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Le Cycle des pirates

Parfois, l’horreur n’a pas besoin de créatu­res surnaturelles ou de guerres mondiales pour se manifester. Il lui arrive même de se nicher au soleil des Caraïbes, dans un monde plein d’aventu­res dont on oublie souvent les contreparties sanglantes : l’Âge d’or de la piraterie. C’est cette période que choisit d’explorer Valerio Evangelisti avec son « Cycle des Pirates », dont seul le premier roman, Tortuga, a été traduit en français. La trilogie s’attache ainsi à trois lieux et trois années en particulier : 1683 et la ville de Veracruz, puis 1685 et l’île de la Tortue, enfin 1697 et Cartha­gène. Et pour compliquer le tout, Valerio Evangelisti change de personnage principal d’un roman à l’autre, et ne les a pas écrits dans l’ordre chronologique.

Le premier, Tortuga, celui qui se passe en 1685, suit Rogério de Campos, un marin portugais, ancien jésuite, recruté de force par le pirate Laurens de Graff, dit Lorencillo. Par ses yeux, nous allons découvrir l’univers de la piraterie avec ses côtés démocratiques et ses règles de vie, mais également sanguinaires, violents et même pédophiles vis-à-vis des mousses remplaçant les femmes sur les navires où règne une séparation stricte des sexes. Mais loin d’être un ange, l’ancien religieux a lui aussi ses propres secrets, et va peu à peu abandonner ses grands prin­cipes pour mener à bien ce qu’il considère sa mission. Veracruz se passe deux ans auparavant, et raconte plus en détail la prise de la ville du même nom, haut fait de Michel de Grammont et des frères de la Côte. L’histoire nous est ici contée par Hubert Macary, officier sur le navire de Lo­rencillo et tiraillé entre deux femmes : Claire, la sœur de Michel de Grammont, et la femme pas si fatale Gabriela Junot-Vergara. Enfin, Carta­gena clôt le cycle en même temps qu’une page de la piraterie caribéenne se tourne. Ici, le récit se fait plus choral, et les pirates ayant abandonné l’île de la Tortue sont dé­sormais liés sous la bannière du gouverneur Ducasse, un ancien capitaine négrier. Ils vont s’allier difficilement avec l’amiral de Pointis, qui a besoin d’eux pour prendre la ville de Carthagène en Colombie. Récit plus sombre encore que les deux autres, ce dernier clôt une trilogie alors que la course en mer change de visage et de haut lieu pour ses exploits.

Si pour vous, les pirates sont des personnages tels que ceux présentés dans L’Île au Trésor de R.L. Stevenson ou les séries télévisées comme Our Flag Means Death ou Black Flag, oubliez immédiatement l’image de carte postale. Certes, il y a des abordages, des courses poursuites, des plages de sable fin, du rhum et du vin à foison, mais les pirates décrits par Evangelisti ne sont ni galants ni unis dans leurs points de vue. Épris de libertés, ils n’ont rien contre le fait de posséder des esclaves. Ils prônent l’égalité, mais il ne fait pas si bon avoir une couleur de peau qui n’évo­que pas la vieille Europe, ou, à quelques exceptions près, être une femme. Venus à la piraterie pour des raisons diverses et va­riées, parfois contre leur gré, les pirates de l’écrivain bolonais n’en sont pas moins incroyablement vivants et profondément humains dans leurs dilemmes – au point de ne pas perdre une miette de leurs aventures, tout en étendant fortement au passage les con­naissances nautiques du lecteur spectateur, en tout cas celles de la présente chroniqueu­se.

Pantera

Autre antihéros mis en scène de manière récurrente par Valerio Evangelisti, quoique moins emblématique qu’Eymerich, Pantera est un Mexicain vivant aux États-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la fois pistolero et palero, autrement dit adepte du Palo Mayombe, une religion afro-américaine assez similaire au Vau­dou qui lui donne une cer­taine compréhension des phénomènes surnaturels auxquels il sera confronté à plusieurs reprises. Per­sonnage solitaire et mutique, capable d’accès de violence meurtriers, Pantera est le protagoniste d’une nouvelle et de deux romans.

