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Connexions

De Michael F. Flynn, on a pu lire Eifel­heim voici quelques années, ultime chef-d’œuvre et chant du cy­gne d’une prestigieuse collection qui n’en avait pas été avare jusque alors – oui, on parle bien d’« Ailleurs & demain ». Flynn, déjà, y renouvelait de A à Z l’un des ponts aux ânes de la SF : la venue des extraterres­tres. Il entreprend à nouveau ici de redorer quelques vieilles lunes de notre genre favori qui semble en avoir bien besoin.

Nonobstant sa longueur et sa publication bien postérieure, Connexions aurait pu figurer dans pas moins de six volumes de « La Grande Anthologie de la Science-Fiction ». Le récit s’articule autour de six personnages (plus un deus ex machina) dont chacun représente un thème. La première partie, intitulée « Orphelins du temps », nous présente Stacey Papan­dréou qui vivait déjà sous l’em­pire byzantin et illustre Histoires d’immortels. À cette époque, elle a croisé une première fois Siddhar Nagkmur, voyageur du temps venu d’une ligne temporelle alternative dominée par la Chine qu’il a malencontreusement effacée et voudrait restaurer. Typique des Histoires de Voyages dans le Temps. Ensuite, on va rencontrer des « Orphelins de l’espace ». Jim7 est un marchetête, extraterrestre muni de cinq pattes et éclaireur naufragé d’une flotte d’invasion. Il aimerait beaucoup pouvoir annoncer aux siens la découverte de l’Eldorado. Quant au lieutenant-colonel Bruno Zendahl, il appartient… Bon, n’en disons pas trop, mais sachez que l’un et l’autre illustrent les Histoires d’ex­traterrestres et d’Envahisseurs. Mais on a aussi des « Orphelins de l’esprit ». Anne Troy, qui travaille dans le traitement de données pour le Pentagone et s’avère être… autre chose (on vous laisse découvrir à quelle Histoires elle pourrait appartenir). Et, pour finir, Janet Murchison, qui est télépathe (ce qui fait aussi de Connexions une Histoires Parapsychiques). Nul doute, c’est par esthé­tique que Flynn choisit de nouer six thèmes classiques de la SF.

Ce n’est pas par hasard non plus, surtout pas, que ce récit s’intitule Connexions (Nexus, en VO), car tous ces personnages sont reliés par les contingences. Dans l’argument qui ouvre le texte, Flynn explique par l’exemple ce qu’il en est. « Le hasard n’est pas une cause. » (p. 12) « Causalité et prévisibilité (je préfèrerais le terme de prédictibilité) sont deux choses différen­tes. » Il n’y a pas de raison à ce que le marteau défonce le crâne du passant, juste des causes sur lesquelles on ne se serait jamais interrogé si la chute du marteau avait eu lieu ailleurs. Michael F. Flynn en rajoute une bonne cou­che en nouant non pas deux, mais six lignes causales en un bien joli nœud gordien qu’on ne tranchera pas. Connexions illustre le fait qu’il ne faut point chercher de lien entre les diver­ses causes d’un événement en dehors de l’événement lui-même. Chose que quiconque a touché à l’accidentologie connait bien. Flynn ne s’attaque pas ici aux croyances bizarres d’un nombre croissant de ces concitoyens, du moins pas au premier degré. Ce qui l’intéresse est une déficience dans la pensée contemporaine qui tend à fonctionner sur des postulats de prédictibilités acausales, comme s’il était possible de prédire un événement en dehors de l’enchaînement des causes et des effets. La statistique ne permet pas de prédire un événement. Ainsi, si vous buvez, vous accroissez vos chances d’avoir un ac­cident. C’est tout ce que disent les statistiques, pas que vous aurez un accident tel jour à telle heure à tel endroit. Les événements surviennent à la congruence de contingences. Le piéton passe quand tombe le marteau mais le piéton n’est pas passé parce que le marteau tombait – ni le marteau tombé parce que passait le piéton : on parle ici d’ac­cident, non de crime. L’accidentologue n’est pas un astrologue. Il construit l’arborescence causale et prend les mesures afin que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets : on va donner une ceinture d’outils au couvreur et détourner les piétons sur le trottoir d’en face. Et, comme dit l’auteur, rien ne sert de détourner le piéton à New York si le marteau tombe à Iakoutsk.

