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Du roi je serai l’assassin

Après une Reconquista victorieuse, l’Espagne est redevenue entièrement catholique. Situé au cœur d’un empire où le soleil ne se couche jamais, le pays est désormais livré à l’Inquisition par une monarchie Habsbourg toujours « plus ultra », conformément à la devise de Charles Quint. Enfants de l’Al-Andalus, Sinan et sa jumelle Rufaida sont réduits à vivre dans le souvenir de la grandeur musulmane, sous la férule d’un père tyrannique nourrissant le secret espoir de briser le joug que les vieux Chrétiens font peser sur les Marranes et les Morisques. Poussés à la compétition par leur géniteur, les deux adolescents sont finalement envoyés à Montpellier pour étudier la médecine. Ils sont surtout chargés par leur père de retrouver la pierre d’Al-Geuzahar, ingrédient essentiel d’une magie puissante et féroce, clé de voûte de la victoire sur les Catholiques. Mais le royaume de France est lui-même la proie d’un désordre grandissant, celui de la Réforme. Les guerres de religion grondent jusqu’aux portes de la cité du Languedoc, menaçant de tout emporter.

À sa manière simple et toujours à hauteur d’homme, Jean-Laurent Del Socorro renoue avec l’univers de Royaume de vent et de colères ou de La Guerre des trois rois, et l’on est bien content de ce retour. On retrouve en effet avec plaisir le goût de l’auteur pour l’histoire, plus précisément ici le xvie siècle européen. En proie aux tiraillements divergents de l’humanisme et de l’intolérance religieuse, l’époque n’est guère favorable aux parias, boucs émissaires idéaux pour tous les fanatiques. Entre Andalousie et Languedoc, Inquisition et guerre civile, Jean-Laurent Del Socorro trace l’itinéraire tragique d’un frère et de sa sœur, abordant les sujets plus intimes de l’homosexualité, de l’inceste et de la foi. Il ne néglige pas pour autant la camaraderie, la fraternité, voire la sororité, et de manière plus générale la tolérance, jalonnant son récit de vers de Ronsard ou de du Bellay, histoire de rappeler que le xvie ne se réduit pas à des tueries haineuses. Sur fond de Grande Histoire, celle que l’on connaît et dont il s’amuse à subvertir le déroulement par petites touches discrètes de fantasy, on croise des figures connues, monarques européens enferrés dans leurs querelles dynastiques, astrologue féru d’horoscopes dont les arcanes font encore office de prédictions de nos jours chez les esprits simples, mais aussi des gens de peu dont on a oublié jusqu’à l’existence. Le récit est ainsi semblable à un creuset où se déploie l’alchimie de l’imaginaire et de l’histoire, pour le plus grand bonheur de l’amateur de récits sensibles et tragiques.

Du roi je serai l’assassin renoue et prolonge donc avec bonheur l’univers de Jean-Laurent Del Socorro, même si l’ellipse finale peut paraître un tantinet précipitée. En dépit de ce léger bémol, nulle déception n’est à craindre, bien au contraire, le nouvel opus de l’auteur français apparaît même comme un roman fort honorable.

LERMITE

After®

La quatrième de couverture d’After® laissait présager un roman post-apocalyptique semblable à des dizaines d’autres : son déroulé et son propos ne viennent pas nous contredire. Le paysage parsemé de vestiges antédiluviens des terres renoncées, maigre reliquat d’un monde effacé par un cataclysme de sinistre mémoire, ne man-que pas en effet de réveiller immédiatement de multiples réminiscences, comme d’ailleurs la communauté parfaite qui survit dans leurs parages. Sous l’égide d’un conseil bienveillant installé dans un baobab, ses habitants rejouent un mode de vie rural et s’efforcent de diminuer leur empreinte écologique dans le respect d’un dogme égalitaire et apaisé. On se doute vite que les apparences cachent de sombres desseins et des secrets inavouables tant elles paraissent frappées du sceau de la duplicité.