Il fait sa première apparition dans Métal Hurlant, recueil de quatre nouvelles proposant une thématique et une ligne chronologique commu­nes, et qui doivent également beau­coup à l’amour de l’auteur pour le heavy metal des anné­­­­es 80, à com­mencer par leurs titres. La première d’entre elles, « Venom », pose les bornes temporelles du recueil : le XIVe siècle de Nicolas Eymerich, qui y tient bien entendu le rôle principal, et un futur non daté où s’affrontent à mort deux bran­ches de l’humanité, dont l’une s’est radicalement transformée par l’utilisation d’un métal bio-actif. Com­me dans ses romans, l’inquisiteur met en branle une série d’événements dont les conséquences ne se feront pleinement ressentir que plusieurs siècles plus tard. Les trois autres textes au sommaire se rattachent de manière plus ou moins explicite au même cycle. Dans un futur proche, « Sepultura » décrit le fonctionnement d’un pénitencier d’un genre nouveau, à São Paulo, tandis que « Metallica » voit s’af­fronter les forces armées d’extrémistes chrétiens et musulmans dans un quartier de la Nouvelle-Orléans. Comme souvent chez Evangelisti, ces deux nouvelles mêlent science-fiction et fantastique, pour aboutir à un résultat aussi original qu’intrigant. « Pantera », le récit qui introduit le personnage éponyme, propose lui aussi un mélange de rationnel et de surnaturel, mesmérisme et magnétisme d’un côté, rites magiques de l’autre, face à un danger qui quant à lui relève du pur fantastique : de gigantesques statues de ca­valiers (les « Cow-boys from Hell », référence directe au plus célèbre album du groupe de metal Pantera) qui s’apprêtent à prendre vie pour réduire à néant un village texan. Mais avant de mener à bien la mission pour laquelle on l’a engagé, Pantera va avant tout chercher à découvrir ce qui a pu attirer une telle menace sur la population. Valerio Evan­gelisti s’amuse ici beaucoup avec les con­ventions du western, puisant davantage son inspiration dans les séries B transalpines que dans son modèle américain.

On retrouve ensuite Pantera dans Black Flag, roman sur lequel plane en permanence l’ombre du 11 septembre. À la lecture du prologue, on pense assister à la chute des tours du World Trade Center, avant de comprendre que l’auteur décrit en fait le bombardement de Panama City par l’armée américaine, fin 1989. Une scène qui donne le ton et annonce le propos du roman. Com­me chez Nicolas Eymerich, l’action de Black Flag se déroule principalement à deux épo­ques : en 1865, durant les derniers mois de la Guerre de Sécession, alors que Pantera rejoint un régiment de Confédérés semant la terreur dans plusieurs états du sud, et en l’an 3000, sur une Terre surpeuplée, dont les habitants ne se différencient plus que par la psychopathologie dont ils sont atteints : Schizophrènes, Hysté­riques, Phobiques, etc., on est littéralement en présence d’un monde de fous, où l’on s’entre-tue à tours de bras. De manière assez confuse et pas vraiment convaincante, Valerio Evangelisti tente de tirer une évolution logi­que entre ces deux époques : d’un côté des militaires qui renoncent aux lois de la guerre pour laisser libre cours à leurs plus bas instincts, de l’autre ces trois cents milliards d’individus ne vivant que dans la recherche d’un plaisir immédiat né de la souffrance d’autrui. Le romancier semble nous dire que les États-Unis ont donné naissance à une folie meurtrière qui a fini (ou finira) par se propager à l’ensemble de la planète, mais la démonstration est trop décousue et trop peu argumentée pour em­porter l’adhésion. Si l’on prend chaque partie individuellement, celle mettant en scène Pantera fonctionne plutôt bien, solidement ancrée dans son cadre historique. En revan­che, celle située dans le futur est à ce point outrancière qu’elle frôle le ridicule à plusieurs reprises.