Le hasard n’est pas une cause, mais le produit imprédictible de la causalité. L’auteur s’évertue à montrer les chaînes causales d’un événement, qui, sans cela, apparaîtrait des plus rocambolesque et improbable jusqu’à l’incroyable à moins d’avoir recours, comme c’est si souvent le cas en fantasy, à un présage. Connexions, c’est descendre l’arbre des causes là où les Sherlock Holmes ou Miss Marple s’évertuent à le remonter. Flynn montre comment les événements ont été in­duits. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, disait Paul Éluard.

L’intrigue de Connexions apparaîtrait par­ticulièrement capilotractée sans sa dimension spéculative qui en fait l’un des meilleurs textes de SF récents. Ni plus ni moins.

L'Impératrice du Sel et de la Fortune

Pas plus que le soleil ou la mort, la vérité des évènements ne semble pouvoir être regardée fixement : il n’y a que les neixin de l’abbaye des Collines-Chantantes – ces petits animaux doués de parole et d’une mémoire parfaite – pour avoir l’orgueil de croire qu’elle ne les aveuglera pas.

Depuis la résidence impériale bordant le lac Écarlate, une vieille domesti­que surnommée Lapin l’observe de manière oblique. Lapin a servi et partagé les vicissitudes de la princesse barbare In-yo, écartée de la cour par son époux après lui avoir donné un héritier. L’adelphe Chih tente de recueillir les souvenirs de cet exil, dont cha­que épisode est narré en débutant par la description de menus objets du quotidien. L’histoire de In-yo, indissociablement liée à celle de l’empire Anh, est un si gros morceau qu’il peut paraître incongru de s’y attaquer avec la description d’une robe, d’un plateau de jeu ou d’un balai cassé. Mais raconter une telle vie absolument, la guerre, l’abandon ou la désolation, n’est-ce pas dans son ensemble une entreprise incongrue et hors d’échelle ? C’est précisément l’incongruité de cette perpétuelle digression qui fait tout l’à-propos de la confession, et sa sortie d’échelle qui, par la précision distanciée du regard et la matière intimiste de la phrase, la rétablit dans sa justesse. À travers l’inventaire des petits riens et l’immersion dans le détail, les mots de la servante remontent, comme les bulles lâchées par les poissons du lac Écarlate, vers le tout. Toute la gloire du monde se trouve dans un sac de litchis, semble nous dire Lapin ; et toute sa misère et son absurdité, pourrait-on ajouter, dans les déplacements d’un ministre ou d’un mage de guerre impérial…

La manière dont Nghi Vo décrit ses personnages dans leur environnement est à la fois minutieuse et liquide. Leur petit théâtre intime se dilue dans la grande scène de l’Histoire, comme les souvenirs de Lapin dans une con­science infiniment sensible et solitaire. Tout de retenue et de violence feutrée, le récit se dé­compose et se recompose par ellipses ou non-dits, et ces sa­vants détours finissent par ressusciter non pas le temps, mais l’humanité – momentanément – perdue.

Morgane Pendragon

Oubliez ce que vous avez appris, tout ce que vous croyez savoir sur la légende arthurienne. Les films de Hollywood, de Walt Disney, les comics et BDs, Chrétien de Troyes, Robert de Boron ou Thomas Malory, voire T. H. White. Désormais, contentez-vous de la légende morganienne. La fille cachée d’Uther a en effet accompli la prophétie, au grand dam de Merlin et d’Arthur. Elle est parvenue à retirer de la pierre l’épée du défunt souverain de Logres. Elle a saisi la poignée faisant glisser la lame hors de son fourreau minéral dans un acte qui a sonné comme un défi auprès des Couronnes de Bretagne. Il lui a fallu asseoir sa légitimité en combattant les rebelles et leurs forces coalisées au cours de la bataille du Mont Badon. Elle a dû aussi consolider son autorité en mettant en place un conseil des Épées pour l’épauler et la guider. Mais, ils sont légion et elles sont nombreuses à vouloir mettre un terme à son règne, au moins aussi nombreux.ses que ses fidèles, chevaliers et cheva­­lières déterminé.es à faire vivre la légende.

