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Le Bout du monde

[Critique commune à Thanatopolis et Le Bout du monde.]

« La question, c'est de voir, reprit-elle. Soit vous voyez les choses, soit vous ne les voyez pas. C'est peut-être pour ça que vous êtes ici. Pour apprendre à voir. »

Cette déclaration de la réincarnation d'une déesse hindoue à un agent de la CIA en dérive, dans le récit « Un Tigre en bois », témoigne des intentions de Lucius Shepard au travers de ses différentes nouvelles publiées durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. La plupart de ces textes décrivent en effet un parcours initiatique menant à une prise de recul sur les perceptions qu'on peut avoir du monde et donc à une meilleure appréhension de celui-ci. Cet apprentissage se traduit par la découverte d'une réalité décalée par rapport à la nôtre, d'un monde « coïncidant » au monde visible, un monde qui prend souvent ses racines dans des éléments d'une religion ou d'un folklore local. L'accès à ce monde nécessite un médium, généralement une substance hallucinogène, impose au héros une métamorphose nécessaire et s'accompagne des conseils d'un initié. La progression psychologique du héros s'opère via une compréhension grandissante des principes de ce nouveau monde et de son existence tangible ; un des jalons de cette progression est l'affrontement avec l'initié ayant joué le rôle du mentor. Cette compréhension trouve cependant ses limites quand le héros prend conscience que des forces supérieures, des puissances ancestrales, immatérielles, voire extraterrestres, manipulent cette réalité à une plus large échelle et qu'il n'en demeure, malgré sa compréhension et sa victoire sur son mentor, qu'un pion insignifiant. Le héros ressort ainsi épuisé et déçu de son expérience, mais à défaut d'avoir obtenu un pouvoir, il a acquis une connaissance du monde et de lui-même ; cette connaissance va lui permettre de se confronter à une réalité qu'il fuyait ou redoutait.

Les nouvelles rassemblées dans les recueils français Thanatopolis et Le Bout du monde s'inscrivent majoritairement dans ce schéma narratif — on notera par ailleurs qu'elles bénéficient d'excellentes traductions de William Desmond, qui rendent justice à l'écriture appliquée et flamboyante de Lucius Shepard.

Dans « Thanatopolis », une de ses nouvelles les plus abouties, Lucius Shepard prend au pied de la lettre le qualificatif de « musique du diable » attribué au rock'n'roll ; il y décrit l'apprentissage d'un jeune toxico new-yorkais auprès d'un compositeur de musiques dont la particularité est de transporter leur auditeur dans un autre monde, un monde dantesque. Cet apprentissage amène le héros à « voir les choses autrement », à comprendre les principes qui fragmentent une réalité sociale qu'il ne faisait que subir jusqu'alors. Cette nouvelle est suivie de « Frontière », où un jeune passeur mexicain goûte à une substance du désert dont le pouvoir est de transcender la réalité. La consommation de cette substance idéalise son amour et ses relations sexuelles avec une belle et riche américaine ; grâce à cela, il finit par prendre conscience de la vanité des illusions qu'il nourrissait envers le rêve américain. La nouvelle suivante, « Nomans Land », s'attaque à un marin échoué, un mythomane acharné, qui, contaminé par du venin d'araignée, va découvrir que ses mensonges ne valent rien face au mensonge plus grand que représente la réalité. Cette nouvelle pessimiste peut être interprétée comme une sanction à l'encontre de ceux qui refusent de voir la réalité. La nouvelle clôturant le recueil Thanatopolis, « Capitulation », s'éloigne du schéma type des précédentes, mais s'intéresse elle aussi à la thématique du mensonge. Par le biais d'une invasion de mutants issus d'expériences pharmaceutiques douteuses, Lucius Shepard matérialise la réalité du mensonge américain — « la pièce blanche » — dans son refus de reconnaître les exactions commises en Amérique Centrale.

« Le Bout du monde », récit éponyme au recueil qu'il ouvre, met en scène un écrivain paumé au fin fond du Guatemala qui pénètre dans une autre réalité après s'être adonné à un étrange jeu maya. Les pouvoirs qu'il acquiert dans cette réalité mystique vont lui permettre de prendre un nouveau départ dans sa vie. « La Figurine d'argile noire » dénote du reste des nouvelles. Lucius Shepard y tente, sans grand succès, l'exercice du conte pornographique dans le seul but de moquer une fois de plus le rêve américain et son idéal du couple. Retour à la thématique de la découverte d'un monde inconnu, avec « En Route pour la gloire » qui s'inscrit à juste titre dans l'imagerie de la conquête de l'Ouest. Le nouveau monde y prend forme, non dans le mythe de l'Amérique, mais dans un territoire mystérieux où convergent des forces cosmogoniques qui imposent des transformations à ceux qui la traversent. Lucius Shepard développe principalement dans cette nouvelle la notion de métamorphose nécessaire — le voyage, un thème cher à l'auteur, symbolisant cette métamorphose. Moins exotique, « La Vie de Bouddha » dévoile un fragment du quotidien d'un camé, homme de main d'un dealer de Detroit. La consommation excessive de drogue le conduit en rêve vers des horizons plus lumineux, mais lui permet également dans la réalité d'aider un ami à assumer sa sexualité ambiguë. Conclusion du recueil, « Un Tigre en bois », dont le titre synthétise le héros type de Shepard — à savoir une ébauche qui doit s'éveiller à la vie —, décrit de façon assez classique le réveil spirituel d'un espion américain suite à sa rencontre avec la réincarnation d'une déesse hindoue.

S'appuyant sur le passé de baroudeur de Lucius Shepard, un passé fortement marqué par la drogue, ces nouvelles reflètent ses déceptions et ses désillusions de quarantenaire à propos de la politique de son pays, de la vie de couple — la plupart de ses héros sortent d'un échec amoureux — et plus globalement sa résignation face à l'apathie de ses congénères. Ses textes mettent néanmoins en contrepoint d'une ambiance pessimiste et dépressive un encouragement à voir le monde différemment et une invitation à découvrir cette différence en soi, comme le comprend le marin perdu de « Nomans Land » : « Rechercher en soi les mondes à conquérir et les principes à renverser. »

Thanatopolis

[Critique commune à Thanatopolis et Le Bout du monde.]

