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Je suis le rêve des autres

De Christian Chavassieux, on se souvient de Mausolées et des Nefs de Pangée (cf. Bifrost 73 et 81), publiés chez Mnémos. Le deuxième, notamment, vaste fresque d’aventures héroïques, mais aussi politiques et sociales, obtint fort justement le prix Planète-SF. Mais l’auteur ne se cantonne pas à la SF ou la fantasy, il écrit dans un peu tous les genres, et se fait aussi poète à l’occasion. Il nous revient au sein de Mu, le label de Mnémos, pour un nouveau roman situé dans le même univers que les Nefs de Pangée (on pourra sans problème le lire indépendamment de ce dernier, même si certains de ses éléments sont repris ici et qu’une lecture préalable des Nefs… est conseillée). Toutefois, peu de points communs entre les deux ro­mans : ici, on est sur une distance nettement plus courte (160 pages) et un récit beaucoup plus intimiste, comme le suggère ce très beau titre, Je suis le rêve des autres.

Un jour, le jeune Malou fait un rêve. Rien de surprenant, en définitive, si ce n’est que la teneur de son rêve, et sa façon de le décrire auprès de ses parents, suggèrent fortement que Malou a été appelé afin de devenir un réliant, un humain que les esprits choisissent pour en faire leur porte-parole. Tout le petit village de Paleval est en émoi, car c’est le premier réliant potentiel à apparaître au sein de sa population, là où tous les villages alen­tour ont le leur. Toutefois, Malou doit se rendre à Beniata, la source du fleuve des fleuves, pour passer l’examen officiel qui statuera définitivement sur sa qualité de réliant ou non. Ses parents, pauvres, ne pouvant l’accompagner, c’est Foladj qui est choisi, un vieillard au passé sombre, mais qui a l’avan­tage d’avoir beaucoup voyagé et donc de connaître la route jusqu’à la lointaine Beniata. Les deux hommes, le jeune et le vieux, celui qui porte tout l’espoir d’un peuple et celui qui connut la bassesse, commencent donc un périple où ils vont se découvrir l’un l’autre.

C’est à une quête que nous convie ici Chavassieux. Mais une quête d’un genre inhabituel : pas d’aventures ici, pas de rebondissements ou de rythme, pas même vraiment de suspense. Non, il s’agit davantage de quête de savoir ; Malou ne connaît en effet rien en dehors de son village, découvrir le monde va lui permettre d’enrichir ses con­naissances, d’autant plus que Foladj lui demande chaque soir de bien réfléchir à ce qu’il a appris. Mais, ce faisant, Foladj s’aperçoit que, malgré son grand âge, il lui reste sans doute autant à apprendre qu’à Malou. Ses certitudes, son rapport avec son passé sombre, quand il était mercenaire, ou avec son futur, forcément plus très long, tout cela est con­cassé par ce qu’il vit et ressent avec Malou, alors qu’il n’a jamais eu à s’occuper d’un enfant. La connivence entre les deux protagonistes ne sera pas de trop pour affronter les épreuves liées au voyage, comme le pas­sage à tabac du vieil homme pour le vol de leurs maigres richesses. Mais des épreuves sortiront toujours davantage de révélations sur leur rapport aux autres et au monde, et une certaine forme de sérénité. Christian Chavassieux excelle à nous décrire, dans une langue toujours très poétique, avec une économie de moyens qui ne rime pas pour autant avec sécheresse, la complexité de la relation qui se noue entre Malou et Foladj, alors que l’un vit son premier voyage et l’autre, sans doute, son dernier. Une très belle tran­che d’humanité, qui importe plus que la finalité de leur voyage : le roman se termine à peine l’examen final passé par Malou, tant le trajet importe ici davantage que la destination.

Récit à la portée universelle, intimiste, profond et poétique, Je suis le rêve des autres se révèle une splendide ode humaniste, où le cheminement intellectuel et émotionnel des protagonistes ne sera pas sans effet sur celui du lecteur.

Zephyr, Alabama

1964, Alabama, petite ville de Zephyr. Observez sa rue principale, la grande place, l’échoppe du barbier, la droguerie-quincail­lerie, son cinéma Le Lyric qui propose un double programme le samedi. Cory Jay Mackenson, douze ans, mène une vie tranquille auprès de parents aimants, son fidèle chien Rebel et sa bande de copains. Jusqu’au jour où, accompagnant son père dans sa tournée de livraison, une voiture se précipite dans les eaux noires du lac. À son bord, le cadavre d’un homme nu, étranglé avec une corde à piano et portant un curieux tatouage. La plus chaleureuse des villes peut cacher de terribles mystères…

Décidément, Monsieur Tous­saint Louverture multiplie les trésors dans sa collection « La­venture », véritable boite à secrets qui contiendrait une carte de base-ball signée Mickey Mantle et la bague du fan-club Doc Savage. Après Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle de Rohan O’Grady (en­censé dans le Bifrost n° 96), l’éditeur nous offre l’occasion de retrouver Robert McCam­mon, devenu rare par chez nous. L’auteur du remarquable L’Heure du loup (GPI du roman étranger 1992) revient donc avec une belle traduction révisée d’un roman initialement paru en 1993 chez Albin Michel (sous le titre Le Mystère du lac). Reste que le titre original, Boy’s Life, référence au men­­suel des scouts américains édité depuis 1911, et qui a accueilli les contributions d’Isaac Asimov et de Ray Bradbury, pose parfaitement le ton et les personnages principaux de ce livre-univers.