Pantera tient son ultime rôle dans Anthra­cite, roman pourtant paru un an avant Black Flag en Italie, mais dont l’action se situe dix ans plus tard. Cette fois, Valerio Evangelisti met en sourdine les éléments fantastiques du personnage pour faire de lui le témoin de son époque. En 1875, Pantera se retrouve en Pennsylvanie, dans une ville dont les habitants vivent de l’extraction du charbon, dans des conditions abjectes, et où les luttes sociales s’apprêtent à prendre une tournure radicale. Ballotté entre les différentes factions qui s’op­posent, Molly Maguires d’un côté, une organisation secrète qui défend les droits des travailleurs d’origine irlandaise, agence Pinkerton de l’autre, chargée de protéger l’ordre et surtout les avoirs de la bourgeoisie locale, Pantera va faire ce qu’il peut pour sauver sa peau sans y perdre son âme. De par sa personnalité in­saisissable et la place qu’il oc­cupe dans le récit, chaque camp espérant le voir rejoindre sa cause, Pantera évoque ici, plus que jamais, le personnage de l’Homme sans Nom qu’interprétait Clint Eastwood dans les westerns de Sergio Leone, le cynisme et l’opportunisme en moins. Il est avant tout l’élément extérieur, étranger, semblable en cela à l’auteur, qui occupe une place de choix pour rendre compte de ce moment d’histoire. Anthracite, s’il met un terme à la carrière de Pantera, inaugure surtout un nouveau cycle dans l’œuvre de l’auteur, et met en scène le début des luttes sociales du pro­lé­tariat américain, un travail qu’Evangelisti poursuivra de fort belle manière dans Nous ne sommes rien soyons tout ! et Briseurs de grève.

La Coulée de feu

Quand on est diplômé en sciences politi­ques, spécialisé en Histoire moderne, et qu’on est réputé passer chaque année du temps à Puerto Escondido, au Mexique, il est inévitable qu’un roman consacré aux luttes ayant déchiré et construit tout à la fois ce pays finisse par émerger. Ce livre, c’est La Coulée de feu, consacré aux années 1859-1890, de la guerre civile entre Libéraux et Conser­vateurs au début du troisième mandat du dictateur Porfirio Diaz. Une suite, Il Collare spezzato, parue en 2006 mais malheureusement jamais traduite en français, continue cette fresque historique jusque dans les années 30, décrivant notamment la Révolution qui a fait entrer les noms de Zapata et de Pancho Villa dans la légende.

Evangelisti nous conte à la fois la construction d’une nation mexicaine indépendante à partir d’éléments disparates se vouant parfois une haine féroce, et celle des luttes po­litiques, sociales et syndicales, menées par le peuple contre des forces, y compris libérales, qui le spolient de ses terres, le réduisent quasiment en esclavage et procèdent même à des épurations ethniques. Le Mexi­que en devenir doit faire face, selon l’époque, à ses propres forces conservatrices, à un in­terventionnisme américain (no­tamment des Texas Rangers, ra­cistes et violents, loin de l’image héroïque donnée par la série avec Chuck Norris), à des rêves de reconstruction d’une secon­de Confédération de la part de troupes Sudistes après la Guerre de Sécession, à des seigneurs de guerre (les Caciques), à l’impérialisme de la Triple Alliance, et peut-être, surtout, au fait que l’indépendance acquise face aux forces réactionnaires ou européennes et le triomphe des libéraux ne crée pas un pays de coca­gne, mais une dictature où indiens et pauvres, paysans et ouvriers, sont écrasés, et où les intérêts anglais et américains contrôlent la majorité de l’infrastructure, minière ou ferroviaire.

L’auteur nous raconte tout cela d’une plume mordante sans être cynique, via de très nom­breux personnages / points de vue, anglo-saxons ou hispaniques, issus de toutes les classes de la société texane / sudiste ou mexicaine, bien souvent voués à un destin tragique. Et c’est là que se situe le potentiel défaut de ce roman : outre les ellipses temporelles et la com­plexité inhérente à l’Histoire politique de ce pays, le nombre très élevé de points de vue rend certes la narration très dynamique, mais finit à la longue par perdre un peu l’honnête lecteur. Sans compter le côté caricatural des personnages féminins, de la vierge (guerrière) courageuse à la putain arriviste, sans nuance entre ces extrêmes. Tou­tefois, si vous vous intéressez à l’émergence du Mexique et à ses relations complexes avec les américains, ce roman d’une éru­dition admirable est incontournable.

Peut-être les étoiles (Terra Ignota T.5)

À quelques jours près, trois années auront été nécessaires aux éditions du Bélial’ pour achever la publication de « Terra Ignota », cinq volumes d’une œuvre immense, tant par le travail qu’elle représente que par ce qu’elle a apporté à l’Imaginaire au sens large, et à la science-fiction en particulier. Il faut saluer, une fois encore, l’exceptionnel travail de traduction de Michelle Charrier, dont la plume est désormais indissociable de tout ce que cet univers représente pour ses lecteurs francophones.