« La question, c'est de voir, reprit-elle. Soit vous voyez les choses, soit vous ne les voyez pas. C'est peut-être pour ça que vous êtes ici. Pour apprendre à voir. »

Cette déclaration de la réincarnation d'une déesse hindoue à un agent de la CIA en dérive, dans le récit « Un Tigre en bois », témoigne des intentions de Lucius Shepard au travers de ses différentes nouvelles publiées durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. La plupart de ces textes décrivent en effet un parcours initiatique menant à une prise de recul sur les perceptions qu'on peut avoir du monde et donc à une meilleure appréhension de celui-ci. Cet apprentissage se traduit par la découverte d'une réalité décalée par rapport à la nôtre, d'un monde « coïncidant » au monde visible, un monde qui prend souvent ses racines dans des éléments d'une religion ou d'un folklore local. L'accès à ce monde nécessite un médium, généralement une substance hallucinogène, impose au héros une métamorphose nécessaire et s'accompagne des conseils d'un initié. La progression psychologique du héros s'opère via une compréhension grandissante des principes de ce nouveau monde et de son existence tangible ; un des jalons de cette progression est l'affrontement avec l'initié ayant joué le rôle du mentor. Cette compréhension trouve cependant ses limites quand le héros prend conscience que des forces supérieures, des puissances ancestrales, immatérielles, voire extraterrestres, manipulent cette réalité à une plus large échelle et qu'il n'en demeure, malgré sa compréhension et sa victoire sur son mentor, qu'un pion insignifiant. Le héros ressort ainsi épuisé et déçu de son expérience, mais à défaut d'avoir obtenu un pouvoir, il a acquis une connaissance du monde et de lui-même ; cette connaissance va lui permettre de se confronter à une réalité qu'il fuyait ou redoutait.

Les nouvelles rassemblées dans les recueils français Thanatopolis et Le Bout du monde s'inscrivent majoritairement dans ce schéma narratif — on notera par ailleurs qu'elles bénéficient d'excellentes traductions de William Desmond, qui rendent justice à l'écriture appliquée et flamboyante de Lucius Shepard.

Dans « Thanatopolis », une de ses nouvelles les plus abouties, Lucius Shepard prend au pied de la lettre le qualificatif de « musique du diable » attribué au rock'n'roll ; il y décrit l'apprentissage d'un jeune toxico new-yorkais auprès d'un compositeur de musiques dont la particularité est de transporter leur auditeur dans un autre monde, un monde dantesque. Cet apprentissage amène le héros à « voir les choses autrement », à comprendre les principes qui fragmentent une réalité sociale qu'il ne faisait que subir jusqu'alors. Cette nouvelle est suivie de « Frontière », où un jeune passeur mexicain goûte à une substance du désert dont le pouvoir est de transcender la réalité. La consommation de cette substance idéalise son amour et ses relations sexuelles avec une belle et riche américaine ; grâce à cela, il finit par prendre conscience de la vanité des illusions qu'il nourrissait envers le rêve américain. La nouvelle suivante, « Nomans Land », s'attaque à un marin échoué, un mythomane acharné, qui, contaminé par du venin d'araignée, va découvrir que ses mensonges ne valent rien face au mensonge plus grand que représente la réalité. Cette nouvelle pessimiste peut être interprétée comme une sanction à l'encontre de ceux qui refusent de voir la réalité. La nouvelle clôturant le recueil Thanatopolis, « Capitulation », s'éloigne du schéma type des précédentes, mais s'intéresse elle aussi à la thématique du mensonge. Par le biais d'une invasion de mutants issus d'expériences pharmaceutiques douteuses, Lucius Shepard matérialise la réalité du mensonge américain — « la pièce blanche » — dans son refus de reconnaître les exactions commises en Amérique Centrale.

« Le Bout du monde », récit éponyme au recueil qu'il ouvre, met en scène un écrivain paumé au fin fond du Guatemala qui pénètre dans une autre réalité après s'être adonné à un étrange jeu maya. Les pouvoirs qu'il acquiert dans cette réalité mystique vont lui permettre de prendre un nouveau départ dans sa vie. « La Figurine d'argile noire » dénote du reste des nouvelles. Lucius Shepard y tente, sans grand succès, l'exercice du conte pornographique dans le seul but de moquer une fois de plus le rêve américain et son idéal du couple. Retour à la thématique de la découverte d'un monde inconnu, avec « En Route pour la gloire » qui s'inscrit à juste titre dans l'imagerie de la conquête de l'Ouest. Le nouveau monde y prend forme, non dans le mythe de l'Amérique, mais dans un territoire mystérieux où convergent des forces cosmogoniques qui imposent des transformations à ceux qui la traversent. Lucius Shepard développe principalement dans cette nouvelle la notion de métamorphose nécessaire — le voyage, un thème cher à l'auteur, symbolisant cette métamorphose. Moins exotique, « La Vie de Bouddha » dévoile un fragment du quotidien d'un camé, homme de main d'un dealer de Detroit. La consommation excessive de drogue le conduit en rêve vers des horizons plus lumineux, mais lui permet également dans la réalité d'aider un ami à assumer sa sexualité ambiguë. Conclusion du recueil, « Un Tigre en bois », dont le titre synthétise le héros type de Shepard — à savoir une ébauche qui doit s'éveiller à la vie —, décrit de façon assez classique le réveil spirituel d'un espion américain suite à sa rencontre avec la réincarnation d'une déesse hindoue.

