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Uchronies - Le Laboratoire clandestin de l'histoire

Comme Thierry Camous l’indique dans un préambule qualifié d’indispensable, le présent ouvrage n’est pas un livre d’histoire, mais un livre sur l’histoire écrit par un historien qui en maîtrise les méthodes. Une assertion confirmée par le dispositif rigoureux déployé par l’auteur pour exposer son sujet. Le curieux sera bien aise de relever ainsi l’existence d’un paratexte copieux se composant de notes, de cartes et d’une bibliographie assez complète.

La connaissance historique procède d’un travail méticuleux d’élucidation, où les faits sont établis à la lumière de l’analyse rigoureuse des sources, de leur confrontation et de leur critique, à la fois externe et interne, de manière à dresser un portrait le plus vraisemblable possible du passé. Mais, l’histoire s’écrit aussi au présent, restant tributaire de nos représentations et pouvant faire l’objet de révisions, terme à prendre ici dans son acception scientifique et non dans le sens polémique, défendu par les tenants d’une post-vérité relevant davantage de la falsification des faits. A priori, l’uchronie semble échapper à ce débat puisqu’il s’agit d’identifier dans le passé un fait précis afin de postuler qu’il ne s’est pas produit ou qu’il s’est déroulé différemment. L’historicité des faits ne figure donc pas au cœur de son propos. Néanmoins, elle peut faire l’objet de manipulations politiques. Conscient de cet écueil, Thierry Camous précise que l’histoire alternative doit rester pour l’historien un champ expérimental et ludique, un laboratoire où l’universitaire assume de faire de l’uchronie sans prétendre faire de l’histoire, écartant ainsi la tentation d’évoquer le passé à l’aune d’une vision uchronique non assumée. Il récuse enfin l’appellation d’histoire contrefactuelle, préférant jouer à partir des faits plutôt que contre eux.

Dans L’Histoire revisitée : Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes, Éric B. Henriet a indiqué que la date de divergence était souvent faible dans l’uchronie car dépendante du niveau de connaissance du lecteur. Thierry Camous refuse de céder à cette facilité, même si l’on retrouve parmi les dix moments historiques sélectionnés la bataille de Waterloo et l’attentat de Sarajevo. Le choix de la divergence apparaît en effet crucial, au moins autant que la méthode adoptée où le probable, les possibles et l’imaginable sont déclinés avec pédagogie et toute la prudence nécessaire de l’historien, du rêve d’Empire universel d’Alexandre le Grand à l’élection contestée de Georges W. Bush en 2001.

Indépendamment de l’aspect purement ludique, quel intérêt un historien peut-il manifester pour l’uchronie ? Tout d’abord, elle permet de jeter un éclairage différent sur un point méconnu de l’histoire, du moins du grand public. Le procédé a le mérite également de bouleverser les certitudes, amenant l’historien à reconsidérer son objet d’étude, à analyser les faits sous un autre angle, voire à mettre à l’épreuve ses représentations. L’histoire alternative apparaît enfin comme un bon moyen de redonner toute sa valeur au hasard en histoire, tout n’étant évidemment pas forcément écrit à l’avance, même si le temps long pèse fortement sur les structures et les mentalités.

Uchronies : le laboratoire clandestin de l’histoire est donc un essai stimulant, écrit par un historien désireux d’appliquer ses méthodes à l’uchronie. L’amateur d’histoire alternative n’y trouvera sans doute pas matière à satisfaire son imagination débridée en matière de fiction, Thierry Camous se contentant d’esquisser des pistes de divergences historiques probables, sans rien céder à la rigueur de l’universitaire. Que cet exercice passionnant n’empêche cependant pas les amateurs de littérature ou de tout autre média, de laisser filer leur imagination. Le présent ouvrage recèle des propositions prometteuses. Écrivains et scénaristes, à vos plumes !

Le Privilège de l'épée

Si Le Privilège de l’épée s’enracine dans le même univers livresque que son prédécesseur À la pointe de l’épée (doublement chroniqué, dans les Bifrost 53 et 97), « The World of Riverside », pour les anglophones, le présent récit peut se lire de ma­nière indépendante, l’histoire se déroulant en effet une génération plus tard – tout en suivant une nouvelle ligne narrative. Pour les habitués, toutefois, gageons qu’ils prendront sans doute plaisir à retrouver quelques-uns des personnages de À la pointe de l’épée, découvrant leur devenir bien des années plus tard dans un monde familier à leur souvenir.