Récit syncrétique et inclusif, Morgane Pendragon est la réécriture agile, astucieuse et documentée de la romance arthurienne, littérature prévalant dans les milieux aristocratiques européens des XIIe-XVe siècle. Si Del Socorro fournit un point d’ancrage et un contexte historique identifiable, en gros, ici, le VIIe siècle, Morgane Pendragon em­prunte davantage son matériau romanesque au merveilleux et à un idéal chevaleresque fantasmé. Les connaisseurs ne seront donc pas étonnés de retrouver la table ronde et son siège périlleux, ses chevaliers et chevalières devenu.es par un artifice rhétorique des Épées – l’objet définissant l’individu et son rôle –, les quêtes, les créatures de la féerie, les différents royaumes de Bretagne et leurs souverains, le Graal, Excalibur, Merlin, Camelot, le Roi pêcheur, Lancelot, Mordred, Tintagel… Bref, tous les lieux et personnages emblématiques du légendaire celtique. Ils renoueront également avec les ressorts classiques et les poncifs des romans de chevalerie, un art de vie ordonné autour des tournois, de l’honneur, du céré­monial des banquets et des unions nobiliaires. Del Socorro se distingue cependant de ses illustres devanciers en conférant à la tradition une touche de mo­dernité. Dans la Bretagne morganienne, les femmes sont ainsi les égales des hommes, gouvernant des royaumes ou combattant en armure à leur côté sur le champ de bataille. L’homo­sexu­alité n’est pas regardée comme une tare ou un péché, même si les chrétiens restent aux aguets, prêts à toutes les fourberies. L’auteur se garde toutefois d’asséner ces chan­gements, préférant faire œuvre de romancier plutôt que de militant. En cela, il s’inscrit dans l’incessant travail d’appropriation et de réap­propriation dont a fait l’objet le légendaire arthurien, au point de devenir le pendant allégorique des luttes politiques et sociales des différentes époques qu’il a traversé.

Avec Morgane Pendragon, Jean-Laurent Del Socorro fait sien un imaginaire qui ne semble pas s’assécher en dépit de ses multiples déclinaisons. Bien au contraire, il parvient même à enrichir la légende d’une nouvelle strate, à jouer de son intertextualité avec d’autres œuvres, sans en affaiblir au­cunement le souffle ou en dénaturer l’histoire. De la belle ouvrage dont il serait dommage de se priver.

Burning Sky

D’une taille plus raisonnable que son précédent projet, pour mémoire la monumentale tétralogie « Origines » (quatre tomes parus au Bélial’, désormais disponibles chez Pocket), le nouvel opus de Stéphane Przybylski reste cependant enraciné au cœur de la matière historique, sujet de prédilection d’un auteur par ailleurs connu pour des es­sais d’histoire militaire.

Délaissant les petits arrange­ments des complotistes avec l’Histoire, il pointe sa focale sur l’uchronie, plantant le décor de la divergence en pleine guerre civile américaine. Événement traumatique, et à bien des é­gards fondateur pour l’identité états-unienne, le conflit fratricide opposant le Nord et le Sud détermine en partie la trajectoire de la superpuissance, po­sant à la fois les premiers jalons de la guerre industrielle moderne, dont les premier et second conflits mondiaux ne sont que les développements ultérieurs, et de la do­mination américaine sur l’histoire mondiale.

D’une manière astucieuse et malicieuse, Stéphane Przybylski choisit de gauchir le déroulement des faits par l’entremise d’un trio d’aventuriers européens, en disgrâce avec leur nation d’origine. Ferenc von Richter, le jeune Prussien envoyé en qualité d’observateur par son gouvernement, Tchernikov, l’anarchiste russe et Morleau, l’ex-combattant de la Légion étrangère, joignent leur courage et leur science au combat de Mahpiya Ilé, le guerrier et shaman amérindien. Ils conçoivent ainsi une arme à faire rougir von Zeppelin lui-même, voire à faire enrager Robur-le-Conquérant, l’ennemi des « ballonistes » chez Jules Verne. Avec un enjeu simple : retourner le sort des armes, défavorable pour le Sud, afin d’empêcher la reconstitution de l’Union. De quoi gagner du temps pour les Amérin­diens en ralentissant la conquête de l’Ouest et sa mise en coupe réglée par les financiers et industriels du Nord. De quoi également assurer à Maximilien d’Autriche l’aide européenne nécessaire à son installation à la tête de l’Empire du Mexique. De quoi, enfin, bouleverser l’ordre mondial, en grande partie en devenir à cette époque.

