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Les critiques de Bifrost

Lot : Blackwater

Michael MCDOWELL
MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE
50,40 €

Bifrost n° 107

Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107

La saga « Blackwater » regroupe six romans de Michael McDowell publiés entre janvier et juin 1983. Les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont repris le flambeau en la publiant dans de superbes écrins au format poche, à raison d’un tome toutes les deux semaines au printemps 2022. Les cou­vertures sont signées Pedro Oyarbide et le travail effectué sur l’objet-livre est détaillé par le menu dans le colophon.

Encensé par Stephen King ou Poppy Z. Brite, Michael McDowell est un prolifique auteur… quelque peu oublié. En plus de romans, on lui doit aussi nombre de scénarii, dont celui de Beetlejuice. Avec « Blackwater », il nous propose de suivre les péripéties de la famille Caskey – et un peu de ses domestiques – dans leur petite bourgade d’Ala­ba­ma, sur des décennies. Cette commune, Perdido, qui se situe réellement là où l’auteur l’a placée, est traversée par deux riviè­res : l’une qui a donné son nom à la ville, l’autre à la saga. La crue de la Perdido de 1919 est le point de départ des romans.

La narration est étonnante dans son rythme et son agencement. Les titres des chapitres annoncent régulièrement ce que l’on va trouver à la fin de ceux-ci, parfois de manière explicite. Assez peu de surprises, donc, même si les fins de volumes contiennent des moments forts. C’est parfois lent et contemplatif, et soudain, en quelques lignes, deux, trois ou cinq années sont balayées. La lenteur est voulue pour que l’action n’en soit plus que frappante.

Michael McDowell voit la famille comme une source de dominations infinies et un ter­reau fertile à l’horreur. Les Caskey, chez qui le matriarcat prévaut, sont dans l’ensemble assez antipathiques, horripilants, amorphes, voire carrément détestables. Il y a les dominantes et celles aspirant à l’être, celles qui suivent le mouvement en cherchant à tirer leur épingle du jeu et celles qui s’affranchissent de ces dynamiques de pouvoir. Mais le combat des cheffes, dont l’identité évolue au fil des décennies, parasite toutes les relations. Vengeance sur vengeance, les crasses familiales impactent quiconque côtoie les Caskey. Leur conception de la parentalité est pour le moins étrange, et leurs bons sentiments à l’égard de leurs domestiques s’éva­porent quand la situation se tend. Si le fait d’avoir placé l’action dans un microcosme où les femmes dominent – ce que McDowell précise être une exception –, c’est au prix de quelques relents essentialistes que les citations en ouverture annoncent.

Dans cette histoire au long cours, on est baladé de la tête d’un membre de la famille à un autre, accompagné par les voix du village, ces commérages d’une masse indistincte et reléguée en toile de fond. Deux grands événements historiques vont influer sur le cours de la vie des Caskey, la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement des Droits Civiques sera bien évoqué, mais de ma­nière assez artificielle et seulement lors d’un échange. Les domes­tiques resteront à leur place, n’étant qu’au service des Caskey, y compris dans la narration.

Ce qui relie cette saga à nos genres est la présence protéiforme du fantastique dans ce gothic Alabama, de l’incertain à l’indéniable. Du potentiel au frontal. Et quand l’horreur surgit, les dégâts sont spectaculaires et les conséquences morbides.

Le mystère est immédiatement introduit par le biais de celle qui sera le fil rouge de la saga, Elinor Dammert, étrange rescapée de la crue de 1919 qui va intégrer le clan Caskey et se comporter comme une sorte de dragon fluvial, ne souhaitant qu’accumuler des richesses pour sa nouvelle famille. En parallèle, les superstitions et croyances du Sud émaillent les différents tomes et font à l’occasion avancer l’intrigue.

C’est sympathique, mais au-delà de la méta-histoire du livre, difficile de discerner le chef-d’œuvre culte annoncé. Des passa­ges enthou­siasmants – notamment quand on s’approche de la rivière ou d’un marais –, beaucoup de questions, (trop) peu de ré­ponses. Et un final qui fait plouf. Dommage.

Mathieu MASSON

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