La Colline et le faubourg de Bords-d’eaux apparaissent en effet comme les deux pôles d’un jeu politique complexe où les conflits se nouent et se dénouent dans le secret des coteries aristocratiques qui dirigent la ville. Plus que jamais, l’honneur et la ré­putation déterminent le sort de grandes familles hantées par la peur de déchoir et ne pouvant compter que sur leur clientèle, leur réseau d’espions et leurs bretteurs affidés pour parer aux mauvais coups de l’adversaire. À ce petit jeu, la famille de Trémontaine semble avoir pris de longue date l’avantage, même si son chef se distingue surtout par son tempérament fantasque et lunatique.

Le Privilège de l’épée se focalise sur le destin de Katherine, jeune fille naïve apparentée aux Trémontaine, débarquée de sa campagne chez son oncle, le duc, après que sa mère l’a en quelque sorte vendue pour obtenir un répit financier. S’attendant à une vie de mondanités et persuadée de finir ma­riée à un parti intéressant, du moins pour sa famille, elle déchante vite en découvrant que son oncle lui réserve un sort tout autre, une vocation contre-nature au regard des conventions sociales de son époque. Ainsi lui fournit-il équipement et précepteur pour devenir une bretteuse dévouée à sa protection, ajoutant à sa réputation d’excentrique, d’électron libre et de décadent notoire auprès de ses pairs. Mais le fou n’est pas sot. Bien au contraire, il fait de nombreux envieux dans la cité, y compris parmi ceux qui réprouvent sa conduite. Il jouit aussi de nombreux appuis et semble toujours bien informé, au grand dam de Lord Ferris, son vieil ennemi, revenu d’un long exil et bien décidé à pren­dre sa revanche.

Si l’intrigue ne s’écarte guère du récit de cape et d’épée, Ellen Kushner lorgne ici da­vantage du côté du roman d’apprentissage, impulsant une touche féministe affirmée. Le Privilège de l’épée met en effet au cœur de son intrigue la condition féminine dans une société résolument patriarcale. Dans ce décor, le destin de Katherine semble tout tracé, ne se distinguant guère de celui des adolescentes de l’aristocratie appelées à servir de monnaie d’échange dans les arrangements matrimoniaux de leurs parents. D’abord avec réticence, elle abandonne ses rêves de bals et ses envies de belles robes au profit d’une vie plus libre et indépendante, où, grâce à la discipline de l’escrime et à l’assurance qu’elle lui procure, elle s’affranchit du carcan dans lequel on cherche à l’enfermer. Un plafond de verre qu’Ellen Kushner fait éclater d’une manière subtile et nuancée, renversant de belle manière les stéréotypes qui grè­vent nos représentations, y com­pris dans la littérature populaire.

On ne peut donc que se féliciter du prix Locus reçu par Le Privilège de l’épée et louer ActuSF pour la traduction de cette excellente fantasy de mœurs qui s’inscrit, on l’a dit, dans la conti­nuation de À la pointe de l’é­pée, dont le néophyte pourra lire la réédition augmentée de plusieurs nouvelles chez le même éditeur. Une belle initiative qu’il convient de saluer et recommander.

Les Divis (Vorrh T.3)

La parution de Les Divis vient achever la trilogie « Vorrh », initiée par le roman éponyme en 2019, et on peut d’ores et déjà saluer Fleuve Éditions pour sa constance, l’éditeur n’ayant pas renoncé à publier dans nos contrées l’œuvre de Brian Catling jusqu’à son dénouement. Un pari audacieux, tant cette der­nière apparaît définitivement dense, complexe et monstrueuse, ne se dévoilant qu’au prix d’un lâcher prise sans concession. Le lecteur ne disposant sans doute pas, à portée de main, des chroniques de Vorrh et Les Ancêtres, (critiques in Bifrost 96 et 105), un bref rappel n’est peut-être pas superflu.