Zephyr accueille tout ce que la vie peut offrir, et l’extraordinaire en supplément. Son bestiaire, qui ne paraît étonner personne, compte Snowdown le colossal cerf blanc, le vieux Moïse, monstre marin tapi dans la rivière Tecumseh, et un tricératops aux cornes sciées qui s’est évadé de la foire. Les habitants offrent également leur lot d’excentri­ques, tel Owen qui a sauvé Wyatt Earp à O.K. Corral, la toujours surprenante Brenda Sutley, diablesse de dix ans, ou Vernon Thaxter, riche héritier qui se promène entièrement nu, peut-être pour avoir été dépossédé de son âme d’écrivain. Cory le comprend, lui qui plus tard veut être conteur, double littéraire de Robert McCammon. Le garçon est également passeur entre les communautés blan­che et noire, comme l’a compris la Dame, prêtresse vaudou de cent six ans, « aussi frêle qu’une ombre et tout aussi ténébreuse », qui étend sa protection sur la famille Mackenson.

Car l’existence se révèle souvent sombre aux yeux du garçon. Ku Klux Klan, on est bien dans un roman sudiste, mais aussi les frères Branlin, tortionnaires de son âge qui s’en prennent aux plus faibles, ou père affable d’un copain qui devient bourreau domestique après quelques verres de whi­sky. « Il y a pire que les monstres des films », Cory y perdra une part de son innocence, ce que l’on appelle grandir, tandis que la ville change avec l’ouverture d’un supermarché qui inaugure l’âge du changement, pas forcément pour le mieux.

Aussi Cory vit-il intensément ces ultimes moments d’enfance, racontés en quatre parties comme autant de saisons. Dont l’été, car « un été perdu ne se rattrape jamais », le dernier jour de classe aux interminables minutes qu’égrène la pen­dule, avant une envolée dans les cieux entre copains et leurs chiens. Pages magnifiques qui rappellent les chevauchées du Book of Love de William Kotzwinkle. Et d’autres auteurs d’Imaginaire, comme Dan Simmons et son Nuit d’été, Stephen King à qui l’auteur rend un discret hommage, et leur maître à tous dans le réalisme magique de l’enfance, Ray Bradbury.

Présenté sous reliure cartonnée avec une illustration de couverture d’Alex Green, le récit est « tout simplement magnifique… in­croyablement émouvant », selon Peter Straub, dont on suivra l’avis autorisé. On se contentera d’ajouter que Zephyr, Alabama, est l’un des plus grands romans sur l’enfance, un livre que tout auteur rêverait d’écrire, que tout lecteur adorera lire.

Blackwater

La saga « Blackwater » regroupe six romans de Michael McDowell publiés entre janvier et juin 1983. Les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont repris le flambeau en la publiant dans de superbes écrins au format poche, à raison d’un tome toutes les deux semaines au printemps 2022. Les cou­vertures sont signées Pedro Oyarbide et le travail effectué sur l’objet-livre est détaillé par le menu dans le colophon.

Encensé par Stephen King ou Poppy Z. Brite, Michael McDowell est un prolifique auteur… quelque peu oublié. En plus de romans, on lui doit aussi nombre de scénarii, dont celui de Beetlejuice. Avec « Blackwater », il nous propose de suivre les péripéties de la famille Caskey – et un peu de ses domestiques – dans leur petite bourgade d’Ala­ba­ma, sur des décennies. Cette commune, Perdido, qui se situe réellement là où l’auteur l’a placée, est traversée par deux riviè­res : l’une qui a donné son nom à la ville, l’autre à la saga. La crue de la Perdido de 1919 est le point de départ des romans.

La narration est étonnante dans son rythme et son agencement. Les titres des chapitres annoncent régulièrement ce que l’on va trouver à la fin de ceux-ci, parfois de manière explicite. Assez peu de surprises, donc, même si les fins de volumes contiennent des moments forts. C’est parfois lent et contemplatif, et soudain, en quelques lignes, deux, trois ou cinq années sont balayées. La lenteur est voulue pour que l’action n’en soit plus que frappante.