S'appuyant sur le passé de baroudeur de Lucius Shepard, un passé fortement marqué par la drogue, ces nouvelles reflètent ses déceptions et ses désillusions de quarantenaire à propos de la politique de son pays, de la vie de couple — la plupart de ses héros sortent d'un échec amoureux — et plus globalement sa résignation face à l'apathie de ses congénères. Ses textes mettent néanmoins en contrepoint d'une ambiance pessimiste et dépressive un encouragement à voir le monde différemment et une invitation à découvrir cette différence en soi, comme le comprend le marin perdu de « Nomans Land » : « Rechercher en soi les mondes à conquérir et les principes à renverser. »

Les yeux électriques

Au début des années 80, à peine sorti des ateliers d’écriture Clarion dans lesquels il fit un bref séjour, mais riche d’une expérience personnelle assez exceptionnelle, Lucius Shepard commençait à publier ses premières nouvelles, notamment grâce à l’éditeur et anthologiste américain Terry Carr. Ce dernier, fortement intéressé par le travail de Shepard, lui demanda, après la publication de sa premières nouvelle (« Corail noir »), s’il disposait d’un roman publiable ; l’auteur jura ses grands dieux qu’il avait un roman sur le feu alors même qu’il n’en avait pas écrit l’ombre d’une ligne. Après un travail acharné, Lucius Shepard livra tout de même Les Yeux électriques (1984), un premier roman prometteur même si assez inégal.

Au fin fond du bayou louisianais, des scientifiques tentent de faire revivre les morts en leur injectant un cocktail de bactéries prélevées dans les cimetières des environs. Evidemment, le cadavre doit être relativement frais et la résurrection n’est que temporaire. Peu à peu, les progrès aidant, ces zombies next generation, appelés PAIB (Personnalité Artificielle Induite Bactériologiquement) obtiennent un sursis de plusieurs mois. Sauf qu’il y a un bug dans la matrice et que les corps ne sont pas habités par leurs anciens propriétaires, mais par de nouvelles personnalités, parfois un tantinet fantasques. Physiologiquement, ces zombies ne se distinguent guère de l’être humain standard, sinon que danse au fond de leurs yeux cette étrange et inquiétante lueur verte liée à l’injection du cocktail bactérien. Donnell Harrison est l’un d’entre eux. Avant de s’appeler Donnell Harrison, il portait le nom de Steven Mears, jusqu’à sa mort d’un coma éthylique à l’âge, avancé, de 29 ans. Donnell, poète brillant et sensible, ne tarde pas à séduire sa thérapeute, Jocundra Verret. Fatigué de subir la pression et les contraintes liées au programme scientifique, d’autant plus que les responsables semblent attendre de sa part des résultats exceptionnels, Donnell se fait la belle en compagnie de la jolie Jocundra. Commence alors, à travers la Louisiane, une errance un brin surréaliste et riche en rencontres hautes en couleur.

Il manque un petit quelque chose à ces Yeux électriques pour être un grand roman, mais la capacité de Lucius Shepard à transgresser les codes du genre et à jongler habilement avec les mythes du culte vaudou, son talent fascinant pour installer en quelques phrases une ambiance lourde et prenante, font de ce roman une œuvre singulièrement attachante, d’une profonde originalité. Le style incisif et percutant de l’auteur, la beauté intrinsèque de son écriture à la fois riche et élégante, ne sont pas pour rien dans le plaisir de lecture que procure cette histoire, affublée pourtant d’une structure narrative un poil bancale. La première partie est tellement réussie que l’on aurait aimé que l’intégralité du roman se poursuive sur cette même erre. Qu’à cela ne tienne, il n’est pas donné à tout le monde d’accoucher d’un premier roman de cette qualité.

Vampires

Précisons tout d'abord qu'à Bifrost, nous n'avons strictement rien contre les éditions Glyphe. Surtout quand elles publient un livre aussi excellent que La Chambre de sable, de Joëlle Wintrebert. Certes, me direz-vous, un excellent livre de Joëlle Wintrebert est un pléonasme. Mais passons.

Nous n'avons rien non plus contre Estelle Valls de Gomis.

Nous en avons simplement contre son anthologie d'une immense médiocrité. On peut y piocher les yeux fermés : on a au moins neuf chances sur dix d'y trouver un futur Razzie.

Si si, comme je vous le dis !

La première chose qui frappe, c'est le conformisme des textes. On y retrouve plus souvent qu'à son tour le rapport de séduction entre le vampire et sa proie. Il a la morsure douloureuse et sensuelle, fascine, blablabla… On a déjà lu ça cent fois. Les amateurs d'histoires sensibles à la Sturgeon ou d'humour en seront pour leurs frais. Si toutefois ils dépensent vingt euros pour ça. Précisons au passage que, normalement, la seule couverture fait fuir toute personne dotée d'un minimum de goût.

On y trouve tout d'abord quantité de vieilleries, qui auraient parfaitement eu leur place dans Weird Tales. Sauf que là, nous sommes en 2008 : fâcheux décalage ou paradoxe temporel ? Parmi ces vieilleries : Tonie Paul et Géraldine Blondel, qui nous resservent le bijou vampire. On a déjà lu ça cinquante fois (ben oui, encore…), et bien mieux écrit. Inutile de s'appesantir là-dessus, ça n'en vaut pas la peine. Mais la vieillerie des vieilleries, c'est le texte inaugural. « Varney le Vampyre ou le festin de sang », le début d'un roman fleuve aux deux auteurs apocryphes. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'opportunité de mettre dans cette anthologie l'amorce d'un roman. Qui plus est un roman oublié, et qui aurait gagné à le rester. Ce texte est une reprise tirée du premier numéro de la revue depuis disparue Emblèmes, consacrée aux vampires. Une trentaine de pages à s'avaler, et c'est du lourd ! Du vieux roman gothique ranci sans talent, pâle imitation de Walpole ou Radcliffe. Un enculage de mouche ampoulé au possible, qui confine vite au calvaire. Tout y passe au niveau des clichés. La pluie, la grêle, parce que les vampires apparaissent rarement en pleine canicule. Le château, les lourdes portes de chêne massif, imaginez-vous un vampire ailleurs ? Le vampire aux ongles longs, et tutti quanti. On aurait plutôt préféré voir à la place Le Vampire de Polidori. Il y aurait au moins eu un autre texte à sauver. Même si ce texte a été publié bien avant Dracula, ça n'en fait pas un truc potable pour autant.

