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Haute-École

Haute-École est le premier roman de Sylvie Denis, et le seul dans sa bibliographie à relever de la fantasy. Il s’agit d’une déclinaison inhabituelle du genre, surtout pour l’époque de sa parution, avec sa société préindustrielle devant plus à l’Ancien Régime qu’au Moyen Âge, sa magie remplaçant la technologie, et son histoire sortant des canons de celles centrées sur une école de magie. Le hic étant que depuis 2004, on a fait bien mieux dans ces registres, et que le livre accuse de fait son âge… entre autres soucis.

Le worldbuilding, singulier, s’articule autour de deux royaumes concentriques : l’un, dit Intérieur, entoure le centre du monde, un désert calciné par le Solaire, l’autre, dit Extérieur, est limité par la mer et des Murailles de Brume infranchissables. Ils sont en guerre, depuis si longtemps que la raison du conflit a été oubliée. Dans le royaume Intérieur, on tue les magiciens, jugés trop dangereux, à la naissance ; dans l’Extérieur, ils sont enrôlés de force dans la Haute-école. Les plus chanceux finissent professeurs, les autres au service de l’armée, de l’administration ou de riches privilégiés, servant de système d’éclairage public, à actionner les pompes pour l’eau courante, et ainsi de suite (l’école les qualifie de matériaux : ce ne sont plus des humains, mais des machines ; on est loin de l’élite que forment les mages dans quantité d’univers de fantasy). Une répétitivité des tâches qui conduit à la folie, au suicide, voire à une fuite punie de mort. Et le Grand Méchant, qui vient de s’emparer de l’école par le meurtre, a des projets plus sinistres encore : pour donner au processus la dimension d’un véritable travail à la chaîne, il veut créer un programme eugéniste et faire se reproduire les mages entre eux. Les rafles et l’embrigadement ne suffisent plus, voilà qu’arrivent l’élevage en batterie et les expérimentations humaines afin de développer de nouveaux pouvoirs.

Contre ces maux – militarisme, capitalisme et horreur quasi-nazie – se dressent les rares magiciens libres, quelques élèves de l’école, une poignée de soldats plus responsables, des Réformateurs désireux instaurer une monarchie parlementaire, ainsi qu’Arik, seul personnage solide, par sa nuance, dans une galerie qui se caractérise par ses stéréotypes et son absence de relief psychologique (le méchant très méchant, la jeune fille courageuse, la gentille copine qui va mourir, le traître, le collabo, etc).

Hélas, trois fois hélas, les personnages / points de vue / sous-intrigues sont également trop nombreux, trop creux (les deux romances dispensables, le point de vue de l’antagoniste insuffisamment montré), le world building / magicbuilding trop flou ou basique, les événements de la fin du troisième quart mal exploités, et la conclusion, où, contre toute attente, les gentils écrasent les méchants d’un coup de baguette magique, gâchent ce qui aurait pu être un livre bancal mais intéressant. Reste un roman qui s’avère pourtant prenant, avec un style remarquable de fluidité et une capacité à proposer quelques moments puissamment évocateurs, sans oublier un fond (antimilitariste, progressiste, humaniste, tolérant) de valeur certes mal exploité, mais bien présent. Car tel est bien le principal reproche à faire à Haute-École : ce roman ne manque pas de bonnes idées, mais il ne les exploite jamais suffisamment.

Jardins virtuels

Sylvie Denis publie sa première nouvelle en 1988, puis enchaîne sur un rythme de un à deux textes par an : un premier recueil de cinq nouvelles, Jardins virtuels paraît ainsi dans la collection « Cyberdreams » en 1995. Huit ans plus tard, « Folio SF » réédite et augmente le recueil : treize textes constituent dès lors le sommaire de ce volume de plus de 500 pages. Treize, dont une bonne moitié de longues nouvelles : l’espace nécessaire à l’autrice pour proposer un développement adéquat à ces esquisses de futurs qui, bien souvent, déchantent. Sylvie Denis s’empare de thèmes classiques de SF (le clonage, la virtualité, l’interfaçage entre homme et machine, le transhumanisme…) pour questionner notre futur avec une belle cohérence d’ensemble. Aux dangers du clonage (« Élisabeth for ever », où un père commet la pire des offenses envers sa fille) répond le même clonage vu comme un élément constitutif d’utopie (« De Dimbour à Lampêtre »), à l’humanité en grande partie cantonnée à des enclaves sur les ruines de l’Europe (« Dedans, dehors ») et la volonté d’émancipation de sa protagoniste, répond le monde à deux vitesses de « La ballade du singe seul », etc. Cela, toujours avec comme objectif l’analyse des évolutions scientifiques et technologiques – souvent le cœur du propos et toujours fort bien documentées – en termes d’impact sur la société humaine. Les nouvelles posent des questions, suggèrent des éléments de réponse, mais sans certitudes, laissant le lecteur libre de poursuivre la réflexion après sa lecture. Si les perspectives ne sont guère réjouissantes (le réchauffement climatique de « Fonte des glaces », par exemple), Denis ne sombre toutefois pas dans la morosité, et nous offre des textes parfois rythmés, parfois plus contemplatifs, dans lesquels un élément reste stable dans le temps et l’espace : la force des relations humaines, qu’il s’agisse de la faculté qu’ont certains de prendre en main leur destin, de lutter pour leur liberté (comme les bien nommés Amis de l’Humanité, présents dans deux textes), ou de cette femme qui réussira à assumer pleinement son humanité en devenant intelligence artificielle (« L’Anniversaire de Caroline »). Du reste, on notera l’omniprésence des relations filiales dans cet ouvrage, que Denis décortique selon différents angles, conflictuels ou complices, comme ce très émouvant « Cap Tchernobyl » où un jeune garçon accompagne son père mourant dans sa dernière volonté, celle de voir des tigres en liberté. Les protagonistes de Sylvie Denis sont bien souvent des enfants, ou de jeunes adultes : voir le monde à travers leurs yeux permet d’éviter la vision biaisée car orientée de l’adulte.