Michael McDowell voit la famille comme une source de dominations infinies et un ter­reau fertile à l’horreur. Les Caskey, chez qui le matriarcat prévaut, sont dans l’ensemble assez antipathiques, horripilants, amorphes, voire carrément détestables. Il y a les dominantes et celles aspirant à l’être, celles qui suivent le mouvement en cherchant à tirer leur épingle du jeu et celles qui s’affranchissent de ces dynamiques de pouvoir. Mais le combat des cheffes, dont l’identité évolue au fil des décennies, parasite toutes les relations. Vengeance sur vengeance, les crasses familiales impactent quiconque côtoie les Caskey. Leur conception de la parentalité est pour le moins étrange, et leurs bons sentiments à l’égard de leurs domestiques s’éva­porent quand la situation se tend. Si le fait d’avoir placé l’action dans un microcosme où les femmes dominent – ce que McDowell précise être une exception –, c’est au prix de quelques relents essentialistes que les citations en ouverture annoncent.

Dans cette histoire au long cours, on est baladé de la tête d’un membre de la famille à un autre, accompagné par les voix du village, ces commérages d’une masse indistincte et reléguée en toile de fond. Deux grands événements historiques vont influer sur le cours de la vie des Caskey, la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement des Droits Civiques sera bien évoqué, mais de ma­nière assez artificielle et seulement lors d’un échange. Les domes­tiques resteront à leur place, n’étant qu’au service des Caskey, y compris dans la narration.

Ce qui relie cette saga à nos genres est la présence protéiforme du fantastique dans ce gothic Alabama, de l’incertain à l’indéniable. Du potentiel au frontal. Et quand l’horreur surgit, les dégâts sont spectaculaires et les conséquences morbides.

Le mystère est immédiatement introduit par le biais de celle qui sera le fil rouge de la saga, Elinor Dammert, étrange rescapée de la crue de 1919 qui va intégrer le clan Caskey et se comporter comme une sorte de dragon fluvial, ne souhaitant qu’accumuler des richesses pour sa nouvelle famille. En parallèle, les superstitions et croyances du Sud émaillent les différents tomes et font à l’occasion avancer l’intrigue.

C’est sympathique, mais au-delà de la méta-histoire du livre, difficile de discerner le chef-d’œuvre culte annoncé. Des passa­ges enthou­siasmants – notamment quand on s’approche de la rivière ou d’un marais –, beaucoup de questions, (trop) peu de ré­ponses. Et un final qui fait plouf. Dommage.

Resilient Thinking

Ce roman est le troisième d’une série commencée avec Eternity Incorporated (cf. Bifrost n° 65) puis Thinking Eternity (cf. Bifrost n° 78), chez le même éditeur, qui sont désormais disponibles en poche. S’il n’est pas nécessaire d’avoir lu les deux vo­lumes précédents pour apprécier le dernier, c’est cependant préférable pour avoir une idée aussi exhaustive que possible du background.

Dans la seconde moitié du troisième millénaire, l’humanité a été quasiment éradiquée de la surface de la Terre par les consciences artificielles – seule une parcelle subsiste dans des villes sous globe, à l’abri d’un virus qui n’existe pas, et dont le soi-disant vaccin a servi à l’extermination de la majeure partie de la population. Mais voici que la dernière conscience artificielle terrestre vient à se taire. Ne subsiste plus que Caïn, celle qui préside aux destinées du vaisseau spatial Odysseus et de ses vingt-et-un membres d’équipage. Caïn décide alors d’envoyer un explorateur/ambas­­sadeur sur Terre. Sagnol, puis­que tel est son nom, prend contact avec la communauté des Résilients ; quelques dizaines de milliers d’âmes issues des six Premiers qui ont échappé à l’holocauste, une société de castes fondées sur les fonctions des six survivants initiaux, tournée vers la seule survie et dirigée par les « Derniers », d’après les noms de « Premiers ». Tybalt, dernier escarte, est ainsi le chef de l’administration et de la gestion de la survie ; Maria, dernière taole, s’occupe de la technologie et dirige la soldatesque ; Salim, dernier astier, est l’archiviste et la mémoire des Résilients ; Lise est la gardienne de Lia (l’IA – le vrai personnage), la seule qui subsiste ; Shéhérazade est la dernière cline en charge de la santé et de la reproduction déficiente des Rési­lients ; et enfin Thufir, dernier amble, chef des pay­sans, des ouvriers et de l’industrie. Tout au long du roman, on suit ces six personnages en passant de l’un à l’autre au gré des péripéties. Si les Résilients, notamment Maria, tiennent Caïn et son émissaire Sagnol pour éminemment suspects, chacun joue sa partie…

En dépit d’un manque de rythme certain, l’intérêt reste cependant soutenu par une tension que l’auteur sait maintenir jusqu’à la fin. Les péripéties s’enchaînent, et petit à petit le puzzle prend forme. S’il y a des af­frontements, des coups de feu, jamais cela ne va jusqu’au point de rupture, nul ne franchit le Rubicon. Priorité est toujours accordée à une solution autre qu’un jusqu’auboutisme de mauvais aloi ; la survie prime toujours, surtout pour les Résilients.

