les téléphones portables sont rares et il faut faire la queue au bureau de poste pour joindre sa famille. Quant à l’école où atterrit Sacha, elle est banale et vieillotte. Les chambres sont vétustes, le froid règne, un carreau brisé n’est pas remplacé. Mais surtout domine l’angoisse de ne rien comprendre. Les autres étudiants sont étranges, parfois mutilés, ils ne répondent à aucune interrogation. Les professeurs ne font rien pour éclaircir les mystères. Durs, sans pitié, ils maintiennent la pression et avant tout le secret. Y compris pour le lecteur, traîné dans les pas de Sacha au sein de cette ignorance. Mais, et c’est le tour de force des Diatchenko, sans ressentir la moindre lassitude, sans jamais imaginer abandonner le roman. On accepte les silences de l’institution, on souffre des humiliations de l’héroïne, de ses mises en danger. Les révélations, la compréhension arrivent peu à peu, lentement, comme le savoir se met en place, comme les métamorphoses interviennent… Elles nourrissent le besoin de poursuivre, maintiennent l’équilibre subtil nécessaire à l’adhésion.

Vita nostra est une lecture enthousiasmante et glaçante à la fois, une vraie découverte. Une raison supplémentaire pour espérer des publications plus régulières des talents venus de l’Est. Et rapidement, car vita nostra brevis est.

Résolution

Le monde part à vau-l’eau. Des torrents de haine sont déversés chaque jour sur internet, renforçant les clivages, la détestation de l’autre. Wen est témoin de cette déliquescence sociétale. Déjà peu portée à la compagnie des autres, elle vit chez elle en recluse. Et pour exorciser ses inquiétudes devant ce naufrage, elle publie un blog, « Le monde selon Wen », qui obtient un certain succès et attire l’attention de décideurs. Ainsi lui propose-t-on de participer à un projet : une petite communauté, utopique, capable d’auto-subsister, de s’autogérer. Tout cela sous la direction, ou plutôt grâce aux conseils éclairés de Sun, une I.A. « nourrie » par Wen et sa vision hors normes de la société. Car il faut dire que Wen est un peu spéciale, incapable, pour ainsi dire, de développer des relations « normales » avec les autres humains. Elle ne parvient pas vraiment à se comporter comme il le faudrait. Ou alors, cela lui demande trop d’énergie, il lui faut surmonter trop de dégoût. En revanche, elle sait capter le sens du monde. En observant internet et ses multiples publications, elle découvre les grands courants irriguant nos sociétés, les grands flux les modifiant. Elle peut prévoir les mouvements de masse. Elle sait la destruction programmée de notre quotidien. Cette connaissance suffira-t-elle à créer un groupe autonome capable de survivre ? Cela lui donnera-t-elle les clefs pour apprendre à son I.A. À amoindrir les conflits, à devenir une figure tutélaire apte à rassurer et à guider le petit noyau d’humains embarqués dans cette aventure ?

Jeune collection née en septembre 2018 avec Un souvenir de Loti, de Philippe Curval, « Eutopia » compte à ce jour deux titres. Collection en devenir, donc, au rythme de parution encore incertain. D’autant que le pari est audacieux : trouver des textes de qualité traitant d’un thème aussi restreint… Résolution répond en partie au cahier des charges : la problématique centrale de cette novella semble bien être la création d’une utopie. Ou comment permettre à un petit nombre de personnes de subvenir à leurs besoins quotidiens, veiller à leur confort intellectuel et à leur bien-être psychologique. La nourriture et les contingences matérielles sont bien sûr évoquées, et de façon réaliste, mais Li-Cam privilégie un point capital de ce type d’expérience : la gestion des conflits. Car respecter les individualités en préservant la dynamique de groupe, en mettant en avant le bien commun, est un équilibre délicat à trouver. Et la présence d’une I.A. bienveillante, figure apparemment impartiale et pleine d’empathie, à l’écoute des doléances nombreuses des participants de cette expérience, les Adelphes (mot d’origine grecque véhiculant l’idée de fraternité), paraît une nécessité pour maintenir le lien entre tous.

Li-Cam en profite pour dresser un tableau, certes sans véritable originalité, et presque consensuel, de nos sociétés en déliquescence : la haine de l’autre érigée comme un titre de gloire, la lâcheté des attaques anonymes sur le Net. Et, pire encore, les tentatives de déstabilisation de masse orchestrées par des états ou des forces antagonistes. Une vision terriblement pessimiste de notre monde et de son avenir – au temps pour l’aspect utopique de l’ouvrage et les contingences de la collection, tempérés par cette note douloureuse ; impression renforcée par la figure centrale de Wen, présentée comme lucide devant cette catastrophe annoncée.

Au final, Résolution s’avère une lecture sinon renversante, du moins agréable car non exempte d’espoir et de confiance, sinon en l’humanité, en tout cas en l’humain.

MMCXIX, le futur des Belles-Lettres

La présentation en quatrième de couverture rappelle que la maison d’édition des Belles Lettres a été créée parce qu’un érudit regrettait de ne pas pouvoir emporter une édition critique des œuvres d’Homère. De fait, les Belles Lettres sont devenues l’édition de référence du patrimoine latin et grec, qu’il est essentiel de préserver, pas seulement à l’intention des savants lettrés, mais parce qu’il représente notre héritage.

