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La Rédemption du temps

Quel statut pour la fan fiction ? Prospérant sur les mailles du réseau, elle peine à trouver sa légitimité une fois imprimée… Il y a quelques années, E. L. James s’est inspirée, avec Cinquante nuances de Grey, de la série « strong>Twilight » de Stephenie Meyer et y a insufflé un peu de sexe, avec le succès public (à défaut de critique) que l’on connaît. De manière plus intéressante, Chloé Delaume a proposé une approche originale avec La Nuit je suis Buffy Summers, un livre dont vous êtes le héros basé sur la fameuse série de Joss Whedon.

Comme beaucoup d’œuvre à succès, la trilogie du « Problème à trois corps » de Liu Cixin n’est pas étrangère à ce phénomène, et c’est ainsi qu’un fan chinois a publié en 2010, quelques semaines après la sortie du dernier volume, La Mort immortelle, un texte qui allait former la base du présent roman.

Le lecteur n’a pas lu la trilogie de Liu Cixin ? Pas de souci, La Rédemption du temps se charge de lui offrir un digest dans sa première partie, au travers du point de vue de Yun Tianming. Personnage secondaire de La Mort immortelle, Yun Tianming vit reclus sur la planète Saphir avec sa compagne AA. Le couple mène un quotidien paisible après les troubles racontés dans les trois volets de la trilogie originelle, quand l’humanité s’est opposée à une invasion extraterrestre a priori inarrêtable. L’un des moyens utilisés pour lutter contre l’ennemi trisolarien a été d’envoyer à ces derniers le cerveau congelé de Yun Tianming – alors un jeune homme atteint d’un cancer incurable –, dans une tentative désespérée de leur tendre un piège. Depuis, Yun Tianming va mieux et a récupéré un corps, merci pour lui. Alors que sa nouvelle vie touche à sa fin, notre protagoniste est contacté par une entité d’ordre quasi divin se faisant appeler l’Esprit, qui le charge de traquer l’Occulte. Cet ennemi insaisissable menace l’existence même de l’univers. Yun Tianming, ayant accédé à un stade d’existence supérieur, arpente ledit univers et, au fil de milliards d’années de quête, il apparaîtra que les choses ne sont (forcément) pas ce qu’elles paraissent.

Drôle de projet que cette prolongation d’une trilogie se suffisant à elle-même. Si les romans de Liu Cixin n’étaient pas dénués de défauts, au moins étaient-ils soutenus par des idées souvent vertigineuses. Ici, Baoshu peine à susciter le même vertige, surtout lorsque l’Esprit s’emmêle dans un charabia quasi-mystique pas du meilleur effet. Narrativement, les choix surprennent : le premier tiers du roman consiste en un résumé de la trilogie, le dernier s’avère flou et elliptique, l’ensemble étant desservi par des dialogues maladroits. Enfin, le clin d’œil conclusif bouclant la boucle était-il nécessaire ? Cette Rédemption du temps ne redorera pas le blason de la fan fiction, mais peut-être ce roman réjouira-t-il tout de même les inconditionnels du «  Problème à trois corps ». Pour notre part, on en doute.

Dehors, les hommes tombent

Un an après Sur Mars, Arnauld Pontier revient avec une autre novella, cette fois entièrement inédite. Délaissant la planète rouge, l’auteur choisit de rester sur notre monde mais dans un futur lointain. À ce titre, la couverture n’est pas sans rappeler la scène finale d’une certaine adaptation cinématographique d’un certain roman de Pierre Boulle. À défaut de singes (encore que), le décor reste le même : l’Hudson River, là où se dressait auparavant la Statue de la liberté. Un individu arrive à l’embouchure du fleuve. Il n’est pas humain : c’est un Semblant, autrement dit un de ces êtres artificiels créés par les hommes avant que ceux-ci se retournent contre eux. Désormais, des humains, il n’y en a plus un seul sur Terre – peut-être ailleurs, dans l’espace. Membre de l’United States Air (ou Android ?) Force, il parvient ici au terme d’un long périple, poussé par les échos d’une chanson datant d’un passé immémorial : «  Dehors les hommes tombent, comme des fétus de paille. » Bien qu’abandonnées, les ruines de New York ne manquent pas de dangers ou de surprises. Et peut-être, la possibilité d’un espoir.

Entre chaque chapitre s’intercalent d’étranges taches d’encre, qui, associées, forment un motif qui sera révélé à la dernière page. On aurait aimé ressentir pareille épiphanie à la lecture. Faisant la part belle à une langue ciselée, pas avare en mots rares, Arnauld Pontier propose une novella contemplative brassant les thématiques des robots, des armes autonomes et de la vie artificielle. Passé le début, le rythme ralentit, une bonne part du récit consistant en un flashback sur les temps passés. Si la balade n’est pas déplaisante – et de circonstance, en ce centenaire de la parution de la fameuse pièce R.U.R. de Karel Capek —, sûrement aurait-elle gagnée à être un brin plus substantielle.

