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Les critiques de Bifrost

Périphériques

Périphériques

William GIBSON
AU DIABLE VAUVERT
624pp - 23,00 €

Bifrost n° 96

Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96

Aux États-Unis, dans un milieu rural, Burton Fisher, vétéran de guerre pensionné, charge sa sœur de le remplacer sur la surveillance d’un immeuble. Elle assiste à un meurtre qui déclenche une horde de tueurs contre sa famille. Autour d’elle, des amis et connaissances s’associent pour la défendre, dont Conner, autre vétéran sévèrement mutilé qu se promène sur sa moto à trois roues ou Tommy Constantine, shérif adjoint qui compose ou compense face aux trafics orchestrés par le mafieux local.

À Londres, Wilf Netherton, alcoolique, est l’attaché de presse d’un mannequin, Daedra West, aux performances artistiques extrêmes, dont la sœur Aelita a été assassinée après qu’il lui a offert un étrange cadeau, un polt, un individu décédé coincé dans un fragment de passé auquel on peut se connecter. Bienvenue en kleptocratie, société post-apocalyptique où néo-monarchies corrompues, oligarchies, entreprises véreuses et zoneurs se déchirent pour contrôler le monde par l’argent. La nanotechnologie est omniprésente et les protagonistes évoluent beaucoup par téléprésence, par drones, exo-squelettes et clones décérébrés servant de périphériques, au milieu d’un arsenal robotique de la même veine, avec par exemple des michikoïdes, poupées de porcelaine domestiques. L’enquête d’Ainsley Lowbeer auprès de Netherton, de son riche ami Lev Zubov, rejeton d’une famille de klepts, et de son personnel, Ossian, majordome et ancien voyou, et Ash, une femme avec deux pupilles à chaque œil, permet d’explorer cette société située soixante-dix ans dans le futur de la première intrigue.

Les deux trames temporelles évoluent en alternance et finissent par se rejoindre selon un artifice science-fictif qui sera progressivement élucidé. C’est le reproche qu’on peut faire à ce roman : une rétention d’informations de façon à générer une attente artificielle masquant une intrigue policière convenue. Ainsi, le jackpot évoqué dès le début est défini à la page 400. Le tout est un catalogue pour geek exposé avec parcimonie, un élément dans chacun des 123 chapitres qui saucissonne le roman. La narration, laconique et elliptique, joue la carte de l’immersion où rien n’est explicité ni montré, autre procédé de masquage qui impose une lecture attentive, avec force retours en arrière.

Ce refus de clarification de l’intrigue, occultée au profit d’une vitrine technologique, explique le fort ancrage dans le quotidien, à même de présenter les objets usuels ou les coquetteries de demain, de la trousse à pharmacie futuriste aux copeaux remplaçant la chasse d’eau dans les toilettes en passant par les tatouages mobiles. Rien qui n’ait déjà été vu ailleurs, mais l’accumulation finit par brosser un panorama convaincant, même si aucune réflexion ne vient orienter le propos. Gibson, en revanche, est passé maître dans la mise en situation : là où de nombreux auteurs exploitent les possibilités d’une technologie, dans la perspective d’une volonté de puissance au service de l’action, il met en évidence les failles et les difficultés d’usage au quotidien. Ainsi, deux combinaisons d’invisibilité face à face s’épuisent à se refléter mutuellement, et un périphérique peut être surpris de voir son visage dans la glace ou être humilié, transféré dans la peau d’un koala. Là, le réalisme de Gibson se révèle bon, avec des touches d’humour discret.

L’ensemble, au final, n’est pas inintéressant, et se révèle même passionnant dans le dernier tiers, lorsque tout a fini par se décanter et que le récit prend enfin ses marques, avec quelques scènes mouvementées. Reste à savoir si pareille compilation technologique justifiait un roman.

Claude ECKEN

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