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Les Premiers Hommes sur la lune

On pourra s’étonner de voir le père des fusées modernes en auteur de roman. À l’origine, il s’agissait d’une série d’articles pour This Week, revus et complétés par la suite, afin de donner à lire autrement que par des explications techniques ce que l’envoi d’hommes dans la Lune suppose comme compétences. Les marges n’en sont pas moins noircies d’abondantes notes et des encarts dispensent d’autres précisions. Une copieuse préface répond aux questions des lecteurs, plus centrées sur les aspects secondaires, souvent philosophiques, de la conquête : pourquoi aller dans l’espace, n’a-t-on pas assez de problèmes sur Terre, existe-il de la vie ailleurs, et même n’est-il pas impie de s’aventurer dans le royaume de Dieu ? L’ouvrage est abondamment illustré par Fred Freeman, qui signe aussi l’aplat de couverture, dans un esprit très proche de celui de Brantonne.

On suit donc John Mason et Larry Carter, deux pilotes, à l’entraînement puis sur la Lune. Autant le dire tout net : la narration est réduite à la portion congrue. John et Larry se contentent d’agir conformément à leur mission, ce qui n’empêche pas les notes de suspense : le premier chapitre s’achève sur une panne de batterie. Chaque avarie est l’occasion de présenter un point de protocole. Les protagonistes ne sont que peu affectés, même si on les dit inquiets, excités ou déçus. Il est en effet précisé qu’ils sont entraînés à contenir leurs émotions. On ne peut s’empêcher malgré tout de constater une certaine morgue quand leurs interlocuteurs terrestres sont qualifiés de rampants.

La narration devient plus vivante vers la fin, lorsque Larry chute et perd connaissance en se blessant à la tête contre un instrument à l’intérieur de sa combinaison. La porte extérieure du sas refuse de se fermer, ce qui remet en cause le retour dont le long compte à rebours a commencé. Les ennuis du retour, avec un impact de météorite, installent un climat où alternent de tension et détente, toujours dans une optique didactique.

Quelques notes relatives à la Lune, comme l’absence de poussière, ont été démenties depuis. En soi, c’est un documentaire historique de première main, le plus précis qu’on puisse espérer pour voir en situation les aspects techniques de la conquête spatiale à un instant précis. Si l’ensemble est peu vivant, cette curiosité (encore trouvable d’occasion) n’en offre pas moins un aperçu du savoir de la NASA neuf ans avant Apollo 11, délivré par le plus au fait de ses concepteurs.

Objectif Lune

Le professeur Tournesol projette d’aller sur la Lune au moyen d’une fusée à propulsion nucléaire, ayant par ailleurs inventé la Tournesolite, un gel qui protège des chaleurs excessives du moteur. L’expédition connaît divers aléas, notamment en raison d’espions cherchant à récupérer la fusée et de passagers clandestins qui épuisent prématurément la réserve d’oxygène. Une fois sur la Lune, l’équipe procède à des observations. Le retour précipité garantit un suspense sans faille jusqu’à la dernière page.

La réputation de ce diptyque n’a fait que croître avec le temps, ne serait-ce que par les vocations qu’il a suscitées. Quant à la célèbre fusée à damier, elle est depuis devenue l’objet le plus emblématique des aventures de Tintin et Milou.

Confirmant le virage amorcé avec Le Lotus bleu, Hergé tient à coller à la réalité — il n’y aura donc pas de monstres sur la Lune. Le sujet devient alors casse-gueule, car le voyage interplanétaire risque de perdre sa substance. C’est en effet durant les préparatifs et pendant le trajet que se concentre l’intrigue, non sur la Lune.

Prudent, Hergé se documente : Bernard Heuvelmans, cryptozoologue qui l’a souvent aidé sur ses albums, le conseille, comme Alexandre Ananoff, pionnier français du voyage spatial dont Hergé a lu L’Astronautique. Il s’est rendu à Paris pour lui présenter une maquette démontable de la fusée, avec sas et poste de pilotage. Il demande à « Bib » Heuvelmans et Bob de Moor de lui écrire un scénario, qu’il refuse mais dont il retient les meilleures idées, comme l’eau sur la Lune et le whisky en boule (Heuvelmans revendique le titre). Le projet, mûri en 1949, paraît en feuilleton dans le journal Tintin d’août 1950 à avril 1953, avec une interruption de dix-huit mois à la vingt-quatrième planche, correspondant à une sérieuse remise en question et à un état dépressif.