La savane où les personnages traînent leur carcasse ne parvient pas à nuancer l’impression fâcheuse de déjà-vu. Elle se réduit vite à une épure, un décor que l’on traverse sans y prêter vraiment attention puisque le cheminement se révèle avant tout intérieur, recelant son comptant de supposées surprises. Dans ces conditions, difficile de se passionner pour l’intrigue du roman d’Auriane Velten, d’autant plus que tout paraît dépourvu de tension dramatique et empreint des faiblesses du débutant. Sans enthousiasme, on suit ainsi les aller-retour de Cami, l’électron libre trop curieux pour son propre bien, et de Paule, la disciple trop fidèle au dogme pour véritablement y croire, devinant même avant eux les découvertes laborieuses qui viennent jalonner leurs pérégrinations répétitives. Un voyage d’ailleurs guère crédible puisque les personnages ne voient aucun obstacle s’opposer à leur progression, les indices jaillissant exactement à l’endroit où ils/elles les cherchent, et leurs adversaires leur fournissant même les clés de la résolution de l’énigme. Bref, tout apparaît balisé, convenu et même assez maladroit, l’autrice ne faisant guère preuve de finesse pour distiller les révélations sur la véritable nature des personnages. Et que dire du dénouement, si ce n’est qu’il est bien moins vertigineux que la chute de rein d’une vénus callipyge. De quoi assurément faire frémir le plus zélé transhumaniste.

Premier roman d’Auriane Velten, After® aurait pu faire une nouvelle fort honorable. Mais on ressort de ce récit un tantinet frustré, guère convaincu par un traitement n’étant pas à la hauteur des ambitions de son autrice. On aurait vraiment voulu aimer, hélas on est juste déçu par la légèreté de tout cela.

Spectres de Poe dans la littérature et dans les arts

Ce livre recueille les communications qui ont été données, en 2017, lors d’une session des colloques du Centre culturel international de Cerisy consacrée à la destinée des œuvres et de la figure d’Edgar Allan Poe dans la littérature et la culture occidentales du xxie siècle. Il étudie les raisons de l’importance de l’œuvre de Poe et les modalités de sa persistance de nos jours, à travers les champs artistiques et culturels les plus divers (musique, cinéma, BD, art contemporain…).

Après une introduction claire qui contextualise le phénomène Poe dans notre vie aujourd’hui, faisant la part entre ce qui est significatif culturellement et l’écume de références faciles et vides de sens, tout en inscrivant l’ouvrage lui-même dans une tradition critique dont les plus célèbres représentants sont Lacan et Derrida, l’ouvrage se décompose en quatre parties, regroupant une vingtaine d’études : Sphères d’influence, Poe à l’écran, Lettres de Poe, Disséminations et résonances.

La première partie analyse, entre autres, la façon dont Poe est devenu une icône dans la culture populaire, contribuant à l’avènement de nouvelles expressions artistiques comme le cinéma ou la BD ou bien encore irriguant les nouvelles technologies, le web en premier lieu. Il y est aussi question des cycles des adaptations et de la sensible reviviscence au xxi e siècle des œuvres de Poe. La deuxième partie se consacre aux adaptations cinématographiques, plus ou moins libres, de l’œuvre de Poe, de l’avant-gardiste Jean Epstein qui sonde ce qui est montrable ou non du fantastique de l’auteur américain, aux adaptations aussi bien hollywoodiennes (jusqu’aux influences sur Del Toro ou Coppola) qu’à petit budget, du film grand public à celui d’horreur et confidentiel. Le troisième chapitre, quant à lui, a une portée plus littéraire : il s’intéresse à la façon dont Poe habite ses propres textes par l’onomastique, les problèmes qu’il donne à ses traducteurs, les questions qu’il pose à ses exégètes écrivains, comme Jules Verne, son influence sur la littérature américaine (Danielewski, Daniels) et sud-américaine (Borges, Quiroga, Caicedo). Enfin, la dernière section explore d’autres formes, intermédiales, de l’héritage poesque dans l’art contemporain : expositions (comme celle passionnante de 2004 consacrée à la « Lettre volée »), séries télévisuelles (fictions noires contemporaines comme Profiler), comics (ce que lui doit Batman), univers fantasmagorique de Tim Burton, musique (André Caplet et Claude Debussy).

Nombre d’articles sont accompagnés d’une bibliographie synthétique ayant trait à leur sujet. En fin de livre, une bibliographie générale choisie oriente le lecteur vers les ouvrages de référence consacré à Poe ; un index, précis sans être touffu, des passages de Poe étudiés, des noms mentionnés et des thèmes abordés permet d’opérer facilement ses recherches et déplacements dans le volume.

Si les analyses sont parfois pointues, comme c’est de rigueur dans un ouvrage scientifique (par exemple, seuls des musicologues aguerris pourront sans doute profiter pleinement de certaines communications de la dernière section), cet ouvrage n’en reste pas moins formidablement apéritif pour un esprit curieux de Poe, certes, mais aussi de tout le monde qui gravite autour de lui, notre monde qui ne cesse de s’en nourrir. Passionnant.

