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UHL : les nouveautés de mai

La précommande est maintenant ouverte pour les deux nouveautés Une heure-lumière de mai 2023 : Houston, Houston, me recevez-vous ? de James Tiptree Jr. (trad. Jean-Daniel Brèque) et Rossignol d’Audrey Pleynet. Sortie en librairie et en numérique le 18 mai. Attention, l'opération UHL ne commence que le 18 aussi ! Si vous souhaitez obtenir le hors-série UHL 2023, il vous faudra donc patienter encore un peu…

Lénine a marché sur la Lune

Le cosmisme. Quel est donc ce courant de pensée qui a traversé les siècles et dont on trouve encore des traces très nettes en Russie aujourd’hui ? Qui en est à l’origine ? Quelle idée promeut-il, et quelle vision de l’avenir ? Quel lien entretient-il avec le transhumanisme ? Telles sont les questions auxquelles s’attaque Michel Eltchaninoff dans ce passionnant petit ouvrage facile d’accès, révélant tout un pan de la culture et de l’idéologie russes méconnu de la plupart d’entre nous.

Tout commence avec Nikolaï Fiodorov, bibliothécaire à Moscou au XIXe siècle, homme à la carrière modeste qui n’en échafaude pas moins une idée qui essaimera pendant des années, voire des siècles. Car ses textes ont été lus par des grands noms, comme Dostoïevski ou Tolstoï. Des auteurs célèbres qui, entre autres, semblent avoir ingéré sa pensée et l’avoir en partie utilisée dans certaines de leurs œuvres. Que professe Fiodorov ? Essentiellement deux points : tout d’abord, il faut faire revivre les ancêtres défunts. Pas seulement par la pensée, mais en réalité : faire revenir les morts d’entre les morts. Ensuite, envoyer l’humanité à travers le cosmos (d’où le nom du mouvement) afin de trouver de la place pour les femmes et les hommes trop nombreux pour la Terre, avec tous ces ancêtres revenus à la vie. Deux lignes directrices fortes que l’on retrouvera de régime politique en régime politique. Et même de pays en pays. Car, comme l’indique le sous-titre, en partant du cosmisme, on arrive au transhumanisme, tellement à la mode de nos jours dans certaine partie des États-Unis d’Amérique. Et on découvre que les gourous américains de cette théorie ont sans doute été influencés, à un moment ou à un autre, par les penseurs russes.

Michel Eltchaninoff est philosophe. Et c’est en philosophe qu’il étudie cette doctrine, ses fondements et, surtout, sa diffusion. En s’appuyant précisément sur des textes, que ce soit chez Dostoïevski (dont il est un spécialiste) ou Poutine (car le maitre du Kremlin a cité dans ses discours des phrases tirées d’ouvrages à tonalité cosmiste), il traque les traces de cet idéal fantasmé. Parfois, il le reconnaît lui-même, le lien est ténu, pas évident à discerner, mais son raisonnement est convaincant. Et il est plaisant de suivre son cheminement de pensée aussi bien dans les domaines philosophiques que politiques. Car en URSS – comment l’éviter ? – tout finit par être politique. Et les partisans du cosmisme, malgré des divergences parfois gigantesques avec la ligne du parti, ont pris leur part dans l’expansion bolchevique et la gloire de ce nouveau et immense pays. Notamment à travers la conquête spatiale, puisque divers scientifiques de renom encore étudiés de nos jours, tel Konstantin Tsiolkovski, y ont trouvé leur place.

Lénine a marché sur la Lune offre un panorama clair et construit d’un mouvement scientifique, métaphysique et mystique, dont les racines s’ancrent profondément dans un pays qui a connu des bouleversements cataclysmiques ces dernières décennies. Un mouvement qui a su évoluer pour essaimer jusqu’à nos jours, et se trouver aux premières places tant pour la conquête spatiale que celle de l’immortalité.