Dans ce roman où les conscien­ces artificielles sont d’origine humaine et non purement logicielles, contrairement à l’immense majorité de ceux traitant d’IA fortes ou de consciences artificielles, ces dernières apparaissent systématiquement sous le jour le plus noir qui soit, tout juste modulé d’un peu d’anthracite, bien qu’elles aient ex­terminé des milliards d’êtres hu­mains. Choix qui n’a rien de surpre­nant en une époque de religiosité écologiste qui ne cesse de vilipender à outrance toute idée de progrès. Il faut remonter à la SF de l’âge d’or et la série des « Robots » d’Isaac Asimov – robots qui étaient déjà des consciences artificielles bien avant l’heure – pour en ob­server sous un éclairage qui ne soit pas systématiquement négatif. Plus près de nous, Le Problème de Turing de Harry Harrison et Marvin Minsky, qui fut en son temps le pape de la re­cherche en intelligence artificielle au MIT, est une autre (rare) exception à la vision maléfique des IA dans la SF.

À défaut d’un chef-d’œuvre, le roman de Raphaël Granier de Cassagnac est plutôt au-dessus de la moyenne des productions contemporaines.

Destination Outreterres

Ce roman inédit en français datant de 1955 est un « juvenile » bien que, selon sa présentation, il ait été réédité à maintes reprises en tant que livre pour adultes. Ce serait aussi un pendant humaniste au roman de William Golding Sa majesté des mouches, publié l’année précédente.

Comme il fallait s’y attendre, le traitement du thème par Heinlein relève de la science-fiction. Des portails peuvent être ouverts sur d’autres mondes. Afin d’habituer les jeunes à ce nouveau Far West, le cursus pré-universitaire comprend un stage sur une planète reconnue mais non encore colo­nisée. Le personnage principal, Rod Walker, va se retrouver isolé sur un tel monde avec tout un groupe à la suite d’un accident survenu à cause d’une nova. Petit à petit, les survivants vont s’agréger en une bande organisée plus ou moins sur le modèle d’une société démocratique. En cela, le livre de Heinlein prend le contrepied de celui de Golding, bien que dans les deux romans la société élaborée par les jeunes soit détruite in fine par sa confrontation avec le monde adulte. Heinlein met aussi en scène l’avant et l’après de la robinsonnade, afin d’exprimer ce que la société attend de sa jeunesse. Parce que la littérature jeunesse a vocation à formater l’esprit de son lectorat, et surtout pas de forger des esprits critiques. Les livres de Heinlein et Golding sont, même si ce n’est pas dit, des variations sur Deux ans de va­cances (1888) de Jules Verne ; hormis l’irruption des bandits, danger extérieur qui solidarise les jeunes naufragés. Plusieurs péripéties reviennent d’un livre à l’autre. Il existe cependant une différence qui pourrait sembler anodine entre Golding et Heinlein, à savoir que les jeunes dans le roman du second sont plus âgés ; l’Américain introduit aussi, en tout bien tout honneur, l’autre sexe dans son livre : il y a des mariages et des naissances, mais en 1955 le coït reste implicite, surtout dans un livre destiné aux adolescents. Je vous laisse imaginer ce qu’il aurait pu advenir de la présence de filles dans Sa majesté des mouches ! Entre Verne et Golding est apparue la psychanalyse, qui aurait dû tordre le cou une bonne fois pour toute à l’idée d’une enfance pure issue du concept rousseauiste du « bon sauvage » perverti par la civilisation. La théorie freudienne a au contraire établi que l’enfant était un « pervers polymorphe » exclusivement guidé par le « Ça », c’est-à-dire ses pulsions primaires, et que c’est l’éducation qui en­gen­dre les deux autres instances de la seconde topique que sont le « surmoi », force morale représentant la société qui contrarie les pulsions, et le « moi », force individuelle qui, ménageant la chèvre et le chou, les gère à travers des mécanismes tels que la sublimation. Privés de l’emprise morale de la société, les enfants de Golding retombent sous l’emprise du « Ça », tandis que ceux d’Heinlein, plus âgés, ont une éducation quasiment ter­minée faisant d’eux des adultes en puissance, ce qui leur permet de reconstruire une société viable. Sa majesté des mou­ches, nom littéraire de Belzé­buth, prince des démons, qui renvoie bien aux violentes pulsions évoquées par la psychanalyse, est classé comme roman psychologique pour enfants. Or, bien que le livre de Golding ait des enfants pour protagonistes, c’est clairement un roman pour adultes. Selon moi, il vaudrait mieux éviter de le mettre entre les mains de jeunes lecteurs avant qu’ils n’aient au moins l’âge des protagonistes de celui de Heinlein.

