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Opération Une Heure-Lumière 2023

L'opération Une Heure-Lumière 2023 avec son hors-série commence maintenant !
Ce hors-série 2023 vous est offert pour l'achat de deux titres ou plus de la collection. Cette opération a cours dans les librairies participantes (en papier comme en numérique) et sur belial.fr (en papier uniquement), dans la limite des stocks disponibles.

“Rossignol” : l'avis d'Apophis

« Le constat est limpide : non seulement Rossignol est le chef-d’œuvre d’Audrey Pleynet, non seulement c’est un court roman éblouissant de subtilité, d’intelligence, d’humanisme et d’émotion, mais qui plus est, chassant Ken Liu d’un trône qu’il occupait depuis les origines de la collection Une heure-lumière, il s’impose désormais tout simplement comme le meilleur livre parmi les 45 UHL publiés à ce jour. » Le Culte d'Apophis

Le Jardin quantique

Derek Künsken, dans cette suite directe du Magicien quantique (cf. notre 99e livraison), poursuit les aventures de Belisarius Arjona. Après un casse du siècle dont la construction ne manquait pas d’évoquer le Ocean’s Eleven de Steven Soder­bergh, l’auteur s’intéresse désormais aux retombées de cette arnaque à grande échelle pour les différents partis concernés. Le lecteur aura plaisir à retrouver ici les personnages marquants du précédent volume. Ainsi Cassandra, Saint Matthieu et Stills sont de nouveau de la partie, de même que des figu­res importantes de l’Union subsaharienne et de la Con­grégation.

Si l’auteur s’efforce de restituer l’essentiel du premier roman dès le départ afin de remettre rapidement ses lecteurs à la page, il est malgré tout préférable de commencer par le premier tome pour saisir correctement les tenants et aboutissants, ainsi que l’évolution de dynamiques importantes installées en amont.

Le récit débute quelques semaines après le vol du portail temporel par Belisarius et Cassandra, les premiers à mesurer les con­séquences de leur participation à la rébellion de l’Union : la Mansarde, unique foyer des homo quantus, est détruite par la Congré­gation qui voit en eux une menace. Le portail, qu’ils sont les seuls à savoir utiliser, apparait alors vite comme l’unique solution pour éviter le drame et dénicher un nouveau lieu de vie pour leurs pairs inconnus du reste de la civilisation. Un plan qui tient la route, à ceci près qu’il né­cessite la coopération de ceux à qui ils viennent de dérober ledit portail…

Là où l’on aurait pu craindre un imbroglio fastidieux – les voyages temporels comportent un risque structurel dans lequel beaucoup se sont pris les pieds –, Derek Künsken parvient à conduire son lecteur au travers de notions relativement complexes sans le perdre en route, ce qui n’était pas une mince affaire. Le plus bel apport de ce nouveau roman est sans aucun doute le développement de protagonistes largement sous-exploités dans le précédent : d’une part et avant tout celui d’Ayen Iekanjika, par le truchement de laquelle l’auteur en dit davantage sur le passé de l’Union subsaharienne ; mais aussi celui de l’Épouvantail. Il s’agit donc plus d’approfondissement que de réelle nouveauté, ce qui donne un relief des plus satisfaisants à cet univers, révélant au lecteur la nature d’éléments déjà mentionnés mais dont on ne lui avait encore rien dit. Du reste, on sent Derek Künsken plus l’aise dans la description des concepts de mécanique quantique que dans celle des émotions partagées par ses personnages, écueil qui ne saurait altérer le plaisir de lecture qu’il nous offre par ailleurs. L’aventure est à poursuivre, donc — ou à commencer si vous ne l’avez pas encore découverte.

After Yang et autres histoires

After Yang est un recueil de treize nouvelles inscrit dans la liste des cent meilleurs livres de l’année 2016 du New York Times, et dont l’intérêt pour sa traduction française est certainement dû à l’adaptation d’une des nouvelles, « Nos adieux à Yang », par Kogo­nada, avec en tête d’affiche Colin Farrell.

