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L'École des assassins

L’École des assassins est une œuvre post-cyberpunk où, en 2047, de quasi-super-vilains créés par génie génétique, nanotechnologie, manipulation quantique, voire par un entraînement tiré des enseignements de ce même Miyamoto Musashi au centre de La Voie du sabre, servent d’assassins d’élite à une transnationale sans scrupules, dans un monde où l’espionnage industriel, le meurtre et l’attentat sont devenus des pratiques commerciales parmi d’autres pour ces corporations aussi puissantes que des nations ou presque. Ces assassins servent à lutter contre les concurrents, les Triades qui gênent leurs activités en Asie ou les juges mandatés par les instances internationales. Dotés de noms de code et de capacités qui semblent tout droit sorties de chez DC ou Marvel, ces personnages vont entrer en dissidence, et ce malgré le fait que leur employeur a plusieurs moyens définitifs de les réduire au silence.

Si ce court roman n’est pas dépourvu de fond (on y parle montée en puissance des Firmes, manipulations génétiques interdites, statut du surhomme et de l’arme vivante, etc.), il doit surtout être appréhendé comme une vigoureuse série B d’action, nerveusement rythmée, aux nombreux combats aussi visuels qu’haletants. La patte de Thomas Day est plus reconnaissable que celle de son co-auteur, et sans surprise orientée érotisme, mystique japonaise et action, quand Bellagamba est plus dans la description de cet univers. Le roman reste intéressant, même si le joyeux mélange Matrix / X-Men / Watchmen / Musashi peut parfois laisser dubitatif avec quelques clins d’œil un peu trop appuyés. On retiendra cependant un aspect… eganien tout à fait fascinant sur la fin.

Sympathique petit livre de nanopunk très orienté action et hyper-référencé, L’École des assassins se lit à toute vitesse et avec un plaisir quasi coupable, tellement qu’on regretterait presque (presque…) qu’il n’ait pas été plus étoffé. Ce n’est pas un livre qui vous retournera le cerveau, mais ce n’est pas ce qu’on lui demande, et ce qu’il fait, il le fait très bien.

Nous rêvions d'Amérique

Nous rêvions d’Amérique est l’un des titres de la (défunte) collection « Série grise », initiative des éditions Baleine au début des années 2000. Répondant à une ligne éditoriale imaginée par Jean-Bernard Pouy (l’homme du « Poulpe »), cette « Série grise » proposait des textes courts, imprimés en (très) gros caractères. Comme le suggérait sa couleur évoquant celle des chevelures des lecteurs et lectrices d’un âge avancé, cette collection voulait s’adresser avant tout autre public aux séniors amateurs et amatrices de polar. Estimant sans doute que pareil lectorat n’était susceptible de s’intéresser qu’à des protagonistes du troisième âge, la « Série grise » avait encore inscrit à son cahier des charges l’obligation pour ses auteurs et autrices de mettre en scène des personnages au crépuscule de leur existence…

Autant de contraintes d’écriture auxquelles Thomas Day se plia avec la plus professionnelle des rigueurs pour Nous rêvions d’Amérique. Se déroulant dans l’Ouest étasunien durant les années 1990, le récit a pour héros « Grand-Père Hoijer », un vieil Amérindien n’ayant jusqu’alors jamais quitté ce que les autorités fédérales appellent une réserve. Un territoire que ce vieillard hopi préfère, quant à lui, nommer « le sol sacré ». Si l’on ne sait initialement rien des raisons du périple dans lequel s’engage Hoijer au début de Nous rêvions d’Amérique, Thomas Day sème cependant quelques indices en suggérant les ressorts criminels. Les instructions qu’il laisse à sa fille Mary-Margaret – chargée de garder son chien Bip-Bip et sa boutique de souvenirs – sonnent comme autant d’ultimes volontés. Quant à la numérotation décroissante des chapitres, elle évoque un compte-à-rebours d’abord confusément inquiétant, puis de plus en plus explicitement dramatique. Car c’est un voyage sans retour que narre Nous rêvions d’Amérique

Marquant pourtant la seule incursion de Thomas Day dans le champ de la fiction dite policière, ce texte témoigne de sa part d’une connaissance certaine du genre. On est, entre autres influences, tenté de reconnaître celle des polars navajos de Tony Hillerman dans ce bref portrait d’un Amérindien en butte à la société étasunienne.

