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Immobilité

[Critique commune à Immobilité et L'Antre.]

Publiés par deux éditeurs différents, Im­mobilité et L’Antre forment pourtant un diptyque. Il est l’œuvre de Brian Evenson, adepte d’une weird fiction génériquement bigarrée, mais à la forte homogénéité stylistique et spéculative. L’auteur a créé une écriture à la froideur clinique parsemée d’é­clats d’une violence parfois extrême. Sobre et irradiant pourtant d’une cruelle tension, cette prose se fait l’implacable médium d’une ré­flexion sur une (in)humaine condition oscillant entre absurde beckettien et noirceur sadienne.

Ainsi en va-t-il d’Immobi­lité et de L’Antre, inscrits dans un même univers, futur et post-apocalyptique. Des événements constitutifs du « Kollaps », c’est-à-dire le dé­sastre au fondement des deux livres, on ne connaît d’emblée que des bribes selon la description lapidaire qu’en fait Immobilité. Le point de vue du premier volet de ce diptyque post-apo épouse celui, lacunaire, de son protagoniste Josef Horkaï. Arraché en ouverture du roman à un coma cryogénique l’ayant privé du souvenir du Kollaps, Horkaï s’en avère aussi ignorant que lecteurs et lectrices. Et pour découvrir ce monde frappé d’anéantissement généralisé, il leur faudra donc suivre les pas d’Horkaï…

… ou plutôt ceux des « mules » chargées de transporter à travers la désolation un héros privé non seulement de la mémoire, mais encore de l’usage de ses jambes. Les mules sont des humanoïdes, artificiellement engendrés par ce qui demeure d’authenti­ques humains. On use de ces esclaves géné­tiquement modifiés lorsqu’une mission doit être accomplie à l’extérieur de « la ruche », soit le complexe souterrain protégeant de l’atmosphère fatalement viciée par le Kollaps. C’est là qu’Horkaï émerge de sa narcose. Il s’entend alors ordonner par Rasmus, le leader de la ruche, de partir en quête d’un mystérieux cylindre conservé par une autre communauté de survivants. Rasmus explique encore à Horkaï que bien que paralytique, il présente entre autres extraordinaires capacités aux échos transhumanistes celle d’être immunisé face à l’indéterminé poison am­biant. Confié à deux mules nommées Qanik et Qatik, porté tantôt par l’une, tantôt par l’autre, Horkaï s’engage dès lors dans l’amas de ruines qu’est devenu le monde…

Le périple ainsi entrepris donnera tout son sens au titre du roman. N’évoquant pas uniquement l’hémiplégie d’Horkaï, le terme d’Im­mobilité renvoie encore à la sclérose d’un univers tétanisé par le Kollaps, et surtout à celle de la psyché humaine à l’origine de la catastrophe. Explicitement inspiré par la pessimiste pensée de Thomas Ligotti exprimée dans The Conspiracy Against the Human Race(inédit en français), Immo­bilité met en scène une humanité à jamais enferrée dans ses erreurs ontologiques. Et de même que Thomas Ligotti voit dans l’extinction par la nulliparité de notre espèce la seule réponse quant à son aberrante existence, Immobilité dépeint une humanité au bord du précipice comme l’heureuse conséquence de l’Armageddon qu’elle a elle-même déchaîné.

Cette peinture de notre annihilation comme un sort aussi inévitable que souhaitable est encore au cœur de L’Antre, l’opus du diptyque le plus complexe car le moins narratif. Prenant la suite chronologique et théori­que d’Immobilité, L’Antre condamne tout espoir de conjurer son extinction pour l’humanité. De celle-ci, il ne demeure bientôt plus personne pour assister à la progressive agonie d’un nommé X. C’est-à-dire un huma­noïde transhumaniste conçu pour abriter dans son seul corps les esprits de dizaines de personnes. In fine inéluctable, l’effondrement de cet Antre psychique dessine l’horizon d’un anéantissement en réalité sal­va­teur…

Et c’est ainsi une relecture aussi inattendue que troublante du genre post-apocalyptique que propose le toujours iconoclaste Brian Evenson, en faisant de l’impuissance de l’espèce humaine à échapper à la disparition un paradoxal motif d’espoir !