Malin jusqu’au bout, Stéphane Przybylski ne nous fait pas la leçon. Il brosse un tableau nuancé du conflit et de son contexte, soulignant la duplicité du discours des uns et l’ambivalence des intérêts des autres. Vif, enlevé, le rythme n’incite aucunement à la monotonie. Bien au contraire, l’auteur s’amuse des ressorts du roman d’aventure, du western et de l’uchronie, mêlant histoire réelle et contrefactuelle avec un réel plaisir et une connaissance solide des faits. On s’enthousiasme ainsi des péripéties vé­cues par les personnages fictifs et réels, s’inquiétant de leur si­tuation lors des cliffhangers et des morceaux de bravoure qui émaillent un récit dont le souffle ne faiblit à aucun moment.

Burning Sky apparaît donc comme un page-turner qui rem­plit pleinement son office, où uchronie et western se conjuguent avec bonheur, conférant une légère touche politique, dans la meilleure acception du terme, au propos de l’auteur. On en redemande !

Sous un ciel de sucre (Les Enfants indociles T.3)

Troisième tome de la série des « Enfants indociles », Sous un ciel de sucre s’attache à Cora, nouvelle pensionnaire de la Mai­son des enfants indociles tenue par Eleanore West, revenue mal­gré elle d’un séjour dans un monde aquatique, où sa corpulence ne l’avait pas empêchée d’être une sirène accomplie. Avec son amie Nadya, qui espère que la porte vers le monde noyé de Belyrekka s’ouvrira à nouveau, elle passe beaucoup de temps a barboter dans l’étang jouxtant l’école. Un plan d’eau dans lequel une jeune fille venue de nulle part n’est cependant pas censée tomber… Rini vient de Friandise, un monde fait de gâteau, de sucre et de soda, pour retrouver sa mère, Sumi Onishi. Mais celle-ci, assassinée alors qu’elle était encore au pensionnat – événement relaté dans le premier tome, Les Portes perdues – ne peut donc pas avoir eu d’enfant. Ce qui explique que Rini commence doucement à s’effacer… Rini doit donc ressusciter Sumi sous peine de disparaître complètement, et de ne pas pou­voir sauver Friandise du joug de la méchante Reine des Gâteaux.

Dans « Les Enfants indociles », les portes s’ouvrent souvent par hasard, mais toujours vers des univers adaptés aux enfants, des lieux où ils pourront enfin se sentir chez eux. Et quand ils sont ren­voyés ou reviennent par accident, ils en souffrent cruellement et espèrent pouvoir repartir même s’ils n’y parviennent que rarement. Rini, elle, peut voyager de monde en monde avec une facilité déconcertante grâce à un bracelet de bonbons magi­que confectionné sur Friandise – que l’on perdra en chemin pour éviter que chacun puisse ensuite rejoindre son monde d’accueil. Ce qui a été fabriqué pouvant l’être à nouveau, la cohérence de l’univers proposé par Seanan McGuire pâtit un peu de cet artifice. Le processus pour faire revenir Sumi à la vie, une succession d’épreu­ves, semble lui aussi un peu trop facile à mettre en œuvre et dé­pourvu de réel enjeu au regard des derniers chapitres. Même la mort perd son caractère inéluctable et définitif. Si le messa­ge positif sur l’acceptation de soi, la caractérisation des personnages et l’écriture de Seanan McGuire constituent toujours les points forts de la série, il man­que à Sous un ciel de sucre la noirceur des deux premiers tomes pour convaincre tout à fait. Comme pour les précédents livres, celui-ci bénéficie de trois illustrations de Rovina Cai. L’inflation n’a pas épargné le secteur du livre. Comptez donc un euro de plus, que ce soit en numérique (14,99 €) ou au format papier (21 €), pour vous procurer ce court roman.

Héctor

Héctor Germán Oesterheld. Une légende dans le monde de la BD. Pourtant, paradoxalement, même si Oesterheld est à l’origine d’une œuvre gigantesque, même s’il a travaillé avec le grand Hugo Pratt, son nom de­meure inconnu pour une grande part des lecteurs européens. Or, il a écrit, entre autres, une série de SF mémorable, « L’Éternaute ». On y suit la résistance des humains contre l’envahisseur alien dans une Buenos Aires recouverte d’une neige mortelle. Beaucoup y ont vu un symbole de la lutte contre la dictature qui montait alors et allait corseter l’Argentine, le pays du scénariste. D’ailleurs, comme il a fait partie des résistants à ce pouvoir injuste et meurtrier, Héctor Germán Oesterheld sera l’une des nombreuses victimes du gouvernement tyrannique de Videla.