Un long voyage

Claire Duvivier est, avec Estelle Durand, l’une des deux éditrices d’Asphalte, maison qui publie des livres du monde entier, avec une prédilection pour l’Amérique du Sud et pour les anthologies de nouvelles noires bâties autour d’une ville (Barcelone, Rome, Paris, Delhi…), mais qui a aussi fait paraître des romans du genre qui nous intéresse ici, notamment les plumes de l’argentin Leandro Ávalos Blacha ou de l’italien Tommaso Pincio. Aujourd’hui, Claire Duvivier passe de l’autre côté, et signe son premier roman au sein de la sympathique entreprise éditoriale cornaquée par le non moins sympathique David Meulemans.

Un long voyage , narré à la première personne par Liesse, démarre lorsque celui-ci est placé par sa mère, une îlienne incapable d’élever seule ses enfants après la mort de son mari pêcheur. Liesse est ainsi lié par un contrat de servage auprès de représentants de l’Empire qu’il accompagne à Tanitamo, une petite bourgade. Ses facultés d’adaptation, son intelligence instinctive, sa connaissance des îles vont faire de lui un précieux allié pour la jeune Malvine, fille de l’empereur et nouvelle régisseuse de l’Archipel. Liesse devient ainsi son second, et lorsque la jeune femme accède au plus haut statut de l’état suite au décès de son père, c’est tout naturellement qu’il l’accompagne à la capitale, Haute-Quaïma. Sans se douter que ce n’est que le début d’une extraordinaire aventure…

Le titre de ce livre, Un long voyage, est bien sûr à prendre au sens propre comme au figuré : nous sommes bel et bien en présence d’un roman d’apprentissage de la plus belle eau, Liesse et Malvine se construisant à mesure qu’ils explorent les facettes du monde. Le lecteur assiste aux événements aux premières loges via le choix d’un « je » narratif très immersif ; une narration subjective qui s’avère aussi, bien entendu, une astuce d’écriture, car pas mal de choses se passent hors de la vue et de la connaissance de Liesse, l’ignorance induite servant de moteur à la progression de l’intrigue et au développement des personnages. Du reste, l’ensemble des protagonistes sont particulièrement travaillés, étoffés par petites touches successives qui font tout autant pour leur construction qu’une longue et soporifique description.

Claire Duvivier a choisi de situer son roman dans un contexte imaginaire. Un univers simplissime de prime abord : un Empire qui tente tant bien que mal de survivre alors que ses frontières se font de plus en plus lâches. Une fantasy sans dragons, sans guerriers, au début sans réel ressort dramatique, mais qui parvient sans problème à maintenir l’intérêt grâce à des personnages remarquablement construits et un style évocateur. Une simplicité de surface, bien entendu, car le monde imaginée par l’autrice recèle bien des mystères – qui éclateront dans la seconde partie du roman, plus dramatique, et feront définitivement basculer Liesse et Malvine dans l’âge adulte.

On ne peut lire Un long voyage sans penser à Ursula Le Guin, celle de « Terremer ». Le livre de Duvivier partage en effet de nombreux points communs avec la saga de l’auteure américaine : l’apprentissage, le décor d’archipel, la volonté d’éviter le sensationnel et de sortir l’artillerie lourde de la fantasy, et enfin, surtout, la puissance d’évocation. Pour un premier roman, il est pire héritage, et sans lui faire l’indélicatesse de la comparer à Le Guin, d’autant plus qu’il n’est pas sûr qu’elle revienne un jour dans son monde de Haute-Quaïma, Claire Duvivier montre déjà une jolie maîtrise de la construction d’un monde imaginaire et du développement de personnages à l’épaisseur évidente. Une bien belle découverte à mettre au crédit des Forges de Vulcain, et une nouvelle auteure à suivre.

Le Livre de M

Futur proche : un homme perd tout à coup son ombre sur un marché en Inde. Les médias s’emparent de l’affaire, et il s’avère bientôt qu’outre son ombre, la mémoire du pauvre homme a également été endommagée ; de nombreux souvenirs lui manquent. Ce n’est que le début d’une pandémie qui va très vite – en quelques jours – se répandre partout dans le monde sans qu’on comprenne comment elle fonctionne ; s’agit-il d’une contamination, d’une malédiction, d’une expérience qui aurait mal tourné ? Shepherd n’en dira rien. Toujours est-il qu’après l’ombre, la mémoire s’enfuit par tranches. Le roman s’ouvre quelques semaines après le début des événements, alors que Max et Ory se sont réfugiés dans un hôtel après avoir assisté au mariage d’un couple d’amis où ils ont appris l’arrivée de la pandémie sur le sol américain. Or, Max a perdu son ombre, et les deux protagonistes vivent dans l’attente angoissée des premières pertes de mémoire. Incapable de se résoudre à ce que Max la voit dépérir, Ory, profitant de l’absence de son mari parti chercher de la nourriture, décide de s’enfuir. C’est durant sa fuite qu’elle entreprend de s’enregistrer, racontant tout ce qu’elle vit, ses rencontres avec des malades à divers stades. Dans le même temps, fou de douleur, Ory part à sa recherche, mais du mauvais côté… Le récit alterne alors la narration entre Max et Ory et deux autres personnages : Naz, une jeune iranienne venue aux États-Unis pour préparer les JO au tir à l’arc — talent utile dans ce monde apocalyptique –, et un homme sans nom amnésique suite à un accident de voiture que certains docteurs conduiront en Inde à la rencontre du patient zéro.