IA 2042 — dix scénarios pour notre futur

À l’heure où l’intelligence artificielle, par le biais de ChatGPT, Dall-E et autres Mid­jour­ney inquiète et fait trembler le petit monde de la création et de l’édition, il est temps de faire le point sur les possibilités qu’elle offre, les risques qu’elle entraîne et les détournements et recours que pourraient utiliser les humains pour ne pas perdre la main face à elle. Et c’est exactement ce que nous propose IA 2042 – dix scénarios pour notre futur en alternant nouvelles de science-fiction et articles scientifiques décortiquant les modes de fonctionnement de l’intelligence artificielle et l’état de l’art sur le sujet, sachant que la première parution de ce livre date de 2021. Avant d’entrer dans le vif du sujet, deux précautions tout de même. Première­ment, si les deux auteurs sont chinois, la traduction française n’a pas été faite à partir de cette langue, mais à partir de l’édition anglo­phone parue chez Currency, sans qu’il soit possible de savoir si les textes ont été écrits directement en anglais, ou s’il y a eu une première traduction. Avec, dans le cas d’une langue-relais, la possibilité de perdre un peu plus la signification d’origine. Deuxièmement, les deux au­teurs ont tous deux travaillé pour Google, et Chen Qiufan reconnaît lui-même se servir de l’intelligence artificielle – plus spécifiquement de Midjourney et de Wordkraft.ai – pour s’aider dans la création de ses œuvres (L’Île de Silicium, son roman paru à l’automne 2022 et critiqué dans notre précédent numéro, n’est pas concerné, car écrit avant les premières ébauches d’intelligence artificielle dans la création de contenu). Vous n’aurez donc pas de biais réso­lument négatif sur l’usage de l’intelligence artificielle.

Ceci étant posé, que vaut IA 2042 ? Pour la partie nouvelle, comme tout recueil, sur les dix histoires présentées, certaines parleront plus aux lecteurs que d’autres, suivant les sensibilités de chacun. Personnellement, ce sont « Derrière les masques » et « Apocalypse quantique » qui m’ont le plus séduit au niveau purement fictif, en raison des personnages et des thèmes abordés. En revanche, le style de Chen Qiufan n’est pas particulièrement éblouissant, mais peut-être est-ce un problème de traduction-relais ? La partie article scientifique et essai se montre, elle, très approfondie, tout en restant parfaitement accessible. Les dix scénarios envisagés par Chen Qiufan et Kai-Fu Lee s’appuient sur des technologies déjà existantes (le machine learning, les vé­hicules autonomes, les deepfakes, les métavers) et sur des scénarios connus comme dans « L’amour sans contact » et ses confinements, mais poussent encore un peu plus loin sur l’échelle des possibles. En s’attachant à montrer comment l’IA peut être détournée ou sa puissance retournée contre elle pour redonner une marge de manœuvre à l’humanité. Parfois de façon… artificiellement trop optimiste ? Possible, mais ce livre ouvre de belles pistes de réflexion alors que l’actualité de ce début 2023 s’emballe sur les risques de l’intelligence artificielle.

Fumée

Vendu comme un Maigret chez les fées, Fumée est un OLNI ou objet littéraire non identifié comme sait si bien en faire « La Bibliothèque dessinée » des Moutons électriques. Roman graphique – ou plu­tôt novella graphique – sans être réellement une bande des­sinée, il propose une balade dans le Paris de la fin des années 50, encore meurtri par l’Occupation, la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Indochine, et où l’agitation des « Événements » d’Algérie provoque des remous jusque dans la pègre et le milieu interlope de la capitale. Nous y suivons un inspecteur de la Sûreté mis au placard, car traumatisé par son passé. Il doit enquêter sur la disparition d’une certaine Nicotine, fée de son état. Sa recherche et ses errances le mèneront à visiter différents endroits de Paris et de sa banlieue et le conduiront à affronter les démons de son passé. Dans les tons bleutés comme le précédent roman graphique de Melchior Ascaride (Eurydice déchaînée), Fumée constitue un bel objet, avec de pleines pages dessinées particulièrement évocatrices et une mise en page intéressante évoquant les méan­dres des ruelles ou les volutes de tabac. Sur le fond, l’enquête de l’inspecteur sans nom s’ap­parente davantage à une errance, et son comportement évoque davantage le commissaire Adamsberg de Fred Vargas que le commissaire Maigret de Georges Simenon. L’atmosphère des lieux et de l’époque est particulièrement bien restituée, au point d’avoir l’impression de voir un vieux téléfilm sur écran cathodique en lisant le texte. Mais l’intérêt de l’enquête en elle-même reste maigre, la façon dont les fées et autres créatures magiques se mêlent aux humains est à peine exploitée, tandis que l’inspecteur nous livre un trop-plein de pensées assez décousu. Finalement, la dernière page tournée, ne restent plus que quelques traces de fumées et une légère odeur de tabac en guise de souvenir.

