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Les critiques de Bifrost

Lyonesse - Intégrale

Lyonesse - Intégrale

Jack VANCE
MNÉMOS
944pp - 35,00 €

Bifrost n° 92

Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92

Les rééditions patrimoniales de Mnémos se poursuivent avec un pavé… Non, à ce stade, un parpaing, qui fait très joli dans une bibliothèque mais n’est pas d’un maniement des plus aisé – un parpaing, donc, qui reprend l’ensemble de la trilogie de « Lyonesse », une œuvre de fantasy de Jack Vance datant des années 1980.

Nous sommes à l’aube du Haut Moyen Âge, dans les Isles Anciennes, un archipel au large des côtes anglaises et françaises. Là cohabitent bien des peuples très divers, avec autant de riches traditions, et qui, comme de juste, se font sempiternellement la guerre. Le machiavélique roi Casmir de Lyonesse, tout particulièrement, entend bien régner sur l’ensemble de l’archipel, perspective qui ne séduit guère ses voisins – il compte s’emparer de ce trône et de cette table ronde qui, dit-il forcément, lui reviennent de droit…

Mais la guerre ne fait pas tout : un solide réseau d’alliances est un atout de poids – aussi Casmir entend-il négocier un mariage avantageux pour sa fille Suldrun. Celle-ci n’a pas vraiment son mot à dire, mais son tempérament rebelle nuit aux ambitions paternelles – Suldrun est alors enfermée dans ce jardin où elle aimait tant à se retirer… et, le destin étant ce qu’il est, elle y fait la rencontre du jeune Aillas de Troicinet, naufragé suite aux méfaits de son rival pour la succession au trône. Les deux amants ont tout juste le temps de concevoir un enfant, Dhrun, avant d’être séparés. Aillas, qui parvient à s’échapper de son oubliette, part en quête de son fils – et bientôt de son trône. Casmir ne sait rien de lui — mais une prophétie, dès lors, se met en branle, qui a quelque chose de particulièrement contrariant… Cependant, Dhrun a été enlevé par les fées — et remplacé au château de Lyonesse par un changelin inconscient de sa nature, une fille du nom de Madouc…

Bon, arrêtons notre résumé ici : l’extrême densité du récit ne permet guère d’aller plus loin dans une critique de Bifrost. C’est que «  Lyonesse » est un magnifique exemple d’un Jack Vance particulièrement en verve, qui élabore une trame complexe et riche de digressions, avec un goût marqué pour le picaresque et les rencontres savoureuses – certaines tiennent en quelques paragraphes à peine, qui auraient fourni à eux seuls le matériau d’une excellente nouvelle.

À maints égards, « Lyonesse » répond à «  La Terre mourante », dont on retrouve la faconde débridée – et son content de réjouissants ou répugnants filous et butors. Sans parler des sandestins. Mais le cadre particulier de «  Lyonesse » distingue pourtant les deux œuvres – et le registre de la fantasy dans lequel elles opèrent. La trilogie s’inscrit dans un folklore celtique expansif : les fées dansent et jouent dans les forêts (leur sens de l’humour est redoutable), et suscitent avec entrain la matière délicieuse, nonsensique et infinie des contes ; des chevaliers pré-arthuriens (à deux générations près) se lancent dans la quête presque parodique d’un Graal qui s’avère très vite bien moins enthousiasmant que la moindre babiole marquée du sceau de la féerie (sentiment appliqué au christianisme de manière générale, le détestable Père Umphred ne plaidant pas vraiment en faveur de sa foi d’importation) ; de puissants magiciens, qui ne sont pas supposés prendre part aux affaires de ce monde, ont leurs propres dissensions politiciennes – et leurs méthodes uniques et imaginatives pour les résoudre ; et, sur les côtes, Ys et quelques autres arrogantes cités attendent dans la décadence le grand bouleversement qui les fera définitivement entrer dans la légende…

Vance s’approprie tout cela – et avec un brio typique. Si Le Jardin de Suldrun débute sur un rythme relativement posé, la féerie et les quêtes initiatiques s’imposent pourtant bientôt, qui multiplient les rebondissements les plus fantasques, tandis que la haute politique, et la basse aussi, suscitent mille complots et autant de faits d’armes, dimension peut-être plus marquée dans le deuxième roman, La Perle verte ; Madouc, en son temps, offre de par son personnage titre un intéressant miroir au premier volume, tout en parvenant avec une impressionnante apparence de facilité au terme d’une trame complexe dont il s’agit de nouer les nombreux fils rouges – mais l’ensemble est si prolifique que bien d’autres récits auraient pu être racontés par l’auteur.

En l’état, quoi qu’il en soit, nous avons bien Jack Vance à son sommet – un auteur qui s’amuse avec sérieux, et enchante littéralement ses lecteurs : «  Lyonesse » est un point culminant de sa carrière, une de ses plus grandes réussites.

Bertrand BONNET

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