La force du roman tient à son matériau humain : en dressant le portrait de femmes et d’hommes minés par l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête, épée qui finira inéluctablement par s’abattre, Shepherd fait montre d’une belle empathie pour l’ensemble de ses protagonistes. Sains ou malades diversement atteints, chacun réagit à sa façon, fataliste ou refusant l’adversité, tentant de conserver un optimisme fragile face à l’absence de remède. Les personnages – nombreux – échappent tous à la caricature, et se redéfinissent progressivement par rapport à un constituant majeur de la condition humaine : la mémoire, mouvante, relative, finalement tout sauf acquise dans un contexte évoquant un Alzheimer généralisé. Les scènes — poignantes – de personnages qui comprennent qu’ils ont perdu quelque chose, sans savoir quoi au juste, contrebalancent ainsi une narration d’événements plus conventionnelle qui enfile un certain nombre de passages obligés du scénario d’apocalypse : luttes entre survivants, montée des croyances… Si sur cet aspect Shepherd s’avère moins convaincante, elle a néanmoins une très bonne idée : mâtiner sa pandémie de magie (ou de fantasy, appelez ça comme vous voulez). Ainsi, de temps en temps, de manière aléatoire et imprévisible, les oublis deviennent réalité : une personne oublie qu’un cerf a des bois sur la tête ? Les bois disparaissent et sont remplacés par une paire d’ailes spectrales. Dans d’autres villes, un incendie généralisé se déclare… Cette idée, si elle tient clairement lieu de deus ex machina, offre pourtant un surcroît d’intérêt, quand elle ne relance pas totalement celui-ci. Car il nous faut parler du principal défaut du livre : sa longueur. Sur près de six cent pages on suit Max, Ory, Naz et Celui Qui Rassemble ; c’est beaucoup trop, tant l’autrice peine à maintenir l’attention du lecteur de bout en bout. Raboté d’un tiers, ce livre aurait pu limiter les passages obligés de la chute du monde et conserver intacte la force des personnages, remarquable dès les premières lignes – la preuve du talent naissant de Peng Shepherd. Car oui, il s’agit d’un premier roman, et malgré ses défauts évidents, l’aisance globale de l’autrice impressionne. Reste donc une belle découverte, une nouvelle voix au fort potentiel et qu’on espère relire avant longtemps – en plus court.

La survie de Molly Southbourne

De la même manière que l’on peut envisager l’existence d’une vie extraterrestre, on doit admettre la possibilité qu’un lecteur de Bifrost ne connaisse pas Molly Southbourne. Cela reste toutefois moins probable que de pécho sous Covid-19 en confinement dans un hôtel Formule 1 réquisitionné pour l’occasion. Mais dans l’éventualité, puisque le présent ouvrage est une suite, rappelons ce qui s’est passé dans Les Meurtres de Molly Southbourne. Depuis son plus jeune âge, Molly génère au moindre saignement des répliques d’elle-même, les « molly », qui cherchent à la tuer. Ses parents lui ont prodigué une éducation spéciale basée sur l’art du combat et ces trois préceptes : « Ne saigne pas. Si tu te vois toi-même, cours. Une compresse, le feu, du détergent.  » Molly a dû se confronter à la vie et aux surprises qu’elle ménage…

Nous la retrouvons donc, sur fond toutefois de changement notable, bien que certaines constantes demeurent. Elle porte un numéro de téléphone tatoué sur le bras qui lui permet de contacter des nettoyeurs l’aidant en cas de crise. Après un grave incident psychotique, Molly vit avec la présence fantôme de ses « gynoïdes », ni clones ni sœurs. Elle va faire la rencontre de Tamara Koleosho, jeune femme d’origine yoruba qui partage la même spécificité : « Je suis comme vous. Quand je saigne, il y a des doubles qui poussent.  » À ceci près qu’elle vit en parfaite harmonie avec ses doubles. Tamara lui permettra de croiser Vitali Ignatiy Nikitovich et d’en apprendre davantage sur sa mère, et partant sur elle-même. Molly va alors devoir redistribuer les rares cartes dont elle dispose, et penser autrement ses alliances…