Jardins virtuels se révèle ainsi la porte d’entrée idéale pour l’œuvre de Sylvie Denis, un recueil solide, homogène de bout en bout, pétri d’humanité et de perspectives scientifiques et technologiques passionnantes. Depuis 2003, l’autrice a écrit une poignée de nouvelles à même de constituer la matière d’un nouveau beau recueil ; avis aux éditeurs éclairés.

La Ville, peu de temps après

À Pat Murphy, autrice américaine dont on connait finalement peu l’œuvre en France, revient l’honneur de donner le coup d’envoi du tournant que Les Moutons électriques souhaitent faire prendre à leur ligne éditoriale cette année, résolument tournée vers l’utopie. Après La Cité des ombres (Denoël, 1990) et Nadya (J’ai Lu, 2000), La Ville, peu de temps après est le troisième de ses livres à rencontrer le public français, plus de vingt ans après son prédécesseur ; celui qui lui a permis, entre autres nombreuses nominations et distinctions, de se retrouver en lice pour le prix Locus du meilleur roman de science-fiction en 1990.

Dans une San Francisco vidée de sa population par la Peste, il ne reste que des artistes et quelques marchands pour animer la ville. Poussée à y retourner bien des années après que sa mère a fui le passé et ses fantômes, Jax y découvrira, au-delà de son nom, le rôle qu’elle doit jouer dans le conflit qui menace cette petite communauté paisible, sa nouvelle famille. La métropole, dont le cœur semble battre à l’unisson avec celui de ses habitants, ne se contente pas d’être le théâtre de la guerre à venir : protagoniste à part entière, elle y participe à sa façon, apportant à l’histoire une touche fantastique rafraichissante.

Originellement publié en 1989, La Ville, peu de temps après semble avant tout vouloir rejeter en bloc le climat délétère de tension et de peur qui a régné tout au long de la guerre froide. Rien de surprenant, alors que cette dernière touche à son terme, dans le fait que Pat Murphy y défende la paix, quelle qu’en soit la forme ou le prix, du moment que la lutte permettant de la préserver refuse de jouer le jeu de la violence. Rien ne vient perturber la douceur du ton avec lequel l’autrice raconte, au travers des vies entrecroisées de ses personnages et de ce lieu, la façon dont ils mèneront une guerre d’un nouveau genre. Elle prône une ouverture d’esprit sublimée par l’art, tourne en dérision l’arrogance de l’humanité, l’abominable prétention de ses guerres de territoires, la laideur de ses velléités de conquête – y compris, ironiquement, celle de la paix elle-même. Très contemplatif, ce récit antimilitariste invite plutôt son lecteur à respirer avec le monde, à vivre en harmonie avec ce qu’il a à offrir au jour le jour. Une fois cela compris, toute prétention de vouloir imposer à autrui une vision plutôt qu’une autre devient absurde. Sans tolérance, aucune paix n’est possible. Après tout, qu’est l’Amérique aux yeux d’un individu qui ne se reconnait pas en elle ?

Une trentaine d’années après sa publication, ce roman post-apocalyptique parvient à résonner avec l’actualité d’une façon inédite, dans un monde moins préoccupé par le spectre des guerres mondiales que par la menace pandémique. Sa pertinence demeure : aujourd’hui comme alors, la capacité de tout un chacun à projeter l’espoir dans un monde meurtri est une nécessité vitale de laquelle dépend notre résilience et notre faculté à construire un avenir. On ne pourra que pardonner à ce texte ses quelques lourdeurs de style, tant il sublime le rôle essentiel de l’imaginaire dans nos vies.

