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L'Apocalypse des homards

Compliqué de parler de ce livre.

C’est un fourre-tout qui agrège des nouvelles et des… poèmes en prose ? des vignettes ? des contes ? par dizaines. Ces texticules, Agrati les appelle des « shots », et la polysémie de ce mot en anglais dit bien des choses, qui renvoie à l’alcool, aux guns, à la photo.

C’est l’équivalent papier d’un site web : même si on ne voit pas les liens hypertexte, ils sont là. Couleurs conjuguées. Images réitérées. Expressions déclinées. Personnages récurrents — enfin, peut-être : certains, qui apparaissent dans plusieurs récits, courts ou longs, portent les mêmes noms, en tout cas.

C’est un kaléidoscope violent et cradingue. Avec du sang, du foutre, de la merde. Des apocalypses, oui, collectives et devinées, ou bien individuelles et exposées. Les textes les plus psychologiques, sur la mort de l’amitié, sur la vieillesse et ses perditions, sur les renoncements du quotidien, sur le travail (Agrati dit « la bosse ») et son esclavage plus ou moins consenti, sont poignants, l’air de rien.

C’est un catalogue de cauchemars plus dérangés les uns que les autres. Quand on a vu un « four portatif déguisé en chien » bouffer un postier pédé dans un bar de postiers pédés, on s’attend à tout. On n’est pas déçu.

C’est un style faussement simple. Une écriture dont les fulgurances tantôt vous ébranlent le cerveau, tantôt vous bottent les couilles. Poésie de l’ordure ? Pas seulement.

Ce n’est pas de la SF, à peine du fantastique, plutôt du fantasme. Une bulle acide de présent qui ne demande qu’à crever, ou la bulle acide d’un présent qui ne demande qu’à crever. Il se rattache presque à la littérature fin de siècle, ce bouquin du début de siècle. Contes cruels, Grand Guignol. Une lignée qui s’est poursuivie chez Ruellan, Topor, Sternberg, entre autres.

C’est Ambrose Bierce relooké cuir SM pour Hara-Kiri.

C’est Charles Bukowski joué par les marionnettes des Feebles.

Compliqué de parler de ce livre.

Facile de s’y attacher. Il faut reconnaître qu’il pègue, et pas qu’un peu.

Cycle de Lanmeur T1

Le monde humain de Lanmeur, qui a développé le voyage spatial, explore l’univers et découvre une étrange constante : de nombreuses planètes sont aussi peuplées d’humains. A cette particularité s’en ajoute une autre : les langues que parlent ces populations montrent des ressemblances, tout comme leurs cultures. Il n’en faut pas plus pour que naisse l’idée du Rassemblement qui doit regrouper sous une même bannière ce qui est peut-être une diaspora, ou peut-être tout autre chose. Mais au fil du temps, l’idéologie du Rassemblement évoluera. Contact, négoce, colonisation ou guerre, quel sera l’instrument de ce processus ?

Le cycle de Lanmeur comprend sept livres publiés par J’ai Lu sur une décennie, de 1984 à 1994. Il s’agit d’une œuvre ambitieuse, ouverte et encore en devenir. Les éditions Ad Astra prévoient de le rééditer en trois volumes, dont le premier, et sans doute le plus imposant, comporte trois romans enrichis d’un matériau dont on reparlera.

Ti-harnog, qui ouvre cette série, définit le cadre. Twern, un Contacteur, vient d’arriver sur la planète éponyme après un voyage de plusieurs dizaines d’années en hibernation, quand sa navette se trouve détruite. Il survit, nanti du minimum vital, dont une balise pour envoyer ses rapports, mais dépourvu des connaissances locales qu’auraient dû lui apporter ses « abeilles », minisondes d’observation désormais perdues. C’est mal préparé qu’il va devoir affron-ter un monde nouveau, organisé en castes, préindustriel, dont les humains présentent une particularité biologique qui le marque irrémédiablement comme étranger. Pourtant, aidé de Talhael le Conteur, Twern, bientôt désigné comme Visiteur, va parvenir tant bien que mal à s’intégrer, au prix de maintes pérégrinations, d’une guerre, et d’une découverte qui jettera un voile sur les méthodes de Lanmeur.

Avec L’Homme qui tua l’hiver, il n’est plus question de simple contact, car, sur Nédim, il y a d’ores et déjà une colonie lanmeurienne, qui coexiste avec les indigènes dans un climat, au sens propre comme au figuré, plutôt difficile. Sous ces conditions, Akrèn parviendra-t-elle à achever la mission qui l’amène, soit exhumer des glaces l’antique cité de Glogeth et percer ses mystères ? Son guide qui prétend tuer l’hiver pour ramener le printemps n’est-il qu’un illuminé, ou la nouvelle incarnation d’un héros mythique ?