Lazare attend

New York, 1962. Larry Ben-Lazarus est un juif aisé et oisif qui passe son temps à déambuler pour se familiariser avec une société qui lui est étrangère ; car Larry n’est pas new-yorkais, il ne s’appelle pas Larry, et il est temps pour lui de raconter sa vie. Larry est Lazare de Béthanie, un ami de Jésus entré dans la postérité pour avoir – dit Jean dans son Évangile – été ressuscité par celui-ci. Sauf que c’est faux. Lazare était malade et il a guéri peu après son entrevue avec Jésus, certes, mais de mort ou de résurrection il n’y eut jamais. L’histoire n’était qu’un scam que laissa courir le rabbin Yeshua (un rabbin dissident rien de plus qu’humain, qui connut la postérité sous le nom de Jésus et était accessoirement un ami de Lazare). Et voilà que Jésus (appelons-le ainsi) est arrêté, crucifié, et que son entourage proche a le sentiment fondé que le nouveau procurateur de Judée en a après les membres de la « secte ». Pour Lazare et les trois Maries (Marie de Nazareth, mère de Jésus, Marie Madeleine, voyante et compagne de Jésus, et Marie Salomé, qui ne demanda jamais la tête de personne), il devint urgent de quitter la province. Commença alors, avec l’aide d’un automate à tête de crocodile et de son bateau magique, un voyage à travers temps et espace qui amena Lazare et ses amies à Carthage, dans la Rome puis la Byzance de Constantin, au concile de Nicée, le tout en passant par les Saintes Maries de la Mer et bien sûr New York.

Avec Lazare attend, Morrow livre un roman aussi athée qu’irrévérencieux. D’un anticléricalisme plus rigolard qu’haineux, Morrow livre sa version des faits, étayée par l’Histoire. Pour ce faire, il met en scène un stupéfiant et idéaliste Lazare qui, nanti de sept voyages temporels, tente de corriger les erreurs du christianisme naissant et d’empêcher l’apparition des dogmes qui conduiront à des siècles d’intolérance et de persécutions, tant des Juifs que des innombrables hérétiques que tout dogme sécrète par essence. C’est lui qui organise l’escroquerie In hoc signo vinces qui convainc Constantin de se mettre sous le patronage du Christ puis de rédiger l’édit de Milan mettant fin aux persécutions de ceux-ci (Lazare y fait ajouter « et des Juifs », sans grand résultat, car l’Église s’obstine à faire des Juifs le peuple déicide) ; l’idée est ici d’aider ses potes chrétiens et son peuple juif. Puis, cette fois par amour, il file au concile de Nicée où il tente de faire admettre la doctrine arianiste selon laquelle le Christ n’est pas Dieu, seulement de nature similaire à lui, contre les Trinitaires (futurs Catholiques) pour qui le Christ est Dieu, un Dieu en trois personnes, Père, Fils, Saint-Esprit. Homoousios contre homoiousios, que de souffrances pour une lettre.

Juste historiquement, à quelques licences littéraires près, Morrow montre tant le personnage peu sympathique de Constantin que l’intérêt bien compris qu’Empire et Église trouvent à se soutenir l’un l’autre, tant le foisonnement des courants chrétiens antiques que l’élimination progressive de tous au profit du seul Trinitaire – qui forgera une orthodoxie que terreur et élimination physique maintiendront pendant des siècles de chape de plomb.

Pour dire son histoire, il peuple son récit rocambolesque et survolté de personnages profondément humains, très loin des icônes compassées de La Légende dorée. Imagine-t-on Marie de Nazareth en femme rationaliste, décidée et rebelle, scandalisée par l’esclavage, Marie Madeleine en gourou new age usant de champignons hallucinogènes comme adjuvants de ses prédictions, Marie Salomé en danseuse et chorégraphe des sermons de Jésus ? Imagine-t-on qu’un corbeau qui dit le Kaddish accompagne Marie de Nazareth ? Peut-on croire que Lazare s’amourache d’une philosophe épicurienne au point de consentir pour elle à un sacrifice presque impensable ? Croira-t-on que les seuls amis de Larry à New York sont un couple de sympathiques croyants inventeurs du porno chrétien ? Le tout est un régal, entre Mel Brooks et les Monty Python.

