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Les critiques de Bifrost

Quête sans fin

Quête sans fin

Alfred Elton VAN VOGT
POCKET

Bifrost n° 98

Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98

Une fois encore, Quête sans fin illustre la méthode principale de notre auteur pour ses romans : le fix-up, ici de trois textes courts publiés longtemps auparavant dans Astounding. Soient la nouvelle « Destination Centaure », en 1944, et « La quête » (1943) et « La Cinémathèque » (1946), deux récits sensiblement plus longs. Le moins que l’on puisse dire est qu’ici, cet assemblage hétéroclite montre rapidement ses limites, aussi bien en termes de cohérence que de qualité. De fait, «  Destination Centaure » est très au-dessus des deux autres textes — rien d’étonnant à ce qu’il bénéficie d’une notoriété supérieure.

À la fin des années 70, des boites de films éducatifs, destinés à des écoles ou des conventions professionnelles, contiennent tout autre chose que ce que leur étiquette indique, à savoir des aperçus aux « effets spéciaux » extraordinaires d’autres mondes du Système solaire ou d’engins futuristes. La cinémathèque qui les fournit est incapable d’expliquer la substitution ou la provenance de ces films (ils viennent en réalité du futur et montrent des scènes authentiques). Lorsqu’un professeur de physique de lycée perd son emploi en partie à cause de ces courts-métrages (mais surtout du fait de ses propres paranoïa et malveillance), il décide de résoudre le mystère. Sitôt sa décision prise, c’est le voile noir (et la fin de la partie correspondant à « La Cinémathèque »). Il se réveille deux semaines plus tard, désormais représentant de commerce, et incapable de se souvenir de ce qui lui est arrivé dans l’intervalle. En menant l’enquête, il va découvrir que des voyageurs se déplaçant dans le Temps et les mondes parallèles opèrent sur Terre. Il va alors pénétrer dans le Palais d’Immortalité, un endroit extraordinaire logé dans un « repli du temps », où l’on rajeunit au lieu de vieillir (ce qui rappelle la très postérieure « Maladie de Merlin » de Dan Simmons). Un repli au bout duquel l’Histoire, ou plutôt toutes les Histoires, finissent (comme dans le récent Terminus de Tom Sweterlitsch). Une fois renvoyé dans son époque d’origine, Peter Caxton n’aura de cesse de retourner dans le Palais et d’acquérir l’immortalité, pour se retrouver pris dans la guerre temporelle que se livrent deux Détenteurs – ces humains capables de se déplacer librement dans le Temps.

On connaissait le space opera d’un côté, le time opera de l’autre : ici, van Vogt invente le « space-time opera », quand tous les moyens sont bons pour Caxton pour tricher avec la mort : repli du Temps, donc, cryogénie, « soleil célibataire » dont l’approche catapulte un vaisseau dans une autre époque, et surtout un voyage infraluminique d’un demi-millénaire en catalepsie vers Alpha du Centaure – la partie correspondant à « Destination Centaure », de loin la plus claire et la plus intéressante de cet assemblage (notamment via l’énorme choc culturel et psychologique qui attend les astronautes à l’arrivée). Si tout cela semble bel et bon, l’exécution (ou la traduction ?) est calamiteuse : la pseudoscience de van Vogt est floue, mal ou trop tardivement expliquée, datée et bancale («  la vélocité est égale au cube de la racine cubique de GD »), et l’ensemble du roman vacille sous le poids d’un empilement de concepts de voyage dans le temps et d’univers alternatifs nébuleux, une intrigue particulièrement confuse pour laquelle le lecteur perd peu à peu tout intérêt. Certains passages demeurent cependant fascinants, telle la partie correspondant à « Destination Centaure ». Rien que pour l’ambition, l’imagination, lesense of wonder dont fait preuve l’auteur, Quête sans fin reste donc une lecture stimulante, à défaut d’être pleinement enthousiasmante.

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