En effet, Hergé sait qu’il ne peut évacuer la partie didactique : plans, principes du vol, de la propulsion nucléaire, enrichissement de l’uranium en plutonium, tests du scaphandre, de la radio et de la fusée, sont des explications essentielles mais peu narratives. De fait, les calculs sont exacts : la fusée échappe à l’attraction terrestre au bout d’une demi-heure et met quatre heures pour atteindre sa destination en accélération constante. Il subsiste des erreurs, ou plutôt des libertés prises pour les nécessités du récit, mais l’effet de réalisme est là, et sera d’un impact énorme.

Pour aérer ces passages techniques, Hergé ne dispose que d’une maigre intrigue d’espionnage, surtout alimentée par deux espions à l’écoute d’un poste, qui ne passe au premier plan qu’en toute fin de récit, lorsque Jorgen sort de sa cachette, et d’incidents de parcours dans le tome 2 : évitement de météorite, manque d’oxygène, imprudences de Haddock ou des Dupondt. Le reste repose sur les pitreries, visuelles et verbales, du capitaine, les maladresses des uns et des autres : un burlesque à la Mack Sennett où l’on ne cesse de se cogner aux portes et de s’accrocher aux câbles. Hergé tempère le didactisme par un humour potache.

L’accumulation est énorme, et pourtant ça marche ! D’abord parce que ces gags participent intégralement de l’action : ce va-et-vient permanent est le moteur du récit. Ensuite, parce que Hergé valide le sérieux de l’entreprise : ici, on apprend que la science est un destin collectif, pas le fait d’un savant isolé, et que les tests font partie du processus scientifique. Le premier volet, uniquement consacré aux préparatifs, donne sa crédibilité au projet et devient le récit de l’attente, propre à générer le suspense. Le second volet est alors plus prenant, car le lecteur a pris la mesure des dangers. En scénariste accompli, Hergé distille des rebondissements dignes d’un récit catastrophe avant la lettre, jusqu’au sacrifice de Wolf rachetant sa conduite ; il a dû modifier la lettre d’adieu qui laissait trop entendre un suicide alors que Hergé y voyait un sacrifice. Plusieurs passages peu crédibles ont été modifiés lors de la publication en album, comme le pistolet à la ceinture que portent Tintin et Haddock sur la Lune, ou Milou rattrapé in extremis dans le sas d’évacuation.

Avec ce diptyque, c’était la première fois qu’une bande dessinée pour la jeunesse présentait avec un tel souci d’exactitude les étapes d’un voyage sur la Lune, sans céder aux sirènes du spectaculaire mais en s’appuyant sur un art consommé de la narration. Un petit chef-d’œuvre en soi.

L'Homme qui vendit la lune

Si l’histoire officielle n’a retenu que la date de 1969, c’est pourtant en 1950 que les États-Unis ont (re)posé un premier pied sur la Lune, pied dont le propriétaire n’était autre que Robert Anson Heinlein. C’est en effet à cette date que sort en salle Destination… Lune ! et en librairie L’Homme qui vendit la Lune, deux œuvres qui ont beaucoup fait pour populariser l’idée d’un voyage vers notre satellite auprès du grand public américain. Elles sont aussi l’aboutissement d’un travail entamé par l’auteur peu après la fin de la guerre, une série de textes qui, pour la plupart, s’inscrivent dans son « Histoire du futur » et prennent la Lune pour cadre. Notons en particulier « Jockey de l’espace » (1947) ou la difficile vie d’un pilote assurant la liaison Terre-Lune, « C’est bon d’être de retour » (1947) dans lequel un couple, après trois années passées à Luna City, décide de rentrer chez lui avant de réaliser qu’il n’y trouve plus sa place, et « Les Puits noirs de la Lune » (1948), une excursion familiale lunaire qui manque de peu de tourner mal. Ces nouvelles sont très loin d’être ce qu’Heinlein a écrit de mieux, mais elles eurent l’insigne honneur de paraître dans le Saturday Evening Post, l’un des plus gros tirages de la presse américaine de l’époque, guère habitué à ouvrir ses pages à la science-fiction.