Nous rêvions d’Amérique ne se contente cependant pas d’entrelacer des références au polar et au cinéma. Sa forme révèle aussi une maîtrise efficace des codes narratifs du roman noir, puisqu’elle combine à une intrigue criminelle un regard à la fois documentaire et critique sur les USA (Day s’intéresse ici, plus particulièrement, à une certaine association étasunienne dont on ne dira rien ici… tout en indiquant que le titre du récit en suggère le nom), tout en l’imprégnant d’une tonalité tragique. Celle-ci s’atténue cependant lors du dénouement. Quittant alors le vériste domaine du polar pour celui de l’Imaginaire, Thomas Day nimbe d’un émouvant fantastique les ultimes instants d’Hoijer. Délirantes ou spectrales, les dernières visions du Hopi lui ouvrent enfin les portes de cette Amérique fraternelle dont il avait toujours rêvé…

Daemone

Si l’on fait le compte, on constate que Thomas Day n’a pas produit tant de science-fiction que ça, et moins encore si on ne prend en compte que la forme longue. Tout juste L’École des assassins, co-écrit avec Ugo Bellagamba, et, si l’on souhaite pousser le sadomasochisme littéraire jusqu’à admettre son existence, Resident Evil. Et aussi (et surtout), ce Daemone que l’auteur visitera à deux reprises.

Daemone Eraser est un fantôme, ou du moins un homme qui a cessé de vivre le jour où il a perdu sa femme et son enfant à naître. Depuis, il ne cesse de remettre en jeu son titre de champion dans l’Arène, sous le regard de milliards de spectateurs, dans la vaine attente de l’adversaire qui saura enfin mettre fin au vide que constitue sa vie. Jusqu’au moment où un extraterrestre, guerrier du temps de son état, lui propose un pacte faustien : la vie de sa femme contre la mort de cinq criminels parmi les pires qui soient. Comment refuser une telle offre ?

Paru initialement en 2001, Daemone est en premier lieu un bel hommage de Thomas Day aux grands auteurs de science-fiction qui ont marqué son adolescence, de Vance à Silverberg en passant par Zelazny. On pourra s’amuser aussi à noter les emprunts cinématographiques, Blade Runner, Videodrome et autres… Dans la manière dont il s’approprie les thématiques et les façons de faire de ses aînés, on pense aussi souvent au pan le plus noir de l’œuvre de Mike Resnick.

Sur la forme, Daemone enchaîne sans temps mort les morceaux de bravoure : chasse au dragon ou guérilla meurtrière en milieu urbain, Thomas Day fait montre d’une redoutable efficacité dans ces passages d’une lisibilité exemplaire.

Sur le fond, le roman relève de la tragédie la plus classique, une histoire d’amour perdu que le héros s’avère incapable de surpasser. Et malgré tout le sexe et la violence dont il parsème son récit, l’écrivain reste fidèle aux règles du genre.

Dix ans après sa parution initiale, Thomas Day reviendra à Daemone pour en proposer une version partiellement réécrite et étoffée. Les différents protagonistes y gagnent en épaisseur, motivations et relations y sont davantage développées, et le récit s’inscrit de manière plus explicite dans le cycle auquel il appartient (cycle pour l’essentiel toujours à l’état de projet et dont on n’a sans doute pas fini d’attendre la suite). L’essentiel demeure : sous une forme ou une autre, Daemone est un roman qu’on ne lâche pas de la première à la dernière page.

Rêves de guerre

Fausse fantasy relevant en réalité d’une SF post-apocalyptique, ce premier roman de son auteur convoque, sur sa quatrième de couverture, Moorcock et Shakespeare. On est loin de l’un comme de l’autre : les personnages stéréotypés aux noms ridicules de Day n’ont en rien l’impact de ceux du père de Hawkmoon, et leurs tourments amoureux et moraux génèrent plus l’ennui qu’autre chose. Sentiment d’ailleurs exacerbé par une absence quasi-totale de rythme et de souffle épique. Et ne parlons pas des fondamentaux du contexte qui débarquent au bout de… 200 pages !