Jusqu’à présent, on adoptait le point de vue lanmeurien, mais Mille fois mille fleuves renverse la perspective. Ynis coule des jours paisibles quand, insigne honneur, elle est choisie pour épouser le Finllion, l’un des nombreux cours d’eau qui irriguent son monde. Mais voilà que Vieux Saumon, dans sa dernière incarnation en date, la convoque, car il désire que « chaque fleuve lui remette le meilleur de lui-même ». Les temps changent, il faut gagner la Cité Secrète, mais ce sera l’occasion pour Ynis de découvrir qui sont ces « hommes oiseaux » au bénéfice desquels ce tribut semble organisé… quitte à trahir son fluvial époux en tombant amoureuse de l’un d’eux.

Christian Léourier est l’un des secrets les mieux gardés de la SF française. Discret, rare, peu présent dans le milieu, il a pourtant bâti un corpus plus que respectable. La quatrième de couverture de ce pavé (impri-mé peut-être un rien trop petit pour un confort de lecture optimal, mais il faut avouer qu’il y a de la matière) invoque Vance et Asimov, mais je lui trouve, pour ma part, d’autres cousinages. Avec Ursula Le Guin d’abord, qui, dans sa saga de l’Ekumen, brasse des préoccupations semblables : l’écologie, la recherche de l’autre, la diversité biologique et culturelle. Avec Poul Anderson ensuite, du fait de l’influence celtique notable qui imprègne ce cycle et du motif de la mise en présence, et de la confrontation, de civilisations qu’un abîme tant idéologique que technologique sépare. Avec Iain M. Banks enfin, car on peut voir dans le Rassemblement, du moins lorsqu’il se présente sous son jour le moins sinistre, une sorte de proto-Culture, même s’il convient de rappeler que notre écrivain a entamé sa propre série trois ans avant la parution originale d’Une forme de guerre. Léourier, surtout, dispose d’un atout majeur dans son style, élégant sans maniérisme, riche sans lourdeur. Si on y ajoute des personnages complexes, une grande inventivité sociétale et un sens de la mesure qui donne des romans concis mais alertes, on ne peut que souhaiter à cette réédition un franc succès.

Pour conclure, signalons que ce volume comprend également une série de poèmes et de chants excisés de Ti-Harnog lors de sa première publication, un entretien passionnant où l’auteur montre autant d’humilité que d’intelligence, et une bibliographie.

Utopiales 2011

Pour l’édition 2011 des Utopiales, les éditions ActuSF nous ont concocté une anthologie sans thème, alors que celui du festival, Histoire(s), était pour le moins attirant. Cette anthologie contient sept textes, quatre français et trois américains.

Pour les français, c’est la nouvelle de David Calvo (déjà lue dans Angle mort) qui domine la sélection de la tête et des épaules. N’ayant pas réussi à lire plus de cinquante pages de Rêves de gloire de Roland C. Wagner, il était logique que je ne dépasse pas la troisième page du « Train de la réalité » situé dans le même univers. La nouvelle d’Eric Holstein est une variation rock sur le thème de la muse vampire, un peu comme si on jetait le personnage principal d’Almost Famous dans le jeu de quilles des Morsures de l’aube. Le résultat est anecdotique, et surtout décevant car on a connu l’auteur autrement plus inspiré. Quant au texte de Norbert Merjagnan, il faut traverser un mur de poésie pour atteindre l’histoire et une fois l’intrigue à portée de doigts, il faut alors croire à un truc incroyable, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Ambitieux, sans aucun doute, mais échouant sur deux niveaux, celui du style et celui de l’intrigue.

Les trois nouvelles américaines sont très différentes. James Morrow nous narre le destin des survivants du Titanic amassés sur un radeau construit en deux heures ; une farce morale épatante, c’est peu de le dire. Tim Powers mêle fantôme et gémellité dans un texte peu ambitieux mais maîtrisé de bout en bout. Lucius Shepard nous plonge dans l’horreur d’une guerre future au Salvador (ce texte ancien, 1984, montre bien les progrès accomplis par l’auteur en vingt-cinq ans ; si les idées, fortes, brutales, et les personnages sont déjà là, la narration reste hésitante, ce qui n’est plus le cas dans les nouvelles et novellae actuelles de l’écrivain voyageur).

