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Chaman

Un an après son incursion dans notre futur à moyen terme, Kim Stanley Robinson a décidé de repartir dans le passé… quelque trente-deux mille années avant notre ère. À cette époque, la Glaciation de Würm bat son plein, et en Europe, l’homo sapiens coexiste avec les Néandertaliens. On y suit les pas de Loon (qui tient son nom d’un oiseau, le plongeon huard), apprenti shaman de sa tribu de chasseurs-cueilleurs. Le roman débute avec le rite de passage de Loon, deux semaines de survie en solitaire dans la nature, et s’achève avec le jeune homme devenu shaman. Entre les deux, quelques péripéties et pas mal d’ennui au fil de cet épais roman.

KSR n’a pas son pareil pour immerger le lecteur dans des mondes autres – la préhistoire, en l’espèce – d’une manière crédible. La question de l’utopie est présente depuis longtemps dans le travail de notre auteur. Ici, il met en scène une manière d’utopie préhistorique : les conflits y sont présents mais se résolvent rarement dans la violence ; le plus important reste l’entraide et la survie dans une nature qui ne pardonne guère. Pour autant, les humains représentés par Robinson n’ont rien de brutes : ils connaissent la médecine et savent concevoir des outils. Néanmoins, l’écriture est absente de cette société, et l’oral y tient donc une importance cruciale – sans oublier les peintures rupestres.

Toutefois, sous l’aspect romanesque, Shaman reste une déception : la première moitié est longuette, le quotidien et les amourettes de Loon ne suscitant guère d’émois ; la seconde moitié reprend du poil de la bête et réserve plus de place à l’action et l’aventure. L’ensemble laisse une impression mitigée : l’intention est louable, mais l’exécution décevante.

2312

En 2012, Kim Stanley Robinson se livre à exercice de prospective : imaginer un futur distant de 300 ans. Le résultat est aussi brillant qu’exaspérant.

À la fin de Mars la bleue, KSR imaginait le concept d’accelerando, période voyant la colonisation du Système solaire, de Mercure jusqu’à Neptune. Lorsque débute 2312 (qui n’a rien d’une suite), cette période appartient déjà au passé ; s’il fallait trouver un nom à cette nouvelle ère, c’est celle de la balkanisation. Imaginez : Mercure et sa cité mobile, Vénus en cours de terraformation à grands coups de comètes, Mars terraformée grâce à l’azote provenant de Titan, des ligues du côté de Jupiter et Saturne, et surtout d’innombrables astéroïdes évidés pour constituer des habitats spatiaux et abriter ainsi la faune et la flore menacées de la Terre. Un ensemble de traités – l’accord Mondragon, nommé d’après cette commune du Pays basque espagnol où une coopérative ouvrière a vu le jour – a permis l’émergence d’un système économique post-capitaliste. Une utopie ? Pas loin. Seule la Terre, polluée, ses continents grignotés par la montée des eaux due au réchauffement climatique, reste le parent pauvre. La planète des origines est-elle condamnée ?

Tout roman nécessite un événement déclencheur, et celui de 2312 est la mort d’Alex, la « Lionne de Mercure ». Décès naturel ou mort suspecte ? Sa petite-fille, Swan Er Hong, artiste et ancienne conceptrice d’habitats spatiaux, va se retrouver à son corps défendant plongée dans une intrigue voyant l’apparition d’une menace inédite. Cette enquête la mènera aux quatre coins du Système solaire… et fera de 2312 une année charnière pour cet avenir.

Brillant, le roman l’est dans ses idées. KSR déploie ici un Système solaire crédible. Abondance, liberté, fluidité des genres comme des déplacements à travers l’espace interplanétaire, un véritable élan utopique parcourt les pages. Comme John Brunner avec Tous à Zanzibar, l’auteur s’appuie sur une structure tirée de la fameuse trilogie « USA » de John Dos Passos : les chapitres faisant avancer l’intrigue alternent avec des listes, des extraits de textes fictifs, des focus sur tel ou tel corps céleste ou des « promenades quantiques » plus expérimentales. Exaspérant, 2312 l’est sous l’aspect romanesque : le roman traîne en longueur, l’enquête sur la mort d’Alex tenant surtout du prétexte pour une balade à travers le Système solaire. En dépit, ou plutôt grâce à ce défaut, 2312 se prête curieusement bien à la relecture : une fois que l’on sait que le voyage va être lent, on peut prendre son temps pour admirer les détails du paysage. Et quel paysage.