Léo Henry, amoureux de cette région du monde, et de ce pays en particulier, s’empare de cette figure de la littérature sud-américaine et la place au centre d’un récit dont la structure tend vers le labyrinthe borgèsien. Borgès, qui fait d’ailleurs de nombreuses ap­paritions dans ce texte (dès les premières pages, en fait), lui qui tint un rôle si important dans son pays – important et ambigu face au pouvoir meurtrier. Le roman, après une rapide présentation du cadre, commence comme un journal de voyage : l’auteur se rend en Argentine sur les traces du disparu. Et cela pourrait se transformer en hommage plus ou moins vibrant à la gloire d’un artiste méconnu en France malgré son importance capitale. À ceci près que rapidement, la structure évolue et, comme dans un jeu de miroirs (le titre du chapitre zéro prévient bien le lecteur), le point de vue change, les certitudes s’envolent et se mêlent aux rêves, aux autres réalités. On est tantôt sur les pas de Léo Henry, tantôt dans ceux de Juan Salvo, le héros de « L’Éternaute », tantôt dans ceux de la famille d’Héctor Germán Oesterheld (dont les filles sont entrées en résistance et l’ont payé de leur vie). Léo Henry tisse un récit complexe et néanmoins limpide où l’on suit son voyage fait de rencontres dans le pays. Où l’on en apprend davantage sur le passé terrible de cette Argentine fantasmée, à travers les quelques traces laissées dans les villes, comme d’anciennes salles de torture recyclées et effacées de la mémoire commune. Où l’on vit dans le monde de l’Éternaute, paysage recouvert d’une neige toxique qui se confond avec l’Argentine de la dictature et où survivre est une gageure. Où, enfin, l’on découvre les possibles derniers moments de la vie d’un scénariste de talent confronté à l’horreur.

Comme le dit son auteur lui-même, Héctor est un « bouquin aux lisières, qui questionne la SF et ces récits que l’on se raconte ». Un roman surprenant et évident à la fois, source de découvertes et de question­nements. En attendant La Géante et le Naufrageur, premier volume de la saga « Mille saisons » à paraître au Bélial’ en juin, aucune excuse ne sera acceptée pour ne pas se plon­ger dans cet hommage réussi, cette œuvre aussi belle que nécessaire.

Les Planétaires

De John Brunner, on retient principalement les visions dystopiques d’un proche avenir. L’écrivain britannique de la New Wave a acquis une notoriété internationale grâce à quatre romans : Tous à Zanzibar (1968), L’Orbite déchiquetée (1969), Troupeau aveugle (1972) et Sur l’onde de choc (1975), récemment réédités chez Mnémos en omnibus sous le titre La Té­tralogie noire (2018). Mais John Brunner a aussi écrit de nombreux space opera. C’est ce pan de son œuvre que l’éditeur nous propose de découvrir à travers une sélection de huit romans, dont deux sont inédits, regroupés dans Les Planétaires. Si ces textes remplissaient pour l’auteur une fonction alimentaire, comme le note Patrick Moran qui a dirigé, préfacé et révisé les traductions de cet omnibus, il serait erroné de les considérer comme des œuvres secondaires. Écrits entre 1965 et 1982 et produits de leur époque, les récits proposés accusent certes la patine du temps, et n’échappent pas aux clichés du héros compétent ou à des conventions sociales datées. John Brunner prend toutefois le contrepied du space opera classique et détourne le genre dans une approche moderne et sociale, loin du triomphalisme des récits de conquête intergalactique.

