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Les critiques de Bifrost

Naufragés de l'espace

Naufragés de l'espace

COLLECTIF, P.-J. HÉRAULT
CRITIC
18,00 €

Bifrost n° 98

Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98

[Critique commune à Criminels de guerre et Naufragés de l’espace]

Depuis 2012, les éditions Critic ont entamé une réédition de la quasi-intégralité de l’œuvre de P.-J. Hérault – à une exception de taille, son cycle le plus connu, « Cal de Ter », repris en 2012-2013 chez Milady. Sauf erreur de ma part, Bifrost ne s’en est jamais fait l’écho. Hérault fait pourtant partie de ces quelques « auteurs maison » de la collection « Anticipation » du Fleuve Noir qui, dans les années 70-80, produisaient régulièrement des œuvres populaires de qualité. Du coup, il est dommage de n’aborder ici cet auteur que par le biais d’un roman particulièrement raté en rien représentatif de son œuvre.

Paru initialement aux éditions de L’Officine en 2006, Criminels de guerre met en scène, comme souvent chez Hérault, un ancien militaire, Erell Cathal, revenu à la vie civile et n’aspirant plus qu’au calme, loin des tourments du monde. Jusqu’au jour où il reçoit un message de l’un de ses anciens frères d’armes, et qu’il découvre que nombre d’autres soldats comme lui sont jugés et condamnés pour crimes de guerre. Ont-ils vraiment participé à des atrocités au combat ou s’agit-il d’un complot impliquant les plus hautes autorités de l’État ?

Erell Cathal est un personnage comme Hérault en a beaucoup mis en scène, un homme qui déteste d’autant plus la guerre qu’il l’a connue intimement et en a payé le prix. Difficile de ne pas ressentir de sympathie pour ce personnage. Malheureusement, l’intrigue progresse à la vitesse d’un poney boiteux et se noie dans d’interminables scènes sans aucune espèce d’intérêt. Pire encore, l’histoire aboutit à une série de révélations parfaitement invraisemblables. Et pour que le tableau soit complet, l’imagerie SF évoquée par Hérault est pour le moins poussiéreuse (on écoute de la musique enregistrée sur des cristaux, on imprime les documents sur des plastos…) et on a droit à une romance concon à faire bailler d’ennui la moins délurée des nonnes bigoudènes. Arrêtons là le massacre : Criminels de guerre n’est qu’un fond de tiroir qu’il aurait mieux valu laisser sombrer dans l’oubli.

En comparaison, les auteurs au sommaire de Naufragés de l’espace n’ont pas de quoi rougir, à l’exception de David Gallais et Romain Benassaya, qui rendent une copie hors sujet. Le premier fait montre d’un antimilitarisme primaire et caricatural qui ne parvient jamais à être drôle, le second met en scène un super-héros de l’espace comme on n’ose plus en faire depuis les années 40. À l’inverse, dans « Retour à Altamira », Thibaut Latil-Nicolas a parfaitement cerné la problématique du héros « héraultien » en mettant en scène un pilote de chasse qui refuse de sacrifier son humanité en obéissant à ses supérieurs. De son côté, dans « La Cinquantième », l’héroïne de Marianne Stern, pilote d’élite, cherche désespérément une autre issue qu’une mort valeureuse au combat dans une guerre sans fin. L’horreur de la guerre est au cœur des nouvelles de Luce Basseterre et Camille Leboulanger. La première, dans « Les Indésirables », met au jour de manière trop succincte pour être réussie un scandale étouffé par l’armée. Le second, au terme d’un récit riche en péripéties spatiales, remonte à la source du mal et en souligne toute l’absurdité (« Circuit fermé »). Les deux meilleurs textes de cette anthologie sont à mettre à l’actif d’Emmanuel Quentin et Audrey Pleynet. « Attendre l’Aurore », de Quentin, est le récit nerveux à souhait d’un groupe de naufragés en perpétuelle lutte pour leur vie au milieu d’un cimetière d’astronefs. « Le Lien », de Pleynet, s’intéresse aux deux dernières survivantes d’un assaut désastreux à bord d’un vaisseau spatial. Deux ennemies que tout oppose, mais qui se voient amenées à remettre en question leurs préjugés pour espérer survivre. Le cadre est original et bien brossé, le rythme ne faiblit jamais, et les protagonistes gagnent en humanité au fil des pages. Dans l’ensemble, P.-J. Hérault peut être fier de ses enfants.

Philippe BOULIER

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