Dans son recueil, Alexander Weinstein car­tographie un futur proche mettant en scène notre rapport aux technologies et son incidence sur le quotidien. Sans surprise, l’humain y délaisse sa vie réelle au profit d’une expérience et d’une existence sans limite dans le virtuel, comme dans « Les Enfants du nouveau monde », où un couple devient parents d’enfants qu’il ne peut avoir dans la vraie vie. L’incapacité du héros de « Ouver­ture » à recourir à la parole avec sa petite amie l’amène à rompre, une vie sans réseau étant pour lui impossible. Or, la technologie a ses limites et n’est pas dénuée de noirceur. Un androïde n’est pas éternel, il peut tomber en panne – non, mourir – car dans « Nos adieux à Yang », ledit Yang est un frère avec lequel on joue, un fils qui aide à entretenir le jardin, une nounou, aussi, pendant que les parents travaillent, mais un membre à part entière de la famille, un pres­que humain qui, un jour, décède, et dont on entretient le souvenir. « Les Cartographes » questionne : comment ne pas devenir fou quand on vit dans les souvenirs des autres, souvenirs dont on devient dépendant ? Dans « Mi­gration », Max fuit la vie virtuelle de ses parents qui y travaillent et entretiennent même des rela­tions sexuelles extraconjugales tout en étant côte à côte dans le même lit dans la vie réelle. Max, lui, ne rêve que d’une seule cho­se, faire du vélo, du vrai. L’en­vie de vivre autrement résonne dans certains textes, des résurgences vite étouffées par l’infinie possibilité de la virtualité. Le recueil se conclut par une nouvelle postapocalyptique, « Âge de glace », où quelques survivants vivent dans des igloos, en harmonie semble-t-il, jusqu’à ce que l’un d’eux creuse la glace et… paf ! tout recommence.

Si on devait faire passer un électroencéphalogramme à ce recueil, nul doute que le résultat serait une belle ligne droite. Quel­ques pics d’intérêt pour « Nos adieux à Yang »,« Les Enfants du nouveau monde » et « Ou­verture », mais dont les chutes retombent comme des soufflés. L’auteur alerte sur des sujets qui concernent notre génération ultra-connectée, mais dont les effets ne nous sont pas inconnus et ne surprennent guère : l’extrémité du monde dépeint par Alexander Weinstein est déjà là. Quant au lecteur de SF qui expérimente ce futur depuis bien trop longtemps, il y a peu de chance qu’il se sente bouleversé par cette lecture, ingurgitant passivement ce « nouveau monde » sans savoir pourquoi ni comment le changer.

La Trilogie du losange

Françoise d’Eaubonne (1920-2005) fut une emmerdeuse multicarte. Militante politique (communiste ? anarchiste ? féministe ? écologiste ? féministo-écolo-anarcho-communiste ?), co-fondatrice du MLF et du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolution­naire), éco-terroriste occasionnelle, amie de Beauvoir et de Foucault, elle n’adopte leurs concepts que pour mieux les détourner et forger elle-même, par exemple, ceux de phallocrate et d’écoféminisme, ou encore de non-pouvoir. Essayiste, romancière, biographe et poète, sa production littéraire va de la littérature jeunesse à l’érotisme, en passant par quelques romans de science-fiction.

Les éditions des femmes/Antoi­nette Fouque ont eu la bonne idée de publier sa « Trilogie du losange », dont les deux premiers tomes, Le Satellite de l’amande (1975) et Les Bergères de l’apo­calypse (1978) étaient depuis longtemps indisponibles, et le dernier, Un bonheur viril, tout simplement inédit.

À première vue, le premier tome pourrait être un planet opera d’exploration assez classique, avec les connotations sexuelles obligées de la SF post-1968. Il pourrait aussi s’agir d’une utopie féministe et post-capitaliste – le capitalisme étant le « stade ultime du patriarcat », expliquera d’Eaubonne dans l’essai Le Féminisme ou la mort (1974). Ici, les hommes ont disparu, après une guerre des sexes dont on sait peu de choses, sinon qu’elle fut violente. Les femmes se reproduisent par ectogénèse, et les dialogues dégoulinent de bienveillance et de conscience sociale. Maladresse d’un auteur par trop idéologique, qui en fait des tonnes sur les vertus de son modèle ? Ou tout cela pourrait-il n’être qu’un vaste pastiche tous azimuts – de la SF politique post-soixante-huitarde, des planet ops à l’ancienne, des tics du discours communiste de l’époque, des naïvetés des copines féministes, peut-être même un pastiche du propre écoféminisme de d’Eaubonne ?