L’oiseau moqueur

C’est donc L’Oiseau moqueur que Gallmeister a choisi pour introduire Walter Tevis dans sa collection « Totem », dans une réédition qui n’a guère revu que le titre. Une opportunité heureuse pour ce roman moins connu du répertoire de Tevis, et qui, contrairement à L’Homme qui venait d’ailleurs, n’a pas fait l’objet d’une adaptation sur grand écran – quand bien même il pourra bénéficier du succès de la mini-série Le Jeu de la dame sur Netflix, elle-même adaptée d’un autre titre de l’auteur. Ce roman choral, centré sur la côte est des États-Unis, est porté par trois protagonistes témoignant chacun à sa façon des derniers temps d’une humanité agonisante. Plus de quarante ans après sa parution, ce n’est ni par le style d’écriture – certes efficace, mais mécanique, dépouillé – ni par son thème que l’ouvrage se démarquera. Il s’inscrit en effet dans la droite ligne des grands classiques de l’anticipation dystopique parus avant lui, ce qui ne l’aura pas empêché d’être nommé aux prix Locus et Nebula en 1981.

Le récit frappe d’abord par sa mélancolie, caractéristique des textes de l’auteur, exprimée ici par un jeu de contrastes. Alors que l’humanité dépérit, Paul Bentley s’éveille à une vie dont il redécouvre les joies simples avec une ingéniosité toute enfantine, et une curiosité insatiable. Il ouvre enfin les yeux sur ce monde étrange, où les robots paraissent parfois plus humains que leurs créateurs. Ainsi l’androïde Spofforth désire mourir mais, privé de cette capacité, subit une existence hantée par le besoin d’accéder aux souvenirs d’un autre. Mary Lou comprend-elle l’ironie cruelle de cette quête, elle qui appartient à une espèce qui s’est totalement désintéressée des siens ? C’est pourtant cette dernière, développant avec chacun des relations intimes très différentes, qui leur permettra de se rejoindre, de se comprendre. Le roman est ainsi parsemé de moments touchants, évocateurs de ce que l’auteur tient pour essentiel : la liberté, contre toute forme d’aliénation. Liberté de choisir, de penser, d’apprendre, d’aimer… de vivre.

Si le récit est proche de Fahrenheit 451 en ce qu’il sacralise le rôle du livre comme vecteur essentiel de transmission, l’aspect dystopique du roman n’implique ni autoritarisme, ni totalitarisme. Walter Tevis postule au contraire l’extinction d’une humanité abandonnée à une servitude volontaire vers laquelle elle se serait laissé dériver au fil de ses choix. Le désintérêt pour l’écriture et la lecture, encouragé par l’exhortation à un individualisme extrême, a privé les individus de toute volonté de se souvenir ou de découvrir quoi que ce soit. Chacun vit replié sur ses besoins immédiats, aliéné aussi bien par les principes individualistes que par les drogues ou la télévision, en quête d’un bonheur insipide et factice. L’avenir est quant à lui abandonné aux mains de robots dysfonctionnels. Dans cette fuite en avant, l’espèce s’éteint de ne plus s’intéresser collectivement à son sort, chacun vivant dans l’indifférence de ses semblables comme de son environnement.

Mais loin de se complaire dans le fatalisme, L’Oiseau moqueur se montre empreint d’espoir. Pour conjurer les dérives d’un confort illusoire apporté par le tout-technologique, Walter Tevis y défend une poursuite collective du bonheur. L’être humain, animal social, ne saurait se passer de la richesse née de la rencontre et du lien avec le vivant. Il suffit pour cela d’un peu de curiosité, cette éternelle étincelle qui pourrait bien un jour sauver un monde à l’agonie.

Un reflet de lune

Quelques années après Un éclat de givre, Estelle Faye propose une suite aux aventures de Chet et de son alter ego, la chanteuse de jazz Thais, qui nous replonge dans son Paris post-apocalyptique, désormais en proie aux pluies permanentes. Dès les premières pages, on retrouve ce cocktail bien particulier – variante vase et algues – avec un certain plaisir, et si les événements du premier volume sont lointains pour le lecteur, quelques rappels subtils permettent de raccrocher les wagons sans pour autant alourdir le récit, le rendant presque lisible comme un one shot.

La plume d’Estelle Faye est une fois de plus au rendez-vous, pourvoyeuse d’un vocabulaire bien pesé, d’ambiances posées avec efficacité. Quant à Chet, notre narrateur à l’humour particulier et joyeusement autodépréciatif, il est agréable de le retrouver un peu plus travaillé, toujours plus tiraillé ! Concernant l’intrigue, sans en dévoiler trop, elle concerne donc les conséquences du premier volume : un Paris pris dans un déluge permanent, un sourd complot ourdi par d’étranges et sectaires puissants, quelques concerts de jazz, une obsession de Chet pour son chevalier servant qu’il ne reverra plus… et, clou du spectacle, la curieuse apparition de « doubles » de notre héros dans différents endroits de la cité.

