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Critiques de Bifrost

Poids mort

« — La société actuelle privilégie certains critères de beauté qui sont, disons, beaucoup trop exclusifs. Pourtant, on dit un "beau gros" et jamais "un séduisant maigre".

 Châtel émit un rire soulagé.

 — C'est vrai. Je n'y ai jamais pensé.

 Lanza lui entoura les épaules de son bras.

 — Tenez, par exemple, prenez Marlon Brando et Orson Welles. Vous savez quel est leur véritable point commun ?

 — Le talent ? risqua Paul

 Le professionnel du contact humain s'écarta subitement.

 — Non, trop banal. À Taxinom, on croule sous les demandes de gens talentueux. Je vais vous révéler ce qui lie Orson Welles à Brando : c'étaient des séducteurs. » (pp. 27-28.)

Engagé par Taxinom pour grossir contre rémunération, Paul Châtel s'empiffre et commence évidemment à prendre du poids, beaucoup de poids, jusqu'à mettre en danger sa santé (mentale, avant tout) et à s'aliéner sa famille. Aliénation d'autant plus facilitée qu'on lui a mis dans les pattes une énorme séductrice boudinée qui ferait passer n'importe quel hippopotame de zoo pour une ballerine roumaine. Mais que recherche Taxinom, cette étrange entreprise au service d'ordre fascisant, dont le nom provient du mot taxinomie, c'est-à-dire la « science des lois de la classification » ?

Xavier Mauméjean s'est imposé en sept ans (Les Mémoires de l'homme-éléphant a paru au Masque en l'an 2000) comme l'un des auteurs majeurs de l'imaginaire francophone, et ses deux derniers romans, La Vénus anatomique et Car je suis légion, lui ont valu une reconnaissance critique méritée. Malheureusement, Poids mort n'est pas du même niveau ; au-delà de la farce et de ses bons mots, passée cette scène d'amour d'anthologie qui permet de mieux appréhender l'expression familière « grosse cochonne », le texte finit par tomber à plat dans la piscine de notre plaisir de lecteur alors que, corpulence oblige, on était en droit d'espérer une bombe. Malgré cette déception, sanction classique quand on attend trop d'un auteur qu'on apprécie, ce titre est à ce jour le meilleur que j'aie lu dans l'aberrante collection « Novella SF » (on notera au passage la quatrième de couverture, incroyable, qui est un collage de certaines des phrases les plus percutantes du récit, avec en apéritif et digestif les première et dernière phrases du texte de Mauméjean).

Thomas « merde, faudrait quand même que je perde dix kilos » Day

Glyphes

Alfie Flowers, photographe de seconde zone, ne sera jamais grand reporter comme son célèbre géniteur, blessé au Cambodge puis mort au Liban, Reflex au poing. Sans doute est-il plus falot. Mais surtout, depuis une étrange expérience dans le bureau de son grand-père, qui venait juste de mourir, il souffre d'une forme atypique d'épilepsie. Que s'est-il passé dans ce bureau ? Il semblerait qu'il y ait vu un dessin auquel il n'aurait jamais dû être exposé — la reproduction d'un glyphe découvert en Irak — et son cerveau a fait un terrible court-jus qui l'handicape encore des années plus tard.

Alors qu'il se promène dans Londres, Alfie repère un nouveau glyphe, fait une crise d'épilepsie et se lance à la poursuite de l'auteur du dessin, un jeune graffiteur surdoué qui se fait appeler Morph et dont la famille serait originaire du Kurdistan irakien. Le problème, c'est que beaucoup de gens veulent retrouver Morph, notamment Harriet Crowley, liée au Nomad's club, sans oublier une bande de savants fous et de mercenaires ultra violents qui ont trempé dans une terrible tragédie à Lagos : le projet MindEye. Et qui ne sont pas à un ou dix meurtres près.

C'est en Irak, évidemment, au cœur du territoire kurde, que tout ce petit monde finira par régler ses comptes.

Paul J. McAuley est l'auteur de nombreuses nouvelles épatantes et d'une bonne quinzaine de romans. Citons Les Conjurés de Florence, excellent ; Féerie, brouillon pour certains, brûlot biopunk pyrotechnique pour d'autres ; Sable rouge, peu ou prou les sept mercenaires sur Mars, pas mal ; et enfin Les Diables blancs, un must. Glyphes, son dernier roman traduit, et dont le fond est passionnant de bout en bout, souffre à mon humble avis d'une forme bâtarde, d'un déséquilibre patent : la première partie, londonienne (pp 11 à 288) est longuette, bavarde, pleine de redondances et de scènes d'exposition mollassonnes ; la seconde partie, turco-irakienne (pp 289 à 458) n'est pas assez développée alors qu'elle contient tout ce qu'on veut savoir, tout ce qu'on voulait voir, toute la tension nécessaire. Au-delà de cette réserve, nous avons là un bon thriller qui mêle espionnage à la John Le Carré (on n'est jamais très loin de La Constance du jardinier), archéologie (le Robert Holdstock des Mythagos se rappelle souvent à notre bon souvenir) et sciences de la vie (médecine, biologie, biochimie). Glyphes est aussi le livre d'un auteur engagé (à gauche toute !), qui affronte le « bourbier » irakien sans condescendance ni pathos mal placé, et qui se permet une fin apaisée qui contraste complètement avec l'épilepsie dont souffre le personnage principal, haut-mal moderne qui symbolise sans doute les dommages collatéraux d'un monde d'information continue où plus personne ne peut synthétiser le flot de nouvelles qui le bombarde matin, midi et soir.