Destination outreterres, qui nous occupe ici au premier chef, peut par contre être lu à partir de onze ou douze ans. Reste que dans un groupe restreint isolé rien n’apparaîtra d’aussi formel que dans le roman de Heinlein. L’état est une structure qui apparait pour organiser des métagroupes de milliers ou millions d’individus. En fait, un leader émergera, ce qui n’implique pas forcément la situation du roman de Golding. Un beau jour, le « chef » va découvrir qu’il est le chef, ce qui ne va pas forcément lui plaire car le corollaire en est bien sûr la responsabilité, tandis que les tyrans – mais il peut le devenir – accaparent le pouvoir tout en rejetant sur les autres la responsabilité, ainsi que l’on peut le voir dans le livre de Golding.

Comparé à Waldo (cf. Bifrost n° 96), ce roman de Robert A. Heinlein est plutôt pauvre et quelconque. On comprend aisément qu’il soit resté jusqu’à ce jour inédit en français, tant on est loin d’un chef-d’œuvre, même si sa lecture n’est est pas moins agréable.

L'Ancelot avançait en armes

Dans le prolongement d’un premier livre de fantasy historique paru il y a deux ans (Trois coracles cinglaient vers le couchant, critique dans le Bifrost n° 95), Alex Niko­­lavitch poursuit son travail de réappropriation de la geste arthurienne en s’intéressant cette fois à la figure de Lancelot. Loin du preux chanté par les poètes, l’aspirant héros à l’ascendance incertaine n’est encore qu’un jeune homme peu viril, timide, naïf, un chevalier « mal fait » sommé d’écrire sa propre légende en allant se mettre au service du roi de Bretagne. Le récit, explicitement d’apprentissage, est découpé en trois parties auxquelles correspondent à peu près trois moments dialectiques : la poursuite de la gloire, le sentiment du caractère provisoire de toute entreprise et de toute existence humaine, le dé­passement de l’héroïsme dans une nouvelle forme de grandeur, devenue acceptation de cette finitude.

Le livre s’attache donc, dans un premier temps, à déconstruire les enjeux du récit de for­mation en s’appuyant sur les failles du personnage principal et sur des rencontres (la guérisseuse, le géant irlandais, le vieux chef de guerre romano-britton) qui désacralisent la quête de renom ordinairement associée à l’imaginaire chevaleresque. Érigé en célébrité sur la foi d’un acte de bravoure factice (il a vaincu un adversaire réputé invincible sans se battre), l’ancelot (l’apostrophe et l’absence de ma­juscule sont signifiantes) ne se sent guère légitime, doute de sa valeur et de ses actes. L’auteur retourne ainsi l’idéal de noblesse et d’assurance du texte fondateur : il lui oppose un garçon touchant de fragilité qu’il dépeint en jeune inconscient courant aveuglément après les qualités qu’on lui prête. Chez Niko­lavitch, les protagonistes façonnent eux-mêmes, par maladresse ou par mensonge, les histoires qui en feront des exemples pour la postérité. Plus que l’influence d’hypothéti­ques forces surnaturelles tapies dans l’ombre, ne sont-ce pas de pareilles histoires, celles racontées par son père adoptif, lui-même ancien compagnon d’armes d’Uther, qui ont poussé l’ancelot à rechercher cette gloire dont le désir ne lui semble pas naturel, et dont la vanité est soulignée maintes fois par ses proches : « Que cherches-tu vraiment ? À te faire un nom ? À être chanté dans les siècles futurs ? » (p. 33) « Et dis-moi, mon jeune ami, qu’en as-tu retiré ? » (p. 82).

Ces interrogations forment le terreau sur lequel pousse le deuxième mouvement du livre, qui envoie l’ancelot dans un long et chaotique périple à travers les marais, au secours de la fameuse Guenièvre (qui n’est pas encore l’épouse de qui l’on sait). Si le vert est une couleur qu’on associerait volontiers à la jeunesse des héros, celui qui domine pourtant dans cette séquence ne renvoie pas au vivant, mais au contraire au pourrissement. Ici, la pourriture, la moisissure suintent de chaque page, indissociables d’une tension sexuelle souterraine. Le temps, le désir, la mort : manière pour l’auteur de renouer avec le motif, central dans son livre précédent, du mouvement général de croissance puis de décrépitude, de déréliction auquel sont sou­mis les êtres, les empires. Écrire son histoire implique aussi de se confronter à sa propre fin.

La dernière partie, qui convo­que franchement le surnaturel, est une variation sur tous les motifs précédents, qui débou­che sur une morale douce-amère : dans un monde où tous les êtres, humains ou féériques, sont voué au néant, la grandeur et le courage ne consistent pas à braver la mort, mais à l’accepter. C’est ainsi, seulement, qu’on peut vivre pleinement et accomplir son destin.