L'Équateur d'Einstein

Qu’on l’ait lu ou non, tous les lecteurs de SF connaissent au moins de nom Liu Cixin et sa trilogie du « Problème à trois corps ». Actes Sud, son éditeur français, continue son travail de découverte en publiant l’intégralité de ses nouvelles en deux volumes dont le premier, L’Équateur d’Einstein, vient de paraître sous la direction de Gwennaël Gaffric, traducteur bien connu dans les mondes de l’Imaginaire asiatique. Autant le dire tout de suite, comme toujours dans ce genre d’exercice, on a raclé les fonds de tiroir. Et si certaines nouvelles valent vraiment le détour, d’autres auraient pu rester dans les grottes de l’oubli sans aucune hésitation. Mais pour ceux qui aiment le travail de Liu Cixin, la lecture de cet ouvrage sera l’occasion de découvrir la maturation d’une pensée et l’évolution de sa mise en fiction.

La matière essentielle qui transparaît dans la majorité des textes composant ce recueil, c’est assurément la science. Liu Cixin est un admirateur de ce dont l’humanité est capable. Par l’imagination, par le travail, elle atteint des sommets qui peuvent bouleverser l’existence de toute la planète, en bien comme en mal. Les scientifiques de « Aux confins du microscopique » en sont la preuve, avec leur invention d’une puissante machine qui aura des effets immédiats et catastrophiques sur la planète et ses habitants. Ou celui du « Battement d’ailes d’un papillon », petit texte mettant en scène cette théorie un temps très à la mode : le personnage principal tente de protéger son pays des bombardements ennemis en modifiant les conditions climatiques régnant sur sa ville. En tout cas, la science et son corollaire, la connaissance, sont l’alpha et l’oméga pour lesquels on doit être prêt à donner sa vie : la nouvelle éponyme en donne un exemple inspiré.

Mais Liu Cixin est aussi impressionné par l’espace et sa vastitude, le soleil et sa puissance. Et les dangers qu’ils représentent. Dans plusieurs nouvelles, il met en scène une humanité confrontée à son étoile et à ses sautes d’humeur. Les flashs solaires peuvent avoir des conséquences terribles pour les Terriens. Les solutions imaginées à ce problème sont multiples : dans le « Micro-Âge », ce sont des arches construites pour trouver une autre planète… en vain. Heureusement, un autre tour a été mis en œuvre avec succès. Dans « Terre errante » (déjà publié aux mêmes éditions Actes Sud de façon autonome et étrillé de belle manière dans le Bifrost n° 98), Liu Cixin transforme la Terre elle-même en gigantesque vaisseau lancé hors du Système solaire. Vertigineux, mais raté. Car, et l’on touche là l’un des défauts essentiels de Liu Cixin : il peine à créer des personnages en relief. Une réserve majeure qui tend toutefois à s’atténuer à mesure que l’on progresse dans le recueil, et que l’émotion reprend ses droits, entre autres quand l’auteur rend hommage aux personnes les plus modestes parvenant à réaliser de grandes choses. Le jeune paysan du « Soleil de Chine » ira jusque dans les étoiles. L’enseignant de « L’Instituteur du village » sauvera, sans même le savoir, l’humanité tout entière.

L’Équateur d’Einstein peut s’avérer une bonne entrée dans l’œuvre de Liu Cixin. Il faut juste s’armer de patience – et de bienveillance – pour en profiter, quitte à faire l’impasse sur certaines nouvelles bien anecdotiques. Car nombre de récits émerveillent, tant ils nous permettent de voyager, de rêver, de s’élever.