La Survie de Molly Southbourne a d’entrée l’intelligence de ne pas chercher à reproduire l’effet de surprise initial. Tout en conservant son thème, Thade Thompson en propose une variation, comme on le dirait en musique, qui non seulement ne déçoit pas le lecteur averti, mais conserve et amplifie son intérêt. Tamara apparaît ainsi comme le contrepoint de Molly, davantage préparée à sa condition par son origine yoruba. Rappelons qu’elle est également celle de l’auteur, et que ses particularités ethniques et culturelles la prédisposent à la question du double (cf. notre précédente critique). S’y ajoute une dimension psychiatrique qui enrichit l’ensemble. Sans compter les moments d’actions pures, tels l’exfiltration de Molly par les « tamara  » sous un déluge de balles, ou la transformation de James Down. N’en disons pas plus, sinon que Tade Thompson réussit une nouvelle fois à associer efficacité et réflexion.

D’un récit à l’autre, l’auteur déploie avec cohérence sa narration. En ce sens, on peut tenir le présent texte comme le segment central d’une intrigue en trois parties, qui appelle une résolution. Le moment venu, une reprise en un volume serait d’ailleurs appréciée.

Au terme des précédentes aventures de Molly, on devait admettre qu’il y avait dans l’Imaginaire un avant et un après Tade Thompson. La Survie de Molly Southbourne permet d’affiner : après Tade Thompson, il n’y a que Tade Thompson.

Images de la fin du monde

Poète et écrivain, Christophe Siébert a débuté en 2007 avec son roman J’ai peur (La Musardine). Il est aussi performeur, et lit ses textes accompagné de musiciens ou de vidéo. Et parlons-en, de ses textes : dans le registre noir et horrifique, ils font volontiers la part belle à la pornographie, l’auteur ayant régulièrement été publié chez La Musardine avant d’y diriger une collection ; globalement, on lui retrouve souvent accolé le qualificatif d’underground. Depuis 2019, il est publié au Diable Vauvert, son roman Métaphysique de la viande ayant obtenu le prix Sade.

Comme le dit son auteur, Images de la fin du monde est « une saga post-apocalyptique d’horreur sociale » destinée à s’étendre sur plusieurs tomes (en gros). L’intrigue se passe dans un futur proche — jusqu’en 2025 (hormis quelques flashbacks retraçant le vécu de certains des protagonistes), dans la ville de Mertvecgorod. Cette cité imaginaire est la capitale de la RIM (République Indépendante de Mertvecgorod, qui bénéficie en fin d’ouvrage de sa propre page Wikipédia), un endroit crasseux au possible qui s’étend autour d’une gigantesque décharge à ciel ouvert, la Zona, longue de plus de trente kilomètres, pareille à une énorme boursouflure malsaine symbolisant la décrépitude locale. On y croise de fait nombre de malfrats, de la petite frappe jusqu’au caïd de la pègre locale, des déshérités qui tentent de survivre, des activistes terroristes qui rêvent de renverser la société menée par des politiciens véreux… Les drones – nombreux – survolent et surveillent tout ce beau monde, tentant d’éviter que la cocotte n’explose. Jusqu’à ce que Nikolaï le Svatoj, sorte de gourou gay à la tête d’une milice néonazie qu’il a lui-même mise en place, réussisse à semer le chaos (encore plus), détruisant un échangeur autoroutier et mettant à jour un abîme d’horreur insondable…

Au regard du sous-titre de l’ouvrage, «  Chroniques de Mertvecgorod », nul ne sera surpris d’apprendre qu’il s’agit ici d’un kaléidoscope d’histoires personnelles (nouvelles déjà publiées sur divers supports, mais aussi inédites) qui, réunies, brossent le portrait d’un monde en décomposition. Volontiers trash, Siébert ne recule devant rien, allant jusqu’à proposer une violence assez gratuite pour mieux questionner son lecteur, comme dans « Viande humaine » ou la fin de la première partie de « La Danse de mort ». Mais ce qui peut passer pour de la gratuité aux yeux du lecteur n’est en fait qu’honnêteté de la part de l’auteur : la nature humaine est en effet le matériau premier de son travail, et il le manipule avec une évidente fascination pour ce qu’elle a de plus noir et de plus dérangeant, d’autant plus que son style direct, percutant et éminemment graphique, démultiplie la violence. Siébert souhaite provoquer des réactions chez son lecteur, et le bougre y parvient  : on ne sort pas indemne de cette lente descente, bien souvent en apnée nécessaire, dans les avanies de l’âme humaine ; gageons même qu’une partie du lectorat renoncera à finir l’ouvrage, tant celui-ci ne fait aucune concession. C’est pourtant là toute la force de ce volume, dans ce jusqu’au-boutisme inébranlable qui culmine dans une liste interminable de femmes victimes de violences et battues jusqu’à la mort – 16 pages d’une litanie d’initiales et de dates de naissance et de décès.