Aurora

L’humanité a décidé de coloniser les étoiles. Dans ce but, elle a envoyé vers Tau Ceti un vaisseau riche de 2 000 personnes vivant au sein de biomes, compartiments gigantesques reflétant les différents écosystèmes terriens. Arrivé à la cinquième ou sixième génération, le vaisseau approche de sa destination. Devi, qui fait office d’ingénieure en chef, discute avec l’IA régissant le fonctionnement du navire pour négocier l’arrivée sur Aurora, la lune d’une des planètes de Tau Ceti, tandis que l’ordinateur quantique de bord lui permet de gérer les défaillances du système, de plus en plus fréquentes après tant de temps passé dans l’espace. Une fois arrivé à proximité d’Aurora, l’établissement des premiers camps habités sur la lune peut commencer ; toutefois, des personnes meurent de l’exposition à une bactérie ou un virus d’origine inconnue. Dès lors, l’humanité – ou tout au moins les colons, puisque tout contact avec la Terre prend vingt-cinq ans – doit faire un choix : continuer sur Aurora, ou identifier d’autres cibles d’installation parmi les planètes et lunes à proximité. Certaines voix commencent même à évoquer un retour sur Terre, et parmi elles Freya, la fille de Devi…

Dans ce roman, comme à son habitude, KSR utilise ses connaissances pluridisciplinaires afin d’embrasser la problématique du vaisseau-arche dans son ensemble : mécanique spatiale pour les problématiques de trajectoire du vaisseau (au cœur de l’histoire, notamment dans sa deuxième partie, et pour les phases d’accélération et de décélération), sociologie pour la gestion de la population des biomes, biologie et chimie pour les dispositifs à mettre en place en vue de la conservation de la flore durant tout le voyage, informatique pour doter le vaisseau de capacités de calcul quantique lui permettant de prendre les décisions de manière urgente si nécessaire… Pas un aspect n’est occulté ; on pourrait imaginer que cela se traduise par un ouvrage d’une taille démesurée, tant les problèmes à régler sont nombreux, mais Robinson a évacué cette difficulté avec subtilité et humour : les humains étant assez occupés à autre chose, c’est l’IA du vaisseau qui raconte les événements ! Et comme celle-ci ne sait pas initialement choisir ce qui est important et ce qui ne l’est pas, Devi la guide. D’où quelques échanges savoureux tandis que l’IA tente d’utiliser ses algorithmes pour donner à lire quelque chose qui ressemble à un roman, et pas à un devoir appliqué, tout en se posant régulièrement la question de savoir comment au mieux raconter une histoire, avec l’utilisation de ces analogies et métaphores au cœur de l’expression humaine si difficiles à appréhender pour elle. Peu à peu, l’IA va apprendre à penser comme un humain, à faire de l’humour, voir commencer à ressentir des émotions comme la peur… ou l’amour. Un timide éveil à la conscience qui s’avère une merveille de finesse, et un contrechamp bienvenu au côté hard science et à la relative sécheresse de la caractérisation des personnages de KSR (mais rappelez-vous, ce n’est pas lui qui raconte le tout, c’est une IA).

On ne terminera pas cette chronique sans évoquer la surprenante deuxième partie du roman (attention spoiler), puisque les colons choisissent en majorité le retour sur Terre. Même si certains restent dans les étoiles, Robinson – ou plutôt le vaisseau – décide de les ignorer et de se concentrer sur la manière de ramener les autres sur Terre, terminant sur un constat amer d’échec de la colonisation spatiale – étonnant, pour l’auteur de la « Trilogie martienne ».

Par l’ampleur de ses considérations scientifiques et philosophiques, que l’auteur vulgarise du mieux possible, Aurora, dont les multiples rebondissements et révélations dynamisent le rythme de narration assez lent (une constante chez KSR), se révèle ainsi un excellent roman, sans doute l’un des plus aboutis de l’auteur, qui le hisse à la hauteur d’un Clarke ou d’un Asimov.

La Mémoire de la Lumière

Au XXXIVe siècle, l’Humanité a conquis le Système solaire grâce à Arthur Holywelkin, génial physicien, qui, trois cents ans plus tôt, a établi un paradigme à l’aune duquel comprendre le monde. Sur cette base a été fondé un nouveau mode de distribution de l’énergie qui est « téléportée » partout. Cet univers est déterministe mais les personnages l’ignorent encore. Le passé, et surtout l’avenir, ont été écrits de tout temps, et rien de ce qui peut y advenir n’échappe à l’inéluctable enchaînement des causes et effets. Nul libre arbitre – au mieux une illusion, qu’il semblerait toutefois judicieux de préserver. La secte des Gris, qui contrôle la production d’énergie depuis le soleil, est la détentrice de ce bien lourd secret sur lequel elle veille jalousement.