La Fille du Docteur Moreau

Après le très plaisant Me­x­ican Gothic, Silvia Moreno-Garcia revient avec un nouveau roman qui emprunte une fois encore à la littérature anglaise de la fin du XIXe siècle. Elle a cette fois jeté son dévolu sur H.G. Wells en revisitant l’un de ses plus cé­lèbres récits, L’Île du Docteur Moreau. Pas une suite, plutôt une réécriture dans un cadre différent – une manière de fan fiction, en somme. L’île perdue au milieu de nulle part est remplacée par la péninsule du Yucatan, au sud-est du Mexique, à une époque où les populations autochtones se soulèvent contre les grands propriétaires terriens. Dans ce contexte, la création par Moreau d’hybrides mi-hommes, mi-animaux, prend une toute autre signifi­cation, puisqu’il s’agit ici de donner nais­sance à une main-d’œuvre bon marché et peu re­vendicatrice.

Le roman alterne les points de vue de deux personnages, Montgomery, le major­dome des lieux, qui partage avec le per­sonnage homonyme du roman de Wells un sérieux penchant pour la bouteille, et Carlota, la fille du docteur, qui a grandi au milieu des créations de son père et ne connaît du monde extérieur que ce qu’elle en a lu dans les livres.

Là où le récit de Wells s’avérait frénétique d’un bout à l’autre, La Fille du Docteur Moreau est un roman qui prend son temps pour poser son décor et ses protagonistes. Moreau n’y apparaît plus comme un tor­tionnaire sadique, mais comme un homme de son époque pour qui science et progrès social vont de pair, quand bien même il s’agit au final de remplacer une population exploitée par une autre. Dans le cadre très corseté où elle évolue, Carlota va bientôt découvrir que la liberté dont elle jouit est toute relative, et que l’amour de son père s’arrête là où ses intérêts entrent en jeu.

Aussi agréable à lire soit-il, le roman de Moreno-Garcia n’est pas pour autant exempt de tout reproche. En premier lieu, il fonc­tionne trop en huis-clos pour donner à voir la réalité histori­que et sociale sur laquelle il s’appuie, préférant s’appesantir sur les émois amoureux de son héroïne. Plus gênant, tout s’y enchaîne de manière bien trop prévisible, jusqu’au coup de théâtre révélé aux deux tiers du livre, mais que l’on devinait sans mal dès les premiers chapitres.

Malgré tout, La Fille du Doc­teur Moreau n’est pas un mau­vais roman, Carlota est un per­sonnage suffisamment touchant pour qu’on s’attache à elle et qu’on prenne plaisir à lire son histoire, mais il n’est pas raisonnable d’en attendre davan­tage.

La Première ou Dernière (Noon du Soleil noir T.2)

Huit mois tout juste après le tome inaugural, le cycle « Noon du soleil noir » revient déjà avec un nouveau roman, La Pre­mière ou dernière. Et la fin de l’ouvrage nous apprend qu’un troisième, Le Désert des cieux, est en projet. Ce tome 2 peut éventuellement se lire de façon indépendante, bien qu’il soit plus logique, pour avoir une meilleure idée des personnages et de l’univers, d’avoir lu Noon du soleil noir d’abord. Avant de parler de l’intrigue, précisons que si l’influence romaine, mêlée à celle (principalement) de Fritz Leiber, était visible dans ce dernier livre, elle l’est encore plus dans ce nouvel opus, même si elle se décale de Rome à Constantinople. En effet, on re­trouve l’énorme importance sociale, et même politique, des courses de chevaux caractéristique de l’histoire byzantine, jusque dans les noms des « factions » (des « clubs de supporters ») ou des nobles familles de la cité de la Toge noire (on pensera aussi à «  La Mosaïque sarantine», de Guy Ga­vriel Kay). Et la guerre civile qui menace est un reflet, bien que de causes légèrement différentes, de la Sédition Nika dans l’Histoire réelle. N’allez toutefois pas croire que l’influence de Fritz Leiber ou celle d’autres grands écrivains d’Imaginaire s’efface : l’œil averti captera des références à Issek, Nin­gauble ou à un avatar de Nyarlathotep…

