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Les critiques de Bifrost

Une femme dans la lune

Une femme dans la lune

Théa VON HARBOU
TERRE DE BRUME
192pp -

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

De Thea von Harbou, aujourd’hui tombée dans un relatif oubli en dépit d’une œuvre prolifique, on ne souvient plus guère que de Métropolis — roman, puis film de son époux d’alors, Fritz Lang —, et de ses malheureuses accointances avec le parti nazi. On lui doit cependant un roman d’exploration lunaire : Une femme dans la Lune.

Toute sa vie, le vieux professeur Manfeld a rêvé des montagnes d’or de la Lune. Or, voilà que son ami Wolfgang Hélius se présente à lui muni de cette invitation : prendre place à ses côtés à bord d’un astronef de son invention. Les autres compagnons de voyage seront l’ingénieur Jean Windegger et sa compagne Frida Velten. Hélas, un certain Walt Turner, représentant d’un consortium financier, avertit Hélius : le voyage vers la lune se fera avec lui… ou ne se fera pas. Insaisissable malfaiteur, Turner est le genre d’homme qui ne lance pas des menaces à la légère, et Hélius est contraint d’obéir. Il ne peut non plus lutter contre la volonté d’airain de Frida, qui ne compte pas rester sur place pendant que son fiancé s’envole. Et c’est ainsi que l’astronef, propulsé dans l’espace par un avion, s’élance en direction du satellite naturel de la Terre. À son bord se trouve un passager clandestin : Gustave, un sympathique garnement. Les théories aurifères du professeur Manfeld, les machinations de l’étrange Walt Turner, la romance contrariée entre Hélius et Frida : tout cela se dénouera sur la Lune.

À l’inverse des romans de Verne, et dans la continuité de ceux de Burroughs, la Lune imaginée par Thea von Harbou se distingue par son caractère fantaisiste : il s’y trouve une atmosphère respirable, il s’y dresse des montagnes d’or et une race ancienne a vécu sur ce monde, y édifiant des cités cyclopéennes. Ce sont là les plus belles pages d’un roman passablement bancal. La narration fait la part belle à l’expressivité, voire à l’emphase (peut-être est-ce là un effet de la traduction, pas retouchée depuis sa prime parution en 1929 aux éditions Cosmopolites), les rebondissements de l’intrigue ne recèlent guère de surprise, et la galerie de personnages brille assez peu — à l’exception de Frida Velten, femme de caractère n’ayant rien de la princesse en détresse, qui ne se laisse guère intimider par ses (trop) prévenants amis ou ses ennemis.

Paru en 1928 en Allemagne, Une femme dans la Lune fut adapté au cinéma l’année suivante par Fritz Lang, alors marié (mais plus pour très longtemps) à son autrice. Avec ses cent cinquante minutes au compteur (la version restaurée dépasse les trois heures), c’est peu dire qu’il s’agit d’une adaptation exhaustive. Si les démêlés de Hélius avec Manfeld, Windegger et le doucereux Turner tirent en longueur, le film décolle à partir des préparatifs du décollage, justement, ce qui permet d’admirer une nouvelle fois le caractère visionnaire de Fritz Lang. Exemples : c’est une fusée qui propulse la capsule ; l’intérieur de celle-ci est abondamment équipé en poignées pour s’agripper en apesanteur ; à l’approche de la Lune, les vues de celles-ci préfigurent la réalité avec une certaine justesse. En dépit de sa durée, La Femme sur la Lune fascine par ses images souvent saisissantes. À vrai dire, au roman de Thea von Harbou, on préfèrera le film de Fritz Lang.

Erwann PERCHOC

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