Dans cet univers, l’Humanité est plus que jamais plurielle, n’offrant plus d’unité : chacun des milliers de mondes existe dans l’indifférence des autres. L’unique lien subsistant désormais entre eux est la musique. La musique (non vocale) est un langage universel, non symbolique, et peu importe que vous soyez allemand, japonais, malien ou brésilien pour la jouer. Elle ne dit rien, se contentant juste d’être.

À la fin de sa vie, Holywelkin a créé l’Orchestre, un unique méta-instrument comprenant toute une philharmonie et conçu pour être joué par un seul interprète. Johannes Wright vient d’en être nommé neuvième titulaire et va entreprendre une tournée à travers tout le Système solaire, de Pluton à Mercure, via Mars et la Terre. Selon une prédiction – tout étant déjà écrit –, il pourrait, par sa musique, dernier vecteur commun à toute l’Humanité (enfin mûre ?), permettre à celle-ci de s’imprégner du paradigme d’Holywelkin. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde, notamment d’Ernst Ekern, le directeur de l’Institut Holywelkin, qui entend imposer son libre-arbitre par le truchement d’un métadrame pour manipuler la réalité tel un démiurge et ne pas laisser Wright parvenir au but que les Gris lui ont signifié.

Le roman est la chronique de cette tournée et des péripéties qui l’émaillent…

Il apparaît que KSR, à travers les nombreuses digressions ponctuant le récit, tente de répondre à son propre questionnement quant au libre arbitre – une illusion à laquelle on n’échappe pas, à l’instar de toute réalité. Notre monde est déterministe car il ne saurait y avoir d’effet sans cause, mais il est aussi imprédictible car la complexité conduit à l’incalculabilité. Si l’on était à même de connaître l’enchaînement de toutes causes et effets, le futur pourrait être prédit – en vain, puisqu’il ne saurait être modifié – et l’information circulerait de l’avenir vers le passé : un changement de paradigme radical, et la fin du libre arbitre. Si Frank Herbert, dans Dune, s’est attaché à la question, KSR – pas le meilleur des conteurs d’histoire de la SF – s’y essaie aussi avec ce roman donnant indubitablement matière à penser.

New York 2140

New York submergée, mais New York magnifiée ! Enfin, presque. Le réchauffement climatique a, comme prévu, causé des dégâts monstrueux en termes de destructions matérielles et de nombre de morts. Le niveau de la mer a augmenté de façon conséquente et New York s’est transformée en Venise américaine, où l’on se déplace d’un gratte-ciel à un autre en bateau électrique ou à voile. Une partie de la ville a été abandonnée, car les immeubles ne tiennent plus qu’à un fil, laissée aux sans-abri n’ayant d’autre choix que de risquer leur vie pour un toit. Une autre partie est habitée par des gens plus fortunés, mais dont le train de vie a changé. Certaines tours sont transformées en collectivités, avec terrasse où l’on fait pousser des légumes, salles à manger partagées, appartements réduits à la taille minimale, moyens de production d’électricité qui permettent, sinon l’autonomie, du moins une certaine indépendance. Une sorte de vie communautaire, à la limite du communisme, au pays de l’oncle Sam. Ce qui n’a aucunement changé, c’est le monde de la finance. On trouve toujours, dans 120 ans, des traders occupés par leurs seuls bénéfices, sans un regard pour les pauvres ou la poursuite du dérèglement climatique. La moindre pierre est une possibilité d’augmenter ses profits, d’agrandir la bulle spéculative – jusqu’à l’éclatement. Mais si on se débrouille bien, même cet éclatement peut être créateur de nouvelles richesses. Quant aux vies détruites…

On suit ici de multiples personnages, qui vont vite se trouver liés les uns aux autres : un trader, justement, une policière, deux geeks, deux jeunes enfants, une influenceuse écologiste, le concierge de leur immeuble. On est témoin d’un enlèvement, d’une chasse au trésor, d’un ouragan, de jeux financiers. Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur ne ménage pas sa peine pour nous occuper pendant qu’il déroule son raisonnement. Et tout cela est bel et bon, mais tout de même un peu long (comme souvent chez KSR), parfois pontifiant. En effet, l’auteur semble faire la leçon à son lecteur sur l’écologie et l’économie, n’hésitant pas à citer des essais (même l’économiste français Thomas Piketty, décidément partout) et faire des cours pour convaincre de la justesse de son raisonnement. Comme Dan Simmons qui assène, dans certains romans, son point de vue avec la force d’un marteau piqueur… mais avec des idées à l’opposé du spectre politique. Mieux vaut d’ailleurs adhérer aux vues de KSR pour qui veut arriver au bout du récit. Le résultat est un texte agréable à lire, au ton léger malgré la teneur du propos, qui avance des solutions un rien simplistes (mais réjouissantes), même si l’auteur s’en défend. Une lecture agréable, car KSR sait créer des personnages vite attachants et dresser un portrait réaliste d’un New York sous les eaux, qui donne envie de prendre une carte de la ville afin de mieux profiter du séjour.