On conclura cette critique avec quelques mots choisis au sujet de l'épatante couverture de Jackie Paternoster, qui arrive à engendrer les effets secondaires des glyphes tels qu'ils sont décrits dans le livre : dix secondes d'exposition provoquent une certaine nausée et, passée la minute, c'est le mal de crâne assuré. Je me suis laissé dire qu'une exposition prolongée (deux ou trois jours, les paupières agrafées au front) pouvait transformer n'importe quel être de bon goût en low man (sorte de zombie obéissant, dont il est beaucoup question dans Glyphes) ; alors, surtout, ne tentez pas l'expérience chez vous, la vie est trop courte et ce nouveau roman de McAuley est certes trop long, mais pas à ce point.

Angemort

« Voir un démon violer un ange est une chose si stupéfiante que Maddalena avait reculé d'un pas, collant son dos contre un des murs de la salle, et avait croisé instinctivement ses mains devant sa poitrine. Devant elle, Asiel ouvrait son manteau et poussait son pénis dans la bouche de la jeune fille accroupie. Comme celle-ci bougeait et recommençait à sautiller sur place, il n'avait pas tardé à perdre patience. Sa main droite s'était refermée sur son cou, ce qui l'avait décapité net, et le corps frêle s'était effondré à ses pieds. Il avait enfoncé ses longs ongles dans la tête surprise. Celle-ci, bloquée et présentée de nouveau face au pénis du démon n'avait eu d'autre choix que de continuer son ouvrage : elle l'avait longuement sucé, répondant à son désir à petits coups de langue timides, et Asiel avait éjaculé sur le petit visage, son sperme le dissolvant, le défigurant comme de l'acide. » pp. 67-68 (moralité : un ange mort jamais ne mord).

Comme l'atteste le passage ci-dessus, choisi parmi tant d'autres du même acabit, Angemort redonne vie à la branche littéraire du théâtre de Grand-Guignol et, croyez-moi, la montée de sève est généreuse. Dans ce livre « gothique pour ta petite sœur de dix-sept ans qui se tripote en écoutant The Mediæval Bæbes, toute de noir vêtue », ça baise, ça meurt, ça mutile, ça domine en cuir noir, ça rêve d'immortalité, le tout dans des endroits sacrés, poussiéreux, souterrains et, si possible, les trois à la fois. Là où le bât blesse, c'est que cet amusant catalogue de perversions à la Brenda Love (nécrophilie, coprophilie, pédophilie, zoophilie, tératophilie, somnophilie, ondinisme et j'en oublie) est servi par une écriture en dents de scie, parfois maîtrisée (on sent alors que Sire Cédric a un vrai talent, on pense à Clive Barker ou Poppy Z. Brite), parfois grotesque (ce pauvre garçon n'a visiblement jamais eu de véritable éditeur, en tout cas pas sur cet ouvrage qui ne viole pas que les anges, la langue française passant à la casserole plus qu'à son tour). Ajoutez à cela une intrigue très peu palpitante (Maddalena a besoin de la peau de l'ange mort pour accéder à l'immortalité, mais cette peau a été acquise par un riche collectionneur de rebuts macabres : Cheverny) et une construction un brin bordélique, rythmée par des clichés gros comme des mammouths habillés de vinyl et de broderies noires.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre où les protagonistes se délectent de leurs molles déjections tout en baisant façon « SM-Nazi » et, à bien y réfléchir, je me dis qu'il y a des lecteurs (non avertis) qui, contrairement à moi, ne vont pas du tout trouver ça amusant… Notamment les parents des gamines de dix-sept ans qui se tripotent en écoutant The Mediæval Bæbes, parents qui préféreraient que leur progéniture fasse ses devoirs à la place et arrête de s'habiller façon « pute de cimetière ».

Sire Cédric (qui heureusement n'a pas l'air de se prendre trop au sérieux) est à la littérature contemporaine ce que Marilyn Manson est à la « musique pour jeunes », mais c'est un Marilyn Manson de soirée estudiantine suralcoolisée, au maquillage raté, au costume mal ajusté. On peut trouver un plaisir évidemment pervers à regarder œuvrer ce sosie approximatif ; on peut aussi passer son chemin en se disant qu'on ne perd pas grand-chose.

En tout cas, voilà un premier roman francophone qui sort de l'ordinaire…

Thomas (obsé-)Day

Pig Island

Joe Oakes, surnommé Oakesy, est un journaliste spécialisé dans les phénomènes dits paranormaux. Phénomènes évidemment bidons qu’il passe son temps à décortiquer, ce qui lui a valu de se faire quelques ennemis, notamment Malachi Dove, le gourou du Ministère de la Cure Psychogénique, une secte dont les membres refusent toute forme de soins médicaux.

Installée sur Pig Island, au large de l’Ecosse, la secte s’est récemment débarrassée de l’influence de Dove et invite Oakes à visiter ses cottages, sa chapelle, et à rencontrer ses membres. Cela tombe particulièrement bien, car il existe une vidéo de Pig Island sur laquelle on voit « le Diable », si on en croit certains crédules. Un massacre attend Oakesy… Trente et une victimes, pas moins. Mais qui est la trente et unième ?

Après l’excellent Tokyo, Mo Hayder fait une chute qualitative vertigineuse et nous propose un thriller mou des genoux où il est question de sacrifice de cochons, d’adultère, de pollution chimique, de folie et d’anormalité physique. En dehors du fait que tout ça possède un violent parfum de déjà vu (Le Silence des cochons agneaux, La Part des ténèbres, The Wicker man, Breaking the waves…), le moins que l’on puisse dire c’est que ni Hayder ni son traducteur ne se sont foulés niveau style. Voilà un livre de 400 pages, qui, réduit à 200 et relevé par un style à la Cormac McCarthy (ou à la Thierry Di Rollo), aurait pu convaincre ; en l’état, c’est longuet et rarement intéressant (malgré une ou deux fulgurances dans le premier tiers). Sans oublier la fin (l’inévitable twist final), qui relève du pur foutage de gueule ; non seulement on la voit venir de loin mais, en plus, elle ne tient pas la route.

A éviter, non pas parce que ce livre est nul (il est facile de trouver plus nul), mais parce que les bons livres ne manquent pas. Même vos voyages en train méritent mieux que Pig Island.

Winkie

Winkie est un ours en peluche plutôt miteux. Mais c'est aussi un terroriste multirécidiviste, un terrifiant conspirateur, dont le but ultime est de renverser le gouvernement des Etats-Unis. C'est en tous cas ce que prétend la justice américaine. Et ce n'est pas tout. Winkie est également accusé des délits suivants : cent vingt-quatre tentatives de meurtre ; travestissement en femme ; blasphème ; sorcellerie ; enseignement de la théorie de l'évolution à l'école ; viol dans le cadre d'un rituel satanique ; obscénité ; diffusion de la fausse doctrine selon laquelle le Soleil est au centre de l'univers… Comment en est-on arrivé là ? Et qui est vraiment Winkie ? Un ours en peluche un peu moisi, l'ennemi public numéro 1, ou les deux à la fois ? Vous le saurez en lisant Winkie, de Clifford Chase. Et vous ne le saurez que si, et seulement si, vous lisez ce livre. Car rien n'est simple dans ce qu'il faut bien appeler « l'affaire Winkie ». C'est même tellement compliqué qu'un petit résumé des faits s'impose : Winkie a d'abord appartenu à Ruth Chase, la mère de Clifford Chase. Elle en a ensuite fait don à ses enfants successifs. Mais ce qu'aucun des membres de la famille Chase n'a deviné, c'est que Winkie n'est pas qu'un simple jouet inanimé. C'est un être conscient. Et un soir d'ouragan, l'impossible se produit : Winkie s'anime, prend vie, et s'enfuit dans la forêt. Il va y faire la rencontre d'un étrange professeur, ermite et terroriste à ses heures perdues…

Winkie, premier roman de Clifford Chase, est un bouquin malin. En apparence, il s'agit d'une fable animalière légèrement décalée, avec pour personnage principal un ours en peluche. Et quoi de plus inoffensif qu'une histoire de gentil nounours ? Mais très vite, Clifford Chase sort ses griffes, met un tigre dans son moteur et se métamorphose en écrivain teigneux et militant. À partir de là, son ambition est claire : écrire une satire au vitriol du système judiciaire américain, une critique sociale radicale et un réquisitoire sans appel contre l'Amérique selon G. W. Bush. Avec pour seule arme l'humour. Un humour absurde, nonsensique, frapadingue, et tout à fait explosif. Pari réussi. Car on rit beaucoup en lisant les mésaventures de ce pauvre Winkie. Arrêté puis emprisonné, le voilà devenu le héros involontaire d'un procès très médiatique. Pour la justice américaine, Winkie est l'ennemi, l'autre, l'étranger. Celui qu'on ne comprend pas, mais sur lequel se focalisent toutes les haines, toutes les peurs. Et là, Clifford Chase a une idée formidable : il utilise de courts extraits de procès réels. Procès d'Oscar Wilde, de Galilée, des « sorcières » de Salem… Effet comique garanti ! Et manière de démontrer, une fois de plus, que la réalité est parfois plus délirante que la plus délirante des fictions. Au-delà de ça, c'est surtout pour Clifford Chase l'occasion de faire le procès de l'obscurantisme et du fanatisme religieux.