Avec les dernières pages arrive enfin le terme de la guerre : les masques tombent, il est l’heure de faire les comptes et, pour les vainqueurs, de préparer la suite. Sans doute le fait d’appeler Hobbes au côté de Mycroft Canner constituait en soi un indice sur l’issue du conflit ayant occupé le tome précédent, L’Alphabet des Créateurs (cf. Bifrost n° 106), et le présent volume. L’identité du camp vainqueur ne surprendra donc pas : Ada Palmer, fidèle à ses habitudes, se cache dans les détails. La récompense du lecteur patient se trouve dans les mille et une nuances de la réponse apportée à la question posée dès que la guerre, dans ce monde engourdi par une paix séculaire, est devenue une perspective inévitable : à quel prix l’Utopie peut-elle survivre ? Car l’Utopie n’a jamais cessé d’être le point d’interrogation de ce récit, son objet d’étude et d’expérimentation, tantôt appareil critique, tantôt instrument de démonstration ; il en a toujours été la ligne rouge, le cœur et l’horizon, tant et si bien qu’il était permis de se demander si Ada Palmer aurait finalement l’audace de répondre à sa propre question. Force est de le constater in fine : sa réponse est magnifique, simple dans son principe, évidente telle qu’elle nous est offerte, extrêmement touchante en ce qu’elle incarne l’état d’esprit de son autrice, l’espoir qu’elle place en l’humanité, ce qu’elle s’efforce de transmettre.

On en conviendra, et avec nous les découragés en cours de route : Ada Palmer n’est pas toujours facile à suivre. Elle laisse dans son sillage une œuvre qui imposerait presque d’emblée sa relecture tant elle exige de son lecteur, et ce dès les premières pages. « Terra Ignota » est dense d’idées exploitées, riche d’inspirations et d’une culture énorme, ambitieux dans sa mise en œuvre et ses visées. Quelques lenteurs dans la trame donneront parfois le sentiment de s’empêtrer dans un déroulé complexe et interminable d’évènements, tandis que la multiplicité des protagonistes peu rendre l’ensemble confus et difficile à cartographier. C’est pourtant ce foisonnement qui confère à son univers un relief proprement extraordinaire, son atmosphère hors du commun, et permet de restituer l’extrême subtilité de la réflexion que l’autrice y mène. Au terme des 2 900 pages de cette monumentale saga, la récompense est bel et bien là, confirmant ce que l’on savait déjà : « Terra Ignota » est une œuvre magistrale qui restera. Une pierre de touche.

Léopard noir, loup rouge

Auteur de plusieurs œuvres de fiction, dont le multi-récompensé Brève histoire de sept meurtres, Marlon James a fait une entrée remarquée dans les littératures de l’Imaginaire avec Léopard noir, loup rouge, pour lequel il a reçu en 2020 le prix Locus du meilleur roman d’horreur. Il aura fallu attendre trois ans pour voir enfin traduit ce premier tome de la trilogie « Dark Star » précédé d’une réputation favorable.

Le lecteur est d’emblée livré à Pisteur qui, suite à son arrestation, est interrogé au sujet d’un enfant disparu. Ainsi, en bon conteur, celui qui a la réputation d’avoir du nez se confesse à son interlocuteur, digressant d’une histoire à une autre, retraçant peu à peu le fil de la traque dans laquelle il a accepté de se lancer afin de retrouver l’enfant. Le point de vue proposé est donc celui de l’inquisiteur chargé d’obtenir de lui des informations, n’ayant d’autre choix que de l’écouter, au risque de longs détours et d’incohérences. Leur échange transparait au gré des remarques que Pisteur lui adresse en réponse ou en réaction.

Dans une atmosphère passablement inquiétante, et loin de tout manichéisme moral, sorcières, métamorphes, enfants étranges et autres créatures effrayantes achèvent de situer cet univers dans le registre de la dark fantasy. Le roman se démarque avant tout par l’inspiration de son auteur, qui est allé puiser mythes et légendes dans le vivier culturel du continent africain pour les mettre au service de son récit. Cette première approche constitue déjà en soi un atout considérable, véritable bouffée d’air frais au sein d’une production éditoriale saturée depuis des décennies, à quelques exceptions près (Ken Liu et le silkpunk) par les cultures occidentales. Une perte de codes et de repères bienvenue en ce qu’elle renforce le sense of wonder chez un lecteur qui, sorti de sa zone de confort, sera plus facile à surprendre. La qualité de l’écriture s’impose ensuite très vite comme l’autre atout majeur du roman. Si Marlon James fait le choix d’une narration proche de l’oral, dans une logique propre au conteur, il ne glisse jamais dans la facilité du registre familier. Le langage est pourtant brut, obscène plus souvent qu’à son tour, mais gardant toujours la maitrise de sa vulgarité, et volontiers percutant au détour d’une phrase qui sonne juste ou d’une réplique ciselée. Du reste, le récit est sans complaisance et recèle une certaine violence qui n’est pas sans rappeler le style de Nnedi Okorafor, quitte à brusquer son lecteur.