Aucune femme au monde

Catherine Moore débute sa carrière dans les années 1930. Sa nouvelle la plus célèbre est son premier texte publié professionnellement , « Shambleau », sortie dans la revue Weird Tales en 1933. Elle signe alors avec ses initiales – C. L. Moore – et écrit de nombreux récits ambitieux et à contre-courant de la production SF de son temps, mettant en scène des personnages principaux féminins et s’attaquant à la sexualité ou à l’aveuglement de l’humanité – autant de thèmes qui seront largement développés par les auteurs et autrices à partir des années 1960. Si elle est déjà considérée comme talentueuse par ses pairs de l’époque, elle gagne encore en notoriété grâce à ses œuvres coécrites avec son mari Henry Kuttner sous le pseudonyme commun de Lewis Padgett. Dans Aucune femme au monde, une novella de 1944, Moore réinvestit la figure du gynoïde et nous parle des arts et des sciences. La réédition du Passager Clandestin propose une traduction revue par Dominique Bellec et accompagne le texte d’un dossier de contextualisation salutaire pour une autrice injustement négligée dans le domaine francophone.

Deirdre est une artiste célèbre : danseuse et chanteuse de talent, d’une beauté à portée universelle, elle est la première femme adulée sur tous les continents. Las, un soir, elle périt dans un incendie. Alors que le monde entier la pleure, Maltzer, un brillant scientifique, récupère son cerveau et travaille à la conception d’un corps de substitution. Le récit démarre au moment où Harris, son ancien impresario, est invité chez Maltzer pour rencontrer la nouvelle Deirdre. Mais les prouesses technologiques semblent avoir quelques effets secondaires. Deirdre peut-elle rester humaine dans un corps mécanique ?

Si le récit semble initialement se perdre dans la description de ce corps artificiel, la structure en huis clos avec trois personnages glisse assez vite vers un débat sur l’acceptation de la différence, l’éthique des sciences et la compréhension de l’essence humaine. Rien n’est laissé au hasard, et les discours les plus lyriques de Maltzer apparaissent a posteriori comme des pièces d’un puzzle justifiant l’incertitude finale.

Les tropes du cyborg et du robot ont été largement traités par la SF, mais si ce texte, riche et convaincant, nous fait l’effet d’un déjà vu, c’est qu’il constitue, pour un lectorat contemporain, un syncrétisme brillant des imaginaires antérieurs tout autant qu’il rappelle les meilleures œuvres postérieures du registre. La femme-machine fait écho à Maria dans Metropolis de Fritz Lang, auquel le dossier en postface fait aussi référence. L’artiste adulée et disparue, quant à elle, renvoie à La Stilla dans Le Château des Carpates de Jules Verne. Comme pour celle-ci, l’ingénierie créée pour maintenir son image aura quelques difficultés à la faire revivre réellement. Le tout servi par une narration hitchcockienne quant à sa gestion de la tension dramatique. Une novella chaudement recommandée, en somme, tout en maîtrise et en intelligence, qui rappelle de façon bienvenue l’importance un brin négligée de Catherine Moore.

L'Homme-canon

Initiée en 2008 avec la publication de Vie et mort de la cellule Trudaine (cf. Bifrost n° 52), l’œuvre de Christophe Carpentier s’enrichit en cette année 2022 d’un neuvième opus, L’Homme-canon. Avec celui-ci, l’auteur des « space-odysséens » Mur de Planck I et II (cf. Bifrost n° 82 et 86) s’affirme de nouveau comme un redoutable praticien d’une anticipation à la fois spéculative et critique dont avait aussi témoigné son récent Cela aussi sera réinventé (cf. Bifrost n° 100).