On voyage également dans le temps. Charlotte Bousquet nous envoie dans la sulfureuse Italie de la Renaissance, celle de Savonarole et des Borgia. C'est bien là sa seule originalité. Meddy Ligner lorgne du coté de Louis-Ferdinand Céline avec les fameux trois petits points. Sauf que ça ne prend pas du tout. N'est pas Antoine Volodine (Des enfers fabuleux) qui veut pour la forme. Quant à l'histoire en elle-même, elle est aussi crédible que la première rubrique astrologique venue.

On apprend que Nicolas F. J. Bailly écrit peu. Tant mieux ! Parce que lire des médiocrités torchées sur un coin de table en cinq minutes, on s'en passe sans problème !

Héloïse Jacob publie son premier texte. On apprend même que son premier roman est en préparation. On sent que l'auteur a voulu s'appliquer. Son amour du roman décadent s'y sent également. Comme s'y sent surtout un manque cruel de talent. Le pire est donc à venir en format roman : notez le nom de l'auteur !

On n'échappe pas non plus au trash de bas étage. Le dernier texte, « Canicule (aux prises avec Sirius) », se veut provocateur, il n'en est que ridicule, gratuit et surtout complètement loupé.

Au milieu de cette Bérézina surnagent tout de même quelques récits.

On peut en distinguer de pas trop mauvais, dont celui de Lucie Chenu. Elle envoie Nadar et Félix Faure chez… Sissi. Son histoire traîne en longueur, l'écriture est mollassonne. On n'y croit pas une seule seconde. Mais elle a au moins le mérite de sortir des sentiers battus. Le décor steampunk vaguement uchronique aurait vraiment gagné à être plus qu'un simple décor.

Sire Cédric, sans être exceptionnel, livre un texte tout à fait correct. Mécanique bien huilée, son histoire est sans surprise, mais au moins, ça marche. Vu le niveau général, on en viendrait presque à saluer ce qui passe ici pour une performance. Notez toutefois que l'on y retrouve la patte de l'auteur : mort, violence, sensualité. Jean Marigny propose lui aussi un texte sympathique, sur fond de Résistance. Si l'histoire est très prévisible, il signe certainement l'un des deux textes les mieux écrits.

En fait, seul Franck Ferric se singularise sur le fond et la forme. Il signe même de très, mais alors vraiment très, très loin, le meilleur de texte du recueil. Nous lisons le journal d'un soldat, au front du côté de Verdun. Epoque originale (la première Guerre mondiale est finalement peu abordée dans l'imaginaire), traitement original et sobre. L'ambiance, poisseuse et crépusculaire, est formidablement restituée. Sa mise en lumière de l'horreur que fut cette guerre pour ses soldats est magnifiquement décrite. Le monsieur est prof d'histoire-géo. À le lire, on aimerait vraiment assister à ses cours sur 14-18…

Enfin, du côté des auteurs morts, le meilleur côtoie le pire. Outre nos deux piteux feuilletonistes apocryphes, on y trouve Frederic Mistral et Guy de Maupassant. Le premier signe un texte du plus total inintérêt. Une pagnolade torchée à la va-vite, absolument consternante. Une simple réclame pour les produits d'un ami commerçant. On croirait lire Jimmy Guieu détaillant le bar de Gilles Novak, c'est dire. Par contre, Maupassant signe un excellent texte. Il s'aventure sur les terres de George A. Romero. Mais pas de Martin, non. Du côté des morts-vivants. Complètement hors de propos, dommage !

Un petit mot en passant sur la préface, signée Jean Marigny. Elle commence par un bref rappel historique du vampire. C'est concis et intéressant. Ensuite, s'enchaînent les spoilers de presque tous les textes. On y trouve aussi un éloge de l'anthologiste. Il y a de quoi être surpris à la simple vue de la médiocrité de l'ensemble. On comprend mieux, quand on sait que le préfacier est aussi l'auteur d'une des nouvelles. On n'est jamais aussi bien servi que par les siens…

Résumons donc : couverture ridicule et hideuse, nouvelles dans lesquelles on peut piocher à pleines mains pour les razzies. Il n'y a en fait qu'un tiers de préface et trois textes à sauver, dont un hors sujet. Ce bouquin vaut 20 euros.

Pour ce prix, n'hésitez pas à vous acheter autre chose : Eros vampire de Brite, Bloodsilver de Wayne Barrow, La Vierge de glace de Marc Behm. Les bons livres et films sur les vampires ne manquent pas… Et passez sans regret aucun à coté de cette piteuse anthologie. Dommage pour les quelques bons textes qu'elle recelait.

Lothar Blues

Il est des livres attendus de longue date. Lothar blues est assurément l'un d'eux. Philippe Curval nous mettait déjà l'eau à la bouche en l'évoquant dans le Bifrost qui lui était consacré (le numéro 31).

Donc le voici enfin, après cinq longues années d'attente.

Première surprise, la couverture. Pour une fois, nous n'avons pas droit à une immondice de Jackie Paternoster. C'est l'auteur lui-même qui la signe, et elle est plutôt réussie 1.

Signalons tout d'abord que Lothar blues se rattache au cycle de L'Europe après la pluie. Chaque livre peut se lire de façon indépendante. Leur seul point commun, c'est d'imaginer à chaque fois un nouveau futur pour l'Europe.

Mais venons-en plutôt à l'ouvrage lui-même. Il se divise en cinq parties, toutes commençant par un article de journal. Tout sauf superflu, chacun d'eux nous immerge dans l'époque, en nous mettant au courant des changements intervenus depuis 2008. Les chapitres, quant à eux, portent les noms des personnages qu'ils mettent en scène.