Revenons-en à l’intrigue : Noon, Yors et leur servante Meg assistent à la grande cour­se, au cours de laquelle le cheval quasi-mythique du cavalier le plus emblématique de la cité disparaît ni plus ni moins de la piste, happé par magie… ailleurs. Provoquant ainsi la victoire de l’équipe de la faction jusqu’ici minoritaire. Ce qui serait déjà ennuyeux si la mort subite, probablement due à une malédiction, dudit célèbre cavalier, n’empêchait l’Inversion, la passation de pouvoir entre factions, menaçant de faire éclater une guerre civile. Le tout sur fond de mariage princier, l’héritière de la dynastie régnante devant épouser un prince Mingol (peuple leiberien emblématique). Noon mènera l’enquête, tout en devant composer avec un sorcier mort, le maître-mage du palais, une intrigue politique sor­dide, un assassin, un artefact indicible, et deux royaux personnages qui n’en font qu’à leur tête !

Si ce deuxième volume n’est en rien moins bon que son ex­cellent prédécesseur, il laisse toutefois une impression différente, celle d’être plus « posé », de davantage prendre son temps, sans doute du fait qu’il est un tiers plus long. Les auteurs ont ainsi de la place pour développer leur intrigue mais aussi leur cité (en profitant pour combler quelques vides, dont la nature de la Chose au plafond), se démarquant de Leiber sans le renier. On en décou­vre davantage sur la puissance réelle de Noon (de même que sur sa dimension sanguinaire, voire impitoyable), et Yors, narrateur omniscient peu avare en adresses au lecteur, n’en devient que plus sympathique. Nicolas Fructus, qui avait déjà placé la barre très haut, fait encore mieux (l’ouvrage, de toute beauté, s’avère abondamment illustré, au point qu’on s’interroge sur la faisabilité d’autant d’images – rien moins qu’une tren­taine – en si peu de temps !), et les Kloetzer démontrent une fois encore ici leur talent de conteur remarquable. La Première ou der­nière s’avère de fait une réussite, qu’on ne manquera pas de recommander chaudement !

Yapou, bétail humain

Attention, ouvrage très particulier ! Son histoire éditoriale est complexe : un auteur resté anonyme, une première publication en feuilleton entre 1956 et 1959 dans une revue de niche, une réécriture étirée sur des dizai­nes d’années avec quatre éditions complètes successives, à chaque fois enrichies et rallongées, jusqu’à arriver à un dernier état du texte en 1999 (base de l’édition traduite) – pour plus d’un million de ventes au Japon. On peut le lire en français grâce à l’opiniâtreté d’une éditrice et de son traducteur. Ce texte n’a d’ailleurs pas encore été publié en anglais ou ailleurs en Europe.

Le point de départ ? Le vaisseau spatio-temporel de la marquise Pauline Jansen s’écrase sur Terre, dans les années 1960. Elle est secourue par l’allemande Clara von Kotwitz et le japonais Sebe Rinichiro, deux étudiants fiancés. Quand ils doivent l’accompagner deux mille ans dans le futur, ils découvrent un monde où Clara s’insère dans la haute société et où Rinichiro accepte de devenir Yapou.

L’EHS (The Empire of Hun­dred Suns) est une société hiérarchisée à l’extrême, entre no­blesse dirigeante et plèbe, où la Révolution féministe a com­plètement renversé les rôles de genre, et où la ségrégation des races est tripartite : Blancs (dominants), Noirs (serviteurs ou esclaves) et Jaunes. Ces derniers sont les Yapous, lointains descen­dants des Japonais, considérés comme du bétail humain ou du mobilier, élevés et soumis à toutes sortes d’opérations chirurgicales, génétiques ou bio­chimiques, pour adapter leurs corps à leurs fonctions, au service du plaisir et du confort de leurs maîtres blancs.

À la mode du roman du XVIIIe siècle (comme le Tristram Shandy de Lawrence Sterne), Shozo Numa éclate la narration par des apartés, des adresses au lecteur, des exposés savants, des extraits de manuels d’histoire, de médecine ou de linguistique, des notes de bas de page sur la culture japonaise, mais aussi des renvois intratextuels.

Tout se déroule en moins de deux jours, mais l’auteur explore ainsi en détail les différents aspects de la civilisation « ehsienne » : religion, droit, éducation, politique… Rien ne nous est épargné du fonctionnement de cette dystopie.

Il s’agit donc bien d’un roman de science-fiction. L’auteur est un vrai amateur qui utilise de nombreux tropes du genre : un empire interplanétaire situé deux mille ans dans notre futur, des voyages dans l’espace et le temps, des drogues d’accélération temporelle, des androïdes métamorphes avec un cerveau Asimov, la science des ondes cérébrales et diverses technologies avancées dont l’auteur détaille les conséquences sur sa société.

