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Les critiques de Bifrost

Kabu Kabu

Nnedi OKORAFOR
LES EDITIONS DE L'INSTANT
22,50 €

Bifrost n° 93

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

Kabu kabu ? « Des taxis clandestins qui hantent les rues du Lagos ». Kabu Kabu ? Un excellent recueil de nouvelles au titre parfaitement trouvé. Car si vous entrez dans ce livre, sachez que vous embarquez pour un voyage dans les limbes qui unissent la fantasy, le réalisme magique et la science-fiction. De votre siège de lecteur passager, vous regarderez, ébahi, le paysage familièrement exotique qui défile sous vos yeux incrédules, mais néanmoins émerveillés. Vous savez d’où vous partez, vous avez une vague idée d’où vous allez. Pour le reste… le trajet dépendra uniquement du bon vouloir du conducteur.

Et quelle conductrice, dans ce cas ! Dirigeant avec brio les différentes courses, Nnedi Okorafor vous emmène à la poursuite des coureuses de vents, vous rince dans la pluie, sur la route, mais vous rattrape toujours, à l’instant où vous vous apprêtez à descendre, pour vous enlever vers une autre époque, un autre combat, une autre histoire d’amour… et vous égarer ainsi dans les vingt-deux récits, comme autant de destinations fantastiques.

Élevée entre Afrique et Amérique, Nnedi Okorafor a décidé de ne pas choisir, d’être une enfant des deux civilisations et d’unir ces deux patries en un continent nouveau, où ses textes sont des ponts qui relient les différents territoires. Les Afriques y sont plurielles, bercées dans le folklore et la mythologie, et confrontées à la modernité d’un monde qui avance plus vite que quiconque peut le supporter. L’Amérique y est traditionnelle, oubliant ses origines, et rappelant que le plus étrange, le plus violent, n’est pas tant l’étranger que le regard que chacun porte sur ce qui est différent, sur ce qui lui fait peur. Les remous et méandres de ces récits racontent souvent des histoires de femmes, qui, vivant dans le carcan des traditions, parviennent à s’en affranchir, à leur façon, et surtout pas comme les hommes le leur ont enseigné. Maudites, sorcières, étrangères, coureuses de vent, fillettes sur le chemin de l’école, amoureuses… elles savent et comprennent le monde bien mieux que les guerriers, car elles sont nées pour se libérer et dégager la voie qui suivra le cœur et l’âme, et non l’argent, la guerre, le pouvoir. Et si la magie intervient, elle est naturelle, et non mauvaise comme veulent le faire croire les hommes qui l’ont oubliée depuis trop longtemps.

Difficile, vous l’aurez compris, de rendre compte fidèlement de ces vingt-deux récits, tant ils ont de cœur et de chœurs. Que ce soit par une lecture indépendante, en piochant au hasard un chapitre, ou par une lecture linéaire, ils se mêlent en multiples facettes d’un kaléidoscope très coloré. On devine dans ces histoires, parfois amusantes, parfois dures, souvent poétiques, et presque toujours étonnantes, les différentes époques d’écriture de l’auteure, en une cartographie intéressante d’un talent confirmé. Tout en reconnaissant des thématiques occidentales, on en découvre de nouvelles, pour nous, lecteurs occidentaux biberonnés aux clichés sur cette autre terre. Le style est efficace, incisif, fluide, bien rendu par une traduction précise. La richesse des genres et des thèmes abordés n’a rien à envier au baroque de Neil Gaiman, retenant avant tout ce qui crée l’émotion. Les interprétations qu’on peut donner aux textes sont foisonnantes, et appellent d’autres lectures.

Le livre est une excellente entrée dans l’univers de cette merveilleuse conteuse, qu’on espère retrouver vite sur les tables des libraires français, tant le chant de cette forte voix est envoûtant.

Maëlle ALAN

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