Imaginez une histoire secrète du christianisme naissant écrite par Charb et réalisée par Terry Jones sous le patronage d’Edward Gibbon. Un mélange entre La Plus grande histoire jamais contée etLa Vie de Brian entre deux couvertures, c’est un peu ce qu’est Lazare attend, le dernier et jubilatoire roman de James « Jehovah » Morrow. Alors, hommes de peu de foi, qu’attendez-vous pour le lire ?

Golden State

Futur indéterminé. Californie – ou, selon sa nouvelle dénomination, Golden State. Un événement cataclysmique s’est produit dans un passé indéterminé à l’issue duquel la Californie est devenue le Golden State, avant de se couper du reste du monde. Le paradis sur Terre qu’est le Golden State est un État fondé sur le culte de la vérité. Aucun mensonge n’est toléré, la réalité s’appuie sans cesse sur un ensemble de vérités incontestables. Celles que les citoyens énoncent entre eux dès qu’il s’agit d’initier une conversation (« Dix est la moitié de vingt ; mais c’est aussi deux fois cinq ; ainsi en a-t-il toujours été ; qu’il en soit toujours ainsi », par exemple). Celles que filment toujours et partout les innombrables « captures » – caméras de surveillance qui archivent tout ce qu’elle enregistrent dans le Registre central. Celles que chaque citoyen écrit sur son Carnet de jour à fin de stockage futur dans ledit Registre. Celles enfin qui sont filmées par les sténopés que portent sur eux les agents du Service Spéculatif, garants et gardiens de la vérité, choisis en raison de leur capacité à sentir le mensonge comme des chiens un os. Laszlo Ratesic est l’un de ces Spéculateurs. Solitaire et taciturne, il se retrouve affublé à son corps défendant d’une stagiaire, Aysa Paige, qui se révèle bien plus douée que lui dans l’intuition et la détection du mensonge.

Et voilà que sur une affaire banale, la chute accidentelle d’un couvreur du toit sur lequel il se trouvait, Laszlo et Aysa mettent à jour une anomalie imprévue – une altération de la vérité qui se révèle de fil en aiguille bien plus grave qu’il n’y paraissait au départ. Commence alors pour les deux Spéculateurs une enquête risquée qui met en cause les fondements même du Golden State, car ils vont s’y trouver confrontés à des faits que les autorités décrètent « inconnus et inconnaissables » et découvrir que, dans l’ombre, des citoyens œuvrent à miner les fondations de l’Etat de la vérité vraie.

Golden State est un thriller aussi intrigant que trépidant, non dénué d’humour dans sa description d’une société obsédée par la vérité intrinsèque de toute chose (exemple : l’humour y est autorisé car chacun comprend bien que la non vérité énoncée l’est à stricte fin comique). On y parcourt un monde où les romans de fiction sont blasphématoires, où les chaînes de télé proposent uniquement des flux de captures – autrement dit des faits vrais –, et où, hormis les romans documentaires, ne sont autorisés que quelques livres communs qui servent à consolider la réalité partagée : Index géographique, Almanach, Dictionnaires, etc. On y suit l’improbable couple Laszlo/Aysa au fil de son enquête et, magie des flashbacks, au cœur des éléments significatifs de leurs passés respectifs. On y visite aussi un État qui – à l’opposé de l’Oceania de 1984 – sacralise la vérité, l’enregistre sans cesse jusque dans ses moindres détails, et punit bien plus sévèrement un menteur qu’un voleur. On y découvre, avec les deux enquêteurs, qu’il n’existe, in fine, pas plus de vérité indiscutable et univoque qu’il n’y a de soi-même que nous pourrions être, si on en croit les magazines, par-delà les masques que nous arborons chaque jour et qui forment les facettes de nos identités sociales.

Si les deux premiers tiers sont très agréables à lire, le troisième tiers paraît plus confus, plus rapide aussi, moins travaillé, un peu décevant. Dommage. Et puis, on se demande aussi ce qu’a voulu signifier Ben H. Winters. Son pamphlet anti post-vérité – mais en est-ce un ? – a des airs très nets de dystopie. Alors y a-t-il égalité entre deux maux ? On a peine à croire que ce soit l’opinion de quelqu’un de sensé.

Derniers jours d’un monde oublié

Sheltel, une île isolée depuis le cataclysme de la Grande Nuit il y a trois siècles. Elle était au centre du monde, passage obligé à équidistance des trois continents ; elle a disparu pour eux. Elle, de son côté, est sûre d’être seule à avoir survécu à la Nuit. Et voilà qu’elle est redécouverte par un navire pirate commandé par la capitaine Kreed. Pour le meilleur ou pour le pire.