Ce roman a beau se dérouler sur les ruines fumantes de l’ex-URSS, la critique sociale concerne bien le monde global dans lequel nous vivons. Choisir un tel cadre permet à Siébert d’exacerber l’aspect satirique et le cynisme ambiant, mais la violence permanente, les états policiers, la mainmise des groupes financiers sur la politique, tout cela tend à devenir universel et ne saurait être réduit à une quelconque zone du planisphère, fut-elle imaginaire. Au passage, on signalera d’ailleurs une certaine parenté entre cette Mertvecgorod et la Yirminadigrad de Léo Henry et Jacques Mucchielli, autre cité fantasmée plein Est ; si le propos et les moyens mis en œuvre diffèrent dans les grandes largeurs, on y trouvera ici quelques réminiscences, notamment dans sa description de la misère sociale.

Fix-up coup de poing, Images de la fin du monde est donc la première des « Chroniques de Mertvecgorod », ville-dépotoir, creuset d’infamie dont les germes envahissent, insidieusement ou ouvertement, notre société moderne, avec Christophe Siébert en guise de guide trash. D’autres suivront, et si le voyage se révèle éprouvant, la force du propos fait qu’on y retournera sans hésiter. D’ici là, on ne manquera pas de consulter le blog de Mertvecgorod, qui propose de quoi prolonger cette exploration des bas-fonds de l’âme humaine

Kra

Dans un futur plus ou moins proche, cataclysmique, un homme veuf recueille dans son jardin une corneille à la joue blanche. Mais c’est tout autant elle qui l’a choisi, afin qu’il devienne le narrateur de ses propres récits. L’oiseau se nomme Dar Duchesnes, «  Du Chêne près de l’herbe », et est immortel. Elle est cette très vieille corneille qu’évoquent dans leurs mythes les Amérindiens, «  Corneille à l’origine des corneilles ». Dar Duchesnes accumule les morts qui sont oubliées au fur et à mesure, mais à chaque résurrection «  il retrouve un peu plus de lui-même que la fois précédente ». L’oiseau est le témoin des différents âges de l’humanité. Les débuts des deux-pattes qui progressivement évoluent en se dotant de compagnons, chiens et chevaux, mais aussi de constructions et de rituels. Le Moyen Âge dont les prêtres tiennent la corneille pour un oiseau noir de mauvaise augure, ce qui n’empêche pas Dar Duchesnes d’apprendre le sens de paroles nouvelles, « Foi. Prière. Saint. Paradis. Enfer » auprès d’un Frère dont il partage l’exil. La corneille ira avec les Saints par-delà l’océan, vers le grand pays qui se situe « côté bec ». Elle vivra avec les Amérindiens et sera proche d’Une-Oreille, solitaire recueilli comme lui. Puis arrivent les Blancs et s’ensuit la guerre et sa mécanisation, aussi bien des comportements que des engins de destruction. Mais au travers des époques se maintient une constante, la corneille est le passeur entre Kra royaume de son espèce, et Ymr royaume des humains. Moins des endroits qu’une double condition, « Ce pays-là, c’est lui qui vient à soi. On y va en restant où on est  », ils permettent le voyage dans le temps et l’espace, d’une partie d’un monde à l’autre, d’un monde à d’autres…

Ainsi que l’évoque Patrick Gyger dans sa belle préface, John Crowley a pâti chez nous d’une infortune littéraire, depuis l’édition inachevée d’Ægypt en 1996, et dix ans après avec la tentative de relance non concluante, la même année chez deux éditeurs, de L’Été Machine et Le Parlement des fées. Avec la publication de Kra, L’Atalante propose moins un retour qu’un rappel : John Crowley est l’un des plus ambitieux auteurs vivants de l’Imaginaire. Dans sa démarche et son exigence, le romancier est d’ailleurs comparable avec un autre grand oublié, John Gardner, dont Le Songe d’Agathon et Grendel entretiennent des affinités thématiques et formelles avec Ægypt et Kra.

Crowley dévide en un style envoûtant une réflexion sur la mort, avant tout celle des êtres aimés et la difficulté à leur survivre lorsqu’ils sont «  morts, archi-morts », formule qui revient régulièrement comme un claquement de bec. La mort qui est habituellement donnée comme horizon assuré, et que pourtant corneille et narrateur peinent à atteindre. Dans un entrelacs d’existence, Dar Duchesnes offre les cadavres des humains à son espèce afin qu’elle s’en nourrisse, lui assurant la vie, et ouvre aux humains le royaume des morts. Ce maillage de vies est aussi celui des deux narrateurs, humain racontant le parcours d’une corneille qui évoque le cheminement humain.