Destination… Lune ! est sans doute l’œuvre d’Heinlein qui obtint le plus grand impact au moment de sa sortie. Un film de SF aux antipodes de ce que proposait le genre alors, ne sacrifiant pas la vraisemblance scientifique au spectaculaire, s’appuyant sur de solides effets spéciaux, et accordant autant d’importance et de minutie à ses préparatifs qu’à la mission elle-même. De son côté, L’Homme qui vendit la Lune s’intéresse davantage au montage du premier vol vers la Lune qu’à sa réalisation proprement dite. Et plus encore à son financement qu’aux problèmes techniques à résoudre. C’est son aspect le plus novateur, à une époque où il arrivait encore que l’on croise un scientifique génial capable de bricoler seul une fusée au fond de son jardin et de partir vers les étoiles. Heinlein met ici en scène l’un de ses héros les plus mémorables, D.D. Herriman, homme d’affaires hors-pair et margoulin de première, dont la volonté d’être le premier homme à atteindre la Lune vire à l’obsession. Pour financer son projet, Herriman fera feu de tout bois, multipliant les promesses pour faire les poches des grands industriels, développant les idées les plus délirantes, détournant la loi afin de devenir l’unique propriétaire du satellite, instillant dans la population à grand renfort de campagnes publicitaires l’idée que l’avenir de l’humanité se trouve là-haut. Outre l’inventivité permanente dont fait montre Herriman pour parvenir à ses fins, le récit est porté par sa gouaille inébranlable et un goût de la réplique qui fait mouche à tous les coups. Son histoire trouvera sa conclusion dans « Requiem », une nouvelle paradoxalement parue dix ans plus tôt, ce qui lui est malheureusement préjudiciable tant la façon dont Heinlein y traite son personnage est éloignée de celle adoptée dans L’Homme qui vendit la Lune.

Une femme dans la lune

De Thea von Harbou, aujourd’hui tombée dans un relatif oubli en dépit d’une œuvre prolifique, on ne souvient plus guère que de Métropolis — roman, puis film de son époux d’alors, Fritz Lang —, et de ses malheureuses accointances avec le parti nazi. On lui doit cependant un roman d’exploration lunaire : Une femme dans la Lune.

Toute sa vie, le vieux professeur Manfeld a rêvé des montagnes d’or de la Lune. Or, voilà que son ami Wolfgang Hélius se présente à lui muni de cette invitation : prendre place à ses côtés à bord d’un astronef de son invention. Les autres compagnons de voyage seront l’ingénieur Jean Windegger et sa compagne Frida Velten. Hélas, un certain Walt Turner, représentant d’un consortium financier, avertit Hélius : le voyage vers la lune se fera avec lui… ou ne se fera pas. Insaisissable malfaiteur, Turner est le genre d’homme qui ne lance pas des menaces à la légère, et Hélius est contraint d’obéir. Il ne peut non plus lutter contre la volonté d’airain de Frida, qui ne compte pas rester sur place pendant que son fiancé s’envole. Et c’est ainsi que l’astronef, propulsé dans l’espace par un avion, s’élance en direction du satellite naturel de la Terre. À son bord se trouve un passager clandestin : Gustave, un sympathique garnement. Les théories aurifères du professeur Manfeld, les machinations de l’étrange Walt Turner, la romance contrariée entre Hélius et Frida : tout cela se dénouera sur la Lune.

À l’inverse des romans de Verne, et dans la continuité de ceux de Burroughs, la Lune imaginée par Thea von Harbou se distingue par son caractère fantaisiste : il s’y trouve une atmosphère respirable, il s’y dresse des montagnes d’or et une race ancienne a vécu sur ce monde, y édifiant des cités cyclopéennes. Ce sont là les plus belles pages d’un roman passablement bancal. La narration fait la part belle à l’expressivité, voire à l’emphase (peut-être est-ce là un effet de la traduction, pas retouchée depuis sa prime parution en 1929 aux éditions Cosmopolites), les rebondissements de l’intrigue ne recèlent guère de surprise, et la galerie de personnages brille assez peu — à l’exception de Frida Velten, femme de caractère n’ayant rien de la princesse en détresse, qui ne se laisse guère intimider par ses (trop) prévenants amis ou ses ennemis.

Paru en 1928 en Allemagne, Une femme dans la Lune fut adapté au cinéma l’année suivante par Fritz Lang, alors marié (mais plus pour très longtemps) à son autrice. Avec ses cent cinquante minutes au compteur (la version restaurée dépasse les trois heures), c’est peu dire qu’il s’agit d’une adaptation exhaustive. Si les démêlés de Hélius avec Manfeld, Windegger et le doucereux Turner tirent en longueur, le film décolle à partir des préparatifs du décollage, justement, ce qui permet d’admirer une nouvelle fois le caractère visionnaire de Fritz Lang. Exemples : c’est une fusée qui propulse la capsule ; l’intérieur de celle-ci est abondamment équipé en poignées pour s’agripper en apesanteur ; à l’approche de la Lune, les vues de celles-ci préfigurent la réalité avec une certaine justesse. En dépit de sa durée, La Femme sur la Lune fascine par ses images souvent saisissantes. À vrai dire, au roman de Thea von Harbou, on préfèrera le film de Fritz Lang.