Huit romans, huit planètes. C’est le program­me proposé dans Les Planétaires. L’ordre de présentation des textes fait le choix judicieux d’une chronologie interne plutôt que par date de publication. Contant une histoire de l’humanité sur des milliers d’années, ils forment aussi une boucle thématique. Futur proche ou lointain, en présence d’autres espèces ou seule dans l’univers, l’humanité réveille toujours les mêmes démons lorsqu’elle se confronte à des mondes étrangers. Les deux premiers romans, Éclipse totale et La Planète asile, font le récit de la colonisation difficile de planètes éloignées aux premiers temps de l’expansion humaine dans la galaxie. Éclipse totale tente notamment de comprendre comment une civilisation avancée peut disparaitre soudainement. Dans Le Long Labeur du temps, l’humanité est désormais installée sur plusieurs mondes, chacun possédant son propre système politique et sa propre culture. Les so­ciétés n’évoluent plus au même rythme, les anciennes colonies s’émancipent et, dès sa naissance, l’empire galactique doit se réinventer pour ne pas disparaitre. Les trois textes suivants, Les Vengeurs de Carrig (inédit), Polymath et Les Réparateurs de Cyclops (inédit) forment une trilogie dite des rescapés de Zarathustra. L’humanité, devenue une société galactique utopique, socialement et technologiquement très avancée, se voit confrontée à une diaspora humaine retombée à un stade préindustriel suite à une catastrophe cosmique. La question de l’ingérence est soulevée alors que des agents infiltrés observent le développement de ces sociétés isolées. Vingt ans plus tard, Iain M. Banks créera le cycle de « La Culture » sur les mêmes bases. Enfin, Les Dissidents d’Azrael et Les Dramaturges de Yan, deux récits se déroulant plus loin encore dans le futur, déclinent à leur manière la question de la menace existentielle abordée dès Éclipse totale, et mettent en lumière la fragilité des civilisations usées car trop anciennes.

Par le choix des textes qu’il met en avant et un agencement intelligent, Les Plané­taires offre au lecteur une passionnante ex­ploration du space opera selon John Brunner. Hautement recommandable.

La Reine du Pays-sous-la-terre

Wikipédia nous apprend que le titre de Miss Subways a été accordé à certaines femmes de la ville de New York entre 1941 et 1976. La Miss Subways du moment apparaissait sur des affiches placées dans le métro de New York et les rames, affiches complétées d’une brève description. En 1957, on estimait que 5,9 millions de personnes regar­daient quotidiennement les Miss Subways, grâce à 14 000 affiches disséminées dans le métro. Le programme était géré par la New York Subways Advertising Company. Et en­viron 200 femmes ont porté le titre de Miss Subways pendant la durée du programme.

Pourquoi vous raconter ça ? Parce que Miss Subways est le titre original du roman de David Duchovny, devenu La Reine du pays-sous-la-terre en VF ; donc, dès le départ, la promesse faite aux lecteurs n’est pas la même : le titre VO nous annonce un roman nostalgique sur New York, le titre français une fantasy de la Terre Creuse. Dans cette lettre d’amour à la Grosse Pom­me (longue missive parasitée par une cascade de digressions sur Donald Trump, Paul Manafort, Mike Pence, Rudy Giuliani et tant d’autres), on suit Emer, une femme d’environ quarante ans qui vit une histoire d’amour bancale avec Ken (oui, c’est son prénom VF ; en VO, c’est plus rigolo, c’est Con). Cette histoire est en fait une réplique de l’histoire irlandaise d’Emer et de Cú Chulain. Elle n’a globalement aucun intérêt, et comme David Duchovny ne tient pas son livre, changeant sans cesse de registre, de niveaux de langue et glissant de digression new-yorkaise en digression new-yorkaise, ben le lecteur français s’ennuie ferme. On ajoutera à cela une traductrice en grande difficulté avec le style de l’auteur, et qui peine à garder la tête hors de l’eau face au flot in­interrompu, ou presque, de références diverses et variées que nous inflige un Duchovny très logorrhéique.

De par ses éléments de fantasy urbaine, La Reine du pays-sous-la-terre fait penser à Neil Gaiman, American Gods, bien sûr, mais aussi Neverwhere. On préférera les œuvres originales, deux très bons bouquins, à cette copie de médiocre qualité. Si elle n’avait pas été signée David Duchovny, il y a fort à parier que personne n’aurait vrai­ment remarqué l’existence de cette romance new-yorkaise.

Le Dieu estropié (Le Livre des martyrs malazéens T.10)

Il y a bien des manières d’ap­préhender le « Livre des mar­tyrs malazéens ». Un point de vue savoureux et pas moins pertinent serait de contempler l’ensemble comme un plat de lasagnes. Un élément du CV de Steven Erikson, co-créateur de cet univers avec Ian C. Esslemont, nous intéresse particulièrement au sein de cette métaphore douteuse : il est anthropologue et archéologue de formation. Surtout, cet univers a été conçu non seulement comme une ma­tière littéraire, mais aussi ludi­que, ayant été arpenté lors de nombreuses parties de jeux de rôle par les auteurs. Ar­rivés ici, rappelons qu’une autrice légendaire de SFF a baigné toute sa vie dans l’anthropologie, et qu’elle est à ce jour la seule issue de ces mauvais genres qui nous parlent tant à avoir été pressentie pour le Nobel de littérature.