S.O.S. Antarctica

Rien ne va plus en Antarctique, ce territoire qui n’appartient à personne et où tout le monde ou presque y est allé de sa base permanente – Russes, Américains, Indiens, Belges, etc. Un wagon d’un convoi autonome a disparu alors qu’il se rendait au pôle Sud ; le traité de l’Antarctique est menacé par des projets d’exploitation du méthane prisonnier des glaces ; sans oublier des activités étranges, non répertoriées, repérées dans l’infrarouge par les satellites et qui affolent les responsables sur place et les huiles de Washington. Trois personnages vont être les témoins de cette époque-charnière : X (c’est comme ça que l’auteur et les autres personnages l’appellent !), l’auxiliaire technique (ou forçat des neiges) qui était à bord du convoi autonome quand il a été partiellement piraté ; Val, la superfemme, 1,90 m de poigne et de charme, qui guide le touriste friqué sur la piste d’Amundsen ; et enfin Wade, l’activiste écologiste planqué en attaché sénatorial, ici envoyé au sud du monde pour enquêter pour son patron (dans l’opposition, ce qui a son importance).

L’eau et l’huile, le fond et la forme. Si le fond est ici très intéressant, surtout pour le lecteur passionné par les problématiques environnementales, la forme a tout du calvaire. Globalement il ne se passe rien, ou presque. On se balade sur la glace, longtemps, et on papote, beaucoup. S.O.S. Antarctica est un roman d’anticipation proche hyperréaliste, très politique, et cette politique est très américaine, le tout se révélant chiant comme un voyage en train de marchandises à travers la Sibérie hivernale. Vous voilà prévenus. Et, cerise sur le gâteau, il y a la traduction. Par exemple : le pingouin est un oiseau de l’hémisphère nord et ne doit pas être confondu avec le manchot (penguin en anglais). À l’apparition du vingt-quatrième pingouin faux-ami, on n’a qu’une envie : balancer le livre à travers la pièce. Sans compter les maladresses stylistiques, les altitudes en pieds, les liquides en gallons et j’en passe. C’est régulièrement horripilant.

À moins que vous ne soyez vraiment passionné d’Antarctique et de politique américaine, difficile de conseiller la lecture de ce poussif roman. Personnellement, je vous aiguillerai plutôt vers Le Pire voyage au monde d’Apsley Cherry-Garrard (chez Paulsen), et le sublime La Lune est blanche de François & Emmanuel Lepage (que je me suis fait un plaisir de relire dans la foulée).

Deux recueils

La Planète sur la table et Le Géomètre aveugle réunissent chacun huit nouvelles. Le premier présente des textes écrits entre le milieu des années 1970 et le début des années 1980. Dans le second, on trouve des nouvelles datant de 1986 à 1989. Ces deux recueils embrassent donc la quinzaine d’années au terme de laquelle Kim Stanley Robinson, d’abord débutant, parvint à s’imposer. Ce duo de recueils offre ainsi un aperçu de ce qu’il est convenu d’appeler la fabrique d’un écrivain. Chacune de ces nouvelles peut en effet être envisagée comme une étape dans la genèse, parfois non dénuée de maladresse, d’un paysage fictionnel singulier, marqué par autant de spécificités thématiques que formelles.