Immense forêt primaire et primitive, située en Afrique cen­trale, la Vorrh recèlerait en son sein le Jardin d’Éden et l’arbre de la Connais­sance, autant dire l’origine mythique du monde selon les religions judéo-chrétiennes. Hélas, bien peu peuvent témoigner car la forêt dis­pose d’un arsenal défensif très dissuasif, trans­formant les hommes qui s’aventurent sous ses frondaisons en pantins dépourvus de mémoire et de volonté. Un fait bien connu des riches familles d’Essenwald, la ville colo­niale, lieu de tous les vices et péchés, dont la prospérité repose sur l’abattage des arbres de la Vorrh grâce la main-d’œuvre servile des Limboia. Sur ce substrat mythique, pour ne pas dire mystique, Brian Catling entremêle plusieurs destins, faisant appel aux res­sorts de l’amour, du complot et de la trahison, pour composer une intrigue semblable à un puzzle dont il finit par nous dévoiler le motif général dans le présent roman. Un joli tour de force, d’autant plus que la multiplica­tion des trames dans Les Ancêtres aurait pu nous faire craindre un affaiblissement fâcheux du choc visuel initial et de sa puissance d’évocation. Que l’on se rassure, il n’en est rien, bien au contraire, Brian Catling allège sa narration pour nous rendre plus lisible les circonvolutions de son récit, sans pour autant renoncer à la poésie de ses fulguran­ces visuelles et à son goût pour le grotesque, voire une certaine forme de body horror. Les situations dramatiques, les pulsions vengeresses, les trahisons et complots trouvent ainsi tout naturellement leur conclusion et leur châtiment, l’auteur poursuivant en même temps sa réflexion autour de la nature humaine, de sa fragilité et de son caractère faillible. Face au mythe biblique de la Chute et face à la déchéance d’une hu­manité en proie au traumatisme de la Grande Guerre et aux dé­mons du nazisme, l’espoir d’une éventuelle rédemption semble définitivement inatteignable, au point de préférer un retour à l’innocence originelle, sous l’égide d’une nature poussée à la reconquête par la perspective d’une réinitialisation de la Créa­tion. Les Divis apparaît ainsi comme une prophétie qui voit l’écrivain se muer en démiurge, pour le plus grand malheur de l’humanité, mais pour le plus grand profit d’une fantasy débarrassée de ses poncifs les plus encombrants.

Entre réalisme magique et weird fiction, la trilogie « Vorrh » n’usurpe donc pas les éloges d’Alan Moore, de Michael Moorcock ou de Philip Pullman, se révélant une œuvre ambitieuse et réfléchie, certes pas toujours d’un accès aisé, mais riche d’un imaginaire puissant et sombre. À ne pas manquer !

Une femme au bord du temps

Latina vivant dans le New York des 70s, issue d’un milieu défavorisé, Consuelo « Connie » Ramos subit de plein fouet une société inégalitariste qui brime son existence : obligée de re­noncer à ses études à cause de sa grossesse, elle trouve refuge dans l’alcool et la drogue pour oublier les violences de son compagnon. Cette violence se retourne contre sa propre fille, et voici Connie internée en asile psychiatrique après avoir perdu la garde de son enfant. Toujours prête à combattre à sa sortie, elle s’interpose entre sa nièce et le proxénète de celle-ci, mais ce dernier réussit à la faire in­terner de nouveau. L’asile ressemble davantage à une maison de correction qu’à un lieu de soins : insalubrité, drogues, électrochocs… Les traitements les plus durs se succèdent, et Connie risque de devenir le cobaye d’une thérapie cruelle consistant à implanter des électrodes directement dans son cerveau. Là encore, elle trouve la force de lutter, grâce notamment aux visites d’un voyageur du futur, androgyne nommé Luciente, qui lui présente un des mondes possibles à venir : Mattapoisett, où les inégalités de race, de classe et de sexe ont disparu au profit d’un épanouissement personnel libéré des contraintes sociales, loin de tout hétéropatriarcat. Mais Connie comprend que d’autres futurs existent aussi, plus sombres, et que son combat actuel conditionne l’avènement d’une société plus juste…

Voici enfin traduit en français un roman qui marqua lors de sa parution en 1976, d’une auteure à l’œuvre foisonnante et internationalement reconnue, poétesse, nouvelliste, romancière, très engagée dans les luttes so­ciales. Ce roman, réédité près d’une dizaine de fois en anglais, se rattache à la SF féministe et trouve sa place aux côtés de ceux d’auteurs comme Ursula K. Le Guin, même si, par sa tonalité, il en diffère beaucoup. Si débat il y eut à sa sortie sur sa réelle originalité ou non (les œuvres se multipliaient alors en effet pour de mêmes dénonciations d’une société oppressive), ce qui frappe le plus à sa lecture aujourd’hui est l’extrême actualité de tous les thèmes abordés : dégradation de l’environnement naturel, de la santé mentale et des traitements proposés, homophobie, xénophobie, violences sexistes et sexuelles, consumérisme, vio­lences de classe… On ne peut qu’être saisi de la clairvoyance de Piercy sur ce futur d’alors qui semble bel et bien aujourd’hui notre présent. L’âpreté de la fiction des années 70 ressemble au sommaire d’un journal quotidien de 2022. Si ce roman pèche parfois par ses longueurs, c’est sans doute par volonté démonstrative, mais sa traduction française vient au­jourd’hui faire date dans notre pays, comme pour nous aider à prendre conscience du temps écoulé depuis la volonté utopiste des seventies et, finalement, le peu de changement qui s’est opéré dans notre société alors que l’urgence ne fait que grandir. Un ouvrage tout à la fois contemporain et classique, à posséder par tout honnête Bifrostien ou Bifrostienne.