Du roman initial de Chrétien de Troyes, traversé par le thème du fin’amor, Nikolavitch n’aura conservé que quelques scènes, malicieusement détournées pour coller à son projet de réécriture, dans lequel l’amour cède le pas à la mélancolie, l’épique au symbolique, la fantaisie à l’histoire, et la vérité au mythe. L’efficacité de la narration et la facilité qu’à l’auteur de susciter une ambiance permettent au livre de dérouler une partition plutôt convaincante, dans laquelle se glissent néanmoins quelques fausses notes, en premier lieu la faiblesse de certains dialogues, de même que, s’agissant du contexte historique, une documentation parfois approximative. Si l’ensemble n’est pas révolutionnaire, il n’en reste pas moins d’une lecture agréable.

Tè Mawon

Telle une tumeur maligne, les métastases de Lanvil ont infecté tout l’arc antillais, arasant le socle rocheux des îles et comblant les golfes de la mer des Caraïbes. Du Venezuela à Cuba, la skyline orgueilleuse de la mégapole tutoie ainsi le ciel, déployant sur les murs écrans de ses tours vertigineuses une high-tech aguicheuse. Dans cet eldorado hygiéniste, tout est pos­sible, du moins si l’on peut s’offrir le confort et la sécurité. Car, si les habitants de l’anwo sont triés sur le volet, ceux de l’anba continuent de croupir dans la misère, réduits à la servilité par les corpolitiques ou contraints de vivre sous la coupe des mafias et de leurs soldas. Mais, la révolte gronde dans les bas-fonds de cette Babel. Tous ne souhaitent que renverser l’ordre établi. Tous ne souhaitent qu’abattre les tours de la mégapole pour mettre fin à la ségrégation verticale.

Après deux romans ressortissant au fantastique, l’un consacré à Peter Pan et l’autre au Roi en jaune, Michael Roch nous revient avec un récit lorgnant vers le cyberpunk. Bien entendu, l’auteur ne pouvait se contenter d’une énième variation autour de ce courant né dans les années 1980, à l’initiative de Bruce Sterling et William Gibson. Il opte ainsi pour une hybridation textuelle et linguistique, mêlant l’esthétique high-tech du cyberpunk au concept de créolisation cher à Édouard Glissant. Un pari audacieux et réussi. Tè Mawon apparaît en effet comme une expérience stimulante où le classicisme intrinsèque de l’intrigue s’efface peu à peu, laissant place à une quête de nature plus mystique et politique. Au-delà des hackers et de leur déclinaison flibustière, au-delà des ayi/IA et autres loas, au-delà des miracles de l’hypertech et de leur supposée valeur émancipatrice, au-delà même de l’éternel recommencement révolutionnaire, prospérant sur la réactivation ad nauseam des antagonismes de classe, Michael Roch propose une reconnexion avec autrui et avec notre environnement pour nous affranchir du dogme illusoire d’une modernité univoque. Dans une langue riche et travaillée, faisant écho aux possibilités ouvertes par le métissage culturel, il nous invite à nous frotter à la multiplicité des regards portés sur notre monde, où plus que jamais prévalent la rencontre, l’interférence et le choc. Il nous enjoint enfin à la lutte pour nous extraire du conformisme mortifère des idéologies afin d’explorer les angles morts de la prospective science-fictive.

Roman exigeant à plus d’un titre, Tè Mawon est donc un récit ouvert sur la diversité des imaginaires, prônant la transver­salité et la créolisation des genres dans une perspective résolument optimiste. Incontestablement une piste à creuser.