Mais cela n’est rien par rapport au reste : une écriture qui navigue entre une caractérisation ultra-manichéenne, certains dialogues ou points d’intrigue naïfs et maladroits et une esbroufe stylistique boursouflée ; ensuite, un système de magie bancal, qui ressemble au fruit impie d’un brainstorming entre Denis Gerfaud, Christopher Nolan et JY Yang, le tout généreusement raturé en rouge par un Jean-Claude Van Damme au « meilleur » de sa forme cocaïnomane ; ou encore une intrigue tout aussi chaotique ; enfin, une forme alternant ultra-violence, scènes et allusions sexuelles incessantes qui constituent certes le cocktail qui est devenu la marque de fabrique de Day, mais qui n’est, à ce stade de sa carrière, pas encore sublimé par un fond thématique (qui se réduit ici à bien peu de choses, surtout un très puéril « la guerre c’est mal ») riche ou par quelque maturité.

Day a écrit assez de textes de qualité, dont certains tutoient le sublime, pour qu’on oublie cette quasi-fan fiction où il se fait plaisir en rendant hommage à ses idoles, via une high fantasy stéréotypée camouflée sous des oripeaux grimdark qui, avec son élu, ses prophéties, ses histoires de vengeance et son côté roman d’apprentissage, n’a guère d’intérêt par rapport à ce que propose le genre aujourd’hui.

Sympathies for the devil

Il est peu d’exercices aussi risqués que de revenir, vingt ans après, sur des textes qui vous avaient filé une vraie claque. Souvent, en effet, le souvenir de la claque s’avère plus puissant que le texte lui-même, qui a pris vingt ans. Comme le critique, bizarrement. Et comme l’auteur, dont il connaît le parcours ultérieur. Quoi de commun entre le gamin encore dans la vingtaine, le Thomas Day presque débutant qui s’apprêtait à tout casser, et l’auteur plus que confirmé que Bifrost honore de ce numéro spécial ?

Mais le risque paye parfois : Sympathies for the Devil n’a pas pris une ride. Si vous aviez lu ces textes à leur sortie, relisez-les, ils le méritent. Et si vous avez la chance de les avoir encore à découvrir – précipitez-vous, c’est toujours de l’excellente came.

Sympathies for the Devil, en l’an 2000, c’est un recueil de cinq textes : « Une forêt de cendres », « L’Erreur », « Cette année-là, l’hiver commença le 22 novembre », « La Notion de génocide nécessaire » et « Démon aux yeux de lumière » ; une seconde édition, dite « Redux », remplaçant le plus classique « Cette année-là… » par deux autres nouvelles : « À l’heure du loup » et « La Mécanique des profondeurs », et remaniant légèrement les autres textes, est parue en 2004.

Au-delà de la référence aux Rolling Stones, amplement justifiée – le rock est omniprésent, de même que la drogue, le sang, le sperme, le feu… – le titre, s’il est superbe, s’avère trompeur : ce n’est pas tant de sympathie qu’il s’agit, que d’empathie. « J’ai toujours eu une haine pathologique de la réussite, et une tendresse particulière pour les champions de l’échec », fait dire Thomas Day à l’un de ses personnages. Le moindre des paradoxes n’est pas que cette tendresse soit bien présente, quoique souvent pudiquement dissimulée sous une débauche de brutalité, chez des personnages au profond desquels on pressent parfois comme une vie intérieure étonnamment limpide.

Il serait vain de coller des étiquettes sur les nouvelles de ce recueil. On y croise des démons – évidemment – et des dieux, des dragons, des reines et des ducs, des méchants à la Pulp Fiction, des extraterrestres, de la technologie, des vampires et même – c’est dire – des fonctionnaires courageux. Fantastique, fantasy, fantasy urbaine, high fantasy, histoire secrète, science-fiction ? Oui, tout ça. À la fois. Tout ce qu’il fallait, en l’an 2000, pour qualifier un jeune auteur français inclassable mais puissamment original et incroyablement prometteur. Et, en 2020, pour ne pas s’étonner que la plupart de ces promesses aient été tenues.