Nous sommes dans l'Europe des années 2050, après les Années de chien qui ont ouvert le XXIe siècle. Le Vieux continent est devenu une fédération dirigée depuis Bruxbourg. Les robots se chargent de l'essentiel des tâches. Ils éduquent les enfants, afin de lutter contre les parents démissionnaires. Ils se chargent aussi de l'essentiel du travail. Les hommes ne travaillent plus que quatre heures par jour, quatre jours par semaine. Les chômeurs vivent confortablement sur une allocation d'Etat. Seuls les condamnés de droit commun travaillent véritablement, en guise de peine.

Noura M'Salem retrouve Lothar, le robot qui l'a éduqué. Il n'a pas vraiment connu ses parents, pris par leurs activités professionnelles, et qui ont disparu. Pourquoi l'ont-ils abandonné ? La question taraude d'autant plus Noura que Lothar n'a pas de réponse à lui offrir. Cette disparition a-t-elle un lien avec les contestataires anti-Bruxbourg ?

En effet, deux extrêmes contestent la politique de Bruxbourg. D'un côté, les partisans de l'abolition pure et simple du travail humain. Ces héritiers de Paul Lafargue estiment que les robots peuvent s'en charger, et que l'homme a donc mieux à faire. De l'autre, un démagogue moldave, qui défend lui l'élimination des robots. Ce nouveau Mussolini estime que les robots détruisent l'humanité, qui s'enfonce dans le sybaritisme.

Si ce résumé vous semble un tantinet hâtif, il n'en est pas moins le seul que l'on puisse envisager pour ce roman. En effet, il s'agit d'une œuvre d'une densité incroyable. Roman choral, tout d'abord. On y trouve en effet de nombreux personnages, qui se croisent au fil des chapitres. Aucun n'est négligé, tous sont bien brossés. Comme toujours chez l'auteur, il est vain de chercher la moindre trace de manichéisme. On se ballade également aux quatre coins de l'Europe, d'un Paris ayant absorbé sa banlieue à la Moldavie. Les admirateurs (dont je suis) du Dormeur s'éveillera-t-il ? seront en terrain connu. Philippe Curval y mélange, dans une parfaite osmose, l'histoire individuelle de ses protagonistes avec l'histoire de l'Europe (enfin, celle qu'il imagine être notre futur).

Mais au-delà de ça, il remet au goût du jour un bon vieux thème de S-F. De Fritz Lang à Isaac Asimov, le robot est quand même une tarte à la crème du genre. Une tarte à la crème qui tombe d'ailleurs un peu en désuétude. Si ses robots obéissent aux trois lois de la robotique, soufflées à Asimov par Campbell, Curval est bien loin de s'y cantonner. Il ose même s'aventurer sur les voies audacieuses de ce que l'on pourrait appeler le cyberfreudisme, dotant ses robots d'un inconscient. Goguenard, Curval en profite également pour rendre, au détour d'une phrase, un hommage malicieux à feu Robert Sheckley : « À cette minute, j'aurais eu besoin de m'approcher d'elle pour croire tout à fait qu'il s'agissait de ma mère, et non d'un robot qui m'aimait. »

Mais Sheckley et Asimov sont loin d'être les seuls. Les auteurs du Grand siècle (de Corneille à Descartes, en passant par Scarron) se voient eux aussi cités ou détournés au fil de Lothar blues.

Vertigineux, Lothar blues l'est assurément. Car non content de rendre hommage à la S-F et à la littérature, Philippe Curval travaille bien loin du simple pastiche. Osons même dire qu'il signe l'un des meilleurs titres d' « Ailleurs & demain », ce qui n'est vraiment pas peu dire ! L'inconscient des robots, pour ne prendre qu'un exemple, est une innovation passionnante. Souhaitons qu'elle soit féconde. Lothar blues est donc à lire toutes affaires cessantes. Et comme à Bifrost, on aime bien le poil à gratter, on se permettra de rappeler que les autres tomes de L'Europe après la pluie méritent largement la réédition. Avec les couvertures initiales de Manchu, tant qu'à faire !

 

Notes :
Un avis qui ne fait pas l'unanimité au sein de la rédaction, loin s'en faut ! [NDRC]

Le Délit

Le jeune amateur de S-F ne connaît peut-être pas (encore) Jacques Sternberg. Il est essentiellement réputé pour ses contes au ton absurde et grinçant, qu'ils fussent griffus, glacés, 188 à régler ou encore 300 pour solde de tout compte.

Le Sternberg romancier est lui beaucoup plus oublié. Saluons donc l'excellente initiative d'une petite maison strasbourgeoise, La dernière goutte. Elle a en effet eu la grande idée de rééditer Le Délit. Ce roman se situe dans le début de la carrière de Sternberg, en 1956. Il a été refusé par Gallimard, où Paulhan qui haïssait la S-F.

Alors, Le Délit, roman de S-F ?

À vrai dire, on pense tout d'abord à un roman policier. L'histoire est celle d'un personnage, un employé à la vie terne et monotone. Il vit dans une ville qui n'est pas nommée, mais qui pourrait aussi bien être une banlieue dortoir, une ville de province qu'une capitale. Il décide un jour de tuer un homme, en l'occurrence un comptable. N'ayant aucune raison de le tuer, il commet un acte gratuit, comme Lafcadio dans Les Caves du Vatican de Gide. Il ne fait rien non plus pour dissimuler son méfait, à l'instar de Raskolnikov dans Crime et châtiment.

Sa sanction pour ce crime sera particulièrement atroce. Il sera condamné à errer pour une durée indéterminée dans sa ville totalement dépeuplée. Il se retrouve seul avec sa culpabilité, au milieu d'un monde de magasins et de vitrines débordant de marchandises.

Avec ce basculement en S-F, on pense bien sûr au Désert du monde d'Andrevon (dont la réédition serait bienvenue). En effet, le thème du dernier homme sur Terre n'est pas l'apanage de Sternberg. Cependant, il se singularise sur plusieurs points.