L’ensemble nous fait retrouver avec joie les qualités qui faisaient le sel de ses premières aventures : un récit sans temps mort, une exploration de nouvelles arcanes d’un Paris détrempé, le tout mêlé dans un amour contagieux pour cette ville et ses différentes guildes. Une capitale qui se délabre encore plus matériellement et socialement… sans oublier pour Chet son lot d’aventures en tous genres, et dans tous les sens du terme. Une poignée de bémols, cependant : on notera quelques répétitions dans les descriptions, qui tendent à alourdir le récit, et une fin un peu précipitée, à moins que ça ne soit simplement l’effet secondaire d’un bon roman, aussi malin et soigneusement écrit que divertissant, que l’on rechigne à quitter… Il serait néanmoins dommage de se priver de ce bon moment.

Autobiographie d’un poulpe

[Critique commune à Je suis une fille sans histoire, Vivre avec le trouble et Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation]

Voici trois livres – théâtre, essai philosophique, anticipation – à même de former un corpus aussi critique qu’émancipateur, basant analyses et pratiques d’écriture sur les idées d’Ursula K. Le Guin. Plus précisément, ils reprennent les concepts théoriques dufourre-tout de la fiction (évoqué dans le recueil d’essais Danser au bord du monde) ainsi que de sa nouvelle « L’Auteur des graines d’acacia », et leur pendant pratique que sont les répercussions de la focalisation sur le héros et la fiction flèche (ou narration héroïque et linéaire) dans notre imaginaire collectif et de société. Avec leur voix et leurs préoccupations propres, ces trois autrices nous entraînent dans des réflexions liées et riches.

Alice Zeniter s’est fait connaître en 2017 avec L’Art de perdre, lauréat du Goncourt des Lycéens. Avec Je suis une fille sans histoire, texte d’un spectacle seule en scène, elle nous convie à un cheminement de pensée aussi incisif que drôle, érudit et accessible, sur un sujet qui nous touche forcément en ces pages : la façon que nous avons de raconter les histoires. En se basant sur cette opposition entre fiction flèche et fiction fourre-tout (ou panier), Zeniter décortique la pensée narrative et ce qui « fait » une bonne histoire. Elle convoque au passage ces théoriciens du langage et du récit que sont Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky, Aristote, sans oublier Alison Bechdel. Posant de nombreuses questions sans jamais asséner, elle nous propose une autre façon d’aborder les trames narratives, afin d’aller vers ce qui serait une représentation plus grande des nuances de notre monde, et surtout une réinvention de notre façon de le(s) conter. L’influence de Le Guin est assumée et il s’avère grisant de retrouver sa théorie ainsi complétée par l’apport explicite d’idées et pensées lui ayant succédé, notamment dans la pop culture. On sort de cette lecture avec plus d’outils pour réfléchir aux histoires que l’on porte, et celles auxquelles on se confronte ou se soumet… et c’est aussi de cela dont nous parle Donna J. Haraway.

La penseuse californienne, connue pour son Manifeste cyborg, propose dans Vivre avec le trouble des articles structurant son postulat philosophique et discursif d’une sortie de l’androcène (terme plus approprié selon elle que celui d’anthropocène) autant que du capitalocène, ce pour aller vers le Cthulucène. En huit essais, le dernier relevant d’une application par la fiction, elle nous donne des clés de pensée ainsi que des exemples concrets et contemporains, afin de passer d’une société androcène basée sur la rupture humanité/nature (plus précisément valeurs masculines/reste du monde) à ce qu’elle nomme Cthulucène : une ère des espèces en relation fines, tissées, tentaculaires, et perpétuellement en redéfinition, nommée ainsi en référence non pas à Lovecraft mais à l’araignée Pimoa Cthulhu. Difficile de résumer son propos tant il foisonne de propositions enthousiasmantes aussi bien sur le plan philosophique que concret. Ici, l’apport de Le Guin se fait dans la volonté de décentrer le regard et de renouveler la pensée, en donnant la parole aux parts souvent marginalisées aujourd’hui (humains comme non-humains), tout en changeant les fondements des structures de la société. Haraway propose d’explorer ce que d’autres espèces vivantes pourraient nous enseigner, en oubliant le récit héroïque, afin de construire ensemble des sociétés où les cultures ne se développeraient plus en opposition ni en compétition, mais en « empilement ». Elle explore la métaphore du compost, qui réconforte, réchauffe, et enrichit sur des générations. Cette société se crée par îlots, ne nie pas la possibilité de conflits, se tisse par la communication et la volonté de se com prendre plutôt que de s’acculturer… Vaste programme ! La dernière partie du livre, inspirée d’ateliers d’imagination et d’écriture, met en pratique les concepts explorés au cours d’une résidence où se trouvaient notamment les philosophes Bruno Latour et Vinciane Despret.

