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Les critiques de Bifrost

Les 40 signes de la pluie

Les 40 signes de la pluie

Kim Stanley ROBINSON
POCKET
512pp - 9,50 €

Bifrost n° 106

Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106

Nous pourrions, comme il est d’usage, parler de chaque volume de la « Trilogie climatique » (ou Science in the Capital en VO, initialement « traduite » en Capital code en VF), mais les volumes qui la composent, parus à un an d’écart, ne peuvent s’apprécier individuellement.

De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’une uchronie où le dérèglement climatique multiplie les catastrophes, et où le problème finit par être pris à bras le corps par la présidence des États-Unis, les organisations internationales, et jusqu’aux sociétés privées (dont les compagnies d’assurance et pétrolifères). Alors que les États-Unis sortent tout juste d’une présidence Trump qualifiable de folklorique, pour être indulgents, et que les différentes réponses à la pandémie mondiale de Covid-19 manquent de coordination et de logique (encore une fois, avec indulgence), cette trilogie semble relever d’une utopie optimiste plus que d’un récit catastrophique réaliste.

Elle représente en tout cas la quintessence de ce que Kim Stanley Robinson sait faire de mieux… et de pire. Le pire : ses personnages, souvent caricaturaux et définis par une ou deux caractéristiques dont ils ne varieront jamais, qu’importent les événements. En particulier Frank Vanderwal, biomathématicien misogyne à souhait qui ne mesure l’attraction des femmes qu’à l’aune de leur fertilité et qui – pour un scientifique – a un talent certain pour prendre toutes les mauvaises décisions possibles. Jugez-en : détaché à la NSF à Washington de son université de Californie pour un an, il va préférer vivre entre son van et une cabane dans un parc plutôt que louer un appartement ou habiter chez des collègues alors que la capitale américaine se remet d’une inondation gigantesque et connaît son hiver le plus rude et le plus long depuis la fondation des USA. Il se trouve embarqué dans une histoire d’espionnage et de guerre entre agences fédérales pour les beaux yeux d’une femme avec qui il a été coincé une demi-heure dans l’ascenseur. Et, malheureusement pour les lecteurs, ses déboires, qui pourraient fournir la matière à un Tom Clancy de bonne facture, n’ont que peu à voir avec l’intrigue principale de la trilogie. Si vous êtes allergique aux manœuvres politiciennes, vous allez également souffrir. Que ce soit pour l’élection de Phil Chase, sénateur démocrate de Californie et futur président, et pour l’installation de son administration, ou pour les différentes négociations entre les agences fédérales et internationales ou avec les universités ou acteurs du lobbying, Kim Stanley Robinson n’épargne aucun détail. En revanche, pour qui s’est régalé avec House of Cards, c’est un plaisir de suivre ces intrigues et ces retournements.

La réelle puissance de cette trilogie climatique est avant tout la science. Que ce soit les différentes conséquences du dérèglement climatique (à commencer par les Khembalais, réfugiés tibétains sur une île au large du Sri Lanka menacée par les eaux venus chercher de l’aide à Washington) ou les montages public/privé des différentes solutions envisagées pour en atténuer la vitesse, voire en inverser le cours, tout est détaillé et clairement expliqué. Jusqu’aux solutions d’apparence les plus fantasques (une flotte de super-tankers pour redémarrer le Gulf Stream), qui en acquièrent une certaine logique. La science va également se trouver dans les à-côtés : le sort des animaux du zoo de Washington, évadés avec l’inondation, et qui doivent désormais survivre dans une ville aux changements météorologiques marqués ; la psychologie de la petite enfance  ; ou les différentes méthodes de traçage des personnes et des biens. L’action et le souffle épique, tant dans l’ampleur des catastrophes que dans les résolutions du troisième volume, sont également au rendez-vous. KSR sait à la perfection mêler son discours politique et scientifique à ce qui reste d’abord une série de romans de science-fiction ayant pour but premier de distraire le lecteur, avant de l’amener à réfléchir sur le monde qui l’entoure, tout en gardant un point de vue très américano-centré. L’histoire seule dira si l’optimisme de 60 jours et après misant sur l’intelligence collective avait vu juste. Réponse dans une petite vingtaine d’années ?

A? noter que l’auteur a publie? en 2015 Green Earth, pre?sente? comme une version de la trilogie « mise a? jour et condense?e en un seul roman ». [NdRC]

Stéphanie CHAPTAL

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