Sheltel, isolée, en manque de ressources – même l’eau y est parcimonieuse –, a développé un système malthusien de rationnement et de contrôle des naissances qui épargne la maigre élite de l’île. Pour les autres c’est, outre la pauvreté, consanguinité interdite, malformations interdites, pouvoirs magiques sous contrôle ou éliminés, et la règle principale : « Quand une vie arrive une autre doit partir ». La royauté (les Natifs et leur peau reptilienne), le culte de la Bénie (qui achète par l’aumône la loyauté du peuple, contre les Natifs), la chefferie Ashim (d’ex-réfugiés jamais vraiment intégrés), et la Sorcière (une force tellurique incarnée) assurent l’ordre et allouent les ressources rares selon des règles ancestrales qui ne laissent place à aucun libéralisme politique. Le conflit politique larvé se joue entre eux ; le peuple est exclu et survit comme il peut dans un système autoritaire. Avec l’arrivé des pirates, tout changera peut-être, en dépit du conservatisme de puissants locaux qui ne veulent rien tant que garder leur pouvoir ou des manigances d’autres qui voient dans les étrangers une opportunité supplémentaire d’enrichissement. Time will tell.

Derniers jours d’un monde oublié est une histoire de fantasy politique racontée par l’entremise de trois personnages principaux (qui donnent leur nom aux scènes). La Sorcière, une puissance mystérieuse qui donne et prend la vie selon de cryptiques règles visant à assurer l’homéostasie de l’île – elle cache deux terribles secrets. Arthur Pozar, le vieux marchand, un riche qui s’est extrait de la misère et ferait tout pour ne pas y retourner – il conseille la Bénie et espère gouverner à travers elle. Erika, la pirate, « fille » de la capitaine Kreed – une machine à tuer qui voit ici une occasion de quitter le navire et de prendre sa liberté. Le roman est l’entrecroisement de leurs peurs, de leurs actions parfois irréfléchies, de leurs bassesses, de leurs moments de dignité, de leurs changements d’attitude. Pleins de contradictions, ces personnages font vrai, loin, si loin du manichéisme d’une grande partie de la production contemporaine. Aucun n’est juste ni bon ni mauvais (sauf peut-être le Natif), chacun est humain en ce qu’il est fait de facettes contradictoires que des lumières nouvelles vont éclairer différemment.

Les personnages sont une des forces du roman, avec la vraie cruauté que l’autrice n’hésite pas à montrer, l’ironie qu’elle déploie, et la manière plutôt habile par laquelle elle informe le lecteur sur son monde (dans les dialogues et par l’utilisation de vignettes informatives d’ambiance – une méthode reprise à Tous à Zanzibar).

En revanche, l’ouvrage laisse au moins deux insatisfactions. Certaines situations ou évolutions rapides semblent peu crédibles, et surtout on a l’impression de lire une pièce de théâtre plus qu’un roman. Beaucoup se passe en off, le saut d’un moment à l’autre est souvent trop brutal, le background global, tout juste entrevu et pas à la hauteur du background politique, donne une impression de théâtre d’ombres. On a l’impression de passer d’une scène à l’autre et d’un dialogue à l’autre sans vraie solution de continuité, de progresser sur les pas des personnages dans un monde aux contours imprécis, de n’être là que pour entendre ce qu’ils nous disent bien plus que pour le voir ou le vivre – les scènes nommées comme les personnages, tels les descriptifs des scènes dans le théâtre classique, amplifient encore cette impression.

Des qualités, donc, mais du travail encore. Souhaitons bon vent à Chris Vuklisevic après ce premier roman prometteur ! Elle a l’estomac dont devrait être fait la littérature. Reste à parfaire la forme des abdos.