Sans surprise, c’est dans La Planète sur la table que se trouvent les textes les moins maîtrisés. Seuls deux d’entre eux convainquent :« Le Lucky Strike » et « L’Air noir », datant de 1983. Entrelaçant la fiction historique à une branche de l’Imaginaire, ils proposent une séduisante relecture d’événements authentiquement advenus. Allant jusqu’à l’uchronie, « Le Lucky Strike » envisage un autre déroulement du projet de bombardement atomique du Japon par les États-Unis en août 1945. Remontant plus loin dans le passé, celui du XVIe siècle et de l’Invincible Armada, « L’Air noir » nimbe d’une troublante lumière gothique l’échec de la flotte espagnole. Témoignant d’une érudition aussi dense que celle déployée par « Le Lucky Strike », « L’Air noir » parvient tout comme lui à combiner avec bonheur ce conséquent matériau documentaire à une narration d’une efficace fluidité et à une caractérisation humaniste des personnages. Faisant eux aussi appel à un important travail de recherches, les autres textes peinent à transformer en or fictionnel des récits croisant là encore divers genres littéraires. Ainsi en va-t-il de la dystopique « Venise engloutie » (1980) plongeant le patrimoine artistique de la Sérénissime sous les eaux, ou bien encore du « Déguisement » (1976) relisant façon hard science le théâtre élisabéthain. De même que pour ces relectures extraterrestres de chronique sociale afro-américaine et de detective story que sont respectivement « Retour à Dixieland » (1975) et « Mercuriale » (1983). Elles sont aussi bancales que « Sur la ligne de crête » (1975 à 1983), mêlant poussivement manuel de trekking et spéculation scientifique, et que « Les Œufs de pierre » (1979), une synthèse trop elliptique de road novel et de SF robotique. Et l’on réservera la lecture intégrale de La Planète sur la table aux « robinsoniens » désireux de retracer au plus près la généalogie de l’œuvre de leur auteur favori…

Quant au Géomètre aveugle, on en recommandera en revanche la lecture à un plus large lectorat. Si Robinson y use des mêmes éléments que dans La Planète sur la table, il en tire cette fois-ci un bien meilleur profit, ayant atteint durant la seconde moitié des années 1980 une maturité littéraire. Mis à part le dystopique et (trop) court « Notre cité » (1986), confirmant que l’auteur a besoin d’espace pour développer ses univers, les sept autres textes sont autant de réussites. La novella donnant son titre au recueil, en date de 1986, s’impose comme une belle rencontre entre thriller d’espionnage conspirationniste et une hard SF pour laquelle l’auteur confirme son inclination. Son héros, un homme parvenant à conjurer sa cécité grâce à son génie mathématique, incarne une nouvelle fois une figure décidemment chère à Robinson, celle du voyant déjà présente dans les textes les plus réussis de La Planète sur la table. D’essence futuriste et technologique comme dans « Le Géomètre aveugle », pareil don peut être, à l’image d’« Intersection » (1986), le résultat d’un mystérieux incident spatio-temporel permettant à un WASP et à un Noir sud-africain de voir au-delà de leurs réalités respectives… C’est un texte témoignant par ailleurs d’une sensibilité antiraciste certaine chez son auteur, que confirment encore ses empathiques portraits de dealer afro-américain du futur dans « Crève-la-faim en l’an 2000 » (1986) et de sorcier navajo dans « Au retour de Rainbow Bridge » (1987). À la fois ethnologique et magique, cette nouvelle s’inscrit dans une même veine que « La Meilleure part de nous-mêmes » (1991), mettant mystérieusement en écho chrétiens des origines et ceux d’une communauté californienne contemporaine. Quant aux deux récits sélénites que sont « Les Lunatiques » (1988) et « Leçon d’histoire » (1988), ils illustrent définitivement la capacité de Robinson à bâtir une SF aussi rigoureuse que généreuse lorsqu’il est en pleine possession de son art.

La Trilogie climatique

Nous pourrions, comme il est d’usage, parler de chaque volume de la « Trilogie climatique » (ou Science in the Capital en VO, initialement « traduite » en Capital code en VF), mais les volumes qui la composent, parus à un an d’écart, ne peuvent s’apprécier individuellement.

De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’une uchronie où le dérèglement climatique multiplie les catastrophes, et où le problème finit par être pris à bras le corps par la présidence des États-Unis, les organisations internationales, et jusqu’aux sociétés privées (dont les compagnies d’assurance et pétrolifères). Alors que les États-Unis sortent tout juste d’une présidence Trump qualifiable de folklorique, pour être indulgents, et que les différentes réponses à la pandémie mondiale de Covid-19 manquent de coordination et de logique (encore une fois, avec indulgence), cette trilogie semble relever d’une utopie optimiste plus que d’un récit catastrophique réaliste.