Les Bergères de l’apocalypse apporte au moins un élément de réponse : pas ques­tion de prendre Le Satellite… au premier degré ! Bien plus imposant, ce roman affiche un style plus riche et soutenu. La protagoniste et commandante de l’expédition du Satellite de l’amande, Ariane, a désormais des doutes sur l’utopie concrète qu’elle habite, et mène l’enquête. Où est le vrai pouvoir ? Pour­quoi et comment les hommes ont-ils disparu ? Et d’ailleurs, que fait-on des enfants mâles ? La réflexion politique sous-jacente se fait plus riche et plus subtile, et plus profonde l’autocritique de l’essayiste.

Françoise d’Eaubonne étant Françoise d’Eaubonne, on ne doute guère qu’Un bonheur viril viendra à son tour renverser ce renversement, et proposer un troisième éclairage radi­calement différent sur un univers plus complexe que prévu. Ce troisième tome n’étant toutefois pas encore disponible au moment du bouclage, on laissera prudemment le lecteur curieux en juger par lui-même…

Au total, l’un des projets les plus ambitieux de la SF française des années 1970, à redécouvrir, et l’une des sources majeures de la SF écoféministe qui semble en passe de de­venir un axe important de la SF mondiale : un must pour les érudits.

Comment écrire de la fiction ? - Devenir artisan de ses histoires

Fondateur de la Science Fiction Writers of America, mais aussi co-créateur des premiers ateliers d’écriture professionnels, no­tamment les très courus workshops Clarion, Damon Knight a consacré une part significative de son existence à aider les jeunes auteurs à franchir le cap du professionnalisme.

Ce sont, pour l’essentiel, les conseils rodés à Clarion sur l’écriture de fictions courtes qu’il nous livre ici. Qu’on se rassure : Knight est un pragmatique, non un théoricien de la littérature. Écrivain chevronné, il s’adresse avec bienveillance à des collè­gues moins expérimentés, mais pas exactement débutants : plutôt de jeunes auteurs ayant déjà vendu quelques nouvelles, et con­scients aussi bien de leur capacité à réussir un tel exercice que de sa difficulté. Le ton est léger et les conseils souvent inattendus, comme lorsque Knight décrypte pour nous l’art de la négociation avec « Fred » – l’inconscient de l’auteur, collaborateur indispensable mais capricieux de son moi conscient rationnel et méthodique. S’y ajoutent quelques rappels de bon sens et des exercices d’échauffement potentiellement utiles ainsi que, en appendice, cinq «  règles de Knight pour duper la lectrice ».

Bref : un opuscule utile, quoique ciblant un public assez spécifique. L’éditeur français ne semble toutefois pas avoir fait beaucoup d’efforts pour la mise en page, assez terne en dépit de quelques schémas ; sommaire minimaliste, index absent, et les exercices se retrouvent un peu noyés dans le reste du texte.

La traduction s’avère également discutable, au point d’éjecter parfois certains lecteurs (les plus ringards certainement, comme votre serviteur). Glissons sur le style, moins enlevé que l’original : l’exercice est difficile, même si des con­seils d’écriture passent sans doute mieux lorsque l’on peut effectivement se laisser prendre à la plume de leur auteur. Mais la tra­ductrice fait aussi le choix, bizarre ou militant, mais jamais expliqué ni justifié, de féminiser la destinatrice du discours de Knight : les writer ou author deviennent une écri­vaine ou une autrice, qui devra bien sûr interagir avec des lectrices et des éditrices, voire se faire prestidigitatrice, etc. (le poseur de bombe ou le simple agent de sécurité restant, eux, au masculin). Le procédé n’est en outre pas tenu de façon systématique, ce qui provoque, paradoxalement, après que l’on a fait l’effort de s’y plier, quel­ques sursauts supplémentaires.