Sauter des gratte-ciel

Avec une confiance aveugle dans la technologie de leur combinaison Flysuit, des voltigeurs sautent des toits des gratte-ciel, enchaînent les figures acrobatiques avant de freiner leur chute au tout dernier moment pour de se poser sans encombre. Chaque saut devient un show orchestré au millimètre pour un public fasciné par ces athlètes dont la carrière médiatique, dans un monde ultra connecté, importe autant que la prestation physique. Riva Karnovsky, une de ces voltigeuses, parmi les plus célèbres et talentueuses, refuse soudain de sauter sans raison apparente. Hitomi Yoshida, jeune psychologue récemment embauchée par Psysolutions, est mandatée pour remettre Riva sur le droit chemin, lui faire reprendre l’entraînement et contenter ainsi ses sponsors. Cette dernière refusant tout contact, Hitomi use de moyens peu conformes à la déontologie de sa profession : pressions sur le petit ami de la star, surveillance constante après installation de caméras cachées, traçage de son téléphone, analyses de toutes les données disponibles, y compris son journal intime effacé du serveur, manipulation. Tout est justifié par la nécessité de «  réactiver un potentiel perdu ». Hitomi, elle-même sous surveillance constante, a l’obligation de tout consigner dans des rapports, commentés en temps réel par son superviseur, Hugo Master. Son sommeil, ses activités sportives, ses séances de médiation sont enregistrées. Dans ce système ultra libéral axé sur la performance et la responsabilité individuelle, le traitement des données sans éthique au service de concepts nébuleux masqués par des anglicismes en vogue chez les managers modernes —coaching, mindfulness, feedback, digital cleanse, etc. – l’auto-contrôle prévaut. Le culte de la performance amène chacun à s’autoévaluer et à réajuster son comportement en fonction d’objectifs à atteindre qui sont autant de normes sociales. La moindre baisse de régime et le moindre échec peuvent être sanctionnés – en toute bienveillance – par une « relocalisation », pour ne pas dire un exil sans retour dans les Périphéries, ces banlieues sales, pauvres et « hors réseau » adossées à une mégalopole étincelante, entièrement verrouillée et réservée à l’élite.

La narration adopte le point de vue d’Hitomi, qu’on voit se faire broyer par un système méritocratique biaisé alors même qu’elle a, en bonne élève, une foi absolue dans les règles intenables qu’il édicte. Dans cette société artificielle où les émotions, les relations, les sentiments doivent rester sous contrôle, Hitomi, par ses ajustements constants aux exigences qui lui sont faites, semble avoir perdu les fondements de sa personnalité. Riva, perçue comme dépressive et inadaptée, montre en fait le che-min de la liberté. Cette dystopie effraie par sa proximité avec notre société contemporaine concurrentielle, mais aussi parce que personne ne s’y rebelle vraiment, puisque chacun est persuadé de pouvoir réussir. L’écriture souvent froide et distanciée se révèle efficace. Avec Sauter des gratte-ciel, récipiendaire du Prix Suisse de Littérature, Julia von Lucadou signe un premier roman maîtrisé qui, à défaut de révolutionner le genre, porte un regard lucide sur les travers de nos sociétés 2.0.

Rive droite

La situation est tendue dans le métro parisien. Les diverses factions fourbissent leurs armes et chacun revoit ses engagements : qui trahir, qui soutenir ? Madone poursuit son voyage diplomatique vers Petite-Chine. Elle espère rallier les différents dirigeants des multiples communautés à son projet de fédération unique pour Rive Gauche. Mais elle doit affronter la cupidité et la soif de pouvoir des femmes et hommes en place. De son côté, Augir, ancien secrétaire de Parn, le grand prêtre de l’Élévation, cherche à faire tomber son ancien chef. Les alliances et trahisons sont légion et la victoire semble changer de camp de chapitre en chapitre. Sur l’autre rive, la Droite, Juss et Plaisance continuent leur exploration d’un monde jusqu’alors inconnu. Sont-ils les seuls humains de ce côté de la Seine, apparemment peuplé uniquement d’animaux monstrueux ?

Pierre Bordage nous replonge immédiatement dans le bain avec cette suite directe de Rive Gauche. Mais quand le premier tome prenait le temps de mettre en place décor et personnages, ici, le contexte étant déjà connu du lecteur, ça démarre dès les premières pages pour ne quasiment jamais faiblir, l’auteur jonglant d’un groupe à l’autre au fil de courts chapitres qui maintiennent un intérêt constant. La vraie force de Bordage réside souvent dans l’épaisseur de ses personnages, quand bien même il flirte parfois avec le caricatural : Rive Droite ne déroge pas. Les protagonistes sont animés de passions fortes, qu’elles soient honorables ou qu’elles soient ignobles – tortures purement sadiques, haines viscérales et mortelles envers la différence (en l’occurrence les dvinns, mutants aux pouvoirs non reconnus et à l’espérance de vie minime, et qui prendront de l’ampleur dans ce roman). Les sentiments sont exacerbés, plus encore que dans Rive Gauche, et montrent aussi bien le côté pitoyable de l’être humain que ses grandeurs occasionnelles, capable du sacrifice ultime au nom d’une idée, d’une cause. Avec cette trilogie, Bordage s’offre un laboratoire en huis clos où il décortique l’humanité au plus près, observant les réactions de ses protagonistes.