Tout d'abord sur la forme. En effet, le roman est un long monologue, dans la grande tradition de l'Ulysse de Joyce ou d'Un peu d'air frais d'Orwell. Ce dernier homme en ville tient donc d'avantage de l'odyssée soliptique que de la S-F de l'Age d'or. Sur le fond également, Sternberg se montre particulièrement visionnaire. On retrouve chez lui cette méfiance toute orwellienne de la grande ville déshumanisante. Il anticipe aussi admirablement les critiques radicales de la société de consommation d'un Marcuse ou d'un Debord. Anticiper est même le mot clé. La lucidité sans faille, avec laquelle il pointe la déshumanisation et l'aliénation de la société de consommation alors en plein essor, est absolument frappante. L'homme est en effet d'autant plus seul qu'il est entouré d'une profusion d'objets manufacturés, immense accumulation stérile de marchandises. Au-delà de l'aliénation, Le Délit aborde également la culpabilité. Sternberg se situe là dans la lignée du Kafka du Procès et de La Colonie pénitentiaire. Sauf qu'ici, point d'inscription dans la chair. C'est davantage le portrait en creux d'un homme aliéné, parce qu'il n'arrive pas à s'inscrire dans ce monde déshumanisé. Palahniuk et son Fight club ne sont pas loin, bien que les choix littéraires y soient très différents. La révolte apparaît toutefois aussi vaine. Il n'y a plus d'échappatoire, plus d'utopie, plus de rêve. Nous sommes condamnés à vivre ça. L'humanité n'a pas disparu en tant qu'espèce. Elle a disparu parce que le monde s'est déshumanisé. Seul ou en société, l'homme n'existe plus. Il n'est qu'une monade errante au sein d'un monde où il n'a plus sa place, où il est devenu obsolète.

Conjuguant avec bonheur l'audace littéraire (Joyce, Kafka…) et une remarquable acuité politique, Le Délit est de ces rares livres qui non seulement ne vieillissent pas, mais se bonifient avec le temps. Ce n'est qu'avec bonheur qu'on le découvre 50 ans plus tard. Mais avec effroi également, car les pires cauchemars de Sternberg se sont réalisés. Bienvenue sur la planète dans la ville à gogos !

Œuvre majeure et visionnaire, Le Délit est certainement l'un des livres les plus incontournables de l'année. Avec sa couverture d'une belle sobriété, vous pourrez le lire partout et sans honte.

Attention cependant, public exigeant requis !

La Chambre de sable

De Lentement s'empoisonnent aux Amazones de Bohème, Joëlle Wintrebert n'hésite pas sortir à de la S-F stricto sensu. Mais elle le fait avec autant de talent que pour notre genre de prédilection. La Chambre de sable en est une preuve supplémentaire.

Marie a onze ans. Solitaire et imaginative, elle aime inventer des vies à ses voisins, comme autant de biographies imaginaires. Elle vit avec sa mère, fonctionnaire célibataire, qui déprime de ne pouvoir devenir écrivain. Pour s'évader de sa vie terne, elle peut compter sur Nana. Amie de longue date de sa mère, elle en est l'exacte antithèse. Auteur et illustratrice, elle vit à sa guise, sans mari, sans enfant ni horaires. Ballottée entre ces deux extrêmes, Marie va découvrir brusquement la réalité sordide du monde adulte. À commencer par ses hypocrisies, ses petits arrangements et ses mensonges. C'est donc tout le monde de l'enfance, son innocence et ses illusions qui vont voler en éclats, pour laisser apparaître toutes les saloperies du monde adulte. Des saloperies qui se nomment racisme, mensonge, dissimulation, suspicion, pédophilie, compromission…

Que faire alors ? S'y résigner, c'est-à-dire devenir adulte ? Ou bien chercher une échappatoire ? À supposer toutefois qu'il en existe une… à moins de l'inventer ?

L'une des grandes prouesses de La Chambre de sable, c'est son écriture. Tout à la fois fluide et ciselée. Elle n'est jamais trop guindée, jamais trop adulte. C'est un véritable enchantement. Enfin un roman avec une ado qui parle comme… une ado, plutôt que comme son auteur. L'atemporalité du roman est elle aussi frappante. On suppose que le récit se déroule en 2008, mais il pourrait tout autant se passer dans les années 80 ou 60. Et c'est certainement là l'une des marques des grandes œuvres : arriver à dégager des préoccupations et des expériences universelles de la gangue de leur époque.

À l'heure des cycles interminables et des pavés du NSO, on ne peut que se réjouir de lire des romans concis et denses tels que La Chambre de sable ou Unica d'Élise Fontenaille (en dépit d'une couverture en Livre de Poche proprement scandaleuse). Un roman majeur, ni plus ni moins, qui trouvera sa place dans toutes les bonnes bibliothèques, entre Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer et L'Attrape-cœurs de J.D. Salinger. Quant à savoir s'il s'agit ou non de S-F, nous répondrons qu'il s'agit surtout d'un excellent roman.

Bravo, et encore merci Joëlle !

Unica

Voici un court roman qui, initialement publié chez Stock en 2007, est sans doute passé inaperçu de beaucoup d'amateurs de science-fiction lors de sa première incarnation en grand format. Un bouquin qui aurait pu le rester, inaperçu, sans la sagacité de Gérard Klein le Grand, seul et véritable maître de tout Bifrostien digne de ce nom, qui nous offre ici une seconde chance en rééditant ledit livre dans sa collection poche… Loué soit qui vous savez. Car de science-fiction, il est bel et bien ici question.