Le Cycle de la lune

Quand on parle d’Edgar Rice Burroughs (1875-1950) aujourd’hui, c’est généralement pour faire référence à Tarzan, plus rarement John Carter, mais presque jamais pour parler du reste de l’œuvre importante de cet écrivain prolifique et très populaire en son temps. Arrivé par hasard à l’écriture ou peu s’en faut, cet auteur américain connut une vie digne d’un aventurier, à l’image de ses récits, entre westerns, guerres et science, inspirant au passage un nombre incroyable d’écrivains, de cinéastes et de scientifiques.

L’idée qui donna naissance au « Cycle de la Lune » lui vint très tôt dans sa nouvelle (parmi tant d’autres) carrière d’écrivain. Commencée pendant la Première Guerre mondiale, la courte histoire à l’origine de la trilogie, « Under the Red Flag », fut refusée par les éditeurs, qui ne voulaient pas de récits guerriers en ces temps de paix retrouvée. Burroughs la garda donc en réserve, et y revint quelques années plus tard en l’intégrant à sa trilogie lunaire. Celle-ci, dont l’édition française est épuisée (et pour ainsi dire introuvable), parut en feuilletons à partir de 1923. Le premier regroupement des trois récits fut publié en 1926, mais amputé de près d’un quart de son contenu, et il fallut attendre l’édition posthume de 1962 pour pouvoir se plonger dans l’intégralité du texte.

Débutant à la fin des années 1960, le récit fait une étape dans les années 2050 et se termine en 2430, dans les pas d’un narrateur nommé Julian. Partant du postulat qu’ « Il n’y a pas de temps, pas de futur, seul maintenant existe », Julian nous raconte l’histoire de sa dynastie et ses aventures sous ses différentes incarnations.

Tout commence avec Julian V dans La Princesse de la Lune. Après la découverte des Martiens (ou des habitants de Barsoom, comme ils nomment eux-mêmes leur planète) par le célèbre John Carter, des solutions sont envisagées pour que les deux peuples puissent se rencontrer, le voyage interplanétaire semblant enfin rendu possible grâce aux dernières découvertes scientifiques. Las, la première expédition humaine envoyée vers la planète rouge, dirigée par Julian V, échoue. Saboté par un membre vindicatif et ivre de l’équipage, le lieutenant Ortis, le vaisseau est obligé d’alunir. Les explorateurs découvrent alors la jungle du satellite terrien et entrent en contacts avec les différentes peuplades autochtones… initiant au passage un conflit qui durera plusieurs siècles, entre civilisations lunaire et terrienne, entre les perfides Ortis et les braves Julians. Une guerre qui modèlera l’Histoire des deux mondes.

Que ce soit dans cette première partie, dans la deuxième, Les Conquérants de la Lune, ou la dernière, Les Héritiers de la Lune, où l’on suit respectivement Julien IX et Julian XX, le scénario respecte toujours les mêmes codes, entre pulp et récits d’aventures. Le héros, homme intelligent et intrépide, se retrouve en difficulté, rencontre une jeune femme belle et intelligente, la sauve ou est sauvé par elle, ils tombent amoureux, doivent se défendre contre l’ennemi de toujours, mais en sortent victorieux, après moult péripéties palpitantes. C’est désuet à souhait, parfois charmant. Et on se prend souvent au jeu, comme un enfant suspendant son incrédulité en découvrant ces « il était une fois » d’un autre monde et d’un autre temps.

Si on reprend le contexte de l’époque, la trilogie prend toute son ampleur de récit de SF, critique de la société et de l’Histoire en marche. Dans un monde perturbé et sans repères, sortant de l’un des plus grands conflits de l’époque moderne, Burroughs, entre Prohibition et années folles, pressentit les troubles à venir, les manifestations montantes des extrémismes de tout bord dans la civilisation occidentale. Ainsi, au-delà de la guerre entre la Lune et la Terre, comment ne pas remarquer dans Les Conquérants de la Lune une critique implicite du communisme ? Quand Julian lutte pour pratiquer sa religion au sein d’une société totalitaire qui tente d’effacer tout individualisme, qu’il se bat pour protéger sa famille des polices dictatoriales, pour défendre sa liberté d’expression, on devine le regard inquiet tourné vers l’Est d’un auteur visionnaire. Et dans Les Héritiers de la Lune, comment ne pas soupçonner le roman patriotique ? Quand la vie de Julian est celle d’un chef guerrier dans toute sa splendeur et ses doutes, les batailles et les morts qui jonchent les nombreux conflits sont comme autant d’avertissements contre l’horreur à venir, contre l’ennemi qui se prépare dans l’ombre. Même si la paix l’emporte finalement, même si l’aventure fait écran…