Après le chapitre 1 assez réussi de cette collection — Comment écrire de la fiction ? Rêver, construire, terminer ses histoires, par Lionel Davoust (cf. Bifrost n° 103) –, peut-être préférera-t-on plutôt attendre qu’Argyll nous en propose un troisième, de facture plus traditionnelle ? Aux aspirants-auteurs vraiment débutants, on re­commandera Comment écrire des histoires – Guide de l’explorateur d’Élisabeth Vonarburg (Alire, 2013), ou encore Écriture, de Stephen King (Livre de Poche, 2015).

La Maison aux mille étages

Publiant tous azimuts, la collection du Rayon Imaginaire d’Hachette a réédité cet été une curiosité quasiment centenaire : La Maison aux mille étages de l’écrivain tchèque Jan Weiss (1892-1972), dans une nouvelle traduction. Si la Tchéquie n’est pas le pays que l’on associe le plus facilement à l’imaginaire, notons toutefois que Prague est le berceau de Frank Kafka et que le terme « robot » a été forgé par les frères Josef et Karel Capek. Moins connu que ses illustres prédécesseurs, Jan Weiss tient sa renommée à cette Maison aux mille étages, roman paru originellement en 1929 et qui semble le seul de son auteur à avoir bénéficié d’une traduction française.

Un homme reprend conscience sur un escalier. Qui est-il ? Il l’ignore sur le coup, mais découvre assez vite que son nom est Petr Brok, qu’il est détective… et accessoirement invisible. Où est-il ? Dans un immense édifice, de mille étages au minimum, sous la domination du démiurgique Ohisver Muller : le Mullerdôme. Charge à Brok de gravir les étages, de protéger quelque princesse prisonnière de l’édifice, et de défaire le mystérieux maître des lieux.

Curieux roman que celui-ci, qui emprunte davantage au surréalisme qu’à la science-fiction à proprement parler. Pour autant, La Maison… regorge de visions et de trouvailles, à commencer par cet édifice insensé, peuplé par une humanité qui croit accéder aux étoiles via la compagnie Univers, poussée à la surconsommation et, parfois, exterminée sans autre forme de procès dans des chambres à gaz. Par certains aspects, le roman louvoie du côté de Nous autres d’Evgueni Zamiatine, mais garde toute son insaisissable spécificité. Composé de chapitres courts, syncopés, faisant la part belle à des jeux graphiques présentée de manière plus travaillée que dans la première traduction, parue chez Marabout en 1967, La Maison aux mille étages se lit d’une seule traite. Si la SFFF anglo-saxonne est omniprésente, le roman de Jan Weiss vient rappeler que l’Imaginaire, de ce côté-ci de la Manche et de l’Atlantique, peut s’enorgueillir d’étonnantes pépites.

Le Cycle du Midi

L’un des principaux reproches adressés à l’utopie par ses détracteurs est qu’il ne s’y passe rien. Une fin de l’histoire – des histoires – en somme. Qu’à cela ne tienne : à partir du début des années 50, deux écrivains soviétiques de SF, les frères Arcadi et Boris Strougatski, ont entrepris l’élaboration d’un ensemble de récits prenant place dans un avenir utopique, le « Cycle du Midi ». De ce côté-ci du Rideau de fer, la publication dudit cycle s’est faite de manière anarchique, alternant entre des traductions à la fidélité discutable et un manque flagrant d’har­monisation. Il fallait bien un champion pour remettre les choses en l’état. En l’occurrence, deux champions : Viktoriya et Patrice Lajoye, spé­cialistes en science-fiction slave et plus particulièrement russe, auteurs de plusieurs ouvrages ou anthologies sur le thème (on se reportera par exemple à l’es­sai Étoiles rouges - La littérature de SF so­viétique, critiqué dans notre 88e livraison). Cette intégrale s’appuie d’ail­leurs sur le travail des Lajoye au sein de la collection « Lunes d’encre », de Denoël, avec les ré­éditions de Il est difficile d’ê­tre un dieu ou L’Île habitée.