Cette dernière vient de publier Autobiographie d’un poulpe, qui prend la suite des idées de Vivre avec le trouble via un triple récit. Dans ce bref recueil, l’autrice explore la thérolinguistique, imaginée par Le Guin avec « L’Auteur des graines d’acacia », et l’extrapole au travers des connaissances actuelles dans les domaines scientifiques et artistiques. L’érudition s’y fait ludique, et les trois récits tournent autour du lien – rompu, recréé, ressuscité – des sociétés humaines avec la nature et les êtres vivants qui la composent. Le premier nous entraîne dans la lecture d’archives arachnéennes, le second donne à voir l’amabilité fécale des wombats via un discours, et le troisième, composé d’e-mails de chercheurs, tente de déchiffrer des poteries marquées par un poulpe. Celui-ci adapte son langage, pour y perdurer et être compris par les membres d’une enclave « compost ». De nombreux articles et sources ainsi que des références à d’autres penseuses et penseurs contemporains soutiennent ces trois nouvelles. Le tour de force de Vinciane Despret est d’en faire aussi bien de bons récits d’anticipation, quasiment de la hard science, version zoologie et éthologie, que des récits philosophiques… et surtout des récits panier : nous sommes là dans la cueillette, la récolte de données qui nous enrichissent aussi bien intellectuellement que symboliquement, et dans le fait de montrer un travail long, fastidieux, qui n’a rien d’héroïque au sens usuel de ce concept.

En réactualisant, dans une partie plus mainstream de notre culture, la pensée particulière d’Ursula K. Le Guin, en nous montrant aussi des chemins possibles, ces trois autrices provoquent notre imagination et nous poussent à réinventer notre façon de construire des histoires et de les raconter, mais aussi de les étudier. En proposant des analyses sérieuses, sans jamais oublier d’être ludiques ou drôles, et ainsi sans jamais asséner, elles s’inscrivent bien dans la veine de la créatrice de Terremer, qui invitait dans le fourre-tout de la fiction à « un réalisme étrange, certes, mais la réalité n’est-elle pas étrange ? »

Vivre avec le trouble

[Critique commune à Je suis une fille sans histoire, Vivre avec le trouble et Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation]

Voici trois livres – théâtre, essai philosophique, anticipation – à même de former un corpus aussi critique qu’émancipateur, basant analyses et pratiques d’écriture sur les idées d’Ursula K. Le Guin. Plus précisément, ils reprennent les concepts théoriques dufourre-tout de la fiction (évoqué dans le recueil d’essais Danser au bord du monde) ainsi que de sa nouvelle « L’Auteur des graines d’acacia », et leur pendant pratique que sont les répercussions de la focalisation sur le héros et la fiction flèche (ou narration héroïque et linéaire) dans notre imaginaire collectif et de société. Avec leur voix et leurs préoccupations propres, ces trois autrices nous entraînent dans des réflexions liées et riches.

Alice Zeniter s’est fait connaître en 2017 avec L’Art de perdre, lauréat du Goncourt des Lycéens. Avec Je suis une fille sans histoire, texte d’un spectacle seule en scène, elle nous convie à un cheminement de pensée aussi incisif que drôle, érudit et accessible, sur un sujet qui nous touche forcément en ces pages : la façon que nous avons de raconter les histoires. En se basant sur cette opposition entre fiction flèche et fiction fourre-tout (ou panier), Zeniter décortique la pensée narrative et ce qui « fait » une bonne histoire. Elle convoque au passage ces théoriciens du langage et du récit que sont Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky, Aristote, sans oublier Alison Bechdel. Posant de nombreuses questions sans jamais asséner, elle nous propose une autre façon d’aborder les trames narratives, afin d’aller vers ce qui serait une représentation plus grande des nuances de notre monde, et surtout une réinvention de notre façon de le(s) conter. L’influence de Le Guin est assumée et il s’avère grisant de retrouver sa théorie ainsi complétée par l’apport explicite d’idées et pensées lui ayant succédé, notamment dans la pop culture. On sort de cette lecture avec plus d’outils pour réfléchir aux histoires que l’on porte, et celles auxquelles on se confronte ou se soumet… et c’est aussi de cela dont nous parle Donna J. Haraway.

La penseuse californienne, connue pour son Manifeste cyborg, propose dans Vivre avec le trouble des articles structurant son postulat philosophique et discursif d’une sortie de l’androcène (terme plus approprié selon elle que celui d’anthropocène) autant que du capitalocène, ce pour aller vers le Cthulucène. En huit essais, le dernier relevant d’une application par la fiction, elle nous donne des clés de pensée ainsi que des exemples concrets et contemporains, afin de passer d’une société androcène basée sur la rupture humanité/nature (plus précisément valeurs masculines/reste du monde) à ce qu’elle nomme Cthulucène : une ère des espèces en relation fines, tissées, tentaculaires, et perpétuellement en redéfinition, nommée ainsi en référence non pas à Lovecraft mais à l’araignée Pimoa Cthulhu. Difficile de résumer son propos tant il foisonne de propositions enthousiasmantes aussi bien sur le plan philosophique que concret. Ici, l’apport de Le Guin se fait dans la volonté de décentrer le regard et de renouveler la pensée, en donnant la parole aux parts souvent marginalisées aujourd’hui (humains comme non-humains), tout en changeant les fondements des structures de la société. Haraway propose d’explorer ce que d’autres espèces vivantes pourraient nous enseigner, en oubliant le récit héroïque, afin de construire ensemble des sociétés où les cultures ne se développeraient plus en opposition ni en compétition, mais en « empilement ». Elle explore la métaphore du compost, qui réconforte, réchauffe, et enrichit sur des générations. Cette société se crée par îlots, ne nie pas la possibilité de conflits, se tisse par la communication et la volonté de se com prendre plutôt que de s’acculturer… Vaste programme ! La dernière partie du livre, inspirée d’ateliers d’imagination et d’écriture, met en pratique les concepts explorés au cours d’une résidence où se trouvaient notamment les philosophes Bruno Latour et Vinciane Despret.

Cette dernière vient de publier Autobiographie d’un poulpe, qui prend la suite des idées de Vivre avec le trouble via un triple récit. Dans ce bref recueil, l’autrice explore la thérolinguistique, imaginée par Le Guin avec « L’Auteur des graines d’acacia », et l’extrapole au travers des connaissances actuelles dans les domaines scientifiques et artistiques. L’érudition s’y fait ludique, et les trois récits tournent autour du lien – rompu, recréé, ressuscité – des sociétés humaines avec la nature et les êtres vivants qui la composent. Le premier nous entraîne dans la lecture d’archives arachnéennes, le second donne à voir l’amabilité fécale des wombats via un discours, et le troisième, composé d’e-mails de chercheurs, tente de déchiffrer des poteries marquées par un poulpe. Celui-ci adapte son langage, pour y perdurer et être compris par les membres d’une enclave « compost ». De nombreux articles et sources ainsi que des références à d’autres penseuses et penseurs contemporains soutiennent ces trois nouvelles. Le tour de force de Vinciane Despret est d’en faire aussi bien de bons récits d’anticipation, quasiment de la hard science, version zoologie et éthologie, que des récits philosophiques… et surtout des récits panier : nous sommes là dans la cueillette, la récolte de données qui nous enrichissent aussi bien intellectuellement que symboliquement, et dans le fait de montrer un travail long, fastidieux, qui n’a rien d’héroïque au sens usuel de ce concept.

En réactualisant, dans une partie plus mainstream de notre culture, la pensée particulière d’Ursula K. Le Guin, en nous montrant aussi des chemins possibles, ces trois autrices provoquent notre imagination et nous poussent à réinventer notre façon de construire des histoires et de les raconter, mais aussi de les étudier. En proposant des analyses sérieuses, sans jamais oublier d’être ludiques ou drôles, et ainsi sans jamais asséner, elles s’inscrivent bien dans la veine de la créatrice de Terremer, qui invitait dans le fourre-tout de la fiction à « un réalisme étrange, certes, mais la réalité n’est-elle pas étrange ? »

Je suis une fille sans histoire

[Critique commune à Je suis une fille sans histoire, Vivre avec le trouble et Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation]

Voici trois livres – théâtre, essai philosophique, anticipation – à même de former un corpus aussi critique qu’émancipateur, basant analyses et pratiques d’écriture sur les idées d’Ursula K. Le Guin. Plus précisément, ils reprennent les concepts théoriques dufourre-tout de la fiction (évoqué dans le recueil d’essais Danser au bord du monde) ainsi que de sa nouvelle « L’Auteur des graines d’acacia », et leur pendant pratique que sont les répercussions de la focalisation sur le héros et la fiction flèche (ou narration héroïque et linéaire) dans notre imaginaire collectif et de société. Avec leur voix et leurs préoccupations propres, ces trois autrices nous entraînent dans des réflexions liées et riches.

Alice Zeniter s’est fait connaître en 2017 avec L’Art de perdre, lauréat du Goncourt des Lycéens. Avec Je suis une fille sans histoire, texte d’un spectacle seule en scène, elle nous convie à un cheminement de pensée aussi incisif que drôle, érudit et accessible, sur un sujet qui nous touche forcément en ces pages : la façon que nous avons de raconter les histoires. En se basant sur cette opposition entre fiction flèche et fiction fourre-tout (ou panier), Zeniter décortique la pensée narrative et ce qui « fait » une bonne histoire. Elle convoque au passage ces théoriciens du langage et du récit que sont Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky, Aristote, sans oublier Alison Bechdel. Posant de nombreuses questions sans jamais asséner, elle nous propose une autre façon d’aborder les trames narratives, afin d’aller vers ce qui serait une représentation plus grande des nuances de notre monde, et surtout une réinvention de notre façon de le(s) conter. L’influence de Le Guin est assumée et il s’avère grisant de retrouver sa théorie ainsi complétée par l’apport explicite d’idées et pensées lui ayant succédé, notamment dans la pop culture. On sort de cette lecture avec plus d’outils pour réfléchir aux histoires que l’on porte, et celles auxquelles on se confronte ou se soumet… et c’est aussi de cela dont nous parle Donna J. Haraway.

La penseuse californienne, connue pour son Manifeste cyborg, propose dans Vivre avec le trouble des articles structurant son postulat philosophique et discursif d’une sortie de l’androcène (terme plus approprié selon elle que celui d’anthropocène) autant que du capitalocène, ce pour aller vers le Cthulucène. En huit essais, le dernier relevant d’une application par la fiction, elle nous donne des clés de pensée ainsi que des exemples concrets et contemporains, afin de passer d’une société androcène basée sur la rupture humanité/nature (plus précisément valeurs masculines/reste du monde) à ce qu’elle nomme Cthulucène : une ère des espèces en relation fines, tissées, tentaculaires, et perpétuellement en redéfinition, nommée ainsi en référence non pas à Lovecraft mais à l’araignée Pimoa Cthulhu. Difficile de résumer son propos tant il foisonne de propositions enthousiasmantes aussi bien sur le plan philosophique que concret. Ici, l’apport de Le Guin se fait dans la volonté de décentrer le regard et de renouveler la pensée, en donnant la parole aux parts souvent marginalisées aujourd’hui (humains comme non-humains), tout en changeant les fondements des structures de la société. Haraway propose d’explorer ce que d’autres espèces vivantes pourraient nous enseigner, en oubliant le récit héroïque, afin de construire ensemble des sociétés où les cultures ne se développeraient plus en opposition ni en compétition, mais en « empilement ». Elle explore la métaphore du compost, qui réconforte, réchauffe, et enrichit sur des générations. Cette société se crée par îlots, ne nie pas la possibilité de conflits, se tisse par la communication et la volonté de se com prendre plutôt que de s’acculturer… Vaste programme ! La dernière partie du livre, inspirée d’ateliers d’imagination et d’écriture, met en pratique les concepts explorés au cours d’une résidence où se trouvaient notamment les philosophes Bruno Latour et Vinciane Despret.

Cette dernière vient de publier Autobiographie d’un poulpe, qui prend la suite des idées de Vivre avec le trouble via un triple récit. Dans ce bref recueil, l’autrice explore la thérolinguistique, imaginée par Le Guin avec « L’Auteur des graines d’acacia », et l’extrapole au travers des connaissances actuelles dans les domaines scientifiques et artistiques. L’érudition s’y fait ludique, et les trois récits tournent autour du lien – rompu, recréé, ressuscité – des sociétés humaines avec la nature et les êtres vivants qui la composent. Le premier nous entraîne dans la lecture d’archives arachnéennes, le second donne à voir l’amabilité fécale des wombats via un discours, et le troisième, composé d’e-mails de chercheurs, tente de déchiffrer des poteries marquées par un poulpe. Celui-ci adapte son langage, pour y perdurer et être compris par les membres d’une enclave « compost ». De nombreux articles et sources ainsi que des références à d’autres penseuses et penseurs contemporains soutiennent ces trois nouvelles. Le tour de force de Vinciane Despret est d’en faire aussi bien de bons récits d’anticipation, quasiment de la hard science, version zoologie et éthologie, que des récits philosophiques… et surtout des récits panier : nous sommes là dans la cueillette, la récolte de données qui nous enrichissent aussi bien intellectuellement que symboliquement, et dans le fait de montrer un travail long, fastidieux, qui n’a rien d’héroïque au sens usuel de ce concept.

En réactualisant, dans une partie plus mainstream de notre culture, la pensée particulière d’Ursula K. Le Guin, en nous montrant aussi des chemins possibles, ces trois autrices provoquent notre imagination et nous poussent à réinventer notre façon de construire des histoires et de les raconter, mais aussi de les étudier. En proposant des analyses sérieuses, sans jamais oublier d’être ludiques ou drôles, et ainsi sans jamais asséner, elles s’inscrivent bien dans la veine de la créatrice de Terremer, qui invitait dans le fourre-tout de la fiction à « un réalisme étrange, certes, mais la réalité n’est-elle pas étrange ? »

Le Sang de la Cité

Qui n’a pas entendu parler de « La Tour de Garde », la saga de fantasy française la plus attendue cette année ? Car si le nom de Guillaume Chamanadjian ne vous dit rien (ou pas encore), celui de sa co-auteure, Claire Duvivier, est désormais un nom sur lequel il faut compter depuis la parution remarquée de son premier roman, Un long voyage (récompensé par les prix Hors Concours, Libr’à Nous et Elbakin.net). Pourtant, l’intérêt ne réside pas seulement dans ce duo d’auteurs, mais plutôt dans la construction narrative qui naît de cette collaboration : deux trilogies, « Capitale duSud » et « Ca pitale du Nord », menées respectivement par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier, qui se répondent au fur et à mesure de la progression de l’intrigue. Dans Le Sang de la Cité, le premier tome de la trilogie écrite par Guillaume Chamanadjian, nous faisons la connaissance du personnage central, Gemina. Car ne nous y trompons pas : si Nox, le jeune héros de cette aventure, réclame toute notre attention, Gemina, la Cité dans laquelle il évolue, en est bien la principale héroïne. Chaque rue génère une ribambelle de ruelles où se croisent des foules vivantes et oppressantes, où les odeurs grillées et herbacées se mélangent au gras des beignets dont les habitants se délectent et où les raisins qui murissent aux flans des collines donnent naissance à un vin qui servira de fil rouge à des intrigues secondaires. La Cité pulse au rythme de ses habitants, ceux de la maison de la Tortue, de celle des Dauphins, des Baleines, de l’Hirondelle et du Lapin, et jamais il ne sera question de poser le pied au-delà des murailles immenses qui encerclent cette ville aux accents italiens.