Pourquoi diable un plat de lasagnes ? C’est simple : un monde imaginaire dont l’histoire plonge jusqu’à 300 000 ans dans le passé, 45 peuples, une myriade de divinités et un système de magie qui ne puise pas dans la mystique abstraite, mais dans des lieux que les personnages arpentent. Vous suivez ?

N’ayez crainte. L’histoire n’est pas présentée à la manière d’une chronique telle que le Silmarillion. Ceci n’est « que » la base sur laquelle s’appuient les événements narrés. Durant les dix tomes de la saga principale. Des lasagnes, oui, mais de la taille d’une mai­son.

Le premier volume, Les Jardins de la lune, narre des événements se déroulant en l’an 1160 du Sommeil de Brûle (comprenez 301 160) et relate la fin d’une campagne militaire dirigée par l’empire malazéen pour soumettre un continent. Cette campagne, la première d’une longue série, donne le la pour la saga… Car l’un des fils rouges importants de l’ensemble est tressé de plusieurs campagnes. Et c’est là l’objet d’une merveilleuse ambivalence. Car si l’on suit souvent les déboires de soldats en marche, le caractère martial du récit est dynamité par deux des thématiques centrales de l’œuvre : l’irrévérence et la compassion.

Pendant la totalité de la saga, Erikson s’entend à faire exploser diverses formes de structures, qu’elles soient sociales ou littéraires. Ainsi assiste-t-on à un carnaval incessant de soldats envoyant paître leurs supérieurs et désobéissant superbement à iceux, ou encore d’humains riant littéralement au nez des dieux. Notons que les civilisations peuplant les romans sont dépourvues de toute forme de sexisme. Il ne s’agit pas de mar­quer un bon point idéologique, il est simplement question d’une norme de cet univers, qui ne s’accompagne d’aucun réquisitoire pour asseoir sa légitimité.

La compassion ? Notre chère Ursula Le Guin écrivait dans son recueil d’essais Le Langage de la nuit que l’une des propriétés de la fantasy est de se saisir du spectre moral, d’en déplacer les curseurs et d’y poser de nouveaux jalons. Un enjeu brillamment saisi. Chaque peuple et chaque personne jalonnant le spectre moral posé peut être porteur d’antagonismes ou d’inimitiés ancestrales, tous solvables dans la compassion. N’imaginez pas pour autant que chaque chapitre se solde par un câlin, non. Ladite compassion est rendue possible par une polyphonie maîtrisée. Une telle variété de personnages est un des écueils du genre, car à trop vouloir peupler un monde, certains auteurs alignent les silhouettes, un défaut que l’on peut reprocher par exemple aux « Archi­ves de Roshar » de Sanderson, saga pas exempte de passages et figures dilatoires. Ici, le lecteur accompagne des figures dont le relief flirte parfois avec les sommets que Mervyn Peake a atteints dans « Gormen­ghast », pas moins. Il y a donc quantité de personnalités à apprécier, haïr, et qui souvent laissent un vide une fois que l’on referme l’un de ces pavés de 1000 pages.

Bémol relatif, Erikson émaille le récit de considérations philosophiques et/ou morales longues de plusieurs pages. Au fil de dialogues intérieurs (si chers à Frank Herbert) ou de débats entre protagonistes, l’auteur prend le temps de mettre en exergue les thématiques profondes du récit, au risque que cela soit perçu comme une dilution par les plus bouledefeuvores des lecteurs – on sent toutefois là l’inspiration assumée des « Annales de la Compagnie Noire » de Glen Cook, qui joue sur l’ambivalence du récit subjectif/objectif.

L’ensemble paraît touffu, mais la cohérence demeure. Maintenant que toutes ces choses sérieuses ont été dites, rappelons que l’ambition d’Erikson était de produire une fantasy littéraire et épique. Pari gagné ! Vous croise­rez des forteresses-lunes volantes peuplées de dragons, des morts-vivants se battant avec des épées en silex, des T-rex zombies, des gens qui deviennent des dieux, des dieux qui sont des gens, des épées buveuses d’âmes… c’est un véritable festival d’émerveil­lement ! En ce sens, Le Dieu estropié a tout d’un bouquet final réussi, un moment où toutes les cartouches de Tchekhov tapent dans le mille.