La plupart. Parce que relire Sympathies for the Devil, c’est aussi reprendre en pleine poire « La Notion de génocide nécessaire ». De la SF de classe mondiale. (On se demande d’ailleurs bien pourquoi ce texte n’a jamais été traduit…)

Putain, Gilles, qu’est-ce que tu attends pour te lâcher !

Les Formiciens

À moins d’avoir vécu terré au fond d’une grotte ces trente dernières années, difficile d’avoir échappé aux « Fourmis » de Bernard Werber. Mais saviez-vous que cette trilogie entomologique a un ancêtre ? En 1932, l’écrivain français Raymond de Rienzi publia Les Formiciens, épopée miniature exhumée toutes les une ou deux décennies, et cette fois-ci par les éditions Terre de Brume.

Nous voici il y a cent vingt millions d’années, « vers la fin de l’ère secondaire », en un temps où « les tyrannosaures broutaient les arbres »… Passons. C’est aussi une époque où les fourmis n’existaient pas encore, mais cela, la science l’ignorait probablement à l’époque de publication du roman. Celui-ci, après un prologue ampoulé présentant les formiciens, les précurseurs des fourmis, nous introduit Hind. Héros de l’histoire, Hind appartient au peuple des Nomades mais vit dans une fourmilière des Halfs. Après une attaque par les Têtes-Rouges où il s’est distingué par sa bravoure, Hind se retrouve en porte-à-faux avec les Mères : les formiciens vivent en ce moment un changement de paradigme, avec l’apparition des individus neutres et la prise du pouvoir par les femelles. Mais Hind ne l’entend pas de cette oreille antenne et fuit avec son meilleur ami. S’ensuit alors une longue et périlleuse odyssée. Au cours de celle-ci, les deux amis sont d’abord faits prisonniers par des formiciens esclavagistes ; au sein Hind trouve toutefois l’amour auprès de Mâh, une autre Nomade. Mus par la nécessité, les deux fondent un nouveau couvain pour redonner vie et grandeur au peuple Nomade. Cette fourmilière passera par hauts et bas, les menaces pouvant être tout aussi intérieures qu’extérieures… comme en la figure de ces « Montagnes-vivantes » que sont les dinosaures.

Dinosaurien, Les Formiciens l’est aussi à sa manière. Se basant sur une documentation abondante listée en fin d’ouvrage, Rienzi préfigure bon nombre d’aspects que l’on retrouvera dans Les Fourmis de Werber, avec un souffle lyrique gentiment désuet. Néanmoins, le roman achoppe sur le caractère exagérément héroïque de son protagoniste et sur le machisme intrinsèque du récit, vaguement camouflé derrière l’apparition du système de détermination sexuelle des fourmis : ici, les femelles sont méchantes et traîtresses ou bien tout juste bonnes à enfanter. Dommage. Il en reste un roman d’aventure à l’intérêt surtout archéologique, exemple parmi d’autres de la fascination exercée par les fourmis et autres insectes eusociaux…

La mer sans étoiles

Il y a de cela une huitaine d’années, Erin Morgenstern avait su nous enchanter avec Le Cirque des rêves. La magie qui imprégnait les pages du premier roman de l’autrice serait-elle à nouveau présente dans son second ? Délaissant le monde forain du xixe siècle, Erin Morgenstern nous emmène en 2015, dans une bibliothèque universitaire. C’est dans ses rayonnages poussiéreux que Zachary Ezra Rawlins, étudiant préparant une thèse sur les jeux vidéo, met la main sur un recueil de contes intitulé Doux Chagrins. Le plus surprenant pour le jeune homme est d’y découvrir que l’un des récits raconte un épisode de son enfance, lorsqu’il n’a pas traversé une porte dessinée dans un mur. Décidé à connaître le fin mot de l’histoire, Zachary se lance alors dans une quête qui va l’amener à rencontrer d’étranges personnages – tant dans la réalité que dans les pages des livres, même si les deux ont une tendance curieuse à se mélanger – et surtout l’amener dans une bibliothèque souterraine et infinie, au-dessus d’une mer sans étoiles…

