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Les critiques de Bifrost

Les Nuages de Magellan

Estelle FAYE
SCRINEO
352pp - 21,00 €

Bifrost n° 94

Critique parue en avril 2019 dans Bifrost n° 94

C’est un futur à la fois très proche et très lointain que donne à lire Les Nuages de Magellan, dernier roman en date d’Estelle Faye, prolifique auteure de l’Imaginaire français (on renverra le lecteur curieux aux critiques de ses ouvrages dans nos n° 55, 70, 76 et 87). En effet, rien de plus éloigné de notre contemporaine condition que cet univers dans lequel l’épuisement fatal de la Terre a contraint l’humanité à se déployer à travers l’espace. Grâce à leur maîtrise des voyages intersidéraux et de l’art de la terraformation (entre autres innovations science-fictionnelles dépeintes ici), femmes et hommes du XXIVe siècle ont ainsi colonisé la myriade d’astres formant la Voie Lactée. L’ordre qui a découlé de cette gigantesque entreprise n’a, cependant, rien que de très familier pour les lecteurs et lectrices de 2019. Les Compagnies — un consortium d’entreprises tout puissant — ont soumis l’univers ainsi redessiné à la loi d’airain du capitalisme le plus débridé, confortée par un autoritarisme pas moins brutal. Les inégalités socio-économiques et politiques les plus extrêmes se sont ainsi propagées jusqu’aux Nuages de Magellan, nouvelle frontière de l’écoumène. Dan, l’une des protagonistes du roman, est l’une de ces damnées des étoiles. Habitante d’un planétoïde misérable, la jeune femme y survit plus qu’elle n’y vit en exerçant le métier de serveuse au Frontier, un bouge d’outre-espace. Seule l’incertaine perspective d’une carrière de chanteuse — Dan pratique un équivalent futuriste du blues — lui permet de conjurer le désespoir suscité par son écrasante condition. Du moins jusqu’à ce que sa route croise celle de Mary. Pilier du Frontier, la femme parle peu mais boit beaucoup, cherchant ainsi à noyer un passé en tous points hors-normes — mêlant piraterie interstellaire et amour lesbien avec une cyborg. Bientôt rattrapée par ce passé durant lequel elle défia les Compagnies, Mary doit fuir le planétoïde. Non sans embarquer Dan dans son vaisseau, elle aussi en délicatesse avec les Compagnies. Et le duo d’ainsi s’engager dans une odyssée spatiale aventureuse et révolutionnaire…

C’est un space opera très politique qu’Estelle Faye s’efforce de composer avec Les Nuages de Magellan. Portant un regard critique sur la domination économique, le roman s’affirme encore féministe et libertaire. Pour ce faire, il s’empare de motifs SF le plus souvent associés à des personnages masculins et straight pour les appliquer à ses protagonistes féminines et queer. On pourra ainsi trouver à Mary des allures d’Albator féminin et lesbien. Quant à Dan, jeune femme en route vers l’héroïsme intersidéral, elle n’est pas sans évoquer le juvénile Skywalker de l’épisode IV de Star Wars. Autant de références affleurant dans Les Nuages de Magellan : un livre qui semble être irrigué par un imaginaire plus bédéistique et cinématographique que romanesque. Pareille entreprise d’empowerment narratif et de métissage générique dessinait un séduisant projet. Mais celui-ci échoue finalement à convaincre. La faute en incombe à une écriture rien moins que singulière. Le style des Nuages de Magellan s’avère le plus souvent bien plat, cédant parfois à la tentation du cliché. Une manière de comble esthétique pour un roman voulant exalter la différence avec un grand D ! Difficile dès lors de se sentir emporté par cette histoire de femmes fortes ou en passe de le devenir, sur fond de révolution stellaire…

Pierre CHARREL

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