L’Homme-canon se déroule en 2069, dans une France désormais régie par la VIe République. Celle-ci fut le fruit d’une série d’événements initiée dans notre trouble présent, aboutissant en 2054 à une situation ainsi résumée par un personnage : « C’était la merde à tous les niveaux, tant médical, social, économique que climatique, et le chaos dans toutes les têtes. » Au plus fort de cette crise polymorphe, comme de ce désarroi existentiel, s’organisa un Gouvernement d’Urgence Nationale – le G.U.N. Ostensiblement agressif, l’acronyme tint en quelque sorte lieu de programme à un pouvoir (classiquement) liberticide, s’employant à éteindre les désordres d’une façon quant à elle assez inédite. Une fois assuré du strict contrôle de l’ensemble des médias, le G.U.N fit en effet de ces derniers les fondements d’une « ère de propagande pédagogique et culpabilisatrice ». N’autorisant que la seule diffusion de reality-shows sulpiciens sur « les Forces de l’Ordre, les Militaires, les Éboueurs, les Sages-femmes, les Urgentistes, les Aides-soignants, les employés des Associations caritatives, les Assistantes Sociales, etc. », le G.U.N dessina un nouvel horizon politique. Ce dernier s’incarnant dans la devise de la VIe République, « Responsabilité-Empathie-Maturité », qui se substitua au « triptyque éculé Liberté-Égalité-Fraternité » ainsi que le qualifie, là encore, l’un de ces Français du futur imaginés par Christophe Carpentier…

Telle est donc la France d’après-demain dans laquelle un certain Bastien Lebaye prétend s’essayer au métier donnant son titre au roman, ou plutôt à la pièce de théâtre qu’est en réalité L’Homme-canon. Rompant en effet avec la narration romanesquement omnisciente caractérisant ses livres précédents, Christophe Carpentier fait ici le choix de composer une œuvre exclusivement dialoguée, s’articulant en scènes qu’émaillent des didascalies. Efficacement servi par une ironie oscillant entre celles de Swift et du stand-up contemporain, ce parti-pris d’écriture convainc d’autant plus que le monde qu’il restitue est lui-même fondamentalement théâtralisé. Notamment du fait de l’action aliénante d’une inédite « démocrature » qui use comme arme de domination massive d’une télé n’ayant de « réalité » que le nom. Une dramatisation du réel que se propose de contrecarrer Bastien selon une praxis dont l’on ne révélera rien. Car la puissance d’impact de L’Homme-canon tient aussi à un art certain de la surprise…

Croisement ô combien stimulant entre univers dystopique et écriture théâtrale, L’Homme-canon confirme la singulière fécondité de Christophe Carpentier au sein de la SF francophone.

Après

Quelques mois seulement après la sortie du recueil de nouvelles Si ça saigne (cf. Bifrost n° 103), l’inépuisable (et pourtant plus que septuagénaire) Stephen King réapparaît en librairie avec cette fois-ci le romanesque Après. « Après quoi ? » pourront être tentés de se demander les moins au fait de l’auteur de Ça. Quant à ses fidèles, sans doute s’empresseront-ils de s’imaginer que l’après dont il est ici question se situe quelque part au-delà du dernier souffle. Supposition des plus justes puisqu’avec ce nouveau roman, Stephen King revient à l’un de ses motifs fétiches : celui des spectres et des liens qu’entretiennent avec eux certains des vivants. Jamie Conklin, narrateur et protagoniste d’Après, s’inscrit en effet dans la longue lignée des médiums kinguiens capables d’entrer en contact avec les défunts. Ce que révèle Jamie au début d’un texte prenant la forme d’un autobiographique retour sur ses enfance et adolescence : « Alors oui, je peux voir les morts. D’aussi loin que je me souvienne, il en a toujours été ainsi. » Un don auquel s’ajoute encore celui de pouvoir communiquer avec les défunts, puisqu’Après nous dévoile que les morts parlent, contrairement à ce qu’affirme l’adage mafieux.