Pour les rats de bibliothèque que nous sommes (si vous n’en êtes pas un, signalez-vous de ce pas à la rédaction !), lire un roman mettant en scène d’infinis rayonnages de bibliothèques a quelque chose de réjouissant. Des livres, des livres, encore des livres, des labyrinthes de livres, des secrets cachés dans des livres, le pouvoir démiurgique de la littérature, et puis des chats (parlants). Des personnages ? Parlons plutôt de silhouettes. À vrai dire, la magie peine à prendre au fil des pages de cette Mer sans étoiles : l’ensemble est très soigné mais ne suscite guère d’émotions, et s’avère trop élusif, avec ses énigmes enveloppées dans des mystères, ses tenants et aboutissants flous, ses jeux de miroirs obscurs. Voilà qui est paradoxal pour un roman prenant pour objet la narration : alternant entre contes comme autant de fragments épars d’une intrigue plus vaste et récit de l’aventure de Zachary, l’histoire finit hélas par lasser. Peut-être faudrait-il replonger une deuxième fois dans cette Mer… pour en saisir toutes les subtilités ? Avouons-le, les rats de bibliothèque que nous sommes ont déjà une pile à lire haute comme ça bien plus riche en promesses…

Et pourtant… Même s’il faut attendre encore huit ans, on guettera le prochain roman d’Erin Morgenstern, en espérant que l’autrice saura retrouver la magie du Cirque des rêves.

?

Dimension Russie impériale

Après Dimension URSS (2009) et Dimension Russie (2010), Patrice et Viktoriya Lajoye terminent leur tour d’horizon de la SF russophone en nous proposant une sélection de nouvelles relevant cette fois du merveilleux scientifique. Passage en revue.

Le recueil s’ouvre avec la novella « Histoire extraordinaire d’un Pompéien ressuscité » de Vassili Avenarius, qui nous fait suivre les pas d’une momie ramenée à la vie par un scientifique italien. Le trope du choc des cultures se teinte ici d’amertume, alors que Marcus Junius Flaminius découvre la société industrielle. La satire se poursuit plus loin avec « Les lettres de Mars » de Vladimir Bariatinski, texte bref ressemblant surtout à une introduction à une déclinaison martienne des Lettres persanes. Côté proto-hard science, « Sur la lune » de Konstantin Tsiolkovsky consiste en une rêverie lunaire aussi platement écrite que fascinante au niveau des idées : le père de l’astronautique russe avait visé globalement juste, et le texte est d’autant plus étonnant qu’il remonte à 1887 (voir le sélénite Bifrost 95 pour une recension plus complète). Sous le patronage de Jules Verne, « Le Brig “Le Terreur” » de Ferdynand Ossendowski nous emmène dans les mers glacées du grand nord, sur les traces d’un navire porteur d’une virulente moisissure capable de tout détruire. Savants fous et amours contrariées sont au programme de cette ample novelette, inventive mais peut-être un brin trop convolutée. Pas tout à fait un voyage au centre de la Terre, « Les Ancêtres » de Sergueï Solomine est un journal de voyage dans un monde souterrain peuplé de batraciens géants et intelligents. Un texte prometteur mais qui pèche par sa brièveté. Le recueil comporte deux nouvelles de Valentin Frantchitch, « Les rayons de la mort » et « Le Char du diable », au sujet d’inventions dévoyées ou susceptibles de l’être. De fait, utopies et dystopies ne sont jamais très loin. « Le Parc royal » d’Alexandre Kouprine relève des premières, et met en scène des souverains dans une époque future qui conserve ses têtes couronnées à fin d’éducation. Il s’agit là d’un conte doux-amer réussi. « L’amour dans les brumes du futur » d’Andreï Marsov, sous-titrée « Histoire d’une romance en 4560 », appartient aux secondes. Unique texte (auto)publié de son auteur, paru aux tout débuts de l’ère soviétique, il nous présente deux amants désireux d’être proches au possible dans un monde où des rayons d’un genre particulier rendent impossible de garder pour soi toute pensée. Pas tout à fait convaincant dans sa narration, le texte préfigure toutefois des aspects de Nous autres de Zamiatine mais aussi de « Plus près de toi » de Greg Egan.