Shozo Numa a en fait théorisé le roman de science-fiction comme le cadre idéal pour développer sa « fantasie systématisée », à l’échelle du genre humain. On peut admirer l’ironie, la large érudition, l’inventivité lexicale, mais le texte présente une surenchère permanente dans la cruauté, le masochisme et la scatologie. Le plus accablant est peut-être l’adaptation (trop) rapide de nos deux héros dans leurs rôles respectifs. Leur évolution psychologique nous est détail­lée mais la facilité de leur bascule en dit long, pour l’auteur, sur notre propre civilisation, et particulièrement sur le Japon d’après-guerre, après l’humilia­tion de la défaite et de l’occupation américaine, soumis à la « modernisation-occidentalisation ». La haine de soi du Japonais se reflète dans le masochisme exhalté du néo-Yapou.

À réserver aux curieux de la culture japonaise à l’estomac bien accroché et/ou aux masochistes endurants.

Fragments d'un miroir brisé

En 1998, Valerio Evangelisti, en collaboration avec Giuseppe Lippi, publie une anthologie, Tutti i denti del mostro sono perfetti [Toutes les dents du monstre sont parfaites]. C’est ce livre qui est à l’origine de Fragments d’un miroir brisé ; toutefois, comme la SF italienne n’était guère connue en France à l’époque de la pa­rution de Fragments, c’est-à-dire en 1999, l’auteur bolonais a préféré, plutôt que de traduire le volume original, concocter une anthologie spécifique pour le public français, censée montrer toute la palette de la SF tran­salpine. Intention louable, mais qui ne permet pas de trouver de réelle cohérence entre les différents textes. Certes, des cou­rants peuvent se déceler, comme l’indique Evangelisti dans sa courte préface – qu’on aurait aimée plus développée, tant la connaissance de la SF italienne est lacunaire de ce côté-ci des Alpes – mais, globalement, on ne pourra que savourer les textes un à un. Lesquels, c’est aussi le jeu de ce type de recueils, sont également disparates en termes de niveau et d’intérêt. On signalera donc en priorité le morceau de choix qu’est « La Baleine du ciel », novella de Luca Masali, uchronie arctique dans laquelle des soldats italiens sous Mussolini tentent de comprendre des phénomènes inexpliqués sur la banquise. Le texte final d’Evangelisti, « Kappa », est également très efficace, dans sa trame alternée au Japon et au Pérou, qui dénonce la mainmise japonaise sur le pays d’Amérique du Sud, y compris pour des raisons très sombres. Daniele Brolli nous propose dans « Tarentula » une rêverie poétique qui tourne à l’horreur, une horreur qu’Andrea Colombo aborde de façon plus anecdotique dans « Je le jure ». Luigi Pàchi traite du cyberpunk dans « La Musique du plaisir », avec son protagoniste qui s’immerge dans le virtual sound pour mieux récupérer de son quotidien glau­que. Nicoletta Vallorani, dans « Choukra », narre la rencontre sensuelle de l’homme avec les habitants de cette planète, et de ce qu’il en advint, alors que dans « Le Dernier souvenir », de Georgia Mantovani, la narratrice tente de coupler Big Crunch avec extase sexuelle et énergie orgonique – un procédé que n’aurait pas renié le maître de cérémonie, qui convoqua Wilhelm Reich dans sa série « Eymerich ».

Sans proposer de réel chef-d’œuvre, Fragments d’un miroir brisé, anthologie inégale, se révèle néanmoins une bonne porte d’entrée pour appréhender la SF italienne. À l’époque de sa parution, celle-ci était largement méconnue du lectorat français ; même s’il y eut depuis quelques tentatives éparses, vingt-trois ans plus tard, le constat reste hélas identique.

Trilogie américaine

Le lectorat italien de Valerio Evangelisti dis­pose de nombreux ouvrages mettant en évi­dence que l’auteur de SF tel qu’on avait pu le percevoir à une époque, ici, était en fait un auteur généraliste, capable de donner dans tous les registres : on l’a vu, aussi bien dans le récit de pirates, dans le roman historique, que dans la fresque sociale ou le roman noir le plus cru.

De ce côté-ci des Alpes, ses différentes séries n’ont pas toutes connu autant de succès que dans leur pays d’origine : certaines n’ont été que partiellement traduites, d’autres ne l’ont pas été du tout, et on le regrette.

Par chance, sa « trilogie américaine » l’a été intégralement, chez Rivages pour ses deux premiers volets, chez Libertalia pour le dernier. Et on conseillera à toutes celles et ceux qui n’ont pas encore connu le bonheur de la découvrir de la lire dans l’ordre chronologique interne. Soit : Anthracite, puis Bri­seurs de grève, et enfin Nous ne sommes rien soyons tout ! Ceci afin de mieux goûter la progression thématique.

Car thématiquement, on ne peut le nier, il y a bien trilogie, les trois romans traitent du syn­dicalisme aux États-Unis, entre le milieu du XIXe et celui du XXe, tout en pouvant se lire de façon indépendante. À y regarder de plus près, il n’y a cependant pas unité de traitement entre le premier volet, sorte de western mettant en scène le pistolero Pantera (déjà évo­qué plus haut), et les deux suivants qui relèvent du roman (très) noir et dont il est question ici… Ces deux-là ont en commun de suivre chacun les pas d’une vraie crapule prête à tout pour évoluer socialement.

Centré sur le personnage de Robert William Coates, dit Bob Coates, l’action de Briseurs de grève démarre en 1877. Bob est alors âgé de quatorze ans. Il est fils d’émigrants nord-irlandais et con­naît déjà le monde du travail. Il est très tôt repéré par son patron, propriétaire d’une compagnie ferroviaire, et Thomas Furlong, de l’agence de détectives du même nom, qui s’occupe de sa sécurité. Bien qu’encore très jeune, Bob est déjà du côté de l’ordre, du patron et de ses sbires. Ces derniers comprennent qu’ils pourront le manipuler sans peine dans le cadre des combats qui ne man­queront pas de les opposer aux salariés de la compagnie, et faire appel à ses services au moment opportun.

Sept ans après, Bob est marié, a deux en­fants. Il n’a que vingt-et-un ans mais, après services rendus, est devenu agent-détective. Il est missionné pour infiltrer l’Union Pacific de Jay Gould, «le capitaliste le plus rusé et féroce d’Amérique, un rapace à forme hu­maine », qui souhaite baisser d’un quart le salaire de ses cheminots. Pour ce faire, Bob se fait embaucher et intègre les Knights of Labor, une sorte de syndicat dont le fonctionnement évoque celui d’une société secrète. Il joue le rôle d’informateur, d’influenceur, mais la grève est décidée et le destin lui joue un sale tour puisque sa femme, tombée gravement malade, décède, ne pouvant être transportée à Chicago à cause de la grève des trains que Bob a lui-même contribué à faire naître ! Le sort est d’autant plus cruel que Gould recule face à cette grève…

Son premier grand combat, perdu, n’a servi à rien.

Commence alors une très longue descente aux enfers qui durera sa vie entière, et verra Bob Coates pas­ser d’une ville à l’autre, d’une compagnie à l’autre, d’une agen­ce de détectives à une autre, pour infiltrer les endroits chauds du pays où s’organisent les lut­tes sociales, afin de casser les grèves.

Homme de l’ombre sans moralité, mais avec des con­victions profondes — notam­ment l’incompatibilité entre le monde du travail et le syndicalisme –, Bob brûle tout ce qu’il touche, trahit à qui mieux mieux, commet des actes irréparables. Dé­voué à la cause patronale, fanatisé, il ne parvient pas à refonder une famille et sombre peu à peu dans la crasse et l’alcool. Le récit s’achève sur des horreurs commises en 1919… qui en appelleront sans doute d’autres les années suivantes.

Ce roman, qui convoque de façon allusive Jack London et Dashiell Hammett, et repose d’après son auteur sur un véritable travail de recherche, met en lumière les mécanismes – du côté patronal aussi bien que salarial : les deux faces de la même pièce – qui ont conduit aux mouvements sociaux ayant agité les USA pendant des décennies, à travers la dérive de cet homme avili…

Publié huit ans plus tôt, mais se déroulant quelques années après la fin de Briseurs de grève, Nous ne sommes rien soyons tout ! nous emmène encore plus loin dans l’horreur et l’ignominie.

Autre homme de l’ombre, Eduardo Cosimo Lombardo, devenu Eddie Florio dans les années 1930, est un Calabrais, né à Buenos Aires, ancien docker qui travaille désormais pour les syndicats sur le port de Seattle. Il se fait recruter pour jouer les mouchards et faire des rapports de police. À ce moment-là, il est marié, père de deux enfants : en ap­parence un homme normal. Mais il est, tout au contraire, un sale type, pourri jusqu’à la moelle des os, sans moralité, sans idéal, pire que Bob Coates… un sadique qui aime battre les prostituées à coups de ceinture. Et pas seulement.

En 1933, il travaille à San Francisco pour le Blue Book, un syndicat patronal qui contrôle presque tous les quais mais qui est contesté par l’ILA, un syndicat concurrent d’obédience communiste et défendant les dockers. À la solde des patrons, il magouille, manipule et se fait manipuler afin de gravir les échelons de la hiérarchie syndicale. Après grèves et compromis, il est contraint de partir vivre à New York.

Et c’est à cette période qu’il bascule définitivement, lui aussi – comme Bob Coates, mais dans une version encore plus sombre et mafieuse. Car Eddie a le cerveau moisi. Il viole, séquestre, tue froidement. Et fantasme sur les femmes de sa famille, sans barrière d’âge puisqu’il aime coucher avec de jeunes mineures. Chez lui, il n’y a aucune croyance, aucune idéologie, aucun idéal. Juste une folie criminelle qui l’anime et le pousse.

Incontestablement, ce type est une merde, pour reprendre le terme utilisé par l’auteur dans notre entretien. Qui rencontrera lui aussi son destin… Écrit de main de maître dans un style simple mais efficace, Nous ne som­mes rien soyons tout ! est un récit glacé et vé­né­neux, un grand roman noir « italo-américain » inscrit dans une veine scorsesienne.

Ces deux romans non seulement traitent du même sujet, mais présentent diverses similitudes : dans les deux cas, il s’agit d’un personnage qui évolue en sous-marin dans le monde syndical, que l’on suit sa vie durant, qui passe du côté obscur de la force et à qui le destin joue des tours — avec, parfois, l’aide du hasard. Ils nous proposent, sur des trames linéaires, différents points de vue – intérieur et extérieur, micro et macro – sur les logi­ques ouvrière, patronale et syndicale.

L’auteur y oppose de façon quelque peu ma­nichéenne – mais comment traiter ce sujet autrement, pour un auteur qui est aussi un militant d’extrême gauche assumé ? – les bons aux méchants, les ouvriers aux patrons, avec comme arbitres des syndicats infiltrés et aux dirigeants parfois corrompus.

Plus encore que dans ses autres ouvrages traduits, on y perçoit un Evangelisti engagé en faveur de la cause prolétarienne, sincère, humaniste. Ils ne peuvent que nous faire re­gret­ter l’absence en librairie de ses cinq ro­mans réalistes consacrés à la classe ouvrière italienne. Puissent-ils être traduits un jour…

Le Roman de Nostradamus

Alors que la saga dévolue à Ni­colas Eymerich oc­cupe une place de choix dans l’Imagi­naire contemporain, Le Roman de No­stradamus est lui bien oublié. Pourtant publiée en français dès 1999, cette trilogie est désormais in­disponible en librairie. Ce que l’on déplorera, car elle déploie des qualités égalant celles de la série du fameux inquisiteur.

Comme cette dernière, celle de Michel de Nostredame (véri­table nom de Nos­­­tradamus) croise de passionnante ma­nière fictions historique et Imaginaire. Quant à la première, nourrie par d’amples recherches, elle dessine à la fois la biographie de Nostredame et son contexte. Ou plutôt les contextes. Témoignant d’une ambition historique considérable et assumée, portée par un art narratif consom­mé, Evangelisti déploie, à partir du portrait de Nostredame, une fresque restituant les bouleversements politiques, religieux et cul­turels affectant alors la France et l’Europe. Certes dominé par les motifs de la montée en puissance de la Réforme et des affrontements consécutifs entre catholiques et protestants, Le Roman de Nostradamus ne se limite cependant pas à la seule évocation des guerres de religion. À la peinture crue de ces sanglants affrontements s’ajoutent encore (et entre autres nombreux thèmes) celles de la littérature et de la médecine de la Renaissance, ou bien encore du Grand Jeu diplomatico-militaire dont l’Italie est alors le théâtre géopolitique.

Le Roman de Nostradamus ne se restreint pas à une classique Histoire vue d’en haut (celle des hommes dits grands et des événements tenus pour majeurs), mais s’at­tache encore à dire l’Histoire vue d’en bas. Soit celle des hommes et des femmes long­temps tenues pour quantité négligeable par l’interprétation dominante du passé. Certainement inspiré par les pratiques de la micro-histoire, comme par celles des études de genre, Evangelisti ménage dans son Ro­man une place cen­trale aux dominés. In­sistant sur les origines de Nostredame, petit-fils d’un Juif converti au catholicisme, Evange­listi en fait une figure paradigmatique du mi­noritaire, oscillant face aux normes dominantes entre désir d’intégration et accès de révolte. Dé­peinte avec une fine com­plexité, la psyché de Nos­tredame imaginée par Evangelisti n’est pas ex­empte de zones d’ombre. Nostredame est ainsi dépeint comme sexiste, cédant parfois à une misogynie brutale s’exerçant à l’encontre de ses deux épouses, Magdelène et Anne.