L'Invention du diable

Le capitaine Marc Papillon de Lasphrise a passé sa vie dans les combats, mettant son bras au service des armées catholiques contre les huguenots. Après 25 ans de bons et loyaux services, où il a réchappé de nombreuses fois à la mort, contrairement à quantité de ses camarades, le voici qui regagne, fourbu et vieillissant, son logis en déshérence. Son ralliement à Henri IV ne lui vaudra nulle pension. Les siens sont morts, et dans cette solitude impécunieuse il va se dédier corps et âme à l’écriture d’un recueil de Poésies qui paraîtront par deux fois de son vivant, en 1597, puis 1599. Mais voilà, pour ce fier bretteur qui ne recule jamais devant l’adversité, le peu d’échos que reçoit son livre est un coup à son honneur si vaillamment défendu toute sa vie. Par une sombre nuit d’hiver, quand les cloches mettent à zéro le compteur d’un siècle renaissant et que le vieux Lasphrise pense mourir, renonçant bien malgré lui à défendre ses écrits devant la postérité et à faire reconnaître leur valeur, voici qu’on frappe à sa porte et qu’un sombre manant entre chez lui. Après un bref échange, Lasphrise s’évanouit puis se réveille… pour de longs siècles. La mort le fuit, et le lecteur suit au fil des temps, jusqu’à aujourd’hui, les pérégrinations de ce maudit littéraire…

Et si on prenait au mot tous ces auteurs qui, jusqu’au dernier souffle, ont combattu pour une hypothétique postérité, jurant parmi leurs écrits que leur fantôme poursuivra le combat s’ils n’obtiennent pas gain de cause de leurs contemporains et des générations à venir ? C’est en tout cas ce qu’a écrit Papillon de Lasphrise, le vrai, dans ses Poésies. Car il a bien existé, et comme nombre d’auteurs du XVIe siècle, on en sait assez peu sur lui, et en tout premier lieu sur les circonstances de son décès. Et s’il n’était pas mort, après tout, pris à son propre mot d’en découdre jusqu’à obtenir la reconnaissance méritée… ? Voilà le propos d’Hubert Haddad, qui lui prolonge sa vie dans un splendide roman reprenant le thème fameux du pacte avec le Démon. Son livre sous le bras, sondeur du temps et de la renommée de ses poèmes, Lasphrise traversera les époques et leurs folies, souvent meurtrières, connaîtra les Précieuses, les galères, la Bastille, deux guerres mondiales… Sans doute est-ce un roman sur la folie : celle d’aimer, de vivre en étant mortel et d’écrire, vivant, en s’imaginant qu’on échappera ainsi à la mort. Et sur ce type de folie très particulière qui semble atteindre certains auteurs, seuls à se comprendre. La leçon, de prime abord, pourrait sembler désabusée : un fou littéraire est un fou tout court, dont on ne peut pas plus croire les élucubrations poétiques, en langage enfançon ou totalement inventé – comme l’a fait le vrai Lasphrise, pour de bon –, que les délires schizophrènes qui le font se prendre pour un rescapé des siècles. Mais le roman d’Haddad, à la langue merveilleuse, au mot ciselé, aux paysages enchantés (éblouissement de la nature et en tout premier lieu des bords de Loire) vient nous conter la fabuleuse histoire de la littérature qui se nourrit d’elle-même, à travers les siècles, réveiller notre curiosité pour ce bon Papillon, et la cohorte de tous ceux qui ont dédié leur vie à l’écriture, marchent encore aujourd’hui dans l’ombre et attendent que les vivants de ce siècle retrouve un peu de goût, par l’étude ou la fiction, pour rouvrir leurs livres. Allons donc lire Papillon. Merci Hubert Haddad !

Sous la lune brisée

République des Neuf Cités, 260 ans après le Cataclysme qui a ravagé les terres et fracturé la Lune. Le monde, largement décimé, a retrouvé une forme de sta­bilité grâce à la mise en œuvre des préceptes du Livre, un ou­vrage de sagesse antique utilisé comme fondation de la nouvelle société. Le monde, ou plus exac­tement le territoire des Neuf Cités, retranché derrière des frontières qui ne s’ouvrent qu’en fonction des besoins de repeuplement de la Républi­que. À l’extérieur, on est chez les « bar­bares », mi­grants clandestins, ter­roristes, as­saillants aux frontières.

Bâtie sur les principes du Livre, la République des Neuf Cités est une transposition transparente de la Répu­blique de Platon. Tripartition hiérarchisée entre intellectuels (qui disent le Beau, le Bon, le Juste et donc la Loi), guerriers (qui protègent) et producteurs (qui nourrissent) – tête, cœur, ventre –, inégalité stricte entre les citoyens et les barbares ou métèques venus de l’extérieur, communauté des femmes et des enfants afin que la natalité soit forte et le sentiment familial si possible inexistant, distinction claire entre sexe reproductif et sensualité, principe de justice qui assure que chacun, dûment éduqué aux valeurs de la Cité puis évalué par des tests, sera placé dans le Cercle que justifient ses aptitudes. La Répu­blique est donc une éparchie juste (en sciences politiques, on dirait une épistocratie).