Malgré quelques faiblesses (une écriture parfois un peu maladroite, quelques longueurs), Winkie est donc une belle surprise. Un premier roman hors normes, rusé et courageux. Un petit missile littéraire lancé à la face de l'Amérique bien-pensante et néo-conservatrice. Un peu à la façon de Roland C. Wagner dans La Saison de la sorcière et L.G.M., Clifford Chase utilise la fable, l'allégorie, pour faire passer un message ouvertement politique. Et pour le faire sans lourdeur. Certains passages de Winkie sont franchement hilarants. On passe un très bon moment en compagnie de cet ours en peluche un peu particulier. Et que les âmes sensibles se rassurent : il s'en sort à la fin, et ne termine pas sa vie en prison. Bravo Winkie !

Personne ne regarde

Si vous êtes en ce moment plongé dans la lecture d'un pavé de S-F de 700 pages (ou d'un cycle de fantasy en 23 volumes !), et que vous voulez faire une pause, histoire de souffler un petit peu, voilà le livre qu'il vous faut : Personne ne regarde, de Davis Grubb. Douze nouvelles ultracourtes, qui slaloment allégrement entre thriller horrifique, fantastique et science-fiction old school. Un excellent recueil, paru en 1965, jusqu'alors inédit en France, et dont on se demande bien pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour qu'il soit enfin traduit sous nos latitudes.

Davis Grubb n'est pourtant pas un complet inconnu. C'est en effet à lui qu'on doit La Nuit du chasseur, un roman étonnant, magistralement adapté au cinéma par Charles Laughton, et devenu un film culte pour toute une génération de cinéphiles. À le relire aujourd'hui, c'est vrai que le roman n'est pas sans défaut (beaucoup de longueurs inutiles). Et il est vrai aussi que le film, onirique et pervers, possède un charme vénéneux et brutal qui n'est présent dans le roman que par intermittence. Mais tout ça ne justifie sûrement pas le fait que l'œuvre de Davis Grubb soit tombée dans un quasi oubli.

Dans Personne ne regarde (Twelve tales of suspense and the supernatural en VO), ce qui étonne d'emblée, c'est le sens du rythme, de la concision, et l'énergie dont fait preuve Davis Grubb. Chaque nouvelle est construite sur le même schéma : un début intriguant, déroutant pour le lecteur ; un développement ultrarapide ; et une chute inattendue, souvent macabre, parfois hilarante. Mais si la construction est toujours identique, ce qui frappe, en revanche, c'est la diversité des thèmes, l'inventivité et la variété des genres abordés : fantastique, science-fiction, épouvante… On ne sait jamais où l'intrigue va nous mener, quelle direction elle va finalement prendre. Par contre, on devine très vite qu'avec Davis Grubb, tout est possible, y compris le délire total : douze rats, devenus juges et bourreaux, qui vengent la mort accidentelle d'un vieux marin (« Le Rat de Busby »). Un mari jaloux qui, suite à une fièvre typhoïde, découvre qu'il a la capacité de sortir de son enveloppe charnelle, et ne trouve rien de mieux à faire que d'utiliser ce corps immatériel pour terroriser sa femme (« La Malle en crin de cheval »). Un technicien travaillant pour la télévision qui utilise la réflexion des ondes hertziennes comme moyen de téléportation (« Personne ne regarde »)… Rien n'arrête l'imagination frénétique de Grubb. Et inutile de dire qu'il ne s'embarrasse pas d'explications scientifiques. C'est drôle, cruel, souvent incisif. Comme dans cette autre nouvelle, un petit bijou intitulé « La Radio » : l'histoire d'un couple torturé à domicile par une radio qui émet en permanence et qui les matraque de messages publicitaires. Evidemment, tout ça finira mal, très mal. Car on se venge beaucoup chez Davis Grubb, et on assassine de toutes les manières possibles et imaginables. Chaque nouvelle est un cocktail détonnant, un savoureux mélange de fausse naïveté et d'humour noir. On pense à d'autres grands maîtres de la nouvelle : Fredric Brown, Robert Bloch, voire même parfois à Richard Matheson. Et on n'est pas du tout surpris d'apprendre qu'un des textes de Personne ne regarde (« Tu ne me crois jamais ! »), a fait l'objet, en 1965, d'une adaptation pour la télévision, dans la mythique série Alfred Hitchcock Presents. En résumé, et pour conclure : Personne ne regarde est un livre que tout le monde devrait lire. Car un peu de méchanceté et d'humour macabre, dans notre société si policée, ça fait du bien. Et pas seulement aux zygomatiques.