Marlon James n’est donc pas tendre mais, pour peu que l’on s’y prête, tout cela fonctionne à merveille. Et si le Pisteur n’est pas un protagoniste des plus attachant, sa façon de délivrer son récit sur le mode du conte s’avère captivante, tout comme l’univers dans lequel il s’inscrit. Le secret, sans doute, pour dévorer près de 700 pages sans même s’en apercevoir. À découvrir absolument !

La Pilule, suivi de Big Girl

Pour cette première parution de Meg Elison en français, les éditions Goater nous proposent une traduction d’un recueil mêlant fiction, essais et entretien. L’ouvrage débute par « La Pilule », nouvelle récompensée par un prix Locus, et qui à elle seule justifie l’achat du livre. Sa plume précise mêle une écriture de l’intime à une certaine teinte d’angoisse. Le sujet ? Une jeune femme, grosse comme toute sa famille, voit un jour l’arrivée d’une efficace pilule amaigrissante. Malgré un taux de mortalité de 10 % et une semaine de douleurs à peine supportables, le dispositif est peu à peu adopté aux USA, puis mondialement, normalisant encore plus les corps… et faisant peser de façon démesurée la grossophobie sur cette femme qui refuse de prendre cette pilule. Véritable descente aux enfers, le récit montre le piège se refermer sur notre protagoniste déterminée à vivre, survivre, dans une société qui lui est particulièrement hostile, hormis dans ses aspects fétichisants. Au travers de cette démonstration science-fictionnelle d’une société où la grossophobie est des plus déshumanisantes, Meg Elison livre une réflexion sur l’impact de la norme dans la lignée de la nouvelle « Aimer ce que l’on voit » de Ted Chiang. Implacable et nécessaire.

À sa suite, « El Hugé » semble bien pâle, mais se lit avec plaisir, comme une respiration avant l’étrange « Big Girl », où l’on voit apparaître dans la baie de San Francisco une géante nue, bientôt identifiée comme une adolescente en pleine métamorphose. Avec une prose poétique ponctuée de diverses archives de blogs, journaux et posts de réseaux sociaux, l’autrice dénonce l’objectification et la sexualisation des adolescentes, jusqu’à l’étourdissement : efficace. (Un bémol : la couverture du recueil, qui semble être passée à côté du propos de la nouvelle « Big Girl , dommage.)

L’essai « Emportée par Autant en emporte le vent » permet d’en savoir un peu plus sur Meg Elison, via ses nombreuses lectures d’un classique au fil de sa vie. Ces relectures diffèrent tels des miroirs de son vécu – personnel ou théorique – et mettent en perspective des points de tension entre la littérature et la société, entre l’intime et l’imaginaire, entre les différentes personnes qu’a été l’autrice… et que beaucoup d’entre nous peuvent expérimenter (pour peu qu’on relise).

Dernière nouvelle, « Un tel peuple » est une autre extrapolation dystopique des USA. Anti-conte de Noël au travers du regard de son protagoniste, Omar, terrassé par un problème dentaire qu’il est trop démuni pour soigner, on (re)découvre un pays sous la coupe d’un président qui, souhaitant rendre grandeur à sa nation, n’a en réalité fait que soumettre la majorité de ses citoyens à un état de surveillance, de délation, de répression et de grande pauvreté. Une fois de plus, l’inquiétude procurée par ce puzzle dystopique se confronte à un manque d’espoir tout aussi totalitaire.

L’entretien avec Terry Bisson, ainsi que le texte « Tripes » clôturent ce recueil en nous apportant des clés de relecture – « Tripes » précède « La Pilule » de quelques années et éclaire sur ses racines autofictionnelles – et attisent la curiosité envers les autres textes de Meg Elison… Bonne nouvelle, les éditions Goater indiquent en fin d’ouvrage que son premier roman, The Book of the Unnamed Midwife (prix Philip K. Dick 2014) est en cours de traduction. Arrivée prévue en 2024, soit dix ans après sa parution initiale : encore un peu de patience, car si ce premier roman de Meg Elison est à la hauteur de ses nouvelles, cela en vaudra la peine !

