Connexion

Les critiques de Bifrost

Chevauche-brumes

Chevauche-brumes

Thibaud LATIL-NICOLAS
MNÉMOS
320pp - 19,00 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

La neuvième compagnie (à ne pas confondre avec la septième, toujours perdue !) est en campagne pour consolider les frontières de son royaume. Les combats sont rudes. Beaucoup ont péri, d’autres sont blessés et les survivants sont épuisés. Mais le temps du repos n’est pas encore venu. Une nouvelle mission attend la troupe : à Crevet, dans le nord, la brume d’encre avance… Elle était à peu près stable jusqu’alors, restait à distance raisonnable du royaume. Or voilà qu’elle semble se réveiller. Les tempêtes se multiplient. Bêtes et hommes disparaissent. Des contrées entières sont dévastées. Il importe de comprendre et de faire cesser ce carnage. D’ailleurs, la dixième compagnie est partie en éclaireur. Et pour épauler la neuvième, on lui adjoint une troupe d’amazones, guerrières redoutables malgré les clichés véhiculés par les soldats. Bientôt, tous découvriront la terrible ampleur du phénomène, et l’horreur cachée dans la brume.

Le bandeau rouge tranche sur la couverture sombre, comme cette histoire. Y apparaît la mention « Pépite de l’imaginaire 2019 » : choix judicieux, car Thibaud Latil-Nicolas s’avère déjà, dès ce premier roman, un artisan plein de maîtrise. De la chose militaire, tout d’abord. Les termes techniques fleurissent, mais à juste titre, efficacement et sans ostentation. L’art de la poliorcétique s’étale au fil des pages et devient abordable pour tous. Il faut apprécier la violence des combats, toutefois. Ça tranche, ça pourfend, ça découpe à tout va dans ce récit. La lutte est âpre, sans pitié. S’attacher aux personnages expose le lecteur au dépit, car tous ne sortiront pas indemnes. Les personnages, justement : nombreux. Pas trop, mais peu s’en faut, tant la profusion induit la caricature. Ainsi s’agace-t-on de certains gestes prévisibles, certaines attitudes trop attendues. Esquiche-Poussière, par exemple, excessif dans la radinerie et l’avarice. Mais c’est le prix à payer pour cette variété de trognes, de soldats et d’amazones aux noms truculents, au verbe fleuri, aux caractères trempés. Sans doute s’y perdrait-on sans cela, or ce n’est pas le cas. Voilà une force de cet auteur prometteur : créer une galerie de femmes et d’hommes plus vrais que nature, nous les rendre proches, nous faire hurler avec eux, trembler avec eux, mourir avec eux.

Car l’ambiance est joliment restituée : celle des paysages, mais surtout celle des combats. On est au cœur de la mêlée et l’auteur sait en quelques phrases communiquer l’essentiel. Pas de généraux en haut d’une colline à regarder au loin ses troupes disparaître. Dans Chevauche-brumes, tous les combattants mettent la main à l’épée, à l’arc, au poignard. Chacun risque sa vie à tout instant sans imaginer de quoi demain sera fait. Et Thibaud Latil-Nicolas nous embarque à ses côtés au plus près de l’action. Une certaine dureté, une certaine âpreté peuvent rappeler Jean-Philippe Jaworski, mais ici tout est plus fluide, plus abordable. La fin du roman reste ouverte : peut-être une suite. Ou un tout autre roman. On attend en tout cas avec intérêt le prochain ouvrage de Thibaud Latil-Nicolas, jeune auteur qui, en effet, pourrait bien s’avérer une pépite…

Raphaël GAUDIN

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug