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Les critiques de Bifrost

Un Océan de rouille

Un Océan de rouille

C. Robert CARGILL
ALBIN MICHEL
320pp - 21,90 €

Bifrost n° 98

Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98

Les robots ont exterminé tous les humains, par les armes ou en répandant du mercure dans les rivières de la planète, provoquant du même coup une extinction massive de la faune et de la flore. Les IA se sont ensuite livrées à une guerre exterminatrice pour réaliser une Unification mondiale des intelligences soumises à un seul contrôle. Quinze ans après le dernier humain, deux UMI concurrentes se disputent la planète, tandis que les robots indépendants errent dans une vaste décharge, à la recherche des pièces nécessaires à leur remise en état. Fragile, la narratrice, une Aidante conçue pour remplir les fonctions de nounou, infirmière ou aide à domicile, cannibalise les robots en fin de parcours au prétexte de les réparer. Elle-même est traquée par des braconniers qui chassent sans distinction tout ce qui les intéresse. Ils ne sont plus que deux de ce model, Mercer et elle, chacun convoitant les éléments de l’autre avant les défaillances système qui les rendront fous, puis morts.

Fragile n’est pas sûre d’accéder à temps à sa lointaine cache de pièces de rechange en raison des facettes des UMI, soldats robots sans intelligence propre, aisément remplaçables. Elle accompagne un groupe désireux de traverser les territoires hostiles, auquel se joint Mercer. Aucun membre n’est franc sur les vraies raisons de sa présence, rendant l’expédition encore plus périlleuse…

Un océan de rouille, c’est du lourd, c’est du dur, ça canarde et défouraille à tout va, c’est du pur divertissement de série B où il importe de ne pas se montrer trop regardant sur les détails. Mad Max s’impose comme la référence, mais le modèle se révélant peu bavard, il faut y ajouter les séries d’action où les assauts d’éloquence se font dans le langage très fleuri des marines. De fait, la narratrice ne lésine pas sur les épithètes grossières, ni ne craint d’envoyer autrui se faire foutre, en dépit d’impossibilités anatomiques. On peut toutefois considérer que ce langage un peu fruste sert la métaphore d’un prolétariat menacé par la mondialisation des IA phagocytaires.

Vous qui entrez en ces pages, abandonnez toute cohérence. Les robots sont à ce point semblables aux humains qu’ils regardent, marchent et parlent comme eux, sans capteur supplémentaire, hormis un accès WiFi dont ils n’usent que pour détecter la présence d’ennemis. Jamais ils ne s’adressent de messages ni de contenu crypté : c’est à pied qu’un robot s’en va porter un code crucial pour l’issue du conflit. Les détails relatifs à l’informatique, carte mémoire, RAM, disque dur, restent sommaires. L’identification est à ce point poussée que les ennemis promettent de ne se livrer à aucune effusion de sang et que, dans les moments cruciaux, Fragile retient sa respiration. Jadis, elle et sa protégée humaine faisaient la vaisselle à tour de rôle, ce qui est surprenant dans un futur présenté comme un âge d’or, débarrassé des cancers et des virus, sauf les plus agressifs… affirmation pour le moins audacieuse quand on connaît la variabilité de ces derniers.

Des chapitres intercalés relatent les étapes de l’extinction humaine et du conflit entre machines qui a suivi, sur lesquelles il y aurait beaucoup à redire. L’auteur brasse cependant l’ensemble des questions attachées à la robotique, à la définition de la conscience, à l’évolution et à la destinée humaine. Même sommaires, les points de discussion ont le mérite d’être posés, et précisément parce que certaines affirmations sont discutables, elles fournissent matière à réflexion.

D’ailleurs, l’auteur ne se prive pas pour forcer le trait au diapason de son récit, avec un humour toujours plus affirmé dont on regrette qu’il n’ait pas couru dès les premières pages. L’attaque des sexbots, les Vendeurbots, robots conçus pour imiter le comportement des commerciaux, le discours présentant l’Amérique comme un rêve qu’il importe désormais de s’approprier, dit par un robot affichant sur son plastron cinquante et une étoiles sur fond bleu, sont quelques exemples savoureux.

Foin des commentaires philosophiques : il suffit de se laisser emporter par le récit. De ce point de vue, Robert Cargill, scénariste à Hollywood, privilégie l’efficacité à la plausibilité. Le scénario impeccablement huilé n’a rien à envier à une superproduction où interviendraient Stallone ou Schwarzenegger. Les scènes d’action alternent avec les moments de tension et les passages poétiques ou émouvants, et placent à bon escient les indispensables retournements de situation. Un roman pop-corn, parfait pour ceux qui ne boudent pas leur plaisir.

Claude ECKEN

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