Si la première disparaît rapidement, em­portée par la peste, la seconde s’impose en revanche comme l’un de ses protagonistes essentiels, présente tout au long du cycle. Faisant de la part d’Evangelisti l’objet d’une attention aussi prononcée que celle consacrée au personnage de Nostredame, Anne s’impose comme la représentation exemplaire de la condition féminine dans l’Europe du XVIe siècle naissant. La jeune femme est d’abord une incarnation sans fard des plus aliénantes conséquences du patriarcat toujours aussi vif dans des Temps pourtant dits Modernes. Confrontée à une domination ma­sculine d’essence prostitutionnelle puis con­jugale, Anne n’en est pas pour autant soumise, encore moins brisée. Faisant preuve d’une inentamable liberté d’esprit et de corps, elle parvient ainsi à ébranler les certitudes machistes de son époux. Jusqu’à ce que, par la grâce de l’action de cette féministe avant la lettre qu’est Anne, Nostredame se transforme in fine en ce que l’on appelle de nos jours un pro-féministe.

Prenant ainsi la suite de la contre-histoire du Moyen Âge qu’est le cycle d’« Eymerich », Le Roman de Nos­tradamus propose une controstoria de la genèse des Temps Modernes. De cette entreprise critique participe encore la part du cycle plus proprement dévolu à l’Imaginaire. Celle-ci prolonge notamment la lutte entre forces liberticides et émancipatrices dans un extraordinaire au-delà, que l’on s’efforcera cependant de ne pas divulgâcher. Car le très grand plaisir de lecture procuré par Le Ro­man de Nostradamus tient encore à la découverte fiévreuse des origines de la puissance visionnaire de Nostredame. Tout au plus indiquera-t-on que comme dans la saga eymerichienne, Evangelisti agrège fantasti­que et SF en une geste lovecraftienne engendrant des visions d’horreur cosmique.

Sommet de l’œuvre d’Evan­ge­listi, Le Roman de Nostra­damus mériterait donc de réapparaitre dans les librairies francophones. À défaut de prédiction, formons le vœu que pareil événement éditorial advienne au plus vite.

Day Hospital

Peut-on faire un livre drôle, émouvant et palpitant, sur sa lutte contre le cancer ? Si l’on s’appelle Valerio Evangelisti, la réponse est clairement oui. Quinze ans avant d’être finalement emporté par la camarde, Valerio Evangelisti avait déjà eu maille à partir avec le cancer. En effet, une simple visite de routine chez le dentiste découvre chez lui un lymphome non hodgkinien de type B assez agressif. En décembre 2009, l’écrivain va commencer les différents examens aboutissant à ce diagnostic, puis la chimiothérapie qui s’ensuit. Et tout du long, il va tenir son journal, dont il partagera de larges extraits sur son blog avant de les rassembler en 2013, une fois sa rémission assurée, dans Day Hospital — un livre court malgré son sujet, et jamais larmoyant.

Le narrateur protagoniste y aborde pourtant sans fard ses peurs, ses angoisses, ses douleurs et contrariétés – tant morales que physiques, rencontrées durant la maladie. Même si le texte n’a, semble-t-il, pas été ré­écrit a posteriori, Valerio Evangelisti garde tout du long ironie et distance qui lui permettent certes d’affronter la ma­ladie, mais qui permettent également aux lecteurs de suivre ce récit sans avoir l’impression d’être des voyeurs malsains. Au contraire, Day Hospital donne plutôt le sentiment d’avoir un ami qui vous raconte ses problèmes en cherchant votre soutien, mais aussi à vous faire rire. Et l’autrice de ces lignes d’avouer que la « birratherapia », ou thérapie par la bière, pour contrer les effets indésirables de la chimiothérapie (qui peut déshydrater le patient en raison de nausées et de diarrhées post-séances) est une trouvaille aussi pratique que très drôle. De plus, outre son cancer, Valerio Evangelisti lève ici le voile sur son travail quotidien, ce qui est toujours intéressant pour qui veut découvrir comment une œuvre telle que la sienne s’est construite.

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