Dans la maison au coeur de la forêt profonde

Quatrième volet du « Dark America Quartet », Dans la maison au cœur de la forêt profonde apporte une touche fi­nale au portrait sombre que l’écrivain Laird Hunt dresse de l’Amérique. Après le déchirement de la ségrégation raciale (La Route de nuit), les ravages de la Guerre de Séces­sion (Neverhome) et l’iniquité intrinsèque de l’esclavage (Les Bonnes gens), l’auteur remonte à l’époque coloniale, peu avant le procès des sorcières de Salem. Dans un registre n’étant pas sans évoquer celui des contes, et une atmosphère qui réjouira sans aucun doute les fans de The Witch de Robert Eggers – ils sont légion chez les lecteurs de Bifrost – on s’attache aux pas de Goody, une épouse de bonne famille, puritaine et travailleuse, comme il se doit à cette époque. Du moins, si l’on se fie aux apparences, car il s’avère assez rapidement qu’en parfaite narratrice non fiable, la jeune femme s’y entend pour taire certains faits et enrober son récit d’une bonne dose d’incertitude, el­lipses y comprises. Partie cueillir des baies sauvages à l’orée de la forêt, elle abandonne ses souliers sur les bords de l’eau vive d’une rivière, avant de plonger sous les frondaisons forestières, laissant derrière elle le confort et la sécurité du foyer pour s’abandonner à l’inconnu et ses dangers. Faisant fi des loups, des bêtes sauvages et autres natifs des lieux, elle s’enfonce au plus profond de la sylve, à la poursuite d’une petite fille habillée en jaune, plus par soif de liberté que par défi d’ailleurs. Elle ne tarde pas à s’y perdre, comptant sur sa bonne étoile et le hasard des rencontres pour assurer son salut, dans tous les sens du ter­me. Loin d’être déserte, la forêt semble en effet le refuge de nombreux habitants, essentiellement des femmes. D’abord Capitaine Jane, une amazone chasseresse ne craignant pas de porter secours aux égarés. Puis Eliza, une ravissante et joyeuse hôtesse, qui en plus du gîte et du couvert, lui offre son amitié sans compter. Enfin, une vieille femme, acariâtre et inquiétante, parfaite in­carnation de la sorcière. En leur compagnie, Goody en vient à reconsidérer sa condition de mère et d’épouse, se demandant même si elle s’est vraiment perdue et si elle ne cherche pas, plus simplement, à échapper à un destin funeste.

Avec Dans la maison au cœur de la forêt profonde, Laird Hunt s’approprie les ressorts et motifs du conte horrifique, distillant de façon subtile l’angoisse et le malaise. Au fil de l’errance de Goody, des pérégrinations à proprement parler cauchemardes­ques, l’auteur brouille, non sans malice, les contours tangibles du réel, déclinant un récit em­preint de réalisme magique. En franchissant la lisière de la forêt, on s’affranchit ainsi du cadre prosaïque de l’Amérique coloniale, pénétrant dans les contrées symboliques du rêve et de l’inconscient. Jouant avec les ambiguïtés de la narratrice, Laird Hunt ajuste progressivement les différentes pièces d’un puzzle dont on ne perçoit le fatalisme cruel de la figure d’ensemble qu’au tout dernier moment. Mais, au-delà de l’atmosphère fantastique et des sortilèges d’une forêt hantée par des créatures inquiétantes, se dessine aussi une histoire de femmes en colère, des femmes dé­cidées à s’émanciper, quitte à verser dans la sauvagerie et à flirter avec le mal absolu.

On ressort donc du roman de Laird Hunt quelque peu déstabilisé, convaincu du potentiel transgressif des contes, mais aussi envoûté par l’interprétation glaçante et mé­morable que nous en livre l’auteur. Bref, une lecture vivement recommandée.

L'Architecte de la vengeance

Lauréat du World Fantasy Award et du New England Book Award for Fiction pour la présente novella, Tochi Onyebuchi fait une entrée brutale dans la collection le département dirigé par Gilles Dumay, qui revient pour l’occasion en préface sur sa résolution de ne publier que des romans. Or, comme il l’avoue dans l’avant-propos, difficile de résister à la force de L’Archi­tecte de la vengeance, dont la prose, ici restituée par Anne-Sylvie Homassel sans en affaiblir l’énergie, confine à la puissance d’une grenade de désencerclement. D’où ladite novella chez AMI.

Le texte de l’auteur américain d’origine nigériane oscille entre le fantastique et la dystopie, nous immergeant au cœur de ce qu’on appellera poliment la question noire nord-américaine. Un sujet d’affrontement remontant au moins à la période de l’esclavagisme. De cette époque, les Afro-américains ne semblent pas vraiment sortis, même si l’élection de Barack Obama a entretenu un temps l’illusion d’une issue optimiste. Le racisme systémique de la société américaine, la méfiance latente des blancs à l’encontre de la population noire, le cercle vicieux de la criminalité entretenu par les gangs et les violences policières récurrentes ont eu beau jeu de les ramener à la réalité de leur con­dition. Un contexte propice à la désespérance et aux flambées de violence émaillant une histoire des États-Unis passablement chargée sur ce point. Kev, le Riot Baby donnant son titre à la novella outre-Atlantique, est ainsi né durant les émeutes ayant suivi l’acquittement des policiers lyncheurs de Rodney King. L’événement pousse d’ailleurs sa mère et sa sœur, Ella, à quitter Los Angeles vers des cieux supposés plus cléments. Pas vraiment le genre du quartier newyorkais de Harlem où elles échouent. En proie à la menace des gangs et aux contrôles intrusifs de la police, Ella ne tarde pas à déraper, contenant de plus en plus difficilement son don pour la prescience et une aptitude à la télékinésie la poussant à décapiter les rats en guise d’exutoire à sa rage incontrôlable. Tiraillée entre les visions funestes que lui procure son ta­lent et les pulsions violentes qui menacent sa raison, elle peine à maintenir la bulle protégeant son frère de la cruauté du mon­de. Son départ entraîne naturellement sa chute. Kev se retrouve interné à la prison de Rikers, où il paie chèrement sa dette à la société pour un cambriolage raté.

