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Les critiques de Bifrost

Une invasion martienne

Une invasion martienne

Paul J. MCAULEY
ROBERT LAFFONT
468pp - 22,00 €

Bifrost n° 51

Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51

Ça commence bien, comme « Radieux », la nouvelle de Greg Egan (dans le recueil éponyme aux éditions du Bélial'). D'emblée, on est plongé dans l'univers noir de l'espionnage industriel façon cyberpunk… Le problème, c'est qu'avant même d'en arriver à la page 20 le soufflé retombe fissa et, contrairement à la nouvelle d'Egan, Une Invasion martienne ne prend pas l'hyperbole.

Dans les années 30 — de ce siècle —, Chinois et Américains vont sur Mars à la recherche du Graal, à savoir, la vie extraterrestre. Les Chinois ont touché le jackpot, mais n'en ont rien dit car c'est potentiellement très lucratif. Bien que battus sur le terrain, les Américains tentent de prendre leur revanche dans le vestiaire et parviennent plus ou moins à exfiltrer un sous-produit de la vie martienne. Mais on ne la fait pas aux Chinois qui nous jouent illico un remake du Boeing coréen. Et plouf ! Voilà la vie martienne qui nage en eau libre dans l'océan Pacifique… Une vaste plaque d'organismes martiens se forme et ne tarde pas à se répandre dans toutes les mers du globe, y causant la mort du phytoplancton qui est à la base de la chaîne alimentaire. Cytex, la société de biotechnologie à l'origine de la catastrophe, organise le black-out sur les plaques et l'organisme martien, refusant d'en communiquer le séquençage génétique qui devrait générer de gigantesques profits.

Les Chinois décident de retourner sur Mars et les Américains leur emboîtent le pas. Il y a manifestement encore des secrets enfouis sous la glace du pôle martien… Les Américains disposant d'un vaisseau spatial propulsé à l'antimatière plus performant que l'engin chinois, ils pourront rester sur Mars après le départ des Chinois, de manière à pouvoir faire les poubelles de ces derniers.

Si la NASA semble maître d'œuvre, c'est Cytex qui finance et dirige en sous-main l'expédition. Celle-ci comprend trois membres : Anchee Ye, Penn Brown et Mariella Anders. La première est une biologiste de la NASA, le second est un scientifique de troisième ordre mais un intrigant de premier plan : c'est l'homme de Cytex, dont le but est que les résultats n'aillent nulle part ailleurs. Quant à Anders, personnage principal, c'est l'électron libre. Une chercheuse de première force déjà nobélisée pour avoir résolu la « Crise des Premiers Nés », une épidémie qui faisait avorter spontanément les femmes enceintes de fœtus mâles. N'en faisant qu'à sa tête, elle finit par se retrouvée liée à Cytex contre son gré…

Cette première partie, intitulée « La vie sur Terre », est relativement bien menée et intéressante. On est loin de toucher au génie, mais bon…

La seconde partie, « La vie sur Mars », nous conte l'expédition martienne elle-même et c'est long, très long… La S-F a connu trois planètes Mars fondamentales. La Barsoom d'Edgar Rice Burroughs, la Mars des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, et enfin la Mars réaliste de Kim Stanley Robinson. Et depuis K. S. Robinson, Ben Bova et quelques autres, en passant par Science & Vie et les illustrations de Manchu, la promenade dans les déserts de cailloux rougeâtres, on la connaît par cœur. Suivre l'expédition au pôle martien dans Mars la rouge était passionnant, désormais ça ne l'est plus, pas davantage qu'un long trajet en train de banlieue un jour pluvieux. Que les Chinois agonisant y jouent du fusil n'ajoute rien et on a quelque peine à croire à la mort de Penn Brown à propos de qui on paraphrasera San Antonio en disant qu'il est mort comme il a vécu, c'est-à-dire comme un con. Yé et Anders rentreront sur Terre en piratant le vaisseau spatial des feus Chinois dans le dessein de soustraire à Cytex les organismes martiens découverts…

La dernière partie, « La vie en fuite », tient à la fois du road movie et du jeu du chat et de la souris, mais on laissera le plaisir (?) de la découverte aux lecteurs (rares ?) qui l'atteindront…

On ne peut pas dire que ce roman soit véritablement mauvais, non, mais on n'en est pas moins déçu. Le manque de rythme est patent du début à la fin. Les longueurs s'enfilent comme des perles, notamment les nombreux passages où un sérieux bagage de biochimiste semble nécessaire à la pleine compréhension du texte et sans lequel ce pourrait tout aussi bien être ce splendide charabia pseudo scientifique propre aux débuts de la S-F. La balade martienne ne fait pas plus recette que la terrestre. Le plus gros défaut d'Une Invasion martienne est d'arriver trop tard, en tout cas après de nombreuses histoires martiennes qu'il ne parvient pas à renouveler (à la décharge de l'auteur, l'édition VO date de 2002, mais quand même !). Il présente toutefois l'intérêt non négligeable de mettre en scène l'avidité des sociétés de hautes technologies ne répugnant à rien pour asseoir leurs sacro-saints bénéfices. Les marchés de dupes passés entre les intérêts privés et les administrations sont remarquablement illustrés, de même que le mépris de l'intérêt général et celui des gens. Quoi qu'en dise la quatrième de couverture, McAuley souffre de la comparaison avec Michael Crichton (un comble !) dont les romans sont des exemples tant en matière de rythme que de tension dramatique. Si les deux auteurs abordent une thématique semblable, ils la traitent de manière radicalement différente. Où Crichton critique l'ultralibéralisme sur le mode du point trop n'en faut, dans une optique libérale au sens large, McAuley s'inscrit dans une opposition bien plus marquée, et le roman fait état de sa sympathie pour le mouvement écologiste et de sa foi, qui apparaît ici un brin naïve, dans la capacité mobilisatrice de la démocratie. Cette Invasion martienne n'est pas à repousser à tout prix.

Jean-Pierre LION

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