Ça, c’est la théorie. Car la République est corrompue. Socrate lui-même admettait que la mise en commun des femmes et enfants serait difficile à réaliser ; ici, en dépit de réguliers accouplements cérémoniels obligatoires et d’appariements par tirage au sort, il est facile de truquer le système, d’autant plus qu’on est haut placé dans la hiérarchie sociale (même Socrate envisageait cette pos­sibilité). Ici aussi, l’égalité femme / homme, de droit, est limitée par le désir des hommes et la marchandisation d’un sexe profane. Quant aux examens censés attribuer justement les positions sociales, ils sont dévoyés pour s’assurer que les enfants du troisième Cercle ne s’élèveront pas. Conséquence de la Loi d’airain de l’oligarchie, s’est donc constituée une caste privilégiée (les Gardiens), à laquelle s’opposent les dissidents issus du troisième Cercle (ces damnés de la terre à la vie raccourcie par les maladies et les exécutions sommaires) et – chut, c’est un secret – toute une partie, factieuse, du deuxième Cercle (les guerriers, formés à une vio­lence inouïe envers leurs « inférieurs »). Enfin, le principe eugé­nique est poussé à son paroxysme avec l’interdiction de l’épigamie (accouplement « vers le haut »), puni de manière atroce.

L’autrice nous fait découvrir ce monde insatisfaisant à travers les vies croisées d’Aulas, fils bâtard de la fille bâtarde (forcée de vivre en courtisane) d’un patricien du premier Cercle, d’Hadrian, un soldat, fils de patricien, qui ne veut plus tuer ceux qui n’ont que le tort d’être étrangers, et d’Ariane, médecin généreux qui soigne les étrangers et fille d’une mère annihilée pour épigamie. Autour d’eux, une théorie de seconds rôles qu’ils aiment, qui les aiment, qu’ils craignent, qu’ils haïssent, qu’ils envient ou méprisent. Le roman est l’histoire de ces vies alors que la République est menacée par une sédition qui se légitime elle-même en invoquant la corruption et l’affaiblissement des mœurs.

Tout ceci était appétissant et commençait bien. Hélas, on dé­chante au fur et à mesure des pages. Car le roman souffre de deux défauts principaux. D’une part il veut trop dire. Trop long, il décrit trop, tant les faits que les pensées ou les motivations. Don’t tell ! Sa longueur tient aussi à un excès d’écriture qui, parfois, perd le lecteur ou rend le texte pompeux. Elle tient enfin à un excès de rebondissements, de morts inopinées et de traîtres cachés qui font que les cheminements d’un point A à un point B du récit sont toujours inutilement tortueux. D’autre part, une bonne partie de la révolte des personnages principaux est appuyée sur les sentiments qu’ils éprouvent pour d’autres personnes. L’autrice voulait peut-être dire que seule l’émotion peut rendre la raison à un excès de raison et ainsi refaire de nous des humains. Malheureuse­ment, ces interminables passages d’émois sentimentaux sont d’une grande mièvrerie qui choquerait même dans du YA.

Lord Cochrane et le trésor de Selkirk

Thomas Cochrane. Marin, aventurier, inventeur, amiral. Héros britannique des guerres napoléoniennes, disgracié dans son propre pays à la suite de malversations dont il n’était pas responsable, « libérateur » des mers sud-américaines de l’em­prise espagnole, combattant de l’indépendance grecque aussi. Une bio Wikipédia impression­nante. Qu’on pourrait enrichir, grâce à l’auteur chilien Gilberto Villarroel, de la mention d’En­nemi juré de Cthulhu. Lord Co­chrane et le trésor de Selkirk fait en effet suite à Cochrane vs Cthulhu (cf. Bifrost n° 99) et à Lord Cochrane vs l’Ordre des cata­combes (cf. Bifrost n° 102), parus précédem­ment, même si les événements du dernier opus se situent dans l’intervalle de temps qui sépare les deux premiers. Le héros écossais y découvrait les Grands Anciens dans un tour­billon de cape, d’épées et de poudre.

Faut-il avoir lu les autres tomes pour pouvoir lire celui-ci ? Non. Est-ce utile ? Sans doute.

Chili, 1822. Après avoir lutté des années pour aider à libérer les mers chiliennes et péruviennes du joug espagnol, Cochrane sent que le moment est venu pour lui de quitter les terres Pacifique. L’atmosphère politique a changé, et il préfère s’éclipser avant d’être obligé de prendre parti dans la guerre civile qui s’annonce. D’autant que l’empereur du Brésil lui propose de devenir l’amiral en chef de la flotte brésilienne. Deux bonnes raisons de mettre les voiles et de rejoindre Rio de Janeiro. Mais pas d’une traite.