Le « Cycle de la Lune » compose donc une étape curieuse dans l’œuvre de Burroughs. Au-delà du premier niveau de lecture plutôt sympathique (et très old school) des aventures des héros, le message de l’auteur est direct, brut et catégorique : méfiez-vous de tout totalitarisme, soyez libres et indépendants. Un message atemporel, qui mériterait peut-être une réédition française…

Les Premiers Hommes dans la lune

Prépublié en feuilleton dans The Strand Magazine de décembre 1900 à août 1901, Les Premiers hommes dans la Lune est une des scientific romances chères à l’auteur anglais. Au canon de Jules Verne succède la cavorite, sans doute parmi les plus connues des matières inventées par la SF. Elle est l’œuvre du scientifique Cavor, savant génial mais un brin toqué, au risque de détruire entièrement son laboratoire. Il s’associe toutefois avec Befdord, un industriel qui entrevoit tout le bénéfice qu’il pourrait tirer de cette nouvelle matière. Car la cavorite permet rien moins que de s’affranchir de la gravité, ce qui a un intérêt économique évident. Mais, pour vérifier définitivement ses capacités, rien de mieux que d’expérimenter soi-même : voici nos deux acolytes embarqués dans une sphère recouverte de stores de cavorite, qu’on peut actionner différemment pour guider le véhicule. Après les bizarres sensations nées d’un voyage en apesanteur, les voici arrivés à proximité de la Lune. Ils décident alors de tenter le tout pour le tout et d’alunir ! Sur place, les surprises se succèderont : l’air est respirable ; lors du lever de soleil sur la Lune, l’astre se recouvre d’une végétation luxuriante invisible de la Terre ; enfin, si on n’a jamais observé de vie sur la Lune, cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas… Car les Sélénites existent bel et bien, ils ont même développé une société complexe hyper codifiée,  et plus avancée que la nôtre à bien des titres… et tout cela dans des galeries souterraines !

Sans doute un brin moins connu que La Guerre des Mondes, La Machine à explorer le Temps ou L’Île du Docteur Moreau, Les Premiers hommes dans la Lune s’inscrit pourtant dans la droite lignée des précédents romans de Wells : une œuvre romanesque au contenu scientifique indéniable. Certes, tout n’est pas rationnel : la cavorite paraît un brin miraculeuse, la végétation et la vie sélénites semblent bien improbables, tant on aurait dû les observer depuis longtemps, même en 1900… Mais Wells ne néglige pas la plausibilité de son récit : le voyage de la Terre à la Lune se fait en apesanteur, dont les effets sont assez minutieusement décrits ; le port non-obligatoire du scaphandre est justifié scientifiquement (prends-en de la graine, Ridley Scott, toi qui as commis Prometheus !) ; et la civilisation sélénite est parfaitement cohérente, répartie en castes définies selon la fonction à assumer au cours de son existence. Même si on nage en pleine fantaisie, celle-ci repose sur un substrat crédible ; on n’oubliera pas de sitôt ces hommes-insectes à la tête disproportionnée ! Le plus intéressant tient certainement au fait que, bien que nous soyons ici dans un voyage extraordinaire que n’aurait pas renié Jules Verne — lequel est par ailleurs cité —, la destination s’avère tout sauf idyllique. La société lunaire est en effet une vraie dystopie, rigide, totalitaire, immuable ; on l’imaginera d’ailleurs sans mal comme une projection déformée de la vie anglaise de l’époque, et des craintes nourries par Wells quant au futur tel qu’il le prédisait. Ainsi le récit agit-il comme une alerte à destination de ses lecteurs : méfiez-vous de ce que vous voulez faire de votre société, car elle risque fort de finir comme celle que vous avez sous les yeux dans ce roman.

Pour finir, on signalera l’astuce finale de narration : racontée du point de vue de Bedford, l’histoire aurait dû s’arrêter lorsque celui-ci regagne la Terre, laissant derrière lui Cavor. Pourtant, ce dernier réussira à faire parvenir des nouvelles, et à laisser planer une ultime menace (qu’on retrouvera dans les pages du présent Bifrost, mais sous la plume d’un autre anglais, Stephen Baxter).