Et la découverte de la Rive Droite lui fournit l’occasion d’élargir sa palette. Outre les animaux, d’autres créatures font leur apparition. Certaines anecdotiques, juste bonnes à apporter de l’action. D’autres plus importantes pour la suite. D’ailleurs, ce volume soulève quantité de questions.

On pouvait craindre que l’auteur des « Guerriers du silence » ne tourne en boucle dans les couloirs du métro, mais il est parvenu à éviter l’écueil. Par l’agrandissement de son territoire. Et au moyen d’extraits de journaux intimes qui content la catastrophe ayant mené à tout cela. Le récit y gagne en profondeur et l’ancre davantage dans le réel. Enfin, dans les ultimes pages, à l’instar de Glukhosky dans Metro 2035, le troisième tome de sa propre série, Bordage semble ici ouvrir la possibilité d’une sortie des hommes à la surface. Le temps passant, les radiations seraient devenues moins dangereuses. Un peu d’espoir pour une communauté qui en manque cruellement. Et une bonne raison pour le lecteur de se précipiter sur Cité, ultime roman de cette trilogie en cours. Un peu de patience…

Pékin 2050

Yuwen Wanghu, poète, va recevoir le prix Nobel de littérature d’ici quelques jours. Mais, sans raison apparente, il met fin à ses jours avant cette consécration. Li Pulei, son ami, essaie de saisir le sens de ce geste. Ne lui reste qu’un message : « Je m’arrête ici. Prends soin de toi.  » C’est peu. Heureusement, pour mener son enquête, Li Pulei est aidé, en principe, par les progrès technologiques. En Chine, en 2050, le téléphone est un « Âme-phone » (belle trouvaille !) et une majorité de personnes sont connectées, grâce à une puce implantée à l’âge de douze ans dans le cerveau, à une « Communauté de Conscience ». Cela permet d’échanger tout ce que l’on a vécu, car tout ce que l’on regarde, entend, sent, vit, peut être enregistré et transmis – un peu comme dans «  La vérité du fait, la vérité de l’émotion », nouvelle de Ted Chiang incluse dans le recueil Expiration. Ainsi, Li Pulei peut examiner la découverte du corps par les policiers. Néanmoins, il reste possible de se couper, par moments, de cette communauté. Or, Yuwen Wanghu avait stoppé sa connexion, ce qui fait que Li Pulei ne peut voir les derniers jours, ni l’instant du suicide.

Après avoir assisté à l’enterrement (qui détonne du reste du roman et rappelle, par ses paysages d’inspiration mongole, « Retour à n’dau  » de Kij Johnson), Li Pulei reprend son enquête et découvre rapidement l’existence d’un lien très fort entre son ami et la société à l’origine de l’invention de cette puce : Empire & Culture, dirigée par un homme surnommé par tous et en toute modestie l’Empereur. Il va donc devoir creuser dans les méandres de cette entreprise, gigantesque, tentaculaire, aux buts peu clairs. Et quel rapport avec la chose écrite, la publication de livres, qui est en voie de disparition dans cette nation digitalisée ? Ce thème de l’emprise d’une entité sur une nation, sur un ensemble d’individus fait évidemment penser au récent Gnomon. Mais dans ce roman, Nick Harkaway évoque une société dominée par une IA réputée bienveillante et juste, tandis que dans Pékin 2050, rien n’est organisé au niveau d’un État. La manipulatrice n’est autre qu’une entreprise privée : pas de direction affichée, à part, bien sûr, les profits. Sans oublier la vision de l’Empereur, partagée seulement avec des très proches. Et que le lecteur découvrira dans une confrontation finale éclairante…

L’auteur ne cache pas ses sources artistiques, au contraire, il les affiche même. Il cite Matrix que l’on retrouve dans le compte à rebours final, mais aussi dans les caractères chinois qui défilent, parfois, sur le décor ; ou The Truman Show, pour cette idée de manipulation des vies de certains individus, encore présente dans « Les Ruines circulaires » de Borges : notre vie nous appartient-elle ou est-elle est décidée par un autre ? Que pouvons-nous choisir ? Quelles libertés nous reste-t-il ? Et la littérature, les mots écrits, peuvent-ils nous aider à nous affranchir des contraintes ? Sont-ils les clefs de la prison ?