Les Ombres

Au début, on est un peu inquiet : un roman de Neil Jordan, le cinéaste ? Le réalisateur, entre autres, de The crying game, et d'Entretien avec un vampire ? Ah bon, il écrit aussi ? Et on se demande si ce n'est pas un caprice d'enfant gâté d'Hollywood. Il faut dire que dans la catégorie « roman écrit par un cinéaste célèbre », on a lu tout et n'importe quoi. Et on se souvient — avec un frisson d'horreur rétrospectif ! — du récent Fountain society, le « roman » de Wes Craven : rien moins qu'un torchon usagé que Stephen King aurait pu écrire en cinq minutes top chrono, un soir de cuite sévère. Bref, on est un peu méfiant. Eh bien, pour cette fois au moins, on a tort. On commence à lire Les Ombres, et au bout de seulement quelques pages, l'évidence s'impose : Neil Jordan est également un écrivain, un vrai. Et qui ne manque pas d'ambition. Car Les Ombres n'a rien d'une œuvrette facile et racoleuse. C'est un roman ample, violent, complexe. Un de ces romans qui peut agacer ou fasciner, c'est selon, mais qui ne laissera personne indifférent.

La première phrase, simple et énigmatique, donne tout de suite le ton du récit : « Je sais exactement quand je suis morte. » Celle qui s'exprime ainsi, c'est Nina Hardy, une actrice de cinéma. Le quatorze janvier 1950, elle est sauvagement assassinée par son jardinier et ami d'enfance, George. Il se débarrasse du cadavre, après l'avoir décapité, en le jetant dans une fosse septique. Un meurtre horrible, mais qui ressemble étrangement à un acte d'amour. Pour Nina Hardy, le temps s'arrête. Mais au-delà de sa mort physique, tout le reste continue. Le passé, le présent et le futur ne forment plus qu'un. Elle comprend qu'elle a toujours été son propre fantôme. Et c'est tout l'enjeu de ce surprenant roman. La vie de Nina défile alors devant ses yeux, comme un film. Un film dont elle est à la fois actrice et spectatrice, depuis toujours. Car son propre fantôme a sans cesse été là, présent, depuis le début, depuis sa naissance. On l'aura compris, le parti pris qu'adopte Neil Jordan, dès les premières lignes du roman, n'a rien d'évident. C'est même un pari narratif assez osé, et qui exige du lecteur une concentration maximale. La suite est pourtant beaucoup plus « classique » : en 1900, Nina a trois ans. Elle vit en Irlande, à Bartlay House, la vaste demeure de ses parents. C'est une petite fille fantasque, à l'imagination galopante, et qui vit perpétuellement dans une sorte de réalité parallèle. Entre contes et légendes, Nina s'invente des histoires et parle régulièrement à une mystérieuse amie secrète, une présence fantomatique qu'elle est la seule à voir. Elle fait ensuite la connaissance de Janie et de son frère George, un garçon un peu simplet. Puis c'est l'arrivée à Bartlay House de Gregory, demi-frère de Nina, dont elle ignorait jusqu'alors l'existence. Ces quatre enfants sont vite inséparables. Et au fil des années, au sein de cet étrange quatuor, des relations amoureuses apparaissent. Mais la guerre y met fin. George et Gregory s'enrôlent dans l'armée. Nina avorte, et part pour Liverpool, où elle entame une carrière d'actrice…

Les Ombres n'est donc pas seulement un très beau portrait de femme en quête de son identité, c'est aussi une vaste saga qui s'échelonne sur une cinquantaine d'années. Entre classicisme et modernité, Neil Jordan ne choisit pas vraiment. Le texte est d'ailleurs truffé de références — directes ou indirectes — à la littérature du XIXe siècle (Charles Dickens, Henry James, Emily Brontë…), et peut presque se lire comme un remix modernisé des Hauts de Hurlevent. C'est surtout un roman qui se mérite, car Neil Jordan ne ménage pas son lecteur : d'une page à l'autre, on change brutalement d'époque, de point de vue. Et avouons-le, il n'est pas toujours facile de s'y retrouver dans ce récit qui nous est livré façon puzzle. Mais pour tous ceux qui auront le courage de se plonger dans ce maelström de 367 pages, on peut parier que l'émotion sera au rendez-vous. Car Neil Jordan, en tant qu'écrivain, a du souffle. Il parvient surtout à entretenir, tout au long du récit, un climat très particulier : brutal, chaotique, envoûtant et largement teinté de surnaturel. Entre rêve et réalité, toute la magie de l'Irlande est là, et bien là. Et c'est sans doute ce qui donne à ce roman une tonalité unique, vibrante, à laquelle il est difficile d'échapper, même une fois le livre refermé. Les Ombres est une œuvre qui impressionne durablement. À tel point, d'ailleurs, qu'on finit par se poser la question : est-ce que finalement Neil Jordan n'est pas meilleur écrivain que cinéaste ? Le débat est ouvert…

Spirit 59

Fuyez !

Telle aurait pu être la plus courte critique publiée dans Bifrost, et accessoirement un joli score au scrabble, avec un Y et un Z.

Cependant, histoire d'être en paix question conscience, développons un peu tout ça.

Commencez par vous mettre en tête Born to be wild, et remémorez vous Easy rider. À la place de Steppenwolf, imaginez plutôt Born to be wild repris par Vincent Delerm. À la place du film, imaginez un livre, avec la caméra de Dennis Hopper remplacée par un texte de Serguei Dounovetz. Et à la place de Peter Fonda, imaginez plutôt un über-Steven Seagal du nom de Dick Roy. Enfin, à la place de la bécane de Peter Fonda, prenez ce qui sera en 2050 une « antique MZ 1000 SF Streetfighter ». Oui, 2050, parce que je ne vous avais pas dit que nous avons fait un bond dans le temps. Vers un futur pas rose du tout, où l'on connaît quand même encore Street fighter. Vous savez, le jeu vidéo devenu au cinéma l'un des meilleurs nanars de Van Damme, dont cette novella est un peu le pendant littéraire.

Mais revenons d'abord sur Dick Roy. C'est un ancien soldat, qui est revenu couvert de médailles des quatrième et cinquième guerres du Golfe. Son incroyable bravoure a une explication simple : ses parents ont été tués quand il était mioche. Il a depuis perdu tout goût à la vie. Il n'avait donc plus qu'une solution : faire la guerre, puisqu'il n'a plus rien à perdre. Puis quand la paix est revenue, cette tête brûlée est devenue flic.

Mais attention, pas une chiffe molle de fonctionnaire ! Plutôt un flic privé de l'UMDLF. L'UMDLF, c'est l'Union des Marshalls qui en ont Dans Le Fallz. Oui, vous avez bien lu ! L'UMDLF se partage le marché de la sécurité de Montpellier avec la SARKO, nommée ainsi en dérision, histoire de railler celui qui fut un ministre de l'intérieur incompétent sauf en esbroufe.

C'est donc pour aller chez son boss que Dick — le marshall qui en a dans le fallz — enfourche son « antique MZ 1000 SF Streetfighter », et en fait vrombir le moteur à l'aide de sa grosse botte de motard viril.

Get your motor runnin'

Head out on the highway

Malheureusement, Steppenwolf ne pourrait plus se permettre de chanter ça. Parce que la Terre est littéralement rongée par la pollution. La Méditerranée n'est plus qu'un vaste dépotoir où l'on ne peut même plus se baigner en combinaison étanche comme au bon vieux temps. Le ciel est toujours couvert, et l'air est saturé de saloperies bleues. Et quand c'est le cas, croyez-moi, vous avez intérêt à rester cloîtré. Seuls les flics qui en ont dans le falzar et les androïdes sortent. Donc, Dick Roy avale les kilomètres pour se rendre à son boulot, au guidon son « antique MZ 1000 SF Streetfighter ».

Le boss de Dick lui apprend alors qu'il doit partir en chasse avec les quatre autres gars de son équipe, les Spirit 59 (en hommage à Buddy Holly). Ils doivent appréhender une bande d'androïdes rebelles : des MC5 dirigés par un Sham 69. Sous ces noms de groupes de rock se cachent en réalité des androïdes, masculins pour les MC5, et plantureusement féminin pour la Sham 69.

Voilà donc notre équipe de têtes brûlées qui en ont dans le falzar prête à aller arrêter nos androïdes, pour les remettre vifs à leur boss. Sauf qu'ils se font presque tous décimer. La main de Spirit 59 a perdu quatre doigts, et il ne reste plus que Dick, sauvé par son instinct. Il est vraiment aware, Dick. Il va d'ailleurs en profiter pour sauver la Sham 69, car il sent que quelque chose n'est pas clair. L'instinct du motard aware qui en a dans le falzar, sans doute. Et bien sûr, il va se rendre compte qu'il est au centre d'un enjeu qui le dépasse, et que son patron le manipule depuis le début. C'est alors que commence la course poursuite qui tient lieu d'intrigue. Intrigue parsemée de quelques scènes coquines entre Dick et la Sham 69, jusqu'à une conclusion que l'on voyait venir depuis… le début ou presque.

Récapitulons donc :

Un héros digne de Gérard de Villiers (impression d'ailleurs confirmée par la couverture, la touche S-F tenant au tuyau d'aspirateur greffé à la plantureuse femme dénudée qui illustre la couverture).

Une finesse politique digne de Kesselring.

Une intrigue qui lorgne vers Blade runner revu et (sévèrement) corrigé par Alexis Aubenque.

Le tout en 154 pages, emballées dans une couverture jaune et rose fluo. Y a vraiment pas à dire : le goût tient autant au fond qu'à la forme. Tout cela pour la somme fort peu modique de 12, 90 euros. Oui, 12 euros et 90 centimes, alors qu'il ne s'agit que d'une novella médiocre et mal écrite sans même l'excuse du coût d'une traduction. Soit plus de 80 francs pour un livre de poche non traduit !