Mort aux geais ! (La Tour de garde — Capitale du Nord T.2)

Votre serviteur s’est régalé, a pris son temps pour déguster Mort aux geais !, la suite de Citadins de demain. Mais si, vous savez, on ne parle que de ça : « La Tour de Garde ». Une double trilogie qui excite les initiés autant qu’elle intrigue les profanes, menée d’une main de maître par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier. Deux villes, deux ambiances et deux héros, dont l’espoir de leur rencontre est un fil rouge que l’on suit avidement.

Rappel de l’épisode précédent : rien ne va plus à Dehaven. Les colonies se rebellent. La colère du petit peuple gronde dans les Faubourgs. Et, pour couronner le tout, le fiancé d’Amalia Van Esqwill, Hirion de Wautier, pris de folie, vient d’assassiner ses parents, le père d’Amalia, sa grand-mère et le majordome, avant de se suicider. Amalia et son ami Yonas n’ont guère le temps de pleurer leurs morts. Témoins des meurtres, mais aussi et surtout premiers suspects (car personne n’imagine le fils de la famille De Wautier commettre de tels crimes), les deux amis s’évanouissent dans la nature. Dans leur fuite, ils emportent les artefacts d’Hirion : un peigne qui permet d’endormir celui que l’on coiffe, un miroir qui laisse entrevoir le reflet terrifiant de Dehaven, et deux diadèmes qui lient par la pensée ceux qui les portent. Mais Amalia et Yonas ne sont pas loin. Ils ont trouvé refuge dans les Faubourgs, un quartier bien connu du jeune roturier, peut-être un peu trop. Pour Amalia, c’est une tout autre affaire. Son langage la trahit, ses attitudes aussi, ses vêtements, son ton, ses gestes. Dans un quartier où l’on placarde sur chaque mur « Mort aux geais ! », comprenez les aristocrates, Amalia a du souci à se faire. En plus de devoir échapper à la garde havenoise, la jeune noble doit se fondre dans le décor. Commence alors un apprentissage bien différent de celui qui devait faire d’elle un « citadin de demain ».

Claire Duvivier prouve une nouvelle fois que la fantasy est un genre noble. Mort aux geais ! diffuse une ambiance étrange, cotonneuse, subtile, pétrie du trouble de l’héroïne et de ses peurs. Immersifs, la fuite et le désarroi de nos héros n’en sont que plus réalistes. Exit le miroir et Nevahed, Amalia et Yonas découvrent que les diadèmes leur sont bien plus utiles au quotidien, pour gagner des parties de Tour de Garde notamment, et donc de l’argent. La communion des deux êtres est totale et à force d’exercices, ils gagnent ! Mais attention : qu’ils gardent en tête le triste destin de leur ami Hirion, abusé par une magie qu’il ne maîtrisait pas. Un mot sur la foule de personnages secondaires qui nourrissent Amalia et participent à sa transformation : son amie Fridarilde Van Hughen, Lute, la petite vendeuse de biscuits si attachante, le joueur geminien Casimux, et tant d’autres. Peu à peu, de la jeune noble si parfaite il ne reste rien, hormis le désir de retrouver la place qui lui revient. Et par tous les moyens.

Claire, Guillaume, ne nous faites pas languir plus longtemps. Vos balades citadines nous ont mis en appétit, et si la fin de cet opus est délicieusement excitante, nous avons désormais faim de la fin.

Grand Canyon

Dans un hôtel au bord du Grand Canyon, une communauté hétéroclite vit des moments d’insouciance entre danses, balades et dégustations de cocktails, ignorants de la guerre qui se prépare. Car si l’Allemagne et le Nouveau Monde vivent désormais en paix, le retour de la menace nazie est un murmure qui se rapproche dangereusement…

En 1942, la guerre n’est pas terminée que Vita Sackville-West en imagine déjà la conclusion. Une fin victorieuse pour l’Allemagne qui a signé une trêve avec les États-Unis d’Amérique. Mais que peut-on attendre d’un accord de paix conclu avec un monstre ? L’autrice dit avoir écrit ce roman comme « une mise en garde », une hypothèse dans le cas où l’Allemagne, invaincue, mettrait la main sur l’Europe et plus tard sur les USA. Une victoire totale. Effrayante. Une peur qui semble glisser sur ses protagonistes.