Au final, on a un excellent texte (celui de James Morrow, si bon qu’il vaut amplement les douze euros nécessaires à l’achat de l’objet), deux très bons, de l’anecdotique et du raté, mais rien de franchement scandaleux ou odieux. La qualité minimum est là, les goûts feront le reste.

Fiction T13

Je finis [la rubrique Revues du Bifrost n° 65] avec le treizième Fiction, qui contient comme d’habitude de très bonnes nouvelles.

Six textes retiendront particulièrement l’attention :

« Révélation » d’Albert E. Cowdrey, très différent de ce que fait d’habitude cet auteur porté sur la SF coup de poing et le fantastique malsain. « Révélation » raconte l’histoire d’un homme persuadé que la Terre est un œuf de dragon (une folie tout à fait inoffensive ?).Si le texte va à peu près là où on s’y attend, c’est bien évidemment son cheminement qui est délicieux.

« La Vie est belle », de Michaela Roessner, nous fait regretter que cette américaine écrive si peu et soit encore moins traduite. Son texte ne révolutionne pas les histoires de voyage dans le temps, mais reste de bout en bout original, agréable et plein d’inattendu.

« Les Sûtras secrets de Cathy Catin » de Paul Di Filippo raconte l’histoire d’un écrivain auteur d’un best-seller de chick-lit, une autofiction supposée, et qui a besoin d’une Cathy Catin pour le représenter. Evidemment, un beau jour…

« Bloqués », de Geoff Ryman, est une de ses nouvelles cambodgiennes (« Le Pays invaincu », « La Magnifique fille de Pol Pot »…). Connaissant le décor, certains tenants et aboutissants, j’ai été particulièrement touché par ce voyage sans retour, qui, pour tout arranger, tord le cou à tous les clichés.

« Le Petit garçon à l’épouvantail » fait partie de ces textes de dix pages, très secs, que Michael Swanwick aime écrire. Rien de neuf sous le soleil, mais de l’action, des idées classiques décalées ou retournées, et une réelle maestria.

On conclut sur ce qui m’a semblé être le meilleur texte du numéro, « L’Ange qui tombe», d’Eugene Mirabelli. En août 1967, Brendan recueille un ange tombé du ciel et, oh surprise, la créature a un joli sexe (féminin), ce qui n’est pas très biblique, mais se révèle vite des plus agréable. Mais bon, tout le monde le sait, les anges n’ont pas été créés pour aimer les mortels…Un texte qui nous pousse à nous demander très fortement ce que valent les romans érotiques de Mirabelli : The Passion of Terry Heart, The Godess in Love with a Horse, The Language Nobody Speaks.

Demeure au final un numéro un brin décevant dont on regrettera, comme souvent, la qualité globale des traductions (Dedman illisible, Jonathan Carroll francisé jusqu’à la nausée),souvent pénibles et suspectes, quand bien même on se permettra malgré tout de féliciter Annaïg Houesnard pour sa traduction d’Albert Cowdrey, limpide.

Eternity Incorporated

La civilisation humaine a été (presque) anéantie par un virus d’une rare virulence. Les survivants vivent rassemblés au milieu de nulle part dans la cité-bulle, contrôlée par un « ordinateur central omnipotent » : le Processeur. Un jour, le Processeur s’arrête, provoquant une vague sans précédent de stupeur (surtout) et de panique (un peu). Un arrêt inexpliqué, que l’on va suivre (ainsi que ses conséquences) grâce à trois personnages points de vue : Sean le DJ, Ange la fliquette de service, et Gina, l’informaticienne. Trois personnages assez insupportables, chacun dans son genre, ce qui rend la lecture plutôt « vivante » et parfois même prenante.

Eternity Incorporated est un drôle de premier roman, un projet des années 50 (l’ordinateur urbain omnipotent/omniscient) qui a traversé le fleuve du temps à guet, un pied sur Robert Heinlein, un pied sur L’Âge de cristal, un pied sur Zardoz, un pied sur William Gibson, et le long saut final à partir de la trilogie Matrix. Si l’ensemble est plutôt agréable à lire (malgré une triple narration à la première personne qui n’est pas sans écueil), on reconnaîtra sans peine qu’on n’y croit jamais et qu’il est particulièrement difficile de partager le destin de cette humanité réduite ayant oublié le principe de redondance.

Sans doute conscient que son projet ne pouvait être mené à terme en gardant la même thématique obsolète et le même principe de narration, l’auteur bifurque sur la fin dans une direction aussi inattendue que peu convaincante, au risque de perdre bon nombre des lecteurs qui l’avaient accompagné jusque-là.