Au bout du compte, les dix nouvelles au sommaire du recueil présentent un panorama varié et inventif du merveilleux scientifique pré-Révolution russe. De quoi satisfaire les amateurs de curiosités.

Solênopédie

Ce court roman – ou longue nouvelle, c’est selon – parut pour la première fois à la Librairie Médicale de Labé en 1838, vingt ans après le Frankenstein de Mary Shelley, ce qui en fait l’un des tout premiers textes français de science-fiction. L’histoire de sa publication est du reste étonnante, puisqu’il fut présenté comme un compte-rendu d’expériences scientifiques réellement menées ; pour augmenter le mystère, son auteur utilisa le pseudonyme du Comte Dalbis. Même si l’éditeur émit quelques précautions lorsqu’il publia Solênopédie, la supercherie ne fut éventée que quelques mois plus tard, et l’obligea à faire une mise au point. Il faut d’une part préciser que le sous-titre du roman est « Révélation d’un nouveau système d’éducation phrénologique pour l’homme et les animaux », et d’autre part se remettre dans les connaissances de l’époque : en 1838, la phrénologie, théorie selon laquelle les bosses du crâne d’un être humain reflètent son caractère, développée par le médecin allemand Franz Joseph Gall, a ses partisans. Avec pareil postulat, serait-ce vraiment surprenant qu’on puisse agir sur ces bosses pour façonner les facultés d’une personne à sa convenance ? Car c’est bien ce qu’a entrepris de démontrer T., scientifique brillant réfugié dans des ruines pyrénéennes pour y mener ses expériences. Le Comte Dalbis, qui lui a rendu visite, en convient : il a obtenu des résultats prodigieux en opérant sur des animaux, réussissant à s’entourer de nombreux mammifères et oiseaux qui lui obéissent et sont capables de prodiges qu’on croirait réservés à l’être humain. Le tout en injectant une solution à base de phosphore directement dans le cerveau, après avoir identifié les caractéristiques de chacune des bosses des crânes desdits animaux. T. n’a encore rien communiqué, attendant d’avoir achevé ses expériences pour le faire ; il lui désormais tester ses méthodes sur l’être humain. À moins qu’il n’ait quelque peu brûlé les étapes et déjà initié des traitements sur certains enfants ?

Si la supercherie a en partie fonctionné lors de sa parution, c’est que Solênopédie était parfaitement en accord avec les connaissances scientifiques de l’époque, et que si Dalbis extrapolait, il le faisait sur la base des dernières avancées médicales. C’est là la force du texte, quand bien même, à la lumière des sciences contemporaines, cela prête plutôt à sourire. Il n’empêche, on sent l’auteur parfaitement au courant (le traitement endermique) qui prend plaisir à inventer un futur à ces sciences, un futur fait de prouesses enthousiasmantes encore à découvrir. Sans pour autant oublier de pointer les dérives potentielles qui adviendront inéluctablement si les scientifiques exercent en solitaire, sans contrôle d’aucune sorte. À ce titre, la postface de Marc Renneville, qui replace le récit dans son contexte d’écriture, est très éclairante. Si la forme du texte est en adéquation avec l’époque à laquelle il a été rédigé, le propos, lui, reste totalement d’actualité, dans ce xxie siècle où le transhumanisme a le vent en poupe et au sein duquel certains ne se sentent guère investis d’une quelconque éthique. Enfin, impossible de lire Solênopédie sans penser à L’Île du docteur Moreau, de H.G. Wells, avec lequel ce texte partage un certain nombre de points communs.

Sans crier au chef-d’œuvre oublié, voilà toutefois une réédition bienvenue tant elle remet en lumière un texte rarissime, pour ainsi dire inconnu, et qui n’a rien perdu de sa force près de deux siècles après sa publication.

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