Dès lors, je te l'assure, ô cher lecteur, le doute n'est plus permis : le rapport médiocrité/prix est tel que même Alexis Aubenque et Bernard Werber sont battus.

« Dick Roy alluma un beedis en songeant que, lorsqu'on avait atteint le pire, il fallait toujours s'attendre à pire. »

Ite missa est : ce livre a bel et bien trouvé sa place. Dans la poubelle de Bifrost, il ne dépareillera pas aux cotés d'Aubenque et Werber. Il fera en plus ton sur ton avec Quartier bleu : que demander de plus ?

Ah oui, le DVD de Streetfighter, avec Jean-Claude Van Damme.

Le Dernier Monde

« Inclassable, alliant un suspense très efficace à une poésie singulière, ce roman, qui n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction, apparaît comme l'un des plus inspirés, des plus originaux de ces dernières années. Cette odyssée du dernier homme sur la Terre emprunte avec une étonnante puissance verbale à la technologie contemporaine comme aux plus anciennes sagas de l'humanité. »

Troisième roman et premier pavé pour Céline Minard, ce vaste bouquin de 514 pages intrigue.

Il intrigue parce qu'il est publié dans une collection mainstream. Or, il commence dans une station spatiale. Dans cette station se trouve Jaume Roiq Stevens, le héros de l'histoire. Un incendie s'y déclare, et tout le monde évacue. Tout le monde sauf Jaume, parce qu'il est jeune et rebelle, mais surtout convaincu que l'incendie ne présente aucun danger. Une fois ce dernier éteint, il apprécie les délices de la solitude spatiale, tout en gardant un contact radio avec la Terre. Jusqu'à ce que le contact soit rompu. Jaume pense d'abord à une avarie technique. Puis il envisage la folle hypothèse de la disparition de l'humanité… et décide de rentrer sur Terre, à Cap Canaveral. Il se rend alors compte que son intuition était juste : les humains semblent avoir disparu de la surface de leur planète. Point d'apocalypse nucléaire ou autre, puisque la nature est luxuriante. L'homo sapiens semble s'être évaporé en plein milieu d'une journée ordinaire. Jaume se demande donc où est passé le nageur dont il trouve le maillot de bain au fond d'une piscine — je vous fais grâce de la marque : si vous voyez Céline sur la plage cet été, regardez la marque de son maillot, l'auteure l'aura peut-être eu gratuitement contre cette petite séquence publicitaire… Puis Jaume a l'idée de visionner les vidéos de surveillance d'un centre commercial. Une étrange catastrophe semble avoir pris tout le monde au dépourvu, si l'on en croit ces films muets en noir et blanc. Etrange catastrophe qui n'a frappé que les humains, puisque tout est intact. Jaume décide alors de partir de Cap Canaveral pour parcourir le monde à la recherche d'éventuels survivants. Comme il est seul dans son coin de Floride, on comprend facilement qu'il n'ait que ça à foutre. Au volant d'une voiture empruntée, il se lance à travers les USA. La suite de son périple le conduira sur les autres continents, à la recherche d'éventuels survivants.

Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas dans un roman de S-F.

Frottez-vous les yeux, pincez-vous : oui, nous ne sommes pas dans un roman de science-fiction. C'est bel et bien ce qu'affirme le site de Denoël, dont l'exergue de cette critique est tiré.

Certes, les satellites et les hommes dans l'espace ou sur la Lune sont une réalité. La science-fiction n'en a plus le monopole. Mais tout de même ! La disparition de l'homme, le dernier homme sur Terre, ce n'est pas de la S-F ? Car pour autant qu'on sache, l'homme n'a pas (encore) disparu. Le Monde enfin de Jean-Pierre Andrevon serait-il alors du mainstream publié dans une collection de S-F (en l'occurrence, « Rendez-vous ailleurs ») ?

Pourtant, le site de Denoël nous l'affirme haut et fort : « Ce roman […] n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction. » Oui, vous avez bien lu. Pincez-vous à nouveau, frottez-vous à nouveau les yeux : « Ce roman […] n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction. » Passons donc outre nos légitimes réticences sur cette spoliation, et penchons-nous d'avantage encore sur « ce roman, qui n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction ».

Curieux début, puisque le roman commence au milieu d'un verbe, qui semble conjugué au conditionnel. Oui, à la seconde moitié d'un verbe coupé en deux. Pourquoi donc ? Vous le saurez si vous tenez jusqu'à la page 480. Et oui, pour comprendre le mystère de ce premier chapitre, il faut endurer stoïquement près de 450 pages d'inepties. En effet, comment juger autrement cette vaste odyssée coprolalique du dernier homme sur Terre ? Les descriptions qui lorgnent vers le Ballard des Vermilion sands ne sont qu'un alignement de fadeurs plates, profondément ennuyeuses et totalement creuses. On pourrait aussi penser par moment que l'auteur lorgne vers William Burroughs. Sauf qu'en lieu et place des délires dévergondés du génial junky, nous avons ici droit à un alignement consternant de scènes érotiques profondément soporifiques qui se veulent trash, et n'en sont que plus ennuyeuses et pitoyables. N'est pas Samuel Delany (Hogg) qui veut, loin de là !