De criminels, il est d’ailleurs question dans Après, un livre témoignant à nouveau de l’appétence de Stephen King pour le polar. Un genre qui ne réussit certes pas toujours à l’auteur, comme le prouvent sa catarrheuse trilogie « Mr. Mercedes » et le pareillement poussif récit « Si ça saigne ». Mais il est parfois arrivé à Stephen King de marier avec plus de bonheur sa mythologie fantastique à celle du roman noir. Il en alla ainsi de L’Outsider (cf. Bifrost n° 95). Et tel est heureusement le cas d’Après, dont les éléments inspirés des annales policières — s’y dessine notamment la silhouette d’Unabomber – sont heureusement relus à l’aune du surnaturel. Puisque Jamie aura plus d’une fois l’occasion d’user de ses talents de voyant lors d’affaires criminelles, dont on ne dira rien de plus, histoire de ne pas divulgâcher…

Séduisant, Après l’est d’autant plus que Stephen King y écrit d’attachante manière à la fois une nouvelle page de sa comédie humaine et de son histoire personnelle des États-Unis. Cette confession de Jamie oscillant entre l’extraordinaire et le banal compose ainsi un véritable récit d’initiation. Que celle-ci consiste en la confrontation avec un Mal absolu tapi de l’autre côté de la mort, ou bien en la découverte finale d’un secret de famille pas moins troublant à sa prosaïque manière… De cette énigme in fine percée on ne dira rien, si ce n’est qu’elle trahit un dérèglement familial faisant écho à ceux affectant collectivement les États-Unis. À l’instar de la crise de 2008 qui pèse sur les personnages d’Après à la façon d’un fatum moderne.

Certes moins spectaculaire que les fresques qu’étaient Sleeping Beauties (cf. Bifrost n° 91) et L’Institut (cf. Bifrost n° 99), Après s’inscrit à son intimiste manière parmi les récentes réussites du maître de Bangor. Espérons qu’il en ira ainsi de son prochain opus VO, Fairy Tale (on devrait lire ici, entre-temps, Billy Summers), dont la sortie est d’ores et déjà annoncée en septembre 2022. N’écrivait-on pas au début de cette chronique que Stephen King est infatigable ?

Unlocking the Air

Si vous pensiez Ursula K. Le Guin une autrice avant tout de fantasy (« Terremer ») ou de science-fiction (le cycle de « l’Ekumen »), gageons que ce recueil pourrait vous faire changer d’idée. Inédites en France, les dix-huit nouvelles qui composent l’ouvrage ont à l’origine été écrites entre 1982 et 1995. Et elles n’appartiennent pas, pour une bonne moitié, à nos registres habituels, mais sont bien ancrées dans la réalité. À l’exception de la nouvelle quasi-titre (« La Clef des airs ») faisant suite à des écrits antérieurs, et qui, de fait, peut perdre le lecteur n’ayant pas les références, toutes sont indépendantes de ses autres œuvres. Et toutes sont ancrées sur cette bonne vieille Terre : vous n’y voyagerez pas dans l’espace ou sur des planètes étranges. Même quand elle fait appel aux mythes (« Une épouse enfant ») ou aux contes de fées (« Le Braconnier »), Le Guin reste centrée sur son sujet : l’humain et les relations qu’elles et ils tissent avec les autres au fil de leur vie. Que ce soit en faisant appel à la science-fiction (« Quatre heures et demie », qui imagine les mêmes personnages à la même heure dans huit univers différents), à la fantasy (« Anciens ») ou au fantastique (« Les Cuillères de la cave » ou « Ether, ou », avec sa petite ville typique du Midwest mais itinérante), l’autrice plonge son lecteur, l’espace de quelques pages, dans la vie de ses personnages, que ceux-ci ne partagent qu’un moment fugace ou, au contraire, qu’ils déroulent leur vie entière.

Surprenantes de brièvetés (certaines font moins de cinq pages), ces nouvelles étonnent également par leur variété de ton. Ainsi « Ruby sur la 67 » commence de façon très prosaïque avant de s’évader vers la nostalgie. « La Femme sage » relève presque du poème en prose, tandis que « Limberlost » renvoie au journal intime proche de la beat generation. Mais c’est « Tenir ses positions », avec son récit choral d’une scène toute simple, qui remporte la palme du récit à la fois le plus factuel et le plus fort de l’ensemble. Même si, pour le coup, ce dernier se situe totalement hors champ de l’Imaginaire.