La première partie met en scène ceux-ci. Helen Temple, Anglaise observatrice et à l’écoute des autres clients de l’hôtel. Lester Dale, un drôle de bonhomme ennuyeux qui va devenir son compagnon de discussion, et de réflexion. Loraine Driscoll, une jeune femme de bonne famille qui cherche à se délivrer d’un lourd secret. Son frère charismatique. Des aviateurs américains qui viennent fricoter avec des demoiselles célibataires. Un maître d’hôtel désagréable et pro-nazi. Un perroquet et son excentrique maîtresse. Un couple d’amoureux. Ce drôle de monde se dévoilent à coup de dialogues et dans une mise en scène si british qu’on en oublierait presque que l’action se déroule en Arizona. Les pions sont en place : action ! La guerre éclate, les aviateurs mettent fin à leurs batifolages, l’hôtel prend feu, le monde court à la catastrophe, mais que vont bien pouvoir faire nos clients ? Ils s’engouffrent dans le Grand Canyon, bien sûr.

S’ouvre alors la deuxième partie, un écrin rouge qui suspend le temps, une rêverie, un jardin d’Éden où les personnages poursuivent leurs activités sans se soucier du monde qui s’effondre une nouvelle fois. Ils vivent, et revivent aussi, et ils parlent. Trop, vraiment trop, de longs dialogues sans fin qui étirent l’attention du lecteur jusqu’à la faire disparaître. Le monde s’embrase, et point d’héroïsme, Helen et ses compagnons évoluent à l’abri des horreurs qu’ils entendent par l’intermédiaire d’une radio émettant depuis Buenos Aires. Une mise en garde, certes, contre l’immobilisme de chacun et la docilité de nos dirigeants, et qui entre étrangement en résonance avec l’actualité. Mais une mise en garde d’un ennui mortel malheureusement.

Celle qui devint le soleil

1345. L’empire Chinois est uni sous l’autorité des Yuan, dynastie mongole qui affirme détenir le Mandat du Ciel, un pouvoir divin qui légitime leur souveraineté.

Dans un petit village rongé par la famine, la famille Zhu survit difficilement jusqu’au jour où le devin révèle au fils que ses exploits apporteront l’honneur à sa famille pour cent générations. Tout le contraire de sa sœur dont le sort n’étonne personne : elle ne sera rien. Un après-midi, trois bandits tuent le père, faisant du frère et de la sœur des orphelins. Tandis que le premier se laisse mourir de chagrin, la deuxième décide de vivre, endosse l’identité de son frère et prend sa place de novice au monastère de Wuhuang. La jeune fille, qui doit tout faire pour cacher son identité, suit sans dommage, ou presque, l’enseignement de ses maîtres. Le jour de l’ordination, Ouyang, le général du prince mongol du Henan, interrompt la cérémonie et réclame l’allégeance des moines et leur soutien dans la lutte contre les Turbans Rouges, des dissidents chinois. Face au refus de l’Abbé, Ouyang, met le monastère à feu et à sang, seul(e) survivant(e) du massacre, Zhu décide d’embrasser le destin de son frère. Non, elle ne sera pas rien, et ce quoi qu’il en coûte…

Les passionnés d’histoire se pourlècheront les doigts en tournant chaque page, car Celle qui devint le soleil est une magnifique réécriture de la reconquête chinoise et de l’ascension de la dynastie Ming. Shelley Parker-Chan prend un soin particulier à plonger le lecteur dans cette Chine médiévale fantasmée et violente où s’oppose la misère des moins bien nés à la richesse des conquérants, le « rien » des femmes à la « grandeur » des hommes, le pouvoir divin au désir de survie. Un travail historique incroyable qui participe au réalisme la démonstration de l’autrice : et si l’Empereur fondateur de la dynastie Ming avait été une femme ? Une femme qui aurait dû masquer ses attributs ; une femme qui aurait dû voler le nom d’un homme et oublier le sien ; une femme qui aurait dû se faire homme pour atteindre la fonction suprême. Parker-Chan tricote l’ascension d’une moins que « rien » qui s’approprie le destin d’un frère lâche, et qui fait de sa transgénéité une force. Le choix du nom comme acte de métamorphose, métamorphose qui sied bien à l’héroïne qui se construit, alliant le pouvoir que lui confère son nouveau sexe à sa sensibilité féminine, pour résoudre les conflits d’une façon fine et sensuelle dont son frère aurait bien été dépourvu.