Le « Cycle du Midi » se déroule au XXIIe siècle, soit, selon les Strougatski, le midi de l’humanité, son summum scientifique et so­ciétal. La Terre est en paix, l’abondance est de mise, le travail est aboli, on ne fait plus que des activités en dilettante, et l’humanité a commencé l’exploration de l’espace proche. Cette intégrale s’ouvre par un gros roman/ recueil inédit sous cette forme, Midi XXIIe siècle, sorte de bac à sable narratif, poussif à la lecture mais plein d’idées posant les bases du cycle – personnages, lieux et inventions. Si la Terre est donc devenue une utopie réalisée, les fléaux que sont la guerre et l’exploitation persistent au loin, et plusieurs personnages sont projetés sur des planètes arriérées. Ceux de Tentative de fuite ne sont guère plus que des touristes. Dans Il est difficile d’être un dieu, classique indéboulonnable, Anton, alias Don Roumata, n’est censé qu’être observateur, mais comment rester neutre face à un obscurantisme galopant et opportuniste ? Dans L’Île habitée, Maxim Kammerer ira de faction en faction à travers la planète sur laquelle il s’est écrasé. À l’inverse, dans Un gars de l’enfer, un jeune homme n’ayant connu que la guerre débarque sur Terre… avec quel­ques difficultés d’acclimatation. L’univers du Midi n’est pas avare en nouveaux mondes étranges. Dans Le Petit, il met en scène des explorateurs confrontés à un enfant doté de curieux pouvoirs, vivant en solitaire, ou pres­que, sur une planète tout juste découverte. L’Inquiétude suit en parallèle le quotidien d’une base scientifique surplombant une forêt, aussi dense qu’étrange, et celui des habitants de celle-ci. Quant à la colonie de physiciens de L’Arc-en-ciel lointain, elle cause une catastrophe planétaire… mais dans une ambiance curieu­sement apaisée. Il flotte sur le cycle l’ombre des Pèlerins – ces extraterrestres mystérieux ayant laissé derrière eux des ruines non moins mystérieuses, capables d’intervenir dans le devenir des civilisations, et dont on ne sait rien. Maxim Kamme­rer sera amené à lever un tant soit peu le voile sur eux dans Le Scarabée dans la fourmilière et, surtout, Les Vagues éteignent le vent, deux curieux romans adoptant la forme de rapports. Un ultime roman était prévu, mais le décès d’Arcadi Strougatski en 1991 mettra fin à cet ensemble romanesque.

Parfois aride, convoluté ou détourné, faisant preuve d’un imaginaire à mille verstes de ses homologues anglo-saxons (mais pour autant parent de l’« Ekumen » de Le Guin ou de la « Culture » de Banks), riche de réflexions, le « Cycle du Midi » est l’œuvre majeure des plus grands auteurs de SF russophones de l’ère soviétique. Cette édition complète est donc un indispensable pour tout amateur du genre.

Créateur d'étoiles

Au cours des années 1930, un écrivain an­glais s’inscrivant dans les pas de H.G. Wells a, en l’espace d’une poignée de livres, brossé une histoire du futur à l’ambition aussi étonnante que démesurée. Tous sont épuisés depuis belle lurette, et grâces soient rendues à Léo Dhayer d’avoir retraduit le plus vertigineux d’entre eux, Créateur d’étoiles.

Reprenons. Avec Les Der­niers et les premiers (1930), Olaf Stapledon a raconté l’histoire de l’humanité, ou plutôt des humanités futures, dix-huit au total, sur la bagatelle de deux milliards d’années. Son pendant, Les Derniers hommes à Lon­dres (1932), voit l’un des derniers humains, dont le monde est en proie aux feux délétères d’un soleil vieillissant, investir l’esprit d’un jeune homme du dé­but du XXe siècle, afin de l’étu­dier et de l’influencer. Ces livres ne sont pas des romans au sens strict, dans la mesure où l’on aura du mal à y trouver des personnages… à moins de considérer les races humaines successives comme autant de protagonistes. Mais tout le vertige suscité par Les Derniers et les premiers n’est rien en regard de Créateur d’étoiles (1937).

Un soir, peut-être suite à une dispute avec son épouse, le narrateur s’en va prendre l’air sur une colline. De là, son esprit s’élève vers les cieux ; bien vite, le voilà qui explore l’espace et le temps, rencontre d’autres âmes errantes, s’unit avec elles au sein d’esprits de rang supérieur, assiste à la vie de l’Univers, de ses premiers instants jusqu’à sa lointaine fin.