L’Architecte de la violence ne partage pas le goût pour la parabole d’Octavia Butler. Il lorgne davantage du côté de Norman Spinrad, voire de N.K. Jemisin, nommément remerciée à la fin du texte. Le roman de Tochi Onyebuchi est animé par une colère sincère, cette colère généreuse défendue par George Orwell dans ses essais. Ce n’est certes pas l’espoir qui taraude l’au­teur américain, ce sentiment inodore et incolore prôné par une foi sourde et muette face aux figures multiples de l’arbitraire, toutes réductibles aux États-Unis à la couleur de peau. De tout cela, L’Architecte de la ven­geance témoigne et bien davantage encore, exprimant une rage sourde dont on ressent le paroxysme tellurique jusqu’au plus intime de ses certitudes. De quoi ressortir sérieusement secoué – ou énervé. De quoi s’interroger sur les motivations de Tochi Onye­buchi. Cela tombe bien, car la novella est accompagnée de deux articles passionnants de l’auteur, à lire en regard de son texte pour comprendre les tenants et aboutissants d’une colère dont le mouvement Black Lives Matter ne semble que la partie émergée.

Inutile de dire que voici une lecture recommandée.

Le Tango des ombres

Le Tango des Ombres est un recueil de cinq nouvelles, dont quatre inédites, qui per­met à son auteur de croiser deux passions, le tango et les littératures de l’Imaginaire.

Dans la nouvelle éponyme, il met en scène un monde post-apocalyptique où l’énergie, devenue rare, ne permet plus à tout un chacun d’avoir accès aux mémoires numériques de notre temps. Seul le régime politique en place peut en user pour maintenir sa terreur, et lutter contre ceux qu’il identifie comme des terroristes. Emilio, enquêteur au C-Sub, sorte de police politique, a pour mission d’in­filtrer un groupe supposé de ces terroristes, qui se réuniraient dans un club pour se livrer à une danse dont tout ou presque a disparu – le tango. Emilio va découvrir conjointement la danse et les motivations de ses pratiquants, jusqu’à une ultime révélation finale sur l’intelligence collective des danseurs. « La Nuit où tu m’aimeras » met en scène un sortilège de séduction construit autour de la figure mythique du chanteur Carlos Gardel. « Candombe » nous entraîne au sein d’une exoplanète sur laquelle se trouvent des ressources naturelles abondantes, dont des arbres-tambours mystérieux et des lianes qui vivent en symbiose avec eux, les capi. Comment la nature de cette planète va-t-elle résister à l’exploitation éhontée qui la me­nace ? Le secret réside dans une mystérieuse vibration du végétal… « Paso Doble » prend sa source dans le nom même de la danse et met en scène un jeune tanguero en prise avec son double sur les pistes de danse. Enfin, « Le Flot » raconte l’histoire de deux scientifiques, un homme et une femme, tous deux amoureux et amateurs de tango, en expédition aux confins du trou noir au centre de notre galaxie, pour tenter de percer le mystère du temps.

Sans surprise, car consacré à la musique et à la danse, ce recueil mêle sensibilité artistique et précision scientifique, sensualité et rigueur de la quête intellectuelle, sans oublier de soigner son rythme en alternant anticipation futuriste et fantastique ancré dans notre monde. Mais il n’était pas aisé de venir à bout de cette gageure consistant à allier un art exigeant et pas toujours facile d’accès à des considérations très modernes, aussi bien écologiques (surexploitation et épuisement de la nature, lien à construire avec elle), politiques (la question du genre, notamment, que pose à sa façon avec tant de justesse le tango, traverse tout le recueil) que scientifiques, telles que l’intelligence artificielle ou encore la gravitation quantique. Le projet de fond, au-delà de la satisfaction personnelle de son auteur de marier ses passions, semble de faire dialoguer des domaines bien trop cloisonnés de nos jours, en montrant comment ils peuvent s’éclairer l’un l’autre, dans une perspective humaniste affichée. La dernière nouvelle, la plus courte, la moins accessible, peut-être, mais aussi à mon sens la plus poétique, illustre cela à merveille en proposant l’exploration de l’inconnaissable par la mise en scène d’un couple de danseurs qui vont se fondre avec l’espace et le temps dans un tango infini…

Pour servir ce projet, la forme joue un rôle primordial, et Jean-François Seignol l’a soignée : tous les récits sont menés de façon très claire, les personnages campés avec ef­ficacité, l’ambiance polar accompagne très judicieusement certains textes. Un volume autant qu’un projet à découvrir !

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