L’addition de narrateurs, et d’un lecteur supposé qui apparaît tardivement dans le récit, est également pour Crowley l’occasion d’interroger le pouvoir de dire, puisque « les mots sont plus grands que leurs sens et capables de vivre sans eux  ». La maîtrise des mots fait la conscience et renvoie au récit de la Genèse qui voit Adam devenir pleinement humain en nommant les êtres et les choses. Crowley revisite ce récit fondateur via un mythe amérindien. De même fait-il référence à l’Épopée de Gilgamesh et la perte de l’immortalité, le mythe d’Orphée lorsque Dar Duchesnes tente de ramener son aimée des Enfers, Esope et son bestiaire fabuleux, le Voyage du saint abbé Brendan qui emmène ici un jeune cuisinier de bord jusqu’en Amérique, ou encore la figure de Tirésias avec Toque de Renard, shaman ni homme ni femme.

Au livre II des Essais, Montaigne disait la difficulté à poser la question « Qu’est-ce que l’homme ? » puisqu’elle désigne aussi bien l’individu que l’espèce. De même est-il malaisé pour l’être humain d’être à la fois le sujet interrogeant et l’objet interrogé. Cette préoccupation profondément humaniste, John Crowley la fait sienne en permettant d’y répondre par notre alter-ego corneille.

À n’en pas douter, Kra s’impose déjà en classique.

Le Magicien quantique

Nous voici face à un beau gros (pas trop) Nouveau Space Opera. Premier roman du canadien de langue anglaise Derek Künsken à être traduit dans notre belle langue de Molière. Avant ça, on avait pu découvrir un échantillon de sa prose dans le numéro 207 (été 2018) de la revue canadienne Solaris : « Couleurs fantômes », sans grand intérêt mais maîtrisé.

Le personnage principal, Belisarius Arjona, est un homo quantus en rupture de ban se livrant à la lucrative activité d’escroc. Les homo quantus sont des HGM, des humains génétiquement modifiés, qui, lorsqu’ils sont en fugue – une sorte de transe – peuvent voir les divers états d’une fonction d’onde quantique sans en provoquer l’effondrement. Dans l’expérience dite « du Chat de Schrödinger », il peuvent ouvrir la boîte et voire à la fois le chat mort et le chat vivant.

Au premier chapitre, on découvre Belissarius dans ses œuvres, lors d’une opération mineure, histoire de nous montrer ce dont il est capable. Puis suit la première partie où il est contacté par Iékanjika, envoyée de l’Union subsaharienne, qui lui demande de faire passer leur flotte de guerre à travers un trou de ver contrôlé par une puissance ennemie…

Belisarius se doit de recruter une équipe pour mener cette mission à bien. Cassandra, une autre homo quantus, aura pour tâche d’abouter les trous de ver. William Gander, ex-mentor de Belisarius, malade en phase terminale, génétiquement déifié, devra introduire les virus conçus par Saint Matthieu dans les défenses informatiques des Fantoches. Les Fantoches, des HGM fabriqués pour en adorer d’autres, les Numen, dont ils étaient esclaves avant que la situation ne s’inverse, détiennent le trou de ver que veut forcer la flotte de l’Union. Gates-15 est un agent double fantoche charger de faire entrer Gander, transformé en Numen par le généticien Antonio Del Casal, au cœur des fortifications fantoches. Saint Matthieu est une intelligence artificielle haut de gammes qui élabore les virus et neutralise de l’électronique au besoin. Vincent Stills et Marie sont des soldats. Lui est un HGM conçu pour vivre au fond des océans à des pressions de 500 à 1000 atmosphères, elle une chimiste experte en explosifs. Ils sont chargés de la diversion et d’exfiltrer le paiement de l’Union.

La troisième partie présente les préparatifs du coup et la quatrième, son exécution.

Imaginez qu’en 1941, la Kriegsmarine ait voulu faire franchir le canal de Suez au Tirpitz, Bismarck, Graf von Spee et autres tas de ferraille de la même eau au nez et à la barbe des Anglais qui tenait alors l’Egypte. Ça tient de la gageure majeure. Mais on l’a dit : Belissarius est un escroc…

