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Les critiques de Bifrost

Lothar Blues

Lothar Blues

Philippe CURVAL
ROBERT LAFFONT
456pp - 22,00 €

Bifrost n° 51

Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51

Il est des livres attendus de longue date. Lothar blues est assurément l'un d'eux. Philippe Curval nous mettait déjà l'eau à la bouche en l'évoquant dans le Bifrost qui lui était consacré (le numéro 31).

Donc le voici enfin, après cinq longues années d'attente.

Première surprise, la couverture. Pour une fois, nous n'avons pas droit à une immondice de Jackie Paternoster. C'est l'auteur lui-même qui la signe, et elle est plutôt réussie 1.

Signalons tout d'abord que Lothar blues se rattache au cycle de L'Europe après la pluie. Chaque livre peut se lire de façon indépendante. Leur seul point commun, c'est d'imaginer à chaque fois un nouveau futur pour l'Europe.

Mais venons-en plutôt à l'ouvrage lui-même. Il se divise en cinq parties, toutes commençant par un article de journal. Tout sauf superflu, chacun d'eux nous immerge dans l'époque, en nous mettant au courant des changements intervenus depuis 2008. Les chapitres, quant à eux, portent les noms des personnages qu'ils mettent en scène.

Nous sommes dans l'Europe des années 2050, après les Années de chien qui ont ouvert le XXIe siècle. Le Vieux continent est devenu une fédération dirigée depuis Bruxbourg. Les robots se chargent de l'essentiel des tâches. Ils éduquent les enfants, afin de lutter contre les parents démissionnaires. Ils se chargent aussi de l'essentiel du travail. Les hommes ne travaillent plus que quatre heures par jour, quatre jours par semaine. Les chômeurs vivent confortablement sur une allocation d'Etat. Seuls les condamnés de droit commun travaillent véritablement, en guise de peine.

Noura M'Salem retrouve Lothar, le robot qui l'a éduqué. Il n'a pas vraiment connu ses parents, pris par leurs activités professionnelles, et qui ont disparu. Pourquoi l'ont-ils abandonné ? La question taraude d'autant plus Noura que Lothar n'a pas de réponse à lui offrir. Cette disparition a-t-elle un lien avec les contestataires anti-Bruxbourg ?

En effet, deux extrêmes contestent la politique de Bruxbourg. D'un côté, les partisans de l'abolition pure et simple du travail humain. Ces héritiers de Paul Lafargue estiment que les robots peuvent s'en charger, et que l'homme a donc mieux à faire. De l'autre, un démagogue moldave, qui défend lui l'élimination des robots. Ce nouveau Mussolini estime que les robots détruisent l'humanité, qui s'enfonce dans le sybaritisme.

Si ce résumé vous semble un tantinet hâtif, il n'en est pas moins le seul que l'on puisse envisager pour ce roman. En effet, il s'agit d'une œuvre d'une densité incroyable. Roman choral, tout d'abord. On y trouve en effet de nombreux personnages, qui se croisent au fil des chapitres. Aucun n'est négligé, tous sont bien brossés. Comme toujours chez l'auteur, il est vain de chercher la moindre trace de manichéisme. On se ballade également aux quatre coins de l'Europe, d'un Paris ayant absorbé sa banlieue à la Moldavie. Les admirateurs (dont je suis) du Dormeur s'éveillera-t-il ? seront en terrain connu. Philippe Curval y mélange, dans une parfaite osmose, l'histoire individuelle de ses protagonistes avec l'histoire de l'Europe (enfin, celle qu'il imagine être notre futur).

Mais au-delà de ça, il remet au goût du jour un bon vieux thème de S-F. De Fritz Lang à Isaac Asimov, le robot est quand même une tarte à la crème du genre. Une tarte à la crème qui tombe d'ailleurs un peu en désuétude. Si ses robots obéissent aux trois lois de la robotique, soufflées à Asimov par Campbell, Curval est bien loin de s'y cantonner. Il ose même s'aventurer sur les voies audacieuses de ce que l'on pourrait appeler le cyberfreudisme, dotant ses robots d'un inconscient. Goguenard, Curval en profite également pour rendre, au détour d'une phrase, un hommage malicieux à feu Robert Sheckley : « À cette minute, j'aurais eu besoin de m'approcher d'elle pour croire tout à fait qu'il s'agissait de ma mère, et non d'un robot qui m'aimait. »

Mais Sheckley et Asimov sont loin d'être les seuls. Les auteurs du Grand siècle (de Corneille à Descartes, en passant par Scarron) se voient eux aussi cités ou détournés au fil de Lothar blues.

Vertigineux, Lothar blues l'est assurément. Car non content de rendre hommage à la S-F et à la littérature, Philippe Curval travaille bien loin du simple pastiche. Osons même dire qu'il signe l'un des meilleurs titres d' « Ailleurs & demain », ce qui n'est vraiment pas peu dire ! L'inconscient des robots, pour ne prendre qu'un exemple, est une innovation passionnante. Souhaitons qu'elle soit féconde. Lothar blues est donc à lire toutes affaires cessantes. Et comme à Bifrost, on aime bien le poil à gratter, on se permettra de rappeler que les autres tomes de L'Europe après la pluie méritent largement la réédition. Avec les couvertures initiales de Manchu, tant qu'à faire !

 

Notes :
Un avis qui ne fait pas l'unanimité au sein de la rédaction, loin s'en faut ! [NDRC]

Olivier PEZIGOT

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