Mis par le général chilien O’Higgins sur les traces d’un trésor dont lui seul comprend l’importance, Cochrane cingle avec deux navires – l’un est son fameux steamer de guerre, le Rising Star – vers la légendaire « île de Robinson Crusoé », qui abrita le ca­pitaine Selkirk, capitaine abandonné par ses hommes sur une terre où il passa quatre ans. Une histoire qui inspira Defoe. De là, Co­chrane veut se rendre dans les «  Montagnes Hallucinées », qui seraient près de la Terre de Feu et dont Selkirk aurait eu connaissance. Sur sa route, un pirate, revanchard et sanguinaire, qui sera un caillou récurrent dans ses bottes. Jusqu’au bout du monde.

Rédigé sur une période de quatre ans, le roman a semble-t-il pâti de ce long temps d’écri­ture. L’admiration que Villarroel exprime pour Cochrane, qu’on sentait dans les deux volumes précédents, est ici vraiment excessive. Et de nombreuses phrases, trop explicatives, parais­sent maladroites. Mais surtout, pendant un gros tiers du roman, entre arcanes de la politique chilienne, séisme en background et roucoulades, il ne se passe pas vraiment grand-chose d’utile. Ce n’est qu’au moment des premiers combats sur l’île de Crusoé que l’action démarre enfin. Et là, la lourdeur s’efface, les qualités vues dans les tomes précédents reviennent et le récit devient haletant. Pour comprendre, il faut savoir que Lord Cochrane et le trésor de Selkirk n’est que la moitié d’un roman dont la suite est à paraître. Le gros premier tiers peut alors être vu comme une longue introduction avant qu’on ne retrouve un Cochrane fort en actes et haut en couleurs dressé avec ses hommes (et femme) de confiance face à un mal antédiluvien. À la fin de ce volume, il s’apprête à partir pour le cœur des ténèbres, accompagné d’alliés Selk’Nam à qui l’auteur rend, deux siècles après, vie et voix. Tekeli-Li !

Les Derniers jours des fauves

France, maintenant. Ou presque. Élue en 2017, la présidente de la République Nathalie Séchard, fatiguée par quatre ans de mandat, décide, à un an de la prochaine élection, de ne pas se représenter. Son forfait volontaire met en branle une guerre de succession qui ne sera ni fair-play, ni même compatible avec l’État de droit.

Une présidente, en rupture de ban avec la gauche dont elle est issue, élue à la surprise générale en 2017 sur une promesse de dépassement des clivages traditionnels de la vie politique française. Une pandémie. Des gilets jaunes. Des antivax. Un réchauffement clima­tique. Contrairement à l’habitude, toute ressemblance avec des faits ou personnages réels n’est ici pas fortuite. Les Derniers jours des fauves est une très légère uchronie dont le point de divergence se situe dans l’absence de Macron pour la course présidentielle, « elle apprend, par la bande, qu’elle a grillé la politesse à un jeune mec arrogant qui avait eu la même idée qu’elle, la même analyse de la situation. C’est le secrétaire gé­néral adjoint de l’Élysée. Dépité, le type a démissionné de son poste et a rejoint la banque d’af­faires d’où il venait ». Le reste de l’histoire politique et sociale est identique en pire. Car ici, tout est plus. La pandémie tue plus. Le confinement, plus long, est plus rigoureux. Les affrontements GJ/FDO font des morts. La canicule tue beaucoup. La sécheresse impose de drasti­ques restrictions dans l’usage de l’eau. Et surtout, deuxième différence capitale, Séchard a nommé (« jambe droite ») un ministre de l’intérieur, Beauséant, qui est un archétype du gaulliste modèle SAC, ex-barbouzard, adepte des dossiers sales et des coups tordus, aimé des militaires et les ai­mant en retour. Et voilà que l’homme se sent pousser des ailes, et qu’il décide de prendre le taureau par les cornes pour assurer son élection en 2022. Quitte à comploter… et à tuer.

Jérôme Leroy retrouve dans ce roman le monde politique fait de cynisme et de désil­lusions qu’il avait dessiné dans Le Bloc en 2011. Et si les Dorgelles, la famille de politiciens d’extrême-droite à l’origine du Bloc, est présente ici en fond, c’est surtout aux ma­nigances à l’intérieur (doublement) même du pouvoir que s’intéresse l’auteur, tant il est vrai qu’avec des républicains tels que Beauséant, il n’y a pas besoin de vrais fascistes.

