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Les critiques de Bifrost

La chanson d'Arbonne

La chanson d'Arbonne

Guy Gavriel KAY
L'ATALANTE
28,50 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Réédité dans une nouvelle et belle édition brochée, La Chanson d’Arbonne faisait partie des introuvables de Guy Gavriel Kay dans l’Hexagone, du moins si l’on ne souhaitait pas hypothéquer un rein pour l’acheter sur le marché de l’occasion.

Après s’être acquitté de sa dette envers Tolkien avec « La Tapisserie de Fionavar », et plus largement envers la high fantasy, l’auteur canadien peaufine avec La Chanson d’Arbonne une vision plus personnelle du genre, née de sa passion pour l’Histoire et pour la culture méditerranéenne. Ce roman fait en effet directement allusion au pays de langue d’Oc et plus particulièrement à la Provence médiévale. Kay y déploie toute son admiration pour le fin’amor, cet art de vivre et d’aimer porté par les troubadours et autres ménestrels. Il fantasme ainsi une terre imaginaire, l’Arbonne, aux vignobles ensoleillés, peuplée de seigneurs et poètes aussi redoutables avec les mots qu’avec leur épée, un pays de cocagne ceint de montagnes élevées, la protégeant des convoitises de ses voisins ombrageux, mais hélas pas des mauvaises rumeurs qui courent sur ses femmes. Dans son voisinage, l’austère royaume du Gorhaut se révèle au cœur de toutes les intrigues. Adorant le dieu mâle Corannos, son aristocratie voit d’un très mauvais œil cette riche contrée gouvernée par une femme et soumise aux caprices de la déesse Rian. Mais surtout, l’Arbonne suscite la haine du primat du clergé du Gorhaut, un homme ambitieux qui rêve de croisade et de châtiments sanglants afin d’éradiquer l’hérésie féminine qui y prévaut.

La Chanson d’Arbonne reconduit la plupart des thèmes effleurés dans Tigane, en poussant un peu plus loin la rupture avec la high fantasy. On y retrouve cette volonté de tolérance qui sous-tend l’ensemble de l’œuvre de Guy Gavriel Kay, manifestation morale qu’il ne faudrait pas confondre avec de la naïveté. Pour avoir beaucoup étudié l’Histoire, l’auteur canadien sait que l’être humain n’est pas naturellement bon. Si l’Arbonne doit beaucoup à la Provence, Cygne de Barbentain ou Ariane de Carenzu empruntent sans doute une grande partie de leurs traits à Marie de Champagne ou Aliénor d’Aquitaine. Quant au Gorhaut et à sa croisade, il s’inspire évidemment de l’expédition contre les Albigeois, décrétée par la papauté au XIIIe siècle. Néanmoins, il ne faudrait pas restreindre La Chanson d’Arbonne à un simple décalque de l’histoire de l’Occitanie médiévale. Bien au contraire, Guy Gavriel Kay utilise sa grande connaissance du sujet pour donner vie à la contrée et à ses habitants, jusque dans le moindre détail culturel ou politique. En la matière, il faut reconnaître qu’il se montre adroit pour échafauder complots et vengeance familiale, faisant monter la tension au fil d’une intrigue fort bien ficelée, où alternent discussions stratégiques et parties plus musicales ou sensuelles. Avare en magie, Kay préfère ici une fantasy teintée de réalisme, pour ainsi dire désabusée, ne retenant cependant pas sa plume lorsqu’il s’agit de se montrer plus épique.

Entre Tigane et Les Lions d’Al-Rassan, La Chanson d’Arbonne fait donc partie des textes les plus aboutis d’un auteur ayant depuis continué à étoffer son univers de fantasy historique du côté de Byzance, de l’Angleterre et de la Chine. Voici un roman à (re)découvrir, assurément.

Laurent LELEU

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