Raphaël Granier de Cassagnac (qui a plutôt un nom à écrire des romans de vampire, avec poudre rose sur les joues et dentelles aux poignets) arbore pas mal de cartouches à sa ceinture, aucun doute là-dessus ; espérons que pour son second roman, il pensera à charger à fond son pistolet et mettra toutes les balles dans la cible

La Geste du Sixième Royaume

Avec La Geste du Sixième Royaume, les éditions Mnémos (re)tentent leur chance avec un autre auteur français, un autre premier roman, signé cette fois Adrien Tomas, présenté d’entrée de jeu comme la « nouvelle révélation » du genre, rien que ça. Fatalement, ce type de déclarations, de bonne guerre et commune à tous les éditeurs, s’avère à double tranchant.

Ainsi, si vous êtes déjà fâchés depuis longtemps avec la fantasy épique, attention. En effet, avec La Geste du Sixième Royaume, nous sommes en plein dedans. Destinée, monde en danger, batailles, magie, nombreuses races, etc, etc... La grande majorité des figures imposées du genre répondent à l’appel. De quoi grincer des dents ? Pas forcément.

Dans ses meilleurs moments, le roman d’Adrien Tomas n’est pas loin par exemple d’évoquer David Eddings, dans certains dialogues notamment, amusants ou enlevés. Mais en creux, il faut bien admettre que l’on a parfois l’impression de tomber sur le récit d’une partie de jeu de rôle couchée sur papier. Et le problème, c’est que l’on sait qu’écouter (ou lire) quelqu’un vous raconter une partie dont vous ne connaissez rien n’est pas très agréable.

Une chose est sûre, l’auteur a pris la peine et le temps de bâtir un univers cohérent. Citons une vraie chronologie, le travail et le soin apporté au peuple des sylphides (on sent là sans doute l’influence de ses études d’écologie), les liens entre les différentes thématiques abordées… Adrien Tomas essaie aussi d’apporter sa propre patte en jouant sur les clichés du genre : le véritable passé des Elfes, le rôle des dragons, la nature du conflit entre le Père et l’Autre… Des petites touches qui apportent un plus, même si, là encore, fondamentalement, ce n’est pas la première fois que l’on assiste à des variations de ce type.

La contrepartie négative de la chose existe, malheureusement : de nombreuses plages explicatives, y compris par le biais des dialogues, qui pèsent sur le rythme du récit et lui donnent parfois des allures de guide, avec l’impression que l’on résume pour le lecteur, et non pour les personnages, les épisodes précédents.

L’histoire elle-même est bien menée, bien que globalement classique, donc. La trame de base du genre est respectée, malgré la présence d’une certaine distance (bienvenue). Si cela peut aider à vous faire une idée, nous avons cité un peu plus haut Eddings, mais nous nous garderions bien de mentionner un Terry Brooks, exemple type d’une fantasy sans saveur et sans audace. Un constat qui s’applique d’ailleurs aussi bien sur le fond que sur la forme.

Côté personnages, le casting hétéroclite et pléthorique du roman est par contre aussi généreux qu’inégal. Corius, par exemple, fait partie des protagonistes dont le destin ne touche guère le lecteur, à l’image de cette scène où il revient sur son passé, presque risible. Il a beau dans le cas présent être décrit comme amer ou à fleur de peau, cela ne passe pas (pour ne pas dire plus...), à l’image de la figure de Moineau, dont les premières apparitions évoquent là aussi des situations vues et revues, dans le genre gamin des rues abandonné à son destin. Encore que celui-ci connaisse un destin final qui, là, prend vraiment le lecteur à contre-pied. Au final, Llir s’impose logiquement comme le personnage majeur et constitue un solide point d’ancrage pour le lecteur.

Un mot encore sur l’objet livre : on peut féliciter Mnémos pour n’avoir pas cédé aux sirènes du découpage. On aurait tout à fait imaginé un tel roman coupé en deux. Par contre, il faudra donc composer avec une police un peu petite, sans oublier quelques effets de mise en page pas toujours heureux (du fait de changements de police, justement) et autres coquilles, cela dit peu nombreuses au regard de la taille du texte.

Généreux, pas bête, mais souffrant encore de défauts de jeunesse trop nombreux et trop marqués, le premier roman d’Adrien Tomas n’a donc rien d’une révélation, mais s’apparente plutôt à une découverte sympathique. Et contrairement à d’autres Mnémos récents, nous suivrons d’un œil curieux la suite du parcours de son auteur.

Chronique du Soupir

Cela faisait déjà un certain temps que l’on n’avait pas eu l’occasion de découvrir un roman signé Mathieu Gaborit.