C’est toute la France contemporaine qui est dans Les Derniers jours des fauves, et ce n’est pas beau à voir. Chaînes d’info continue servant la soupe aux extrêmes, groupes alter plus ou moins violents donnant plus dans l’agitprop que dans toute autre chose, complotistes actifs et téléguidés, impossibilité de gouverner un peuple dont chaque membre se voit en État souverain, difficulté des politiques à avoir prise sur un réel toujours plus complexe qui les oblige à s’engluer dans des compromis qui ne les satisfont pas plus que leur électeurs, cynisme qu’impose la lutte électorale, haine hideuse et violence endémique dans un monde contemporain que toute civilité paraît avoir déserté.

Dans la veine d’un Manchette, Leroy, qui manie aussi sa plume comme un scalpel, décrit en forçant tout juste le trait le mon­de peu ragoûtant qui est le nôtre. Il le fait avec une justesse de ton impressionnante. Ses personnages et leur expression sont justes, leurs motivations compréhensibles et cohérentes. Chacun est longuement croqué, rendu au lecteur avec ses mots, ses attitudes, son histoire, ses certitudes et ses pulsions. On ne peut croire que Leroy aime tous ses personnages, mais tous l’intéressent car tous sont humains. On sent clairement en revanche que l’auteur aime les territoires qu’il décrit longuement avec aménité, la France des petites villes, des régions, des lieux dont la modernité s’est détournée.

Leroy est dur avec son monde et avec ses créations car le nôtre dont il est le reflet l’est aussi. Il est peut-être désespéré, mélancolique au moins d’un mode de vie et d’un ordre politique (organisateur du monde) maintenant éteints, inquiet sûrement de ce dont ce nouveau monde lui semble gros.

Juste, ironique, n’hésitant pas à aller là où, dans son camp, on ne va pas, jamais mièvre ni pusillanime (c’est devenu rare), Leroy offre avec Les Derniers jours des fauves un grand roman contemporain. À travers la mise en exergue des décisions que la situation a imposées à Séchard et des dérives putschistes de Beauséant auxquelles ne s’op­posent que de pusillanimes démocrates ou d’inoffensifs excités, c’est un cri d’alarme pour les libertés que pousse Leroy – l’épigraphe du très libéral François Sureau, auteur du pamphlet Sans la liberté, ne laissait dès l’abord guère de doute sur la question.

Widowland

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Churchill a échoué à imposer ses vues à la classe politique anglaise, et l’aristocratie britannique a préféré pactiser avec l’Allemagne pour éviter l’affrontement militaire. Les États-Unis ne sont pas entrés en guerre et le pacte germano-soviétique n’a pas été rompu. Le Reich, après son triomphe, a placé le Royaume-Uni sous protectorat. Le peuple anglais subit la propagande et la privation de libertés avec son flegme emblématique. Le roi George VI, sa famille et nombre de membres de la royauté anglaise ayant trépassé au moment opportun, Édouard VIII et son épouse Wallis ont accédé au trône et, en 1953, les festivités de leur couronnement officiel approchent. Le pouvoir, en réalité, est exercé par le Protecteur Alfred Rosenberg, l’un des plus anciens compagnons de route du Leader, Adolf Hitler. Rosenberg, bien décidé à faire de l’Angleterre un modèle de société parfaite, impose ses lois drastiques : contrôle total de l’information, absence de contact avec l’extérieur, interdiction de se cultiver ou de penser par soi-même, normes et hiérarchies sociales strictes corrélées à des menaces de déclassement, surveillance et délation des citoyens par les citoyens, police toute puissante chargée de faire respecter l’ordre établi. Et comme le pays compte à présent deux femmes pour chaque homme – la guerre et la résistance à l’Alliance ont décimé les rangs des jeunes hommes –, ces dernières subissent de plein fouet une classification en fonction de leurs caractéristiques génétiques et familiales qui génère des droits plus ou moins nombreux. Certaines catégories se trouvent même affublées d’un surnom inspiré par une femme ayant marqué la vie du Leader. Les femmes de l’élite, destinées à épouser la crème du royaume, sont appelées Geli, hommage à la nièce adorée du Leader (qui, rappelons-le, s’est suicidée pour se libérer de l’emprise de ce dernier). Les Klara (de la mère du Leader) sont les mères de la Patrie, priées de fournir quatre enfants minimum. Les Paula (d’après la sœur de Hitler) sont enseignantes ou infirmières. En descendant l’échelle sociale, on trouve les professions subalternes (Magda), puis le personnel de maison (Gretl), et une infinité d’autres désignation jusqu’au bas de la hiérarchie et ses Frieda (pour Friedhöfefrauen, littéralement « femmes cimetières »). Ces veuves et vieilles filles, sans mari à servir ni enfant à élever, réputées inutiles, survivent dans des quartiers miséreux de banlieue appelés Widowland.