Vancouver. Demain. Herb Charity est flic. Mais pas n'importe quel flic. Il bosse pour la Cyber, une brigade spécialisée dans la traque des pédophiles œuvrant sur le net. Et Herb est sacrement motivé, il faut dire que sa sœur a été victime d'un de ces salopards — elle n'est jamais revenue d'un rendez-vous que lui avait donné un internaute… C'est comme ça qu'Herb a fait ses classes, tout seul, comme un grand, enfermé nuit et jour dans le garage de la maison familiale, oubliant jusqu'à ses cours, jusqu'à sa mère en plein naufrage affectif, pour se consacrer à la traque de ce qu'il y a de plus immonde sur la Toile dans l'espoir de retrouver sa sœur. Vous avez dit no life ? Sa vie d'expert à la Cyber prend un tournant nouveau le jour où Herb, alors qu'il s'apprête à arrêter un cyberpédo au petit matin, découvre un type pleurant du sang face à son PC. Puis un second quelques jours plus tard, tout aussi aveugle que le premier. L'enquête va révéler l'existence d'une bande de gamins, sortes de cyberterroristes bien décidés à éradiquer jusqu'au dernier des pédophiles grâce à un procédé nanotechnologique étonnant. Et à la tête de ces mômes, une énigmatique fillette aux cheveux blancs… Une concurrence que Herb est bien décidé à rencontrer.

Si Unica est manifestement le premier roman S-F d'Elise Fontenaille (alors qu'il s'agit de son septième livre), il ne fait aucun doute que l'auteur connaît ses classiques (Dick notamment, dont elle reprend d'ailleurs en exergue l'un des titres) et a parfaitement intégré les codes du genre. Extrêmement rythmé, référencé en diable, elle signe ici un excellent technothriller. Qui vaut surtout par le portait de son héros narrateur hanté par le souvenir d'une sœur disparue et qui se livre à une véritable vendetta alors qu'il est lui-même porté par une sexualité borderline — un chasseur se chassant lui-même et refusant de se l'avouer. Autre qualité à souligner : voilà enfin un auteur français capable de dépeindre une ville nord-américaine qui ne ressemble pas à un décalque parisien assaisonné d'Hill Street Blues. Fontenaille a vécu à Vancouver, ça se sent et c'est tant mieux. Si on regrette peut-être le twist final, téléphoné et artificiel, Unica se révèle néanmoins un excellent moment de lecture, un petit roman (joie !) S-F bien ficelé, glauque à souhait et porté par des personnages remarquablement brossés et sans excès de caricature (même si parfois, on y échappe de peu). Certes pas un roman majeur, mais une belle réussite tout de même, et une entrée en science-fiction pour Elise Fontenaille tout ce qu'il y a de remarquable. Encore, Elise !

Le Syndrome de l’éléphant

Après avoir publié ses deux premiers romans chez Encrage (Number nine, 1997, et Archeur, 1998), puis les quatre suivants aux éditions du Bélial' (La Lumière des morts, 2002, La Profondeur des tombes, 2003, Meddik, 2005, et Les Trois reliques d'Orvil Fisher, 2007 — les trois premiers titres publiés au Bélial' ayant été réédités en poche chez Folio « SF »), Le Syndrome de l'éléphant, septième roman de Thierry Di Rollo, paraît donc chez Denoël, dans la collection « Romans français » (avec une jaquette de couverture typée thriller).

On entend et lit souvent à propos de Di Rollo, notamment dans les pages de Bifrost, que cet auteur a un talent considérable, un talent qui pourrait bien faire de lui le talent de la S-F française… C'est vrai, sans doute, à condition que Di Rollo daigne enfin mettre ses capacités au service d'une histoire. Une vraie. Avec des personnages. Des vrais gens qui vivent autre chose que l'éternel descente aux Enfers que leur inflige leur géniteur à longueur de romans — comme ici, une fois encore, avec ce Syndrome de l'éléphant et Launey, son perso principal, looser congénital affublé d'un don qui ne lui appartient pas, héros (?) « programmé » pour merder jusqu'au bout… Et c'est d'autant plus frustrant que ce bougre de Di Rollo y est déjà presque parvenu à deux reprises avec le diptyque La Lumière des morts/La Profondeur des tombes, deux romans qui relèvent tout de même de la méchante claque littéraire pour tout lecteur normalement constitué.

La « méthode » Di Rollo est simple. Prenez un personnage, n'importe lequel pourvu que ce soit un homme, et brisez-le à longueur de pages sur l'angle aigu d'un système (par définition rigide et donc inhumain), n'importe lequel, politique, social, mental (vous pouvez les mélanger, c'est encore mieux). Tel est l'enfer selon Saint Di Rollo. Peu importe le décor. Et il faut dire que c'est sacrément effrayant (et glauque), parce que le bonhomme a effectivement un talent considérable, tant au niveau de la finesse de la caractérisation de son héros que du style, imparable, aiguisé comme un scalpel… Ça marche, donc, mais ça marche une fois. Je ne connais pour ainsi dire personne qui n'ait pas été frappé à la lecture de son premier Di Rollo (à l'exclusion peut-être de Meddik, plus ambitieux mais aussi plus hermétique). Puis moins frappé au second roman, et moins encore au troisième. D'autant que sur ses deux derniers bouquins, Di Rollo va de plus en plus vers l'épure et des livres extrêmement (trop ?) courts, la « méthode » se muant en « système ». Dommage, encore une fois. On se prend à rêver à un roman de Di Rollo où le « système » se trouverait parfaitement intégré dans un background narratif aussi ciselé que l'est le style de l'auteur, une histoire inscrite dans un monde charpenté (et pas un simple prétexte, rouage de la machine à briser du « système »), nourrie d'horizons d'attentes, de retournements narratifs, de la possibilité, même mince, d'une échappatoire, quelque chose qui, en somme, pourrait s'apparenter à… un scénario. Ne doutons pas que ce livre-là ferait grand bruit.

Pour en revenir au Syndrome de l'éléphant, voilà un bouquin qui pourrait bien secouer le petit monde de la littérature blanche, puisque publié dans une collection hors genres. Il devrait donc toucher des gens qui ne connaissent pas Di Rollo. Ceux-là seront ébranlés, n'en doutons pas, car il y a de quoi. Pour les autres, ils reliront La Lumière des morts/La Profondeur des tombes, et attendront le prochain roman de l'auteur en espérant qu'il apportera la preuve, enfin, que Di Rollo est bien le talent de la S-F française.