Et par la force des choses, les « retards » accumulés par ce Chronique du soupir, plusieurs fois repoussé, ont généré curiosité et attente. Le retour de Mathieu Gaborit s’avère-t-il convaincant ? Tout dépend ce que l’on cherche. L’auteur explore notamment des thèmes souvent peu exploités sous cet angle en fantasy, pour ne pas dire très rarement : la nature même de l’amour, la place des liens familiaux, le poids de l’attente, les contraintes du libre-arbitre… Il faut dire qu’il semblait évident à la lecture de la lettre ouverte de Mathieu Ga-borit sur le site de son éditeur que ce roman allait toucher à l’intime. L’auteur l’affirme : il a mis beaucoup de lui et de son parcours dans cette histoire. La sincérité de sa démarche n’est donc pas à mettre en cause.

Mais le fait est que le roman en tant que tel peine à convaincre. En superposant à ses personnages un canevas de fantasy épique classique mais travaillé (le concept des lignes-vies, le souffle, le « bestiaire », etc…), Gaborit parasite pour ainsi dire sa trame et tisse une histoire finalement un peu terne qui ne devrait pas forcément combler l’appétit des amateurs de high fantasy pure et dure malgré certaines scories du genre, comme s’il avait fallu en passer par là.

Quant aux autres, peut-être plus aventureux, ou plus curieux, rien ne dit que le roman fera mouche pour autant. Car il faudra passer outre des considérations abordées par l’auteur le plus souvent avec une naïveté ou une candeur toute adolescente. D’où des réactions souvent étonnantes de la part de personnages au destin au mieux contrarié et soumis à d’amères épreuves. Des personnages, qui, à l’image des thèmes majeurs abordés, changent du tout-venant de la fantasy épique, à commencer par la figure de Lilas, la naine matriarche, ou bien encore son fils Saule.

Mais difficile pourtant de s’attacher à eux, car, au-delà même du traitement des thèmes abordés à travers ces personnages, il reste trop souvent une barrière entre les protagonistes de cette histoire et le lecteur, simple spectateur assistant à une représentation encore hésitante. Un flou qui se retrouve finalement à l’échelle de ce roman à la gestation visiblement compliquée : on a parfois l’impression de lire encore un brouillon, comme s’il manquait un peu plus de recul. Sans doute à cause de cette sensation de déséquilibre entre accent mis sur les personnages et leurs relations, leur intimité, et cadre plus épique (que nécessaire ?). Une sensation qui se retrouve donc partout : dans l’intrigue finalement dépourvue de tension, dans ces personnages falots qui semblent animés d’une étincelle par trop artificielle à force d’atermoiements ou d’entêtement abscons, et même dans un système de magie plutôt confus, alors que beaucoup de choses tournent pourtant autour de ses principes fondateurs.

Restent une atmosphère singulière et la plume même de Mathieu Gaborit, toujours capable d’ourler de jolies phrases et de toucher au cœur, mais aussi de tomber de temps à autre dans un maniérisme emprunté.

Trop long à trouver son propre souffle, Chronique du Soupir a également bien du mal à tenir la distance. La pagination saute d’ailleurs aux yeux, qu’on le veuille ou non. Police de grande taille, succession de pages blanches entre deux chapitres… Et malgré tout ça, il est bien difficile d’arriver à 300 pages. On se demande dès lors si cette histoire n’aurait pas été plus consistante sur la forme d’une nouvelle, ramassée, raffinée. Car si de magnifiques romans, fulgurants, peuvent très bien ne pas atteindre les 200 pages et vous marquer au fer rouge, ce n’est pas le cas ici.

Mathieu Gaborit explique ne plus être en phase avec l’heroic fantasy, ou du moins, une certaine idée de celle-ci. Il décrit son roman comme un testament (une évidence à la lecture des deux derniers chapitres, où l’on peut dresser un parallèle entre l’intrigue et la démarche de l’auteur) et explique avoir voulu renoncer à certains passages obligés du genre. Il est cependant regrettable qu’il n’ait pas poussé plus loin son expérimentation, cette envie de briser les codes, quitte à perdre des lecteurs, quitte à ce que ce testament se change en lettre de désamour.

Sa nature atypique aurait sans doute pu alors nous convaincre pleinement. Mais peut-être fallait-il en passer par là pour découvrir un Gaborit nouveau ? En attendant la prochaine étape, la curiosité n’a pas disparu…

1Q84

[Critique portant sur les deux premiers tomes du roman.]