Publié à l’aube du XXe siècle, ce roman connaîtra une influence durable : adapté trois fois (par Méliès en 1902, Gordon et Leigh en 1919, Juran en 1964), il sera source d’inspiration pour C.S. Lewis dans Le Silence de la Terre, et la cavorite réutilisée à plusieurs reprises, par Vernor Vinge par exemple, ou encore dans La Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Un classique.

Sur la lune

Bien que sous-titré « Un récit fantastique », Sur la Lune de Tsiolkovski peut être considéré comme l’un des textes fondateurs de la hard science. Deux personnages, égarés sur le satellite de la Terre, y font l’expérience d’une pesanteur six fois inférieure à celle de notre monde : les masses y connaissent donc un poids six fois moindre et, selon le principe fondamental de la dynamique, il est par conséquent six fois plus facile aussi pour l’être humain de les mettre en mouvement : ainsi, le narrateur et le physicien peuvent-ils à moindre coût se changer en hercules de foire ! Tsiolkovski ne se contente pas de montrer les conséquences étonnantes qu’implique la gravité inférieure de la Lune par rapport à celle de la Terre — qui préfigurent le saut géant du capitaine Haddock dans On a marché sur la Lune de Hergé… et prophétisent ceux des astronautes d’Apollo 11 ! —, car en bon fondateur de la hard SF, il prend soin d’explorer d’autres dimensions du voyage lunaire. Sur la Lune, l’éclairage direct par le Soleil réchauffe la surface au point de la rendre brûlante — alors que la nuit est au contraire glaciale : on rappellera ici que si la Terre et la Lune sont à la même distance du Soleil, la température de la première est plus élevée grâce au léger effet de serre naturel de notre atmosphère.

La leçon de physique, de thermodynamique, de planétologie et même de biomécanique, dans Sur la Lune, a beau se révéler par moments naïve, elle ne manque pas d’intérêt tant Tsiolkovski cherche à tirer avec rigueur toutes les implications scientifiques de son hypothèse de fiction. Le texte prend ainsi la forme d’un quasi-dialogue entre le narrateur et son ami physicien, le premier jouant le rôle d’auditeur naïf et le second réalisant le gros du travail d’investigation scientifique : à quoi ressemble une éclipse de Lune vue… depuis la Lune ? Comment échapper à la cuisson instantanée dans l’environnement lunaire ? Etc. Si le diptyque lunaire d’Hergé et les enregistrements historiques des premiers pas de l’être humain sur la Lune ont popularisé les caractéristiques planétologiques les plus remarquables de notre satellite, disposer d’un récit de fiction explorant la Lune avec pareille ténacité ne manque pas d’intérêt. On pardonnera de fait volontiers à Tsiolkovski d’avoir justifié les quelques fragilités de son Sur la Lune par le recours facile au rêve lucide…

De la Terre à la Lune

C’est sur fond de guerre de Sécession que Verne ouvre son diptyque lunaire. Avec une ironie voltairienne, les premières pages de De la Terre à la Lune en soulignent notamment la destructrice modernité : « Au combat de Gettysburg, un projectile conique lancé par un canon rayé atteignit cent soixante-treize confédérés, et au passage du Potomac, un boulet Rodman envoya deux cent quinze Sudistes dans un monde évidemment meilleur. » De fatales prouesses que l’on doit aux membres du Gun-Club de Baltimore, une société savante réunissant des balisticiens émérites dont « chacun […] avait tué […] une “moyenne” de deux mille trois cent soixante-quinze hommes et une fraction. » Mais ces « Anges exterminateurs, au demeurant les meilleurs fils du monde » se trouvent fort dépourvus quand le conflit vient à cesser… Jusqu’à ce que Barbicane (président du Gun-Club, au patronyme logiquement guerrier) leur propose de tourner leurs insatiables canons vers une nouvelle cible : la Lune. Y envoyer un projectile lui apparaît comme l’unique défi à la hauteur du club en ce temps de « paix inféconde ».

Le projet soulève l’enthousiasme du Gun-Club puis des États-Unis tout entier. Enfin, c’est au tour du monde de s’enflammer, grâce à une campagne de presse planétaire. Ainsi informé, le Français Ardan se joint au projet. Digne exemple de cette furia francese promise par son vigoureux patronyme, Ardan suggère de transformer le boulet en nef spatiale, afin d’explorer le sol lunaire. Peut-être même, de le coloniser ! Emportant l’adhésion de Barbicane, le charismatique Français l’embarque avec lui ainsi que Nicholl — ex-militaire et fabriquant d’armes de son état — dans l’obus dûment aménagé. Se joignent à eux une chienne et quelques poules, seules représentantes du sexe féminin dans cette très mâle odyssée. Expulsé de la Terre par le plus énorme canon jamais construit, le projectile emmène bientôt ses passagers Autour de la Lune.