À picorer ou à lire d’une traite, Unlocking the Air est en tout cas un très bel ouvrage et une introduction intéressante à l’œuvre d’Ursula K. Le Guin.

Le Temps des retrouvailles

Que l’on connaisse Robert Sheckley à travers ses collaborations avec Roger Zelazny (Apportez-moi la tête du Prince charmant), par ses romans (La Dimension des miracles, Omega) ou par les adaptations au cinéma de son œuvre (Le Prix du danger), l’écrivain fait partie des grands noms classiques de la science-fiction — mais un grand nom un brin tombé dans l’oubli des éditeurs. La jeune maison d’édition Argyll a choisi de le remettre à l’honneur pour inaugurer sa deuxième année d’existence avec Le Temps des retrouvailles , recueil rassemblant treize nouvelles de l’auteur écrites entre 1952 et 1960. Que l’on se rassure, ce ne sont pas du tout des vieilleries, même si le paternalisme des personnages masculins a parfois un caractère suranné, ce qui leur joue des tours. Toutes ces nouvelles ont déjà été publiées en France, et ont bénéficié d’un toilettage de traduction.

Comment caractériser Robert Sheckley ? Les nouvelles de ce recueil vous y aideront avec leur humour parfois grinçant, leurs retournements et leurs quiproquos, mais également leurs réflexions sur la destinée opposée au libre arbitre. Certaines, comme « Permis de Maraude », sont légères et optimistes, d’autres, comme « Tu brûles » ou « La Mission du Quedak », flirtent avec l’horreur. D’autres enfin, tel « Le Temps des retrouvailles », sont empreintes d’une bonne dose de mélancolie. Bref, il serait possible de les commenter toutes une par une, mais ce serait gâcher une bonne partie du plaisir de la lecture. Sachez juste que ces textes vont aborder tous les grands thèmes de l’âge d’or de la science-fiction : premier contact (que celui-ci ait lieu sur Terre ou dans l’espace), voyage dans le temps, dystopie, choc de civilisations, menace de guerre imminente, etc. Et que l’auteur arrivera à chaque fois à vous surprendre par la structure de son récit ou par sa conclusion. À l’exception, peut-être, de la nouvelle ouvrant le recueil, « Le Prix du danger », dont la trame a inspiré le film d’Yves Boisset avec Gérard Lanvin, et qui n’égale pas la puissance politique du long-métrage français. Le seul autre bémol ici est la postface de Marc Thivollet, à l’origine préface à Les Univers de Robert Sheckley, recueil paru en 1972 chez OPTA, et qui fait donc référence à des nouvelles absentes du présent ouvrage – frustrant, et de quoi terminer sur une note acide une lecture pour le reste très agréable.

Le Soleil des Phaulnes

Sur Gobo, les Phaulnes ont bâti au fil des siècles une civilisation utopique. Ayant depuis longtemps rejeté le confort facile mais illusoire qu’offrent la technologie ou la religion, ils mènent une vie simple, en harmonie avec la nature, sa faune et sa flore. C’est ce monde qui a vu grandir la jeune Griddine. C’est ce monde qu’elle va voir disparaître.

La Garmak, la compagnie la plus puissante de l’univers, puise sa richesse dans l’exploitation des étoiles dont elle pompe jusqu’à la dernière parcelle d’énergie. Et Titéo, le soleil de Gobo, est la suivante sur sa liste. Les Phaulnes n’ont d’autre choix que de quitter la planète à bord des vaisseaux affrétés par la Garmak et de refaire leur vie tant bien que mal ailleurs, sans savoir ce qui les y attend. Un destin auquel Griddine ne se résigne pas.

À travers le parcours de son héroïne, Thierry Di Rollo met en scène un univers sans foi ni loi hormis celle du plus fort, une constante dans l’œuvre de l’auteur. La dénonciation à travers le portrait de la Garmak et de son fondateur et dirigeant, Ien éliki, d’un capitalisme forcené et omnipotent, n’a sans doute rien d’original, mais le romancier en démonte intelligemment les rouages, montre comment chacun de ses maillons interchangeables n’a d’autre choix que de se soumettre pour espérer ne pas être écrasé, et de mettre sa conscience en berne afin de ne pas voir à quelles monstruosités il contribue.