« Livre phénomène », « Evénement éditorial sans précédent »… Dès le quatrième de couverture, nous voilà prévenus ! Il faut dire qu’avec près de quatre millions d’exemplaires vendus au Japon, 1Q84 est un roman — en trois tomes — qui a de quoi intriguer. D’autant plus qu’il est signé Haruki Murakami, l’un des plus grands écrivains d’aujourd’hui, plusieurs fois envisagé pour le prix Nobel de littérature, et à qui on doit déjà quelques textes inoubliables : Chronique de l’oiseau à ressort ; La Fin des temps ; Kafka sur le rivage… Comment Murakami est-il devenu l’auteur d’un fulgurant best-seller aux chiffres de ventes dignes d’Harry Potter ? Et surtout, qu’est-ce que peut bien contenir 1Q84 pour expliquer un tel succès ?

Au début, tout est simple…

L’action débute au Japon, en 1984, autour de deux personnages, trentenaires et célibataires : Tengo et Aomamé. Leur unique rencontre a eu lieu pendant leur enfance et n’a duré qu’un court instant. Depuis, sans jamais avoir cherché à se revoir, ils se vouent l’un à l’autre un amour éternel. Tengo est professeur de maths. C’est un homme tranquille, réservé, qui subit sa vie plus qu’il ne la décide. Il a pourtant une ambition : devenir écrivain. Voilà qu’un éditeur lui propose de réécrire, en sous-main, le manuscrit d’une jeune fille âgée de dix-sept ans, « La Chrysalide de l’air » ; l’étrange histoire d’une fillette de 10 ans, élevée dans une secte, qui s’enfuit de sa communauté et entre en contact avec des créatures semblant venir d’un autre monde : les « Little people ». Après avoir longuement hésité, Tengo accepte. Le roman est rapidement publié, puis devient un best-seller. La vie de Tengo va très vite basculer. Car l’intrigue de « La Chrysalide de l’air » n’est-elle qu’une fiction ? Et si les « Little people » existent réellement, comment vont-ils réagir ?

Aomamé est institutrice dans un club de sport, où elle donne des cours d’autodéfense destinés aux femmes. C’est une jeune femme discrète, presque invisible aux yeux des autres. C’est aussi une redoutable serial killer travaillant pour une organisation secrète qui se donne comme mission d’éliminer physiquement des hommes coupables de violences sur des femmes. Alors qu’elle se rend dans un hôtel — pour y exécuter un homme d’affaires —, elle emprunte un escalier sur la voie express d’une autoroute. Sans le savoir, elle vient de franchir une porte, un sas spatio-temporel, d’entrer dans une autre réalité : le Japon en 1Q84. Et voilà qu’en plus on lui propose un nouveau contrat : supprimer le gourou d’une secte soupçonné de viols sur mineures…

Ensuite, le moins que l’on puisse dire, c’est que tout se complique ! Pour Tengo, pour Aomamé… Et surtout pour nous, pauvres lecteurs !

Thriller uchronique aux accents dickiens, manga sociétal, fable mystique, ode sincère à l’amour absolu et hommage revendiqué à une SF volontairement old school (Georges Orwell et son cultissime 1984, à quoi s’ajoute le thème des mondes parallèles), il y a un peu de tout ça — et bien plus encore ! — dans ce triptyque vertigineux concocté par Murakami. Un véritable maelström fictionnel, dont on se dit d’abord qu’à vouloir mélanger autant d’éléments narratifs dans un même roman, l’auteur va se perdre dans sa propre fiction, comme à l’intérieur d’un labyrinthe qu’il aurait lui-même construit. Oui, mais voilà, Murakami ne s’y perd pas. A aucun moment. Il en profite même pour se réinventer, se renouveler radicalement, tout en restant fidèle à ses obsessions. Et c’est peut-être là qu’il faut chercher la principale raison du succès sidérant rencontré par ce roman : dans ce mélange des genres assumé qui tient de la haute voltige, dans ce jonglage fictionnel incessant, hypnotique — très fortement addictif pour le lecteur — que très peu d’écrivains auraient osé. Et si Murakami dit s’être inspiré d’Orwell pour écrire 1Q84, à la lecture, c’est bien plutôt à Philip K. Dick qu’on pense : l’écrivain japonais n’a jamais été aussi proche de l’auteur d’Ubik et de Confessions d’un barjo que dans ce récit à tiroirs qui questionne en permanence la notion de réalité, de ressenti du monde réel, et qui s’interroge ouvertement sur le pouvoir de la fiction. Murakami y multiplie les rebondissements, à la manière d’une série télé (le personnage d’Aomamé, tueuse implacable qui agit au nom d’une certaine idée de la justice, fait d’ailleurs irrésistiblement penser au fameux Dexter) et multiplie les glissements d’un monde à un autre. Au lecteur d’accrocher sa ceinture ! Malgré quelques longueurs dans le premier livre — Murakami prend son temps pour installer les différents éléments de son récit —, les deux premiers tomes de 1Q84 ne déçoivent pas. C’est même un trip littéraire comme on en a rarement lu, un voyage mental chaotique, violent, transcendantal ; une initiation aux ténèbres afin de trouver la lumière. Sage et fou, zen et survolté, classique et moderne à la fois, Murakami est un écrivain unique, un véritable magicien des mots. Certains passages — surtout dans le Livre 2 — donnent parfois la sensation d’avoir été écrits dans une sorte de transe, comme si Murakami était lui-même en connexion mentale avec des univers déviants, des mondes inaccessibles au commun des mortels. La parution du troisième tome est prévue pour début 2012… ça sera dur d’attendre jusque-là !