Elle représente en tout cas la quintessence de ce que Kim Stanley Robinson sait faire de mieux… et de pire. Le pire : ses personnages, souvent caricaturaux et définis par une ou deux caractéristiques dont ils ne varieront jamais, qu’importent les événements. En particulier Frank Vanderwal, biomathématicien misogyne à souhait qui ne mesure l’attraction des femmes qu’à l’aune de leur fertilité et qui – pour un scientifique – a un talent certain pour prendre toutes les mauvaises décisions possibles. Jugez-en : détaché à la NSF à Washington de son université de Californie pour un an, il va préférer vivre entre son van et une cabane dans un parc plutôt que louer un appartement ou habiter chez des collègues alors que la capitale américaine se remet d’une inondation gigantesque et connaît son hiver le plus rude et le plus long depuis la fondation des USA. Il se trouve embarqué dans une histoire d’espionnage et de guerre entre agences fédérales pour les beaux yeux d’une femme avec qui il a été coincé une demi-heure dans l’ascenseur. Et, malheureusement pour les lecteurs, ses déboires, qui pourraient fournir la matière à un Tom Clancy de bonne facture, n’ont que peu à voir avec l’intrigue principale de la trilogie. Si vous êtes allergique aux manœuvres politiciennes, vous allez également souffrir. Que ce soit pour l’élection de Phil Chase, sénateur démocrate de Californie et futur président, et pour l’installation de son administration, ou pour les différentes négociations entre les agences fédérales et internationales ou avec les universités ou acteurs du lobbying, Kim Stanley Robinson n’épargne aucun détail. En revanche, pour qui s’est régalé avec House of Cards, c’est un plaisir de suivre ces intrigues et ces retournements.

La réelle puissance de cette trilogie climatique est avant tout la science. Que ce soit les différentes conséquences du dérèglement climatique (à commencer par les Khembalais, réfugiés tibétains sur une île au large du Sri Lanka menacée par les eaux venus chercher de l’aide à Washington) ou les montages public/privé des différentes solutions envisagées pour en atténuer la vitesse, voire en inverser le cours, tout est détaillé et clairement expliqué. Jusqu’aux solutions d’apparence les plus fantasques (une flotte de super-tankers pour redémarrer le Gulf Stream), qui en acquièrent une certaine logique. La science va également se trouver dans les à-côtés : le sort des animaux du zoo de Washington, évadés avec l’inondation, et qui doivent désormais survivre dans une ville aux changements météorologiques marqués ; la psychologie de la petite enfance  ; ou les différentes méthodes de traçage des personnes et des biens. L’action et le souffle épique, tant dans l’ampleur des catastrophes que dans les résolutions du troisième volume, sont également au rendez-vous. KSR sait à la perfection mêler son discours politique et scientifique à ce qui reste d’abord une série de romans de science-fiction ayant pour but premier de distraire le lecteur, avant de l’amener à réfléchir sur le monde qui l’entoure, tout en gardant un point de vue très américano-centré. L’histoire seule dira si l’optimisme de 60 jours et après misant sur l’intelligence collective avait vu juste. Réponse dans une petite vingtaine d’années ?

A? noter que l’auteur a publie? en 2015 Green Earth, pre?sente? comme une version de la trilogie « mise a? jour et condense?e en un seul roman ». [NdRC]

Chroniques des années noires

« Dark Ages » : l’expression anglaise, désignant le plus souvent le Moyen-Âge, est d’une non-neutralité maintenant reconnue, les années qui séparent l’Antiquité tardive de la Renaissance en Europe n’ayant rien de sombre, au contraire de ce que l’on pensait volontiers jusqu’au début du XXe siècle. On s’étonnera donc ici du titre français du présent roman : après tout, The Years of Rice and Salt – « Les années de riz et de sel » — a pour qualité de ne pas évoquer d’emblée un récit au contenu sinistre…

Point de divergence de cette uchronie, l’Europe n’y a pas surmonté l’épidémie de peste bubonique, dite « noire », des années 1340, les États s’y effondrent et disparaissent, et les populations elles-mêmes s’éteignent. L’or des Amériques ne vient pas nourrir la puissance européenne – en alimentant son économie par le truchement des guerres espagnoles contre la Réforme protestante et la France au XVIe siècle. À la place, les civilisations maintenant dominantes du Vieux Monde – l’une organisée par une loi religieuse, celle de l’Islam, l’autre par une bureaucratie tentaculaire, celle de la Chine – ont le champ libre pour leur propre confrontation. Écrit en 2003 (sept ans après Le Choc des civilisations de Samuel Huntington, donc, et deux après les attentats contre le World Trade Center), Chroniques… pourrait se laisser interpréter de prime abord comme un roman à thèse apportant par quelque bizarre moyen sa contribution à un édifice controversé.