Et la fantasy dans tout ça ? L’apparition de fantômes et la manipulation du feu par quelques protagonistes restent plus qu’anecdotique. Car si le contexte historique est des plus intéressants, on guette les éléments qui feront basculer la fiction historique vers la fantasy. Quant aux fils narratifs, qui se résument à des manigances politiques, ils finissent par lasser à force de s’enlacer. Il faut atteindre les deux tiers du roman pour voir l’intrigue gagner en nervosité, une nervosité tellement tardive que l’on se demande si la fin ne va pas en être bâclée. Page après page, aucune conclusion ne pointe à l’horizon, jusqu’à la dernière ligne où le client (qui s’est bien fait avoir) comprend que ce roman n’était que le prélude d’un ensemble plus vaste, information que l’éditeur s’est bien gardé de transmettre… Celle qui devint le Soleil, qui s’avère donc le premier tome du diptyque « The Radiant Emperor », est pour résumer une fantasy pâle et décevante, une très bonne fiction historique et une uchronie avec un certain potentiel.

Nos frères inattendus

Un futur proche, presque immédiat. Le Président des États-Unis est un gentil branquignol, des irresponsables jouent un peu partout avec des armes nucléaires, une explosion se produit sur le sol américain. Déclaration de guerre, acte terroriste, « déflagration accidentelle » ? On ne le saura pas, mais qu’importe ? Au moment où le Président donne à son tour l’ordre d’attaquer, tout s’éteint. Plus d’électricité, plus de radio, plus rien : l’ordre ne sera jamais transmis. Pour le meilleur ou pour le pire, les Amis d’Empédocle ont pris en main le destin de la planète. Leur supériorité technologique, de « tunnels de la guérison » en rayons paralysants, leur en donne les moyens. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Devenir nos « tuteurs » ? Nos maîtres ?

Revenant, trente ans après Le Premier siècle après Béatrice (1992), à une science-fiction très soft, Amin Maalouf nous raconte ces événements géopolitiques du point de vue intimiste de deux personnages isolés sur une petite île : Alec, le dessinateur de presse, et Ève, auteur désabusé d’un roman à succès déjà ancien. Lui s’inquiète de l’avenir de l’humanité, appelée à devenir « une espèce inférieure, un dernier brouillon de la création » ; elle se réjouit des mutations à venir. Empédocle d’Agrigente, on s’en souvient peut-être, s’est jeté dans l’Etna. Ou pas ? Il ne restait qu’une sandale pour en témoigner…

Dans la pensée d’Empédocle, l’existence, celle des individus comme de la société tout entière, est par essence un état mixte, tendant tantôt vers l’unité et tantôt vers le morcellement, la « multitude ». À la promesse du pouvoir sur la Nature, fruit du savoir universel, qui conclut aussi bien Nos Frères inattendus que le De la Nature du philosophe, s’oppose la malédiction de l’exil et de la haine, de la fascination pour la destruction et le feu de ses Purifications.

Combinant malicieusement limpidité stylistique et érudition profonde, notre Académicien réussit à renouveler le thème, pourtant des plus classiques en SF, du coût psychologique et social de la présence de surhommes parmi nous. Mais là où ligne de partage était individuelle, biologique chez Jarry (Le Surmâle, 1902) ou idéologique chez Heinlein (par exemple dans le diptyque « Gulf » / Vendredi, 1949/1982), elle devient largement collective et culturelle chez Maalouf.

Comment l’Occident, tout pénétré de sa modernité, gérerait-il l’irruption d’une culture plus moderne encore ? Amin Maalouf avait consacré plusieurs essais, des Croisades vues par les arabes (1983) aux Identités meurtrières (1998), au pas de côté nécessaire à l’appropriation de ce type de choc culturel. Nos Frères inattendus en met en récit toute la difficulté et les paradoxes, ostensiblement incarnés dans ses personnages principaux ; mais c’est peut-être bien plutôt dans les personnages secondaires, comme Adrienne, la filleule d’Alec, médecin fermement décidée à se retrousser les manches sans se poser trop de questions pour s’ouvrir aux nouveaux savoirs, que résident les débuts de solutions suggérés par Maalouf. Sense of wonder, suspension d’incrédulité… Qui sait, peut-être les amateurs de SF ne sont-ils pas les plus mal placés pour affronter la fin de l(a) (pré-)histoire !

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