Toutefois, depuis Drift en 2014, on note une certaine inflexion chez Di Rollo. Non pas qu’il ait mis de l’eau dans son vin, mais on voit poindre dans ses livres une certaine beauté au milieu d’un océan de noirceur. Dans Le Soleil des Phaulnes, c’est même vers elle que tend tout le roman. À la soif de vengeance qui animait ses héros autrefois, l’auteur a substitué d’autres motivations : un désir de justice, aussi dérisoire soit-elle, et chevillé au corps l’espoir de parvenir à s’extraire de l’horreur ambiante pour atteindre une certaine forme de bonheur. Oserait-on parler de happy-end pour ce roman ? Oui, à condition de ne surtout pas oublier dans quel contexte et au terme de quel périple il intervient. C’est dire si le bonheur est une chose fragile, incertaine, et ainsi d’autant plus précieuse. Tout comme ce roman.

Maître des Djinns

Visiblement, l’Atalante croit fort en P. Djèli Clark. Maître des Djinns est déjà le quatrième titre de l’auteur publié en moins d’un an, et pour fêter la sortie de ce premier véritable roman, le lecteur pourra en outre choisir entre l’édition classique et, pour deux euros de plus, une version collector joliment cartonnée.

Ce nouveau texte se situe dans le même univers de fantasy uchronique que la nouvelle « L’Étrange Affaire du djinn du Caire » et la novella Le Mystère du tramway hanté, cette Égypte du début du XXe siècle que l’irruption de la magie et de ses créatures mythiques a propulsé sur la voie de l’industrialisation pour faire d’elle l’une des puissances majeures du globe. Il n’est peut-être pas nécessaire de les avoir lus avant d’entamer Maître des Djinns, mais il s’agit tout de même d’un plus, certains éléments de ces investigations étant évoqués au cours du récit. On retrouve donc l’héroïne fétiche de l’auteur, Fatma el Sha’arawi, agente du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles, chargée cette fois d’enquêter sur le meurtre aux forts relents de magie d’un lord anglais haut placé et de tous les membres de la Fraternité qu’il présidait. Un crime qui l’amène à s’intéresser à la figure historique d’al-Jahiz, l’homme qui trente ans plus tôt fut à l’origine du bouleversement qu’a connu le pays, et qui semble aujourd’hui revenu d’entre les morts.

On retrouve dans Maître des Djinns les mêmes qualités et — dans une moindre mesure – les mêmes défauts que dans le reste de l’œuvre de P. Djèli Clark. Le romancier s’appuie sur un casting principalement féminin formidablement campé, qui évolue dans une ville du Caire imaginaire rendue à la perfection, riche de saveurs, de senteurs, de couleurs, et nourrie d’une mythologie et d’une culture forcément exotiques et originales pour un lecteur occidental. Si l’action est omniprésente – et souvent spectaculaire –, cela n’empêche pas l’auteur d’aborder différents thèmes récurrents dans son œuvre : racisme, sexisme, inégalités sociales, etc. Autant de sujets qu’on retrouve en filigrane tout au long du récit, même s’ils n’en constituent jamais le cœur, ce qu’il est permis de regretter. Surtout, reste la faiblesse majeure du romancier : l’intrigue qu’il construit, linéaire au possible, et dont le dynamisme repose sur des rebondissements et des retournements de situation qu’on voit trop souvent venir de très, très loin. De ce point de vue, P. Djèli Clark a encore des progrès à faire. Reste qu’en l’état, Maître des Djinns est un roman éminemment plaisant à lire, et cette version du Caire une ville de fiction qu’on est à chaque fois heureux de retrouver.

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