Pour fêter le centenaire de sa maison, Vincent Bontems propose d’imaginer ce que pourrait être sa destinée un siècle dans l’avenir. Avec «  Belles Lettres Ad Astra », Norman Spinrad justifie pleinement le rôle de l’écrivain de science-fiction : dans un système solaire à présent colonisé, alors que des audacieux s’apprêtent à faire le grand saut vers Alpha du Centaure et même en direction d’une sphère de Dyson, le narrateur est chargé d’écrire des textes se rapprochant le plus de ce qui pourrait relever d’une conscience non-humaine, soit le plus grand défi littéraire jamais imaginé.

Plus pessimistes quant à l’avenir de l’humanité, les trois autres auteurs décrivent des sociétés après l’effondrement de la civilisation. Dans «  La Nuit des livres », si riches et pauvres se répartissent entre rive droite et rive gauche, la culture est partout inexistante. Le récit est écrit dans une langue abâtardie, dans une langue abâtardie, mélange de termes français et anglais parfois déformés, mais que Valérie Mangin, l’érudite scénariste des Chroniques de l’Antiquité galactique et d’Alix Senator, émaille de locutions latines comme autant de balises mesurant l’étendue de ce qui a été perdu. La trajectoire de Page, qui vend à contrecœur une partie de la librairie de papa Al dans l’espoir que son contenu sera mieux préservé par les nantis de l’autre rive, illustre les ambiguïtés de la compromission et de la préservation du passé.

Pour Raphaël Granier de Cassagnac, l’édition papier offre de meilleures garanties de conservation que le numérique, après l’effondrement de la civilisation. Dans « Premières Lettres », Zénon, Platon, Homère, Marc-Aurèle et quelques autres se réunissent dans l’Agora pour décider du sort du dernier homme sur Terre. Mais qui sont au juste ces philosophes de l’Antiquité, et le fait que le survivant cherche une mythique bibliothèque entreposant la mémoire du monde suffit-il à le sauver ?

La même quête pousse les survivants d’un Holocauste nucléaire à aller «  De l’avant ». L’optimisme de Pierre Bordage peine cependant à convaincre, s’agissant de jeunes prédateurs ignorant que l’inestimable trésor vers lequel les guide une emblématique chouette ne correspond en rien à leurs attentes de charognards, comme ils se surnomment. Il importe surtout de comprendre que le sympathique volatile qui, un siècle plus tôt, ne s’appelait pas encore Athena, même s’il symbolisait déjà le savoir, n’a pas disparu de la surface de la Terre.

À noter que la « préface d’e-Lucien » (et la présentation des auteurs en fin de volume) est en soi un autre texte de science-fiction où Vincent Bontems donne aux futurs des Belles Lettres la destinée électronique qui lui revient, pérennisant le savoir pour le siècle à venir, et au-delà.

Station Metropolis direction Coruscant

Fin 2018, les éditions du Bélial’ lançaient une collection dédiée au dialogue entre science et science-fiction, sous la direction de Roland Lehoucq. Pour l’astrophysicien président des Utopiales et l’éditeur de la revue Bifrost qui accueille dans ses pages la rubrique « Scientifiction », la collection s’imposait comme le prolongement naturel de vingt années de collaboration.

Après La Science fait son cinéma de Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer, et Comment parler à un alien ? de Frédéric Landragin, le troisième opus nous arrive sous le titre Station Metropolis direction Coruscant, du géographe Alain Musset. L’identité visuelle de la collection s’affirme encore une fois comme une grande réussite avec une couverture et des illustrations intérieures remarquables signées Cédric Bucaille. Dans cet essai à nouveau, et c’est la beauté de la collection, la science-fiction est le terrain d’exploration des connaissances. En s’appuyant sur une culture cinématographique et livresque proprement effrayante, notamment en ce qui concerne l’univers de Star Wars, le chercheur s’intéresse à la représentation des cités dans les œuvres de SF, depuis ses origines jusqu’à nos jours. Armé de sciences sociales, l’amateur éclairé de SF dresse des parallèles judicieux entre l’évolution observée de nos villes actuelles vers des monstres tentaculaires, où les quartiers réservés côtoient les bidonvilles, et les villes imaginaires. Ces dernières peuvent être réinventées, comme le Londres de H.G. Wells ou le Los Angeles de Ridley Scott, ou créées de toutes pièces, comme la Metropolis de Fritz Lang et la Coruscant de George Lucas – les exemples sont nombreux ; toutes trouvent racine dans le présent. La cité est par essence une construction politique, et il est saisissant de constater que le regard que porte la science-fiction sur la ville du futur est résolument dystopique. La ville y est toujours sale, polluée, surpeuplée, ségréguée, violente et contrôlée. En quatre grands thèmes – croissance géographique, fragmentation sociale, violence et surveillance –, le livre d’Alain Musset dresse une cartographie sombre et quelque peu déprimante de la ville, au présent comme au futur. S’il existe en SF des utopies citadines, l’auteur ne les mentionne pas. Mais en existe-t-il ? Quoi qu’il en soit, l’ouvrage décrypte les images de la science-fiction par le langage de la science. L’une et l’autre s’alimentent et projettent un éclairage aussi terrifiant que fascinant sur le monde qui nous attend.

On ressort de la lecture de Station Metropolis direction Coruscant avec le sentiment que là, ici et maintenant, il est en train de se construire quelque chose d’essentiel. Si la science-fiction est un laboratoire d’idées, la collection « Parallaxe » en constitue les annales. Son troisième titre confirme que l’ambition de son directeur et de son éditeur est tournée vers la production d’un corpus unique au sein de l’édition française, ne visant rien de moins que les étoiles. Per aspera ad astra.

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