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Les critiques de Bifrost

La Planète aux statues

La Planète aux statues

Christine RENARD
GANDAHAR
178pp -

Bifrost n° 93

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

Au terme d’un voyage de cinq siècles, un vaisseau terrien reprend contact avec les colons de Margharetta, une planète d’Alpha du Centaure. La mission est scientifique : biologiste, géologue, sociologue, économiste, ainsi que la narratrice, une psychologue de vingt-cinq ans, viennent étudier l’évolution de la société. Les cités apparemment prospères sont paisibles, figées dans le conformisme d’une vie sans histoires : les femmes, très occupées à leurs tâches ménagères, ont de nombreux enfants. Pas de monnaie ici, mais un marché au troc où chacune présente ses productions artisanales  : confitures, parfums, couverts en bois. Pas de guerre ni de violence : il n’y eut en un siècle que quatre meurtres sur l’ensemble de la planète.

Un détail attire vite l’attention des observateurs : la présence de statues de jeunes filles au réalisme saisissant, enchaînées dans les jardins attenant aux maisons au moyen d’un cadenas. Seule celle qui a servi de modèle détient la clé et la cède à l’homme qui la lui fait sa demande en mariage. Les statues sont fournies par les monastères de chaque cité, forteresses inaccessibles hormis pour les cérémonies comme le mariage. Celui-ci semble obnubiler toute femme en âge de convoler : être l’objet d’une demande apparaît plus important que l’identité du prétendant.

La société que décrit Christine Renard est une métaphore de la femme au foyer, conçu pour la seule satisfaction de l’homme, sans que personne, du fait de l’éducation et du poids des traditions, n’en ait forcément conscience.

La situation n’est pas sans rappeler celle, au tournant du XIXe et du XXe siècle, où l’homme se rendait dans les maisons closes en laissant leurs épouses s’occuper des enfants et du foyer. La statue, garante de fidélité, est l’instrument qui masque partiellement cet asservissement ou du moins, le rend acceptable. Seuls les moines, détenteurs de la vérité, effectuent un contrôle en connaissance de cause. Pour avoir cherché à connaître la vérité le sociologue Valentin Vallauris perdra la vie.

La narratrice, qui a réussi à se faire accepter par la population, provoque, par sa seule présence, à une transformation des consciences propre à devenir le ferment d’un mouvement de libération de la femme. Elle est consciente de susciter de fortes résistances qui risquent de se retourner contre elle.

L’intrigue qui se joue sur une échelle réduite, adopte le ton du roman policier dans un premier temps, en se concentrant sur l’élucidation de morts suspectes et la révélation de secrets bien cachés. Elle s’élargit par la suite quand les changements au sein de la communauté prennent les contours d’une révolution féministe, section où les problèmes relatifs au statut de la femme sont clairement exprimés. La narration est rapide : on aurait aimé davantage de développements lors de la prise de conscience et de la transition sociale. Mais l’écriture très fluide de Christine Renard, qui sait très vite opérer l’identification du lecteur à son personnage, est d’une indéniable efficacité.

Initialement intitulé La Planète aux poupées, un titre que Christine Renard n’aimait pas – elle lui préférait celui de Tristes Poupées, qui lui donne une perspective plus anthropologique –, ce roman publié en 1972 n’avait pas pu rencontrer son public, l’éditeur ayant fait faillite peu de temps après. Il faut donc saluer Jean-Pierre Fontana pour avoir réédité ce roman dans sa nouvelle collection dédiée aux œuvres patrimoniales de l’imaginaire injustement négligées.

Si le présent roman semble avoir vieilli par certains côtés, il rend fidèlement compte de la condition féminine à l’époque de sa rédaction. Ce n’est pas un hasard si la même année Ira Levin, sur un sujet identique, publiait Les Femmes de Stepford, Les problèmes d’égalité entre homme femme ne sont plus exactement les mêmes, raison pour laquelle ce court roman mérite le détour : il permet de mesurer autant le chemin parcouru que celui qu’il reste à effectuer.

Reste que Christine Renard est trop subtile pour faire de ses personnages des caricatures. Sa narratrice refuse de jouer les icônes, ne serait-ce qu’en raison de son éthique de non intervention. Les failles qu’elle présente permettent d’entrevoir sa complexité. Et c’est sur une note bien plus ambiguë que s’achève ce récit à l’échelle de la société comme de sa principale protagoniste. Au final, un roman très vivant, au suspense soutenu, qui réhabilitera, il faut l’espérer, Christine Renard, autrice discrète au grand talent.

Claude ECKEN

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