Au deuxième abord, toutefois, la construction littéraire de cette uchronie vient montrer que cette conclusion triviale ne serait pas la bonne. Ces Chroniques… ne constituent en aucun cas des textes autonomes, puisque leurs personnages majeurs, malgré les six siècles de temps qu’elles couvrent, sont à chaque fois les mêmes : B. tout d’abord, l’individu prudent et routinier ; mais aussi et surtout K., son partenaire ambitieux et brillant jusqu’à l’incandescence. Représentés à chaque époque visitée par des incarnations différentes, changeant de nom (mais jamais d’initiale) comme de sexe ou de condition, ces deux personnages portent en réalité la vision de l’auteur pour qui l’Histoire est pétrie d’humanité plus que de grands hommes. L’un des arguments de ce roman est le sort fait aux femmes, en terre d’islam comme en terre chinoise, et le mouvement irrésistible qu’elles font vers une libération de la tutelle patriarcale ; son schéma consiste à montrer que les idées de démocratie représentative et de gestion internationale ne sont pas l’apanage de la pensée européenne, mais plutôt la conséquence des conflits entre cultures. À ce titre, on pourrait presque entendre Chroniques des années noires comme un anti-Choc des civilisations !

Si l’uchronie questionne toujours l’Histoire (et révèle aussi le profond désir de l’être humain d’y trouver un sens), le présent roman le fait en construisant un système cohérent dans les trois dimensions : géographique, ce qui transparaît par exemple avec les cartes qui introduisent chaque nouvelle chronique ; temporelle, où la chronologie réelle finit par se paralléliser avec celle des chroniques – au prix, parfois, de quelques libertés littéraires telles que la présence d’un seul très long conflit mondial plutôt que deux plus courts ; et humaine, enfin. On pourra regretter que cette dernière dimension soit soutenue par l’irruption d’une forme de transcendance, dont les implications spirituelles sont susceptibles d’agacer le lecteur – que l’on croie ou non à la réincarnation, sa répétition en tant qu’argument littéraire finit par ressembler d’un peu trop près à un procédé – mais cela ne remet pas en question la solidité de l’ensemble. À ce titre, Chroniques des années noires est un roman important : de ceux qui portent une certaine idée de l’humanité.

Trois Californies

Publiée aux États-Unis entre 1984 et 1990, la trilogie californienne de Kim Stanley Robinson (KSR) a pour particularité de proposer trois visions radicalement différentes d’un même lieu : le comté d’Orange, cette région de la Californie où l’auteur a grandi dans les années 50 et 60, et qu’il a vue se transformer au fil des ans, renonçant progressivement à ses terres agricoles pour accueillir une population citadine sans cesse croissante. Situés une cinquantaine d’années dans le futur, ces trois romans appartiennent chacun à un genre différent : post-apocalyptique pour Le Rivage oublié, ultra-technologique avec La Côte dorée, utopique, enfin, dans Lisière du Pacifique.

Dans Le Rivage oublié, les USA n’existent plus. Toutes ses grandes villes ont été rasées lors d’une attaque nucléaire, et le pays, ou ce qu’il en reste, est isolé du reste du monde, ses frontières surveillées par des forces armées dont on devine la présence sans – presque – jamais les voir. Ne subsistent désormais que de petites communautés revenues à un âge pré-industriel, comme dans la vallée d’Onofre, située en bord de mer au sud du comté d’Orange, quelques dizaines de personnes vivant de la pêche, de l’agriculture et du troc, notamment avec les récupérateurs, qui cherchent parmi les ruines radioactives de l’ancien monde tout ce qui peut encore avoir de la valeur. Tel est le monde où Henry et ses amis grandissent, un monde leur offrant peu de perspectives de changement. Jusqu’au jour où arrivent dans leur village des envoyés de San Diego, ville qui, petit à petit, a su se reconstruire, et offre désormais à ses voisins de s’unir pour enfin lutter contre leurs ennemis invisibles et faire renaître la grandeur légendaire des États-Unis d’Amérique.

Le Rivage oublié est un roman lent, dans lequel Kim Stanley Robinson prend le temps de donner corps à son univers et à ses personnages qu’il accompagne dans leur quotidien le plus banal. À travers leur histoire, dont celle de Tom, le doyen du village, centenaire qui a connu le monde d’avant, il s’interroge sur son pays, ce qui a pu le conduire à une fin aussi terrible, et donne à voir différentes voies possibles dans lesquelles s’engager. Aucun des personnages adolescents qu’il met en scène n’envisage les choses de la même manière, qu’ils souhaitent passer à l’action coûte que coûte ou au contraire optent pour une position plus pondérée, mais tous ont en commun ce besoin de changement propre à leur âge. Pour Henry, le protagoniste, ce besoin passera in fine par le biais de l’écriture, comme en écho aux motivations du jeune romancier qu’est encore Kim Stanley Robinson à cette époque.