Le Sang des Immortels

Voilà une réédition qui devrait rappeler quelques souvenirs aux lecteurs du Fleuve Noir du siècle dernier. Ceux qui suivaient la collection « Anticipation » dans les années 90 se souviennent probablement des débuts de Laurent Genefort à cette époque, débuts parfois calamiteux (un premier roman illisible en 1988, Le Bagne des ténèbres, qui s’apparente plutôt à un faux départ), souvent laborieux. Pendant plusieurs années, en véritable stakhanoviste du clavier, l’auteur a produit à la chaîne toute une série de récits d’aventures, reposant souvent sur de bonnes idées, mais toujours plus ou moins bancals, mal foutus, mal écrits, et engoncés dans les 192 pages réglementaires de la collection comme un rugbyman dans un costume de premier communiant. Opiniâtre et imperturbable, le romancier a continué à faire ses gammes, à progresser de livre en livre, jusqu’à trouver enfin son propre style et faire taire définitivement ses détracteurs. Dans les dernières années de la décennie, on lui doit ainsi une série de romans qui, s’ils n’étaient sans doute pas exempts de tout reproche, avaient en commun de mettre en scène avec un authentique souci de vraisemblance scientifique des environnements singuliers et extrêmes où tentaient de survivre une poignée d’hommes : le monde gazeux des Croisés du vide (1998), la planète en constante fusion de Dans la gueule du dragon (1998), ou celle en cours de terraformation des Engloutis (1999). Initialement paru en 1997, Le Sang des immortels, avec sa jungle cauchemardesque, est l’un des meilleurs romans de cette période.

L’intrigue est des plus classiques : un groupe hétéroclite se rend sur la planète Verfébro à la recherche du Drac, une créature mythique, immortelle si l’on en croit les légendes locales. Chaque membre de cette expédition à ses propres raisons pour trouver le Drac : pour Nemrod, le chasseur, ce n’est qu’un trophée de plus à afficher à son palmarès ; pour Liaren, l’ethnologue, un sujet d’études ; Affer, le mercenaire, travaille pour le compte d’un mystérieux commanditaire ; quant à Jok, le prêtre défroqué, il espère s’emparer du secret de l’immortalité afin de devenir le dieu de son propre culte. A ces quatre individus vient s’ajouter Jemi, le guide autochtone à travers le regard duquel on découvre tout ce petit monde. Pris séparément, ces divers personnages peuvent sembler assez stéréotypés, mais la dynamique de groupe fonctionne bien. Entre ces protagonistes aux origines et aux motivations fort différentes et souvent contradictoires, la tension est permanente, et la nécessité de collaborer pour parvenir à leur objectif n’interdit pas de temps à autre quelques coups fourrés. Mais les dangers les plus menaçants viennent de l’extérieur, notamment des rebelles indépendantistes lancés à leurs trousses et bien décidés à les intercepter avant qu’ils n’atteignent leur but. Et surtout, le long périple dans lequel se lance cette équipe n’a rien d’une balade en forêt de Fontainebleau mais se déroule dans un environnement particulièrement hostile.