Rose Ransom, une Geli bien intégrée malgré une liaison avec son supérieur, un homme marié, travaille pour le ministère de la Culture, où elle rend les classiques anglais plus conformes aux principes de la société nazie, non sans cacher les effets que cette littérature produit sur elle.

Les préparatifs du couronnement et la visite de Hitler, imminente, occupent les esprits. Sur les murs de la ville d’Oxford, lieu de la cérémonie, apparaissent des citations subversives issues d’œuvres censurées. Rose est envoyée enquêter dans le Widowland, puisque la Gestapo peine à y dénicher les séditieuses autrices de ces graffitis. De parcours initiatique dans une dystopie uchronique, le roman bascule dans un thriller non dénué de quelques facilités (comme un interrogatoire bien trop gentillet au regard de l’atmosphère délétère ambiante).

Widowland met en lumière le pouvoir subversif de la littérature, une arme puissante pour lutter contre la tyrannie et l’oppression, en particulier lorsqu’elle est maniée par les plus opprimées. S’il ne révolutionne pas le genre – on pensera, entre autres, à La Servante écarlate ou à Fatherland — il remplit son office et nous rappelle combien les femmes qui lisent sont dangereuses…

Les Filles d'Égalie

En Égalie, les femmes détiennent le pouvoir politique, économique et social. Et parce qu’elles procréent, elles bénéficient, en outre, de privilèges importants. On attend donc des hommes qu’ils soient coquets, prennent soin du foyer et élèvent les enfants avec amour et abnégation. Bigoudis dans la barbe, postiches pour cacher un début de calvitie, chasse impitoyable aux poils partout ailleurs et soutien-verge malcommode constituent la meilleure chance pour eux de signer un pacte protège-paternité par lequel une fem­me leur apportera toute la sécurité dont ils ont besoin. Les moins chanceux sont envoyés dans les mines de Phallustrie pour une courte existence de labeur. Le matriarcat, implanté depuis des lustres, a totalement remodelé la langue et sa grammaire : « garses » et son corollaire masculin « garsons », « elle était évident que… », « êtres fumains »… Il con­vient donc d’utiliser le féminin, considéré comme la forme neutre, pour les termes susceptibles de s’appliquer aux hommes (les « gentes » plutôt que les gens, par exemple). Le masculin se retrouve invisibilisé. La traduction de Jean-Baptiste Coursaud se révèle admirable de cohérence et semble totalement « naturelle » alors même qu’il n’y a rien de naturel dans la hiérarchie des sexes.

Petronius, âgé de quinze ans, ne répond pas aux canons de beauté de son époque. Grand, mince, anguleux, il rêve de de­venir « marine-pêcheuse », un métier bien trop dangereux pour un homme. Il a la chance d’être bien né. Sa mère, la directrice Brame, préside le Directriçoire de la Société coopérative d’État pendant que son époux, Kristof­fer, s’occupe de leurs deux en­fants tout en rêvant à la carrière « d’ingénieuse » qu’il n’a pas pu mener. Mais s’il rate son bal des débutants et ne parvient pas à se trouver une protectrice, Petro­nius risque de finir vieux « garson », comme mademoiseau Tapinois, sa « professeuse ».

Roman d’initiation, Les Filles d’Égalie met en lumière la multitude des oppressions que subit Petronius : sexisme ordinaire, stéréotypes de genre, coups quand il dépas­se les bornes pour sa compagne, jusqu’au viol collectif puisqu’il est dangereux de se balader la nuit, qu’une femme est une femme, et qu’elle a des besoins qu’elle doit assouvir. Avec le parcours de Petronius vers l’émancipation par le militantisme masculiniste, Gerd Brantenberg nous invite à réfléchir, en miroir, à notre propre société. Le renversement des normes patriarcales et les rapports de pouvoirs mis en scènes dans cette fable politique font tout autant rire que grincer des dents. Le procédé peut sembler facile, mais l’exécution l’est nettement moins et, au jeu de la satire, Gerd Bran­tenberg gagne avec maestria.

Le roman, traduit avec succès en Suède, en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Espagne, en Italie, en Finlande et en Corée du Sud, est considéré comme un classique de la littérature féministe. Il est permis de se demander pourquoi il n’arrive que quarante-cinq ans plus tard dans le pays des droits de l’homme — louées soient les éditions Zulma et leur ligne éditoriale pour cette traduction. Après lecture, un constat s’impose : le texte est toujours furi­eusement d’actualité sur nom­bre de points soulevés, malgré les luttes féministes. Et parce qu’aucune forme de justice n’est définitivement acquise, la lecture des Filles d’Égalie se révèle indispensable.

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