Après les tentatives avortées de Buchet/Chastel puis de Calmann-Lévy, grâce soit donc rendue aux éditions Leha d’avoir porté la saga jusqu’à son terme. Il est regrettable en revanche qu’une partie de ce qui fait la qualité littéraire de l’œuvre ait été gobée par un ver cosmique pendant la traduction. Enfin, bon, on peut pas tout avoir…

Mordew

De quoi Mordew est-il le nom ? D’une ville fictive, imaginée avec moult précision topographique par le britannique Alex Pheby, qui va jusqu’à nous en présenter une carte en ou­verture du roman. L’on y décou­vre une cité à la forme spirale, cernée sur son flanc oriental par une chaîne montagneuse dé­nuée de nom, et sur sa bordure occidentale par un océan pareil­lement anonyme. Entre monts et mer s’enroule donc sur elle-même Mordew, à la manière d’un gigantes­que escargot.

Les cercles les plus périphériques de ce semblant urbain de coquille en abritent les Bas-fonds. Des quartiers aussi déshérités qu’insalubres et dont les contours à la fois sordides et étranges révèlent certaines des influences de Mordew. On note d’abord celle de Charles Dickens dans la peinture du lumpenprolétariat s’entassant dans ces Bas-Fonds, y survivant plutôt mal que bien sous la menace des attaques répétées de phénix. Évoquant le pandémonium chimérique peuplant la Nouvelle-Crobuzon de China Miéville, ces créatures mi-cheval, mi-lézard sont dépêchées contre Mordew par la cité adverse de Malarkoi. Sous l’emprise d’une puissante sorcière simplement appelée la Maîtresse, Malarkoi semble avoir voué Mordew à une perte dont la protège un autre mage nommé tout aussi sobrement le Maître. Exerçant son ministère magique depuis un baroque palais à l’architecture improbable rappelant le « Gormenghast » de Mervyn Peake, le Maître de Mordew protège aussi bien les plus miséreux de ses habitants que sa bourgeoisie d’allure là encore dickensienne et vivant dans la Plaisance – c’est-à-dire les beaux quartiers de Mordew, que Nathan Treeves, un garçon pourtant né au plus profond des Bas-fonds, découvre à l’oc­casion d’aventures formant la matière de ce volume inaugural d’une trilogie intitulée « Les Cités de la trame ». Notamment lors­que le garçon rejoint les rangs d’une bande de voleurs et voleuses pareillement jeunes, comptant dans ses rangs les « Joes », singulière déclinaison locale d’une fratrie siamoise.

Ne se contentant pas de se confronter aux différences clas­sistes d’une cité à la structure sociale violemment inégalitaire, Nathan va encore en découvrir les versants occultes (par exem­ple via l’exploration des extraordinaires égouts) mais aussi occultistes. Sous ses fragiles apparences de gamin loqueteux, le jeune Nathan dissimule un puissant talent sorcier désigné sous le nom de Démange. La possession de celle-ci lui permet d’imposer sa volonté à « la Foudre […] cette chose […] qui anime toutes les choses im­portantes dans les mondes matériel et im­matériel », et donc d’imprimer sa volonté aux unes comme aux autres… Ce que le Maître de Mordew ne tardera pas à remarquer, faisant dès lors de Nathan son disciple, le recrutant dans la guerre l’opposant à la Maîtresse de Malarkoi. Et c’est alors que se révèle la véritable et majeure référence de Mordew, c’est-à-dire J. K. Rowling et son héros universel…

L’on comprend en effet fort rapidement que sous sa foisonnante marqueterie lexicale et derrière ses monstres politico-gothiques, Mordew consiste pour l’essentiel en un décalque des récits consacrés au fameux jeune sorcier. Donnant in fine la décevante impression de n’être rien d’autre qu’un produit (témoignant certes d’un certain savoir-faire) à destination du rayon « Young Adult », Mordew n’a en réalité rien à voir avec les auteurs susmentionnés et auxquels il n’emprunte que superficiellement. De même est-on ici à des années-lumière de la singularité titanesque du Jérusalem d’Alan Moore (cf. Bifrost n° 88) auquel l’éditeur compare bien imprudemment ce formaté et dispensable Mordew en quatrième de couverture…

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