C’est dans la description et la mise en scène de la faune et de la flore de Verfébro que Laurent Genefort fait des merveilles et que le roman devient passionnant. Le lecteur se trouve en immersion totale et permanente dans un univers foisonnant, exubérant, au cœur d’une jungle qui s’étend sur l’ensemble de la planète, recouvrant tout, y compris ses mers. On assiste alors au déferlement ininterrompu d’un flot de créatures et de végétaux aussi étranges que mortels, en lutte permanente contre toute autre forme de vie pour tenter de survivre. A l’imagination débridée dont fait preuve l’auteur s’ajoute un louable souci de réalisme dans la description qu’il nous fait de cet univers. Pour l’essentiel, le récit consiste en une succession de scènes au cours desquelles les personnages tombent dans un nouveau piège que leur a tendu la nature et passent à deux doigts de la mort. En toute logique, le procédé devrait vite lasser. Mais Laurent Genefort fait preuve d’une telle inventivité que ce n’est jamais le cas, ce qui en soit constitue déjà un joli succès. Cerise sur le gâteau, il parvient à boucler son récit de manière tout à fait convaincante, une fin d’où n’est pas absente une forme d’ironie des plus cruelles.

Même si on reste dans le registre du récit d’aventures, même si son intrigue linéaire et ses enjeux limitent l’ampleur du roman, Le Sang des immortels n’en est pas moins une indéniable réussite, qui méritait bien d’être redécouverte.

Rifteurs

Après seulement deux romans parus en France, Peter Watts a d’ores et déjà trouvé sa place parmi les auteurs de SF les plus novateurs et les plus passionnants du moment. Son nouveau livre, Rifteurs, était attendu avec d’autant plus d’impatience qu’il fait directement suite à Starfish, paru l’an dernier. Précisons tout de même qu’il n’est pas obligatoire d’avoir lu le premier pour saisir tous les enjeux du second, l’essentiel des informations nécessaires étant repris dans les premiers chapitres. Par ailleurs, dans la forme, Rifteurs est très différent de Starfish. Au huis-clos dans lequel se déroulait ce dernier succède une course-poursuite qui va nous faire traverser le continent nord-américain d’ouest en est. Cible de cette chasse : Lenie Clarke, l’une des survivantes de la station sous-marine où elle était en poste, désormais porteuse d’une bactérie issue des profondeurs qui menace de se répandre sur toute la surface de la planète.

Il flotte sur Rifteurs un lourd parfum d’apocalypse. A cause de la menace que fait peser la nouvelle condition de Lenie sur l’ensemble de l’humanité, bien sûr, à cause aussi des ravages dévastateurs provoqués sur la côte ouest des Etats-Unis par l’explosion nucléaire qui concluait le volume précédent. Mais, plus généralement, le monde que l’on découvre ici est un monde au bord du précipice et à bout de souffle, où de nouvel-les menaces apparaissent cha-que jour, amenant souvent les autorités à prendre des mesures radicales pour les contenir. C’est également une société de plus en plus déshumanisée, où d’un côté les employés de diverses multinationales acceptent de renoncer à une part de leur humanité pour mener à bien les tâches qui leur ont été confiées, et où de l’autre des millions de réfugiés sont parqués comme des bêtes dans des zones de non droit et abrutis à grands renforts de tranquillisants. Ce chaos global se reflète jusque dans l’Internet, désormais rebaptisé Maelstrom, incroyable bouillon de culture en perpétuelle évolution qui va jouer un rôle crucial dans la destinée de Lenie Clarke.

Même s’il évite la plupart des clichés du genre, et s’appuie sur une vraisemblance scientifique de tous les instants, Rifteurs fonctionne avant tout comme un thriller. Là où Starfish souffrait de quelques longueurs et de petits passages à vide, Peter Watts peinant parfois à structurer son récit (rappelons tout de même à sa décharge qu’il s’agissait d’un premier roman), cette suite marche à l’adrénaline, et s’avère être un page-turner assez irrésistible. Certes, au bout du compte, la plupart des questions soulevées au cours du récit demeurent sans réponse, et le resteront jusqu’à la parution de Behemoth, ultime volet de cette série. Mais si d’un point de vue global la situation n’évolue que très peu, en revanche les quelques protagonistes sur lesquels se focalise l’attention de l’auteur verront leur destin bouleversé de manière assez radicale. De Lenie Clarke, littéralement obsédée par son passé (l’obsession est souvent un élément moteur chez les personnages de Watts) à Achille Desjardins, dont le métier l’amène en permanence à faire des choix aussi dramatiques que meurtriers, aucun ne sortira indemne de cette histoire. La réussite de Rifteurs doit beaucoup à cette petite galerie d’individus, à la manière dont le romancier nous fait partager leur intimité pour mieux nous faire ressentir l’horreur dans laquelle ils se débattent en permanence. On n’aimerait pas être à leur place, mais on ne regrette à aucun moment d’avoir fait le voyage en leur compagnie.

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