Objet intégral du second volet du diptyque, leur voyage interstellaire tourne court. Empêchés d’alunir par une rencontre imprévue avec une météorite, les trois astronautes doivent se contenter de survoler la Lune — d’assez près, cependant, pour permettre de « contrôler les diverses théories admises au sujet du satellite terrestre ». Puis l’obus reprend la direction de la Terre, y déposant ses occupants sains et saufs. Pourtant semi-victorieux, ils effectueront une tournée triomphale à travers les États-Unis, que l’ultime page d’Autour de la Lune dépeint ainsi : « L’apothéose était digne de ces trois héros que la Fable eût mis au rang de demi-dieux. »

Les « Voyages extraordinaires » doivent leur réussite à un équilibre entre envolées imaginaires et apports documentaires. C’est dans De la Terre à la Lune que Verne combine au mieux ces deux ingrédients, s’y montrant par ailleurs le plus remarquablement visionnaire. En imaginant une expédition lunaire plongeant ses racines dans la chose militaire, l’écrivain préfigure la place essentielle de celle-ci dans la future conquête de l’espace. Rappelons le rôle joué par von Braun (concepteur du V2) dans le programme Apollo, conçu par les USA comme une arme dans la guerre froide les opposant à l’URSS. Visionnaire, Verne l’est encore en faisant de la presse mondiale une actrice clef de son odyssée lunaire des années 1860 — comme le seront un siècle plus tard les médias modernes, érigeant le premier alunissage en retentissant événement planétaire.

Autour de la Lune séduit quant à lui beaucoup moins, faute d’un souffle narratif suffisant. Prisonnier de son souci de vraisemblance — la science de son temps ne lui propose aucune solution satisfaisante quant à un alunissage —, Verne décide de refuser la Lune à ses personnages. Un choix transformant Autour de la Lune en « un huis-clos, tenu dans un espace plus confiné encore que ne le sera celui du Nautilus », comme l’écrit Dahan dans sa notice. Dès lors, réduits à l’état de spectateurs, Barbicane, Nicholl et Ardan se contentent de vérifier à travers un hublot la conformité de leurs cartes lunaires avec le paysage s’offrant à eux. Le tout en des descriptions abondant en détails topographiques… Dès lors, le romanesque croule inexorablement sous la charge documentaire. Et Verne ne se révèle pas meilleur visionnaire que raconteur dans ce second volume. Autour de la Lune n’offre qu’un maigre lot d’intuitions science-fictionnelles. Tout au plus on retiendra la chute en mer de l’astronef, semblable à celle des capsules Apollo.

C’est un diptyque lunaire somme toute paradoxal qu’a imaginé Verne, car bien plus convaincant sur Terre que dans l’espace. D’une force science-fictionnelle inentamée, De la Terre à la Lune affirme que la conquête spatiale est une continuation de la guerre par d’autres moyens…

Histoire comique des États et Empires de la lune

Personnage littéraire de la fameuse pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac est aussi un personnage historique : soldat, il est contemporain de Louis XIII et vit le basculement de l’équilibre des pouvoirs en Europe, lorsque l’affaiblissement de l’Espagne consacre la supériorité militaire de la France ; lettré, il fréquente les cercles littéraires parisiens et rencontre peut-être Molière au cours de ses années de formation. La France profite alors de l’œuvre pacificatrice de Henri IV : si la Fronde bat sans doute son plein au moment de l’écriture des États et Empires de la Lune, les guerres de religion appartiennent au passé ; une fois terminé le dernier conflit nobiliaire de notre pays, celui-ci ne vit plus de troubles civils majeurs jusqu’à la Révolution. De Bergerac connaît ainsi un environnement social quelque peu pacifié — à défaut d’être pacifique —, et donc propice à l’expression d’idées nouvelles. Il n’y a de fait rien de surprenant à voir sa fiction lunaire adopter les codes du conte philosophique et de la satire sociale.