Une invasion martienne

Ça commence bien, comme « Radieux », la nouvelle de Greg Egan (dans le recueil éponyme aux éditions du Bélial'). D'emblée, on est plongé dans l'univers noir de l'espionnage industriel façon cyberpunk… Le problème, c'est qu'avant même d'en arriver à la page 20 le soufflé retombe fissa et, contrairement à la nouvelle d'Egan, Une Invasion martienne ne prend pas l'hyperbole.

Dans les années 30 — de ce siècle —, Chinois et Américains vont sur Mars à la recherche du Graal, à savoir, la vie extraterrestre. Les Chinois ont touché le jackpot, mais n'en ont rien dit car c'est potentiellement très lucratif. Bien que battus sur le terrain, les Américains tentent de prendre leur revanche dans le vestiaire et parviennent plus ou moins à exfiltrer un sous-produit de la vie martienne. Mais on ne la fait pas aux Chinois qui nous jouent illico un remake du Boeing coréen. Et plouf ! Voilà la vie martienne qui nage en eau libre dans l'océan Pacifique… Une vaste plaque d'organismes martiens se forme et ne tarde pas à se répandre dans toutes les mers du globe, y causant la mort du phytoplancton qui est à la base de la chaîne alimentaire. Cytex, la société de biotechnologie à l'origine de la catastrophe, organise le black-out sur les plaques et l'organisme martien, refusant d'en communiquer le séquençage génétique qui devrait générer de gigantesques profits.

Les Chinois décident de retourner sur Mars et les Américains leur emboîtent le pas. Il y a manifestement encore des secrets enfouis sous la glace du pôle martien… Les Américains disposant d'un vaisseau spatial propulsé à l'antimatière plus performant que l'engin chinois, ils pourront rester sur Mars après le départ des Chinois, de manière à pouvoir faire les poubelles de ces derniers.

Si la NASA semble maître d'œuvre, c'est Cytex qui finance et dirige en sous-main l'expédition. Celle-ci comprend trois membres : Anchee Ye, Penn Brown et Mariella Anders. La première est une biologiste de la NASA, le second est un scientifique de troisième ordre mais un intrigant de premier plan : c'est l'homme de Cytex, dont le but est que les résultats n'aillent nulle part ailleurs. Quant à Anders, personnage principal, c'est l'électron libre. Une chercheuse de première force déjà nobélisée pour avoir résolu la « Crise des Premiers Nés », une épidémie qui faisait avorter spontanément les femmes enceintes de fœtus mâles. N'en faisant qu'à sa tête, elle finit par se retrouvée liée à Cytex contre son gré…

Cette première partie, intitulée « La vie sur Terre », est relativement bien menée et intéressante. On est loin de toucher au génie, mais bon…

La seconde partie, « La vie sur Mars », nous conte l'expédition martienne elle-même et c'est long, très long… La S-F a connu trois planètes Mars fondamentales. La Barsoom d'Edgar Rice Burroughs, la Mars des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, et enfin la Mars réaliste de Kim Stanley Robinson. Et depuis K. S. Robinson, Ben Bova et quelques autres, en passant par Science & Vie et les illustrations de Manchu, la promenade dans les déserts de cailloux rougeâtres, on la connaît par cœur. Suivre l'expédition au pôle martien dans Mars la rouge était passionnant, désormais ça ne l'est plus, pas davantage qu'un long trajet en train de banlieue un jour pluvieux. Que les Chinois agonisant y jouent du fusil n'ajoute rien et on a quelque peine à croire à la mort de Penn Brown à propos de qui on paraphrasera San Antonio en disant qu'il est mort comme il a vécu, c'est-à-dire comme un con. Yé et Anders rentreront sur Terre en piratant le vaisseau spatial des feus Chinois dans le dessein de soustraire à Cytex les organismes martiens découverts…

La dernière partie, « La vie en fuite », tient à la fois du road movie et du jeu du chat et de la souris, mais on laissera le plaisir (?) de la découverte aux lecteurs (rares ?) qui l'atteindront…

On ne peut pas dire que ce roman soit véritablement mauvais, non, mais on n'en est pas moins déçu. Le manque de rythme est patent du début à la fin. Les longueurs s'enfilent comme des perles, notamment les nombreux passages où un sérieux bagage de biochimiste semble nécessaire à la pleine compréhension du texte et sans lequel ce pourrait tout aussi bien être ce splendide charabia pseudo scientifique propre aux débuts de la S-F. La balade martienne ne fait pas plus recette que la terrestre. Le plus gros défaut d'Une Invasion martienne est d'arriver trop tard, en tout cas après de nombreuses histoires martiennes qu'il ne parvient pas à renouveler (à la décharge de l'auteur, l'édition VO date de 2002, mais quand même !). Il présente toutefois l'intérêt non négligeable de mettre en scène l'avidité des sociétés de hautes technologies ne répugnant à rien pour asseoir leurs sacro-saints bénéfices. Les marchés de dupes passés entre les intérêts privés et les administrations sont remarquablement illustrés, de même que le mépris de l'intérêt général et celui des gens. Quoi qu'en dise la quatrième de couverture, McAuley souffre de la comparaison avec Michael Crichton (un comble !) dont les romans sont des exemples tant en matière de rythme que de tension dramatique. Si les deux auteurs abordent une thématique semblable, ils la traitent de manière radicalement différente. Où Crichton critique l'ultralibéralisme sur le mode du point trop n'en faut, dans une optique libérale au sens large, McAuley s'inscrit dans une opposition bien plus marquée, et le roman fait état de sa sympathie pour le mouvement écologiste et de sa foi, qui apparaît ici un brin naïve, dans la capacité mobilisatrice de la démocratie. Cette Invasion martienne n'est pas à repousser à tout prix.

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