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Les critiques de Bifrost

La Mémoire de la lumière

La Mémoire de la lumière

Kim Stanley ROBINSON
J'AI LU
416pp - 6,00 €

Bifrost n° 106

Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106

Au XXXIVe siècle, l’Humanité a conquis le Système solaire grâce à Arthur Holywelkin, génial physicien, qui, trois cents ans plus tôt, a établi un paradigme à l’aune duquel comprendre le monde. Sur cette base a été fondé un nouveau mode de distribution de l’énergie qui est « téléportée » partout. Cet univers est déterministe mais les personnages l’ignorent encore. Le passé, et surtout l’avenir, ont été écrits de tout temps, et rien de ce qui peut y advenir n’échappe à l’inéluctable enchaînement des causes et effets. Nul libre arbitre – au mieux une illusion, qu’il semblerait toutefois judicieux de préserver. La secte des Gris, qui contrôle la production d’énergie depuis le soleil, est la détentrice de ce bien lourd secret sur lequel elle veille jalousement.

Dans cet univers, l’Humanité est plus que jamais plurielle, n’offrant plus d’unité : chacun des milliers de mondes existe dans l’indifférence des autres. L’unique lien subsistant désormais entre eux est la musique. La musique (non vocale) est un langage universel, non symbolique, et peu importe que vous soyez allemand, japonais, malien ou brésilien pour la jouer. Elle ne dit rien, se contentant juste d’être.

À la fin de sa vie, Holywelkin a créé l’Orchestre, un unique méta-instrument comprenant toute une philharmonie et conçu pour être joué par un seul interprète. Johannes Wright vient d’en être nommé neuvième titulaire et va entreprendre une tournée à travers tout le Système solaire, de Pluton à Mercure, via Mars et la Terre. Selon une prédiction – tout étant déjà écrit –, il pourrait, par sa musique, dernier vecteur commun à toute l’Humanité (enfin mûre ?), permettre à celle-ci de s’imprégner du paradigme d’Holywelkin. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde, notamment d’Ernst Ekern, le directeur de l’Institut Holywelkin, qui entend imposer son libre-arbitre par le truchement d’un métadrame pour manipuler la réalité tel un démiurge et ne pas laisser Wright parvenir au but que les Gris lui ont signifié.

Le roman est la chronique de cette tournée et des péripéties qui l’émaillent…

Il apparaît que KSR, à travers les nombreuses digressions ponctuant le récit, tente de répondre à son propre questionnement quant au libre arbitre – une illusion à laquelle on n’échappe pas, à l’instar de toute réalité. Notre monde est déterministe car il ne saurait y avoir d’effet sans cause, mais il est aussi imprédictible car la complexité conduit à l’incalculabilité. Si l’on était à même de connaître l’enchaînement de toutes causes et effets, le futur pourrait être prédit – en vain, puisqu’il ne saurait être modifié – et l’information circulerait de l’avenir vers le passé : un changement de paradigme radical, et la fin du libre arbitre. Si Frank Herbert, dans Dune, s’est attaché à la question, KSR – pas le meilleur des conteurs d’histoire de la SF – s’y essaie aussi avec ce roman donnant indubitablement matière à penser.

Jean-Pierre LION

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