Même si l’objet du voyage de Cyrano de Bergerac est un corps céleste, il serait difficile de qualifier son séjour lunaire de science-fiction : le transport se fait dans des conditions guère moins réalistes que celles qu’invoque un Baron de Münchhausen cent trente ans plus tard dans son propre récit spatial. La vraisemblance scientifique n’intéresse en effet pas l’auteur des États et Empires de la Lune : si l’hypothèse initiale — celle d’une nature matérielle de la Lune et de sa position dans le système qu’elle forme avec la Terre — est valable, elle n’est introduite en tant que telle qu’à des fins philosophiques. Libertin (dans l’acception du xviie siècle), de Bergerac formule cette hypothèse à des fins provocatrices : imaginer que « la Lune est un monde […] à qui le nôtre sert de Lune » revient à dénier à la Terre son caractère de spécificité dans l’œuvre de création divine. La démonstration de l’auteur est appuyée par sa description d’une société de sélénites quadrupèdes : à l’absence de spécificité de la Terre dans le concert universel va répondre celle de l’espèce humaine dont le plan d’organisation ne représente en rien un optimum, puisque les habitants de la Lune se révèlent plus anciens et plus avancés que ceux de notre propre monde.

Si le monde lunaire et la société qu’il abrite sont originaux, et même fantastiques — certains personnages relevant d’une réalité transcendante —, ils ne constituent pas pour autant une utopie. Cyrano n’est presque jamais reconnu par ses interlocuteurs sélénites comme un être doué de conscience et de raison : sa bipédie le fait même considérer comme un animal extraordinaire qu’il est bon de garder en cage pour l’amusement des puissants de la Lune ! La société de celle-ci est donc, à sa façon, tout aussi imparfaite que celle de la Terre, puisque la raison n’y règne pas. Une leçon somme toute assez pessimiste qu’administre l’auteur de ce court texte : même les plus avancées des sociétés demeurent soumises aux superstitions — un constat qui reste aujourd’hui on ne peut plus pertinent… Bravo !

L'Homme dans la lune

Évêque anglican né une petite vingtaine d’années après la mort de Nicolas Copernic (1543), contemporain de Johann Kepler et Giordano Bruno, décédé une dizaine d’années avant la naissance d’Isaac Newton (1642), Francis Godwin (1562-1633) est l’auteur d’un catalogue d’évêques, d’études historiques… et d’un roman de proto-science-fiction paru de façon posthume : L’Homme dans la Lune.

« Ô Lecteur, tend l’Oreille et prépare-toi à entendre l’Aventure la plus étrange survenue à un Mortel. »

Le récit se présente comme le compte-rendu d’un gentilhomme espagnol, Domingo Gonsales. Forcé de quitter son pays à la suite d’un duel, Gonsales se retrouve sur l’île de Sainte-Hélène. Là, il entreprend d’apprivoiser des gansas, des sortes d’oies, et se fabrique une nacelle tirée par les volatiles. Suite à diverses péripéties sur le chemin du retour vers l’Espagne, Gonsales se retrouve à son corps défendant emmené vers la Lune par son attelage de gansas

Par l’entremise de son narrateur, Godwin se fait le porte-parole des théories de Copernic : l’ascension de Gonsales vers la Lune est l’occasion de s’interroger sur le mouvement apparent des astres et leur vitesse, de l’attraction gravitationnelle de la Lune et de la Terre, ainsi que de la transmission de la chaleur dans un espace dépourvu d’air. Autant de notions qui nous semblent tomber sous le sens, mais qui n’étaient pas encore universellement acceptées à l’époque. Après onze jours de voyage, Domingo arrive sur la Lune et la voit sous son véritable aspect : essentiellement couverte d’eau, elle comporte un unique continent. Autre monde, autres couleurs : celles-ci sont littéralement indescriptibles. Ici, tout est vingt à trente fois plus grand que sur Terre. Gonsales rencontre bientôt les gigantesques habitants de la Lune, qui s’expriment dans une langue musicale compliquée, et découvre leur société idéale : sur ce monde pastoral plongé dans un printemps perpétuel, on mange peu, on vit longtemps, les femmes sont belles, la fidélité fait loi, et les cadavres ne se décomposent pas ; de plus, les larcins sont inconnus. Peut-être cette harmonie est-elle due à cette vilaine astuce : les Lunaires se débarrassent de leurs rejetons imparfaits en les envoyant sur Terre. Inquiet pour le bien-être de ses gansas, Domingo décide de revenir sur son monde natal après quelques mois — le récit se poursuit par l’atterrissage en Chine, pour une poignée d’aventures d’un intérêt secondaire.

L’Homme dans la Lune saura inspirer une cohorte d’auteurs, à commencer par Cyrano de Bergerac. Au-delà de son aspect picaresque, qui rend la lecture toujours plaisante (pour peu que l’on soit amateur de curiosités), le récit vaut pour les aspects scientifiques liés au voyage spatial de Gonsales, audacieux pour l’époque de publication, et pour la description de l’utopique société lunaire. Une œuvre somme toute étonnante de la part d’un ecclésiastique, prouvant que, parfois, science et religion peuvent faire bon ménage.

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