En début de lecture, on imaginerait bien une double opération, manquée et réussie, Belissarius finissant, ou pas, d’ailleurs, par effondrer la fonction d’onde à son intérêt. Voire, laissant les fantoches avec une flotte qui ne passe pas et l’Union avec une flotte qui est passée ; une fonction d’onde non effondrée où le chat est toujours à la fois mort et vivant. Derek Künsken déçoit quelque peu en n’ayant pas joué quelque chose d’aussi sophistiqué. Il n’est pas nécessaire de maîtriser les diverses théories scientifiques invoquées par l’auteur pour apprécier le roman. La vieille SF, celle des années 30, n’est de nos jours plus crédible parce que la culture générale de la plupart des gens a intégré assez de science pour que le lecteur ne soit plus à même de suspendre son incrédulité. Un lecteur qui ignorerait tout de Mars aujourd’hui ne serait pas un lecteur de SF ; il n’est plus « croyable » que les autres planètes du système solaire soient habitées. Les Mars d’Edgar Rice Burroughs, Leigh Brackett ou Ray Bradbury ne sont plus crédibles ; il faut au moins la «  Trilogie Martienne » de Kim Stanley Robinson pour que ça marche encore. Pour un physicien quantique, ce que dit ici Künsken de la théorie des quanta n’est peut-être que pur charabia pseudo-scientifique ridicule, mais cela marche fort bien au regard d’un lecteur armé d’une vague connaissance de la théorie. Le gap entre lecteur et auteur ne doit pas être très important. Künsken n’a pas écrit pour un docteur en physique quantique ni pour le dernier des béotiens, mais pour des lecteurs ayant un minimum de culture scientifique. Il demande à être lu comme A. E. van Vogt dont il a repris le principe d’écriture et a modernisé le champ scientifique d’où il extrait son « charabia » de manière à être en phase avec l’époque actuelle.

Le Magicien Quantique a été rédigé selon la pratique de rallonge consistant à suivre chacun des divers protagonistes de chapitre en chapitre. Sans être ennuyeux, le roman manque toutefois de nerf, mais on a là un NSO en rien désagréable qui ravira les aficionados du genre ; les autres peuvent, mais nullement ne doivent, faire l’impasse.

La fin des étiages

Malgré la prolifération du genre sur les écrans (ciné, séries, jeux vidéos) et sous toutes ses formes, malgré l’impératif culturel imposant à ses déclinaisons littéraires de s’hybrider pour exister (1), Gauthier Guillemin faisait la démonstration dans son premier roman, publié à l’automne dernier, qu’une forme plus classique de fantasy avait encore des choses à raconter. Rivages dessinait ainsi les contours d’un monde sylvestre qui s’exprimait autant par ses paysages concrets que par sa dimension onirique, où le voyage du héros tenait à la fois de la fuite, du survival et de l’aventure intérieure. Volontairement exilé dans la forêt du Dômaine, le Voyageur était recueilli par le peuple Ondin, d’origine fabuleuse, partageant un temps ses vicissitudes avant de s’évanouir dans son désir de mouvements et d’espaces. Cette soif de découverte, sinon d’absolu, cette volonté constante d’aller voir ailleurs, facilitée par un étrange pouvoir de téléportation, incitaient du même coup les Ondins à sortir de leur attentisme impuissant pour enfin aller à la rencontre de leurs mythes, et non plus simplement les rêver.

Rivages était l’histoire d’un itinéraire sur une carte, celui du Voyageur, et celle d’un territoire autrement plus vaste que la carte, inexploré. Le trajet du héros se suffisait à lui-même et n’appelait pas vraiment de suite. Mais le territoire bruissait de récits demandant à naître… C’est ainsi qu’a pris forme La Fin des étiages. Le Voyageur en est (quasiment) absent, et les autres têtes d’affiche de Rivages (telle Sylve, la compagne délaissée d’icelui) sont passées au second plan. Le casting est dominé par Quentil, ancien second couteau, à qui échoie le rôle de passeur entre les communautés et les cultures, sujet récurrent chez l’auteur. Les Ondins ne sont pas les seuls habitants de la forêt luxuriante. D’autres peuples, rivaux, alliés, oubliés, entrent en scène. Par la relation de leur découverte et apprivoisement réciproques, mais aussi en mettant en scène tout une gamme de clivages, le roman joue une partition politique plus convaincante, parce que plus complexe et plus crédible, que dans le précédent opus. Les lecteurs de Rivages y retrouveront en outre des questionnements identiques sur les rapports sociaux et sur la place de l’homme dans la nature.

Car tous les peuples du Dômaine n’ont pas développé cette forme de métacommunion avec la forêt prodigieuse. Plutôt qu’une irénique harmonie naturelle, les Nardellynais ont emprunté, à l’image des humains de la cité sans nom fuie par le Voyageur dans Rivages, le chemin du développement industriel et technologique, exploitant sans vergogne ses abondantes et précieuses ressources de bois, de métaux… voire de magie, en dépit du caractère sacré, et même divin, des créatures indigènes d’où cette magie émane.

La cohabitation, dans un cadre non médiéval, d’armes à feu, d’artefacts cyclopéens, d’une technologie à vapeur et d’une sorte de magie élémentaire (sous la forme de machines qui ne sont pas sans évoquer les fameux « djaggernauts » de Magic : the Gathering) n’est pas la moindre astuce d’un récit hybride qui se veut à la fois hommage aux pères fondateurs de la fantasy et relecture moderne. L’imagerie flintlock, proche de ce que l’on peut voir dans certaines œuvres de Miyazaki, est peut-être toutefois la seule convention vraiment novatrice que le livre nous demande d’avaler, tout le reste de l’épopée relevant d’une histoire que nous connaissons déjà fort bien et dont Guillemin ne cache pas l’éternité.

