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Les critiques de Bifrost

La Discorde céleste

La Discorde céleste

Jean-Pierre LUMINET
JEAN-CLAUDE LATTÈS
514pp -

Bifrost n° 51

Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51

Il ne s’agit pas de science-fiction, mais l’amateur sera forcément intéressé par des récits romancés racontant les débuts de l’astronomie, a fortiori le lecteur de Bifrost habitué à lire « Scientifiction », la rubrique de Roland Lehoucq (qui travailla d’ailleurs une dizaine d’années avec Jean-Pierre Luminet). Ce roman n’est pas une énième histoire de l’astronomie qui recense les découvertes de chacun. Il nous montre plutôt les sauts conceptuels et les spéculations auxquelles il fallut se livrer pour comprendre le ciel et affiner sa vision du monde, dans un contexte culturel et social a priori réfractaire, et, dans le roman, au sein de vies faites de heurts et de malheurs. Spéculation, hypothèses scientifiques, le tout sous forme romancée et dans une société étrangère à la nôtre (l’Europe des XVIe et XVIIe vaut bien l’exotisme de mondes futurs : l’auteur se livre au même travail de création, ou de re-création), voilà qui ne manquera pas d’exciter les papilles intellectuelles du lecteur de S-F.

A elle seule, la figure de Tycho Brahé vaut le détour : noble danois aux rudes et violentes ascendances vikings, ogre soif-fard et glouton, injuste et impitoyable avec plus faible que lui mais soumis devant les gens de pouvoir, ce froussard à l’ego démesuré, qui a perdu son nez dans un duel, joue habilement de celui, en bois, qui le remplace, le retirant pour se passer un onguent chaque fois qu’il a besoin de gagner du temps ou affronter ses interlocuteurs du regard. Mais c’est aussi un passionné d’astronomie qui édifiera le plus grand temple du savoir de son époque et cumulera les observations, révisant par exemple la nature des comètes.

Face à lui, Johann Kepler, natif du Wurtemberg, est le portrait inverse : chétif, maladif, roturier sans avenir, pauvre et peu enclin aux plaisirs terrestres, il n’a pour lui que son formidable esprit qui lui permet de calculer les grands nombres et de réciter la Bible à six ans. Il fait peur par son souci de vérité, qui peut l’amener à proférer des hérésies, et par son intransigeance qui ne le fait pas plier devant les grands. Kepler se doute que Brahé refuse de communiquer ses relevés car ils risquent de mettre à mal son curieux système géo-héliocentrique, hybride de ceux de Ptolémée et Copernic. Il sait repérer les tricheurs. Mais comment un obscur enseignant de mathématiques saura-t-il contraindre le roi des observateurs de partager le trésor sur lequel il est assis, voilà l’enjeu de ce second volume de la série des « Bâtisseurs du ciel ».

Le moins qu’on puisse dire est que Jean-Pierre Luminet, l’astrophysicien  mondialement connu pour ses travaux sur les trous noirs, a utilisé les ingrédients de la littérature populaire pour ménager un suspense et maintenir une tension constante du début à la fin du roman. Il faut reconnaître aussi que l’Histoire s’y prête volontiers, qui n’est pas avare d’énigme, d’intrigues et de complots, pas plus que de coups de théâtre. L’intrigue, en effet, se complique avec des troubles politiques et religieux, Kepler, protestant, se voyant contraint de fuir, tandis que Brahé, trop prétentieux et peu obéissant, se voit banni de son pays.

Le premier volume, Le Secret de Copernic, marquait le début de cette tétralogie qui se poursuivra avec L’Œil de Galilée et Newton, le dernier des magiciens. Jean-Pierre Luminet, qui était jusque là un vulgarisateur particulièrement brillant, se révèle tout aussi passionnant dans l’écriture romanesque.

Claude ECKEN

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