Je ne résiste d'ailleurs pas au plaisir de vous en faire partager un petit florilège :

« Le barrage de Gezhouba est comme un Prince-Albert sur la bite de la Chine, il traverse l'urètre et ressort sur le frein, quand les eaux gonflent, le lit gonfle, le piercing s'incurve. » (p. 260) « Le gode en pénétrant faisait un petit bruit de pet mouillé. » (p. 261) « Wei lâcha une série de pets parfumés, lui colla sa chatte juteuse dans la bouche et pissa violemment au moment où l'Echampson affolé perdait pied et partait en pétard. » (p.264)

Le lecteur, frustré, ne saura pas à quoi les pets de cette Wei imaginaire, issue des délires de Jaume, étaient parfumés. Mais admirez tout de même le passage du pet au pétard, ou comment cette écriture pétaradante ne brasse finalement que du vent. Pardon : des vents.

Je vous fais grâce des pages précédentes, inoubliables variations sur la scatologie porcine. Leur seul intérêt est de nous mettre, en quelques dizaines de pages, la matière dans tous ses états : solide (étrons), liquide (urine) et gazeux (vents). De quoi combler les amateurs de hard science…

Finalement, « ce roman, qui n'appartient pas du tout au genre de la science-fiction », illustre une chose fondamentale : le sectarisme peut avoir du bon. Lisez les livres de S-F conseillés ce mois-ci. Lisez simplement de la S-F : vous éviterez ainsi Céline Minard, qui n'en écrit pas. Tant mieux pour la S-F.

Fournaise

Prosper Grégoire Leung — surnommé Spur — vit sur Walden. Ce monde a été acheté par un riche propriétaire qui a décidé d'y installer l'Etat Transcendant fondé sur la « simplicité volontaire ». Tout colon qui désire s'y rendre doit prôner le retour à la terre et l'abandon de toute technologie superflue (restent quand même de nombreux artefacts technologiques bien pratiques tels que matériel hospitalier ou camions). Toutefois, Walden était précédemment peuplée des seuls Pukpuks, qui admettent mal devoir partager leur planète avec de nouveaux arrivants, surtout quand ceux-ci ont une fâcheuse tendance à étendre peu à peu leur zone d'habitation…

Ce court roman — cette novella, en fait — est directement inspirée par la vie et les idées du philosophe transcendantaliste américain Henry David Thoreau (1817-1862), auteur notamment de La Désobéissance civile (1849) et fervent défenseur de la condition humaine. Durant deux ans, entre 1845 et 1847, Thoreau s'isole volontairement du monde pour vivre dans une cabane au bord de l'étang de Walden, d'où le nom de la planète dans le roman de Kelly. Ce dernier se livre ici à une transposition de la pensée de Thoreau dans un cadre science-fictif. Spur et les siens s'isolent ainsi délibérément du monde d'en haut, tout en ayant parfaitement conscience de son existence ; Spur ouvrira néanmoins la boîte de Pandore en contactant l'un des citoyens d'en haut, qui décidera de se rendre sur Walden. La confrontation entre les deux civilisations sera riche d'enseignements pour chacun des camps, même si l'indifférence du monde d'en haut envers la destinée de l'Etat Transcendant confortera Spur dans sa volonté de rester sur son monde. Mais, pour Kelly, l'utopie n'est pas toujours possible, car il existe parfois des désirs incompatibles : ainsi, les Pukpuks voient d'un mauvais œil le reboisement de la planète pourtant cher aux nouveaux colons de Walden… Il n'existe pas de bonheur ultime, d'utopie valable pour tous, et la solution est loin d'être unique. Un constat amer.

Au-delà de son propos, ce livre est tout de même assez étrange. On ne sait pas trop où veut vraiment nous emmener l'auteur, et certains personnages ont des motivations plutôt obscures (ceux d'en haut) ou des réactions bizarres (les amis de Spur acceptent beaucoup trop facilement l'arrivée de ceux d'en haut). De plus, beaucoup de thèmes sont effleurés ; on aurait notamment souhaité connaître plus en détail ces pukpuks, ou les raisons de la présence de si nombreux artefacts technologiques sur une planète censée les réprouver. Cette brièveté de traitement procure le sentiment d'un texte agréable, mais sans véritable relief. À cette époque de gros pavés, Kelly a la bonne idée de nous proposer un texte court ; paradoxalement, il pâtit justement de ce choix, car il n'a pas la possibilité d'approfondir. La transposition de la pensée de Thoreau en S-F était une bonne idée, celle de lui faire prendre la forme d'une novella une moins bonne.

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