Nox, jeune bâtard et neveu du duc de la maison de la Caouane, dite de la Tortue, est commis d’épicier. Sa vie est bercée par les livraisons, les coups d’éclat de sa sœur, l’amour qu’il voue à la poésie et, surtout, aux parties de Tour de Garde, un jeu de plateau dans lequel deux joueurs s’affrontent pour détruire la ville de l’autre. Après une première expérience en tant qu’émissaire du duc de la Caouane, Nox se retrouve en possession d’un mystérieux livre de poésie dont l’un des poèmes, traitant du mythe fondateur de sa Cité, attire plus particulière son attention. Petit à petit, la mise en abyme s’installe, la Cité prend alors la forme d’un plateau de jeu que Nox, tel un pion, parcourt et retourne à sa guise pour disparaître dans un monde parallèle au sien et dont il apprendra à manier les codes grâce à ce fameux poème. Car c’est dans l’art, entre les lignes des légendes, dans le sang de la Cité, qu’il lui faudra aller pour trouver les réponses aux questions soulevées par ce premier opus. Le décor est planté, rassurant, le lecteur évolue en terrain familier car les références sont multiples, et on ne peut que dévorer ce récit initiatique classique mais assez original pour nous faire tourner avidement les pages. Reste à savoir si les tomes suivants sauront tenir leurs promesses et combler les attentes.

Indice des feux

Maison d’édition québécoise œuvrant depuis une quinzaine d’années, La Peuplade propose un catalogue aux choix assurés, à raison d’une dizaine de titres par an. Paru en ce début d’année 2021, sous une couverture à l’ambiance désolée – du genre Le Monde englouti rencontre Blade Runner 2049 –, Indice des feux est le premier livre d’Antoine Desjardins. Au programme : sept nouvelles. Amateurs de gaudriole et de franche rigolade, passez votre chemin. « À boire debout » raconte à la première personne la fin de vie d’un adolescent atteint d’une leucémie ; depuis sa chambre d’hôpital, il voit la pluie tomber sans fin et suit la fonte des glaces accélérée du Groenland. Poignant. Les nouvelles suivantes seront (heureusement ?) un brin moins tragiques. « Couplet », c’est le surnom donné à cette baleine noire de l’Atlantique – une espèce en danger critique d’extinction qui, en 2017, année où se déroule cette nouvelle, a subi une inquiétante surmortalité –, et à laquelle va s’intéresser le narrateur, alors que lui-même se prépare à devenir père. Mais à quoi bon en ce monde ? « Étranger », c’est cet homme qui tente de revenir chez lui après une nuit de beuverie, et ne se retrouve pas plus bienvenu dans la maison de son ex-compagne que les coyotes qui errent nuitamment dans les rues. La prise de conscience sera douloureuse. Placé stratégiquement au cœur du recueil, « Feu doux » raconte, via les yeux de son frère, le parcours d’un jeune prodige à qui tout est promis et qui préfère s’avancer toujours plus loin dans les marges du monde : n’est-ce pas la meilleure trajectoire au vu de l’avenir qui nous attend ? Foin d’apocalypse dans « Fins du monde » : la fin est ici le bout du monde civilisé, en l’occurrence cette impasse donnant sur une friche industrielle… un lieu promis à la réhabilitation – ou plutôt la destruction, selon le narrateur. « Générale » revient à un cadre naturel : pourquoi, dans ce recoin du Québec, les oiseaux ont-ils disparu du jour au lendemain ? Pour le comprendre, la tante du narrateur va remuer ciel et terre. Le recueil se conclut sur « Almus Americana », récit mélancolique où la fin de vie du grand-père du narrateur rejoint celle de cet orme majestueux planté dans le jardin. L’histoire prend alors des atours mythiques, mais la réalité n’est jamais loin – hélas.

Les sept nouvelles d’Indice des feux ressortissent à la science-fiction de manière très marginale : avec ses désastres climatiques, la première nouvelle pourrait en relever ; les autres tiennent davantage de la littérature générale. Pourtant, les amateurs d’Imaginaire auraient tort de s’arrêter à ces questions d’étiquette. Au fil de son recueil, l’auteur confronte ses personnages à la nature et aux prémices des désastres à venir, sans verser dans le catastrophisme ou le pathos à outrance. Rédigé dans une langue juste, intense, chacun de ces récits est empreint de cette angoisse existentielle face au dérèglement climatique. Indice des feux est une littérature en phase avec l’anthropocène. Et c’est salutaire.

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