On pourrait en effet facilement résumer l’intrigue à deux formules archiclassiques, et même antiques : entre opéra et tragédie, La Fin des étiages remonte le fleuve des origines, celles de ses personnages et les siennes propres, de même qu’il se fait le théâtre d’un affrontement immémorial entre des peuples qui ignorent à quel point ils sont frères, et où tout converge vers un grand champ de bataille final, orgasme guerrier et cathartique dont l’efficacité narrative a été prouvée depuis au moins l’Iliade et la guerre de Troie.

La Fin des étiages pourrait décevoir ceux qui ont apprécié Rivages pour ses aspects contemplatifs et introspectifs. Si, en revanche, on essaie de prendre la mesure de cette fausse suite par rapport à ce qu’elle fait mieux, en commençant par le dynamisme général, les enjeux narratifs plus clairement définis (malgré une mise en place un peu longue), les dialogues plus assurés, alors il y a de bonnes chances pour que les espoirs déçus deviennent des plaisirs immédiats et garantis. Il suffit de se laisser porter.

(1). On renverra les lecteurs les plus curieux vers le travail de notre confrère Apophis, qui a établi une taxinomie des multiples sous-catégories du genre. [NdA]

Tamanoir

« Le Tamanoir est un personnage libre, curieux, contemporain. C’est quelqu’un qui va fouiller, à son compte, dans les désordres et les failles apparents du quotidien. Ce n’est ni un vengeur, ni le représentant d’une loi ou d’une morale, c’est un enquêteur un peu plus libertaire que d’habitude…  » Les lecteurs attentifs auront sans doute reconnu dans cette accroche l’argument de départ de la série « Le Poulpe » initiée par Jean-Bernard Pouy avec La Petite écuyère a cafté, puis déclinée au fil de 290 aventures aux titres aussi calembouresques qu’inventifs. Le choix de cette accroche n’a rien de fortuit, Jean-Luc A. d’Asciano confessant lui-même en postface regretter que le héros parisien n’ait pas étendu ses tentacules jusqu’aux territoires inquiétants du fantastique. Du surnaturel, Tamanoir n’en manque pas puisqu’on y croise des entités immortelles, des démons, une ribambelle de chats et de la magie noire en pagaille. Chemin faisant, on se frotte aussi à la crapulerie humaine, même si ici l’enquête sert davantage de prétexte à Nathaniel, dit le Tamanoir, pour semer la zizanie dans les plans occultes fourbis par des criminels bien peu adroits. Bref, le Tamanoir n’usurpe pas son surnom lorsqu’il s’agit d’aller fourrer son appendice (pas celui auquel vous pensez) dans des endroits peu recommandables, histoire d’asséner un coup de pied dans la fourmilière. En émule du facétieux dieu de la mythologie amérindienne, vague cousin du Jaguar, il est surtout un esprit malin, un arnaqueur doué extorquant l’information auprès des malfaisants pour mieux réparer un tort, même s’il reste conscient que cela ne changera pas grand chose au monde tel qu’il va mal. Et, si son enquête fait la lumière sur une association de malfaiteurs à la charité très sélective, elle s’ingénie surtout à dépeindre un microcosme populaire et des routines très semblables au personnage inventé par Pouy. Une petite amie libre et indépendante, un quartier général situé dans un troquet où cuisine un homonyme du « Pied de Porc à la Sainte-Scolasse », un ami anarchiste italien qui cache un arsenal chez lui, et tout un tas de freaks et punks à chiens rencontrés pendant ses vaticinations, il ne manque plus au Tamanoir qu’une passion secrète pour compléter le mimétisme. À défaut d’un zinc à se mettre sous la dent, du genre Policarpov I-16, on se contentera de la patine des zincs où il écluse quelques bières, histoire de conjurer les sortilèges médisants. Entre les allées du Père Lachaise et une Antre du Mal conçue comme un jeu de plateforme, en passant par un pavillon de banlieue ressemblant à une pièce montée monstrueuse, le bougre ne ménage pas sa peine, traînant sa gouaille contagieuse, ses calembours malicieux et ses affinités allitératives avec une générosité communicative.

Avec Tamanoir, Jean-Luc A. d’Asciano s’octroie ainsi une parenthèse amusante, plus légère et enlevée que Souviens-toi des monstres, mais pas moins ancrée dans les problématiques contemporaines. Sur les traces du « Poulpe », il acquitte honorablement son tribut aux littératures populaires, avec le souhait d’inspirer ainsi d’autres aventures. L’avenir nous dira.

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