Plusieurs décennies après sa prime parution, de nombreux aspects de Créateur d’étoiles demeurent frappants. À commencer par la précision de l’au­teur vis-à-vis connaissances de l’époque : dans sa prose volontiers lyrique, Stapledon reste en phase avec les récentes décou­vertes du moment en astronomie, qu’il s’agisse de la pluralité des galaxies comme autant d’univers-îles, la fuite d’icelles et l’expansion de l’Univers. À cela s’ajoute une foi constante en l’es­prit « humain », que cet esprit appartienne à un homo sapiens ou à quelque créature éloignée dans l’espace et le temps, mais douée de sensibilité et de raison. Au fil des pages, l’auteur fait preuve d’une inventivité folle, pour imaginer la vie partout où elle peut apparaître… ou s’éteindre.

Il y a dans Créateur d’étoiles la matière à des dizaines de romans, et cela fait quatre-vingts ans que la SF les déploie. Interviewé sur ses liens avec Arthur C. Clarke dans notre 102e livraison, Stephen Baxter reconnaissait une manière de dynastie science-fictive, initiée par Wells, poursuivie par Stapledon, puis Clarke. La dette de l’auteur du cycle des « Xeelees » envers Stapledon est flagrante dans des romans commeExultant, Temps et Espace. De ce côté-ci de la Manche, on peut inscrire dans cette continuité le récent La Nuit du faune de Romain Lucazeau. Avec cette réédition, hautement recomman­dable pour tous les amateurs de sense of wonder, on ne peut qu’espérer la poursuite de ce déploiement.

La Terre sous l'Angleterre

Joseph O’Neill (1878-1952), inspecteur scolaire puis secrétaire du ministère de l’éducation de l’état libre d’Irlande, a signé cinq romans, dont trois de SF. Il est surtout connu pour La Terre sous l’Angleterre, paru en 1935 outre-Manche, présenté ici dans une traduction légèrement révisée, et accompagnée d’une préface érudite de Guy Costes.

Le narrateur, Antoine, qui vit dans le Cumberland, décide de partir à la recherche de son père, disparu brutalement sans laisser de traces. Il tombe dans une faille qui le propulse dans un monde souterrain, obscur mais éclairé par des lumières magnétiques d’intensité variable. Il doit tout d’abord trouver ses repères dans ce nouveau monde, éviter les créatures dangereuses, puis entreprendre un périlleux périple où les éléments naturels jouent contre lui… Après quelque temps, il va croiser ses premiers hommes… et regretter de l’avoir fait. Car la société qui vit dans cet univers souterrain a tous les traits de la dystopie. En effet, il s’aper­çoit vite que la plupart des habitants, tous silencieux, paraissent éteints, sans volonté propre, et ne font qu’accomplir des tâches répétitives et monotones. Certains ont déve­loppé un pouvoir télépathique leur permettant d’imposer leur volonté à leurs congénères, et n’hésitent pas à y recourir, pas tant à des fins purement personnelles que pour servir la cause – celle de la survie de leur société, qui descend en droite ligne des Romains, dont elle a conservé nombre d’aspects. Pour le bien commun, chacun doit donc jouer son rôle, y compris celui de simple rouage de la machine, sans aucune distraction afin d’améliorer efficacité et rendement, quitte à recourir aux puissances de l’esprit pour contraindre qui a besoin de l’être. Cette société aliénante et inhumaine, on devine aisément qu’elle se veut une critique acerbe de toute forme d’embrigadement qui dés­humanise (rappelons que le livre paraît en 1935, alors que l’Allemagne nage en plein nazisme), aussi l’auteur, au travers des yeux d’Antoine, nous la décrit précisément : après une tentative d’asservissement ratée de notre héros, le Maître du Savoir tente la méthode douce en lui présentant les rouages de la société. Malgré la minutie de la description qui révèle peu à peu une évidente grandeur de la vision d’ensemble (un trait qui n’a pas manqué d’induire en erreur certains criti­ques, qui ont qualifié ce roman de « fasciste »), Antoine, et le lecteur avec lui, ne peut que rejeter cette société prônant l’annihilation de tout ce qui fait la force et les caractéristiques de l’âme humaine.

Classique des terres creuses un brin daté, La Terre sous l’Angleterre se révèle ainsi un roman aussi prenant qu’éminemment poli­tique dans son rejet du totalitarisme.

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