La force de Pékin 2050 n’est pas l’originalité des thèmes brassés, mais leur nombre et leur intrication, ainsi que la profondeur des réflexions. Cela, tout en restant accessible et aisé à lire. Car Li Hongwei raconte une véritable enquête, sans nous assener son point de vue brutalement. En suivant le raisonnement de son protagoniste, avec ses errements, ses revirements et ses doutes, il propose plusieurs idées et avis sur les sujets abordés et permet ainsi au lecteur de se faire une opinion réfléchie, solide. Sur le monde qui nous entoure et sur celui qui semble devoir nous être imposé, plus riche en communications, mais aussi, sans doute, moins libre. Une lecture éminemment recommandable, donc.

L’Appel des grands cors

Tout s’effondre pour les Chevauche-Brumes dans cet ultime roman de la trilogie éponyme initiée en 2019 (et chroniquée dans nos 95e et 99e livraisons). Nos héros, diminués, ne savent où donner de la tête. Et Jerod, le mage aux pouvoirs autrefois si puissants, en est réduit à retrouver la cathédrale noire en espérant y dénicher une clé à cette situation catastrophique. Catastrophique, oui, car les Humains, au lieu de s’unir face au péril phénoménal des mélampyges, se divisent. Juxs, l’Enochdil, a définitivement pris le pouvoir sur le Roy et donc sur les armées du Bleu-Royaume. La menace monstrueuse ne l’inquiète pas : seule l’annihilation de l’hérésie lui importe. Dans son délire de pureté, il laisse de côté les signes annonciateurs du désastre et mène ses troupes à l’assaut des armées d’Hondelbert, surnommé « la Muraille », bien conscient, lui, du sort qui menace l’humanité. Que pourront les quelques Chevauche-Brumes face à cette mécanique implacable ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Thibaud Latil-Nicolas ne recule devant rien pour entrainer son lecteur : que de batailles, que de retournements de situation, que d’aventures ! Ce dernier tome est particulièrement réussi et ferait presque regretter la fin de cette saga (presque, car rien de pire qu’une série qui se prolonge dans l’étiolement). Mais c’est une fin en feu d’artifice ! Tout se met en place dès les premières pages pour un affrontement final mémorable, et l’on n’est pas déçu. Mais attention, l’auteur ne glorifie pas la guerre, il ne la place pas, rutilante, sur un piédestal. Non, si le Verbe est fort et riche, il ne magnifie pas les combats, ne les esthétise jamais. Au contraire, il renforce leur violence, leur monstruosité, leur côté implacable. Thibaud Latil-Nicolas use de la langue française et de son vocabulaire varié pour créer des images puissantes à même de marquer les esprits. Il sait ne pas se montrer pompeux, évite les passages boursouflés. Ses descriptions sont belles et efficaces, originales. Trouvant le point d’équilibre entre narration pure et contemplation, il se permet – et ainsi permet au lecteur – de prendre la mesure de la situation, de s’immerger dans un paysage, de rencontrer des personnages sans trop ralentir l’action, épargnant à son lecteur de longues envolées lyriques inutiles, voire pénibles. Son style est agréable et parlant. Il sert l’histoire sans être transparent.

De plus, cet auteur aime ses personnages, c’est évident. Et de fait, il sait les faire aimer. Sans hésiter pour autant à leur faire subir des sorts peu enviables – de la mort à la torture la plus infâme. Plusieurs dizaines de pages consacrées à la caractérisation de personnages parfois brutalement réduits à néant ; un crève-cœur pour le lecteur, tant il avait su rendre ces derniers sympathiques, attachants, vivants. Il en va d’ailleurs de même pour les figures détestables ; Latil-Nicolas déploie un talent inchangé pour imaginer des êtres si repoussants qu’on s’en trouve presque soulagés lors de leur décès. Le monde dans lequel il nous invite transpire, sent l’oignon macéré, crie et rote, pleure et se réjouit. Il existe, pleinement, emplit les sens du lecteur.

Ceux qui n’ont pas encore abordé cette trilogie feraient bien d’y songer, d’oublier les faiblesses du premier tome pour se laisser emporter par cette fougue imagée, cette force évocatrice – ce souffle, ni plus ni moins. Les autres devront attendre les prochains romans de Thibaud Latil-Nicolas, une plume à suivre, nécessairement.

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