Le parcours de Jim McPherson, le héros de La Côte dorée, est par certains côtés assez similaire à celui de Henry, quand bien même le monde dans lequel il vit se situe aux antipodes du précédent. Le comté d’Orange s’est ici transformé en une mégapole grouillante de vie, s’étalant dans toutes les directions, y compris en altitude, dans une superposition démente de voies autoroutières. Issu d’une famille aisée, Jim semble avoir tout pour être heureux. Il ne l’est pas. Professeur d’anglais à temps partiel pour des étudiants qui s’ennuient autant que lui, il passe ses nuits à effacer ses journées dans des fêtes répétitives où se mêlent sexe, drogue et alcool. Ce mouvement perpétuel ne peut au mieux que lui faire oublier pour un temps la vacuité de sa vie, jusqu’au jour où il entre en contact avec un mouvement politique contestataire qui propose de mener des actions de sabotage contre le complexe militaro-industriel – dans ce roman, la guerre froide entre USA et URSS est au moins aussi vivace qu’au moment de sa rédaction. S’agit-il pour Jim d’une manière légitime de transformer le monde, ou n’est-il qu’un pion dans un affrontement dont il n’est pas apte à mesurer les enjeux ?

Sur la forme, La Côte dorée est un roman plus ambitieux que le linéaire Rivage oublié. Robinson suit en parallèle le parcours de différents protagonistes, lesquels vont se croiser plus ou moins régulièrement, et boucle son récit par un événement qui aura des répercussions sur tous les personnages, quand bien même aucun d’entre eux, contrairement au lecteur, n’est en mesure d’appréhender la situation dans sa globalité. Il est à noter que les deux romans ont un personnage en commun, ou du moins deux incarnations différentes d’un même individu : Tom, le vieux sage, devenu ici le résident d’une maison de retraite où sont envoyés pour y être oubliés tous ceux qui ont passé l’âge d’être utiles à la société. Un double destin qui vient souligner davantage tout ce qui oppose les deux univers. Notons au passage qu’on rencontrera une troisième itération du personnage dans le roman suivant, cette fois pour souligner combien, dans ce monde utopique, les différences d’âge entre individus n’ont plus lieu d’être.

Une fois encore, comme dans Le Rivage oublié, c’est de l’écriture, et plus encore de la redécouverte de l’histoire du monde dans lequel il vit, que viendra la rédemption du héros. Ce besoin essentiel de raconter d’où nous venons pour comprendre où nous sommes aujourd’hui, et vers quel avenir nous nous dirigeons.

Dans l’idéal, cet avenir serait celui de Lisière du Pacifique, ultime volet de cette trilogie, et le plus enthousiasmant des trois futurs que nous propose Kim Stanley Robinson. L’action se situe à El Modena, toujours dans le comté d’Orange, et donne à voir une société harmonieuse basée sur le recyclage, l’économie collaborative et la sobriété énergétique. Aux marges, on retrouve certes quelques nostalgiques de l’ancien monde, toujours prêts à chercher dans les failles du système le moyen de le contourner, mais cette société offre à ses citoyens les armes pour les affronter.

On suit donc le parcours de Kevin Clairborne, architecte nouvellement élu à la municipalité d’El Modena, et qui va déceler dans la volonté du maire de remettre en question le statut d’une zone protégée des motivations moins innocentes qu’elles n’en ont l’air. Une intrigue qui laisse toute la place au romancier pour développer son univers et raconter le quotidien de ses protagonistes, fait de balades dans la nature, de matchs de softball et de relations amoureuses plus ou moins heureuses.

KSR sait à quel point il est difficile, voire impossible, de donner à une utopie une dynamique dramatique. Plutôt que de remettre en question les fondements de cet univers, ce qui n’est pas son objet, il choisit de mettre son récit en parallèle avec un second, un futur proche cauchemardesque qui pourtant, comme on le découvrira en fin de compte, contient les germes de cet avenir rêvé.

D’un point de vue romanesque, Lisière du Pacifique reste la plus faible des trois œuvres, ce qui explique sans doute qu’il aura fallu attendre plus de trente ans avant de la lire en France. Conscient de ses faiblesses, Kim Stanley Robinson choisit de s’en amuser dans une scène finale qui finit, si c’était